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11. LES ENJEUX

12.1 Les conséquences de la soumission des médecins assistants à la LTr

La diminution de la durée du travail à 50 heures par semaines, de même que l’interdiction d’effectuer un lissage au-delà de la semaine va, sans modification de la manière de travailler dans les services, inévitablement faire exploser les « compteurs ». La limite du

travail supplémentaire annuel étant fixé à 140 heures, il n’est tout simplement pas possible de se contenter de payer les heures supplémentaires car elles vont non seulement allègrement dépasser ce maximum légal mais surtout entraîner une dépense supplémentaire pour chaque hôpital de plusieurs millions par an.

Augmenter les postes médicaux, comme cela s’est fait de manière massive à Genève au cours des 6 dernières années, peut paraître à première vue une solution adaptée. Mais en admettant qu’ils ne soient pas détournés de leur mission primaire pour augmenter une années en institution, bénéficier d’une formation, mais avec quels débouchés lorsque l’on connaît une pléthore de spécialistes dans nos centres urbains?

Si le nombre de postes médicaux augmente et le nombre d'heures de travail diminue, pourra-t-on garantir le même niveau de qualité de formation? Certains médecins cadres en doutent et lancent le débat quant à la prolongation de la formation post-graduée pour compenser cette diminution du temps de travail52. La question est pertinente, mais les médecins en formation répondent qu'il serait tout à fait possible de conserver une activité clinique superposable tout en diminuant le travail hebdomadaire si la charge administrative qui pèse sur leurs épaules pouvait être reportée sur le secrétariat.

Si nos hôpitaux ont cruellement besoin de médecins, il n’en est pas de même actuellement pour notre secteur ambulatoire privé, à l’exception notoire de la médecine de premier recours. Que vont donc devenir ces nouveaux professionnels ? Sont-ils prêt à une carrière uniquement hospitalière puisque les droits de sortie sont extrêmement limités (clause de besoin) ? En ouvrant de nouveaux postes médicaux chacun de leur côtés, les hôpitaux n’ont pas profité de l’occasion pour lancer, en partenariat avec l’Etat, la réalisation d’une véritable cartographie médicale : quels seront les besoins régionaux en médecins généralistes ou spécialistes ces 15 prochaines années ? combien les hôpitaux universitaires doivent-ils former de spécialistes pour assurer la relève ? comment ne pas en former trop non plus ? La clause du besoin est véritablement mal-nommée comme l’avait très justement rapporté J.-L. Vonnez: « Ni les cantons, ni la confédération, ni les assureurs ne savent comment chiffrer les « besoins » en médecins d’une population donnée…cette question reste entière »… « Dans les faits, la clause du besoin est donc essentiellement une clause de statu quo »53 Il n’existe aujourd’hui en effet aucun indicateur permettant de

quantifier les besoins de la population en offre médicale.

Chaque fois que les factures augmentent, on les regarde d’un peu plus près. Cet état de fait est très bien illustré par les coûts de la formation. Un plus grand nombre de médecins dans les hôpitaux va inévitablement engendrer une augmentation des coûts de fonctionnement qui seront répercutés vers l’Etat et les assurances. Plus de médecins dans les hôpitaux signifie également une augmentation des coûts de la formation. Or cette facture, nul ne sait à combien elle s’élève tant elle est noyée dans celle des prestations. Les assureurs estiment que ce n’est pas à eux de payer pour cette dernière alors qu’il est bien entendu aussi dans leur intérêt que les médecins soient bien formés. Il a été démontré que les médecins bien formés coûtent, une fois installés en cabinet, moins cher au système car ils prescrivent moins d’examens complémentaires. Les hôpitaux pour leur part souhaitent que la formation soit prise en charge par l’instruction publique alors qu’ils bénéficient très largement de cette main d’œuvre qualifiée bon marché. Finalement certains politiciens verraient d’un bon œil que les médecins eux-mêmes paient pour leur formation en espèce sonnantes et trébuchantes comme cela se fait souvent aux Etats-Unis, ou alors en renonçant aux compensations pour les heures supplémentaires fournies. Ce dernier point est défendu par le professeur F. Waldvogel, pourtant lui-même médecin et ancien chef de service des HUG, mandaté par P. Couchepin pour faire des propositions sur la réforme du financement des études de médecine54. Cette proposition est un nouvel exemple de l’incompréhension qui peut parfois exister entre des médecins de différente génération…

Les « jeunes » de leur côté rétorquent que s’ils travaillent 50 heures par semaine au lieu de 42 heures comme la majeure partie de la population bénéficiant de conventions collectives de travail, cela doit être considéré comme leur contribution aux frais de leur formation, mais qu’en aucun cas du travail au-delà de 50 heures hebdomadaire ne saurait être dispensé de compensation.

La Confédération de son côté, et l’ASMAC Suisse de l’autre, étudient toutes deux actuellement les coûts de la formation post-graduée des médecins dans les hôpitaux. A n’en pas douter, les chiffres présentés seront très différents, mais probablement pas autant que les mesures pour le financement de cette formation. Une longue bataille d’experts s’annonce… Ce dossier, après l’application de la LTr dans les hôpitaux, est le nouveau

« point chaud » du financement des hôpitaux.

Une des pistes de réflexion proposée par l’AMIG pour tenter d'absorber les nouvelles contraintes horaires à budget constant, était de revoir les prestations ambulatoires offertes par les HUG. Si une institution universitaire se doit d'offrir de telles prestations dans le cadre de la formation de ses médecins, mais également pour mettre à disposition de la population des prestations non disponibles ailleurs (technologie de pointe) ainsi que des soins de base pour les indigents, il est de notoriété publique que les HUG dépassent largement ce cadre, ceci principalement en raison du prestige et surtout des revenus occasionnés pour les prestations ambulatoires.

Finalement notre ultime suggestion fut d'ouvrir la boite de pandore qu'est la liste des prestations offertes à la population, et oser le débat sur le rationnement. Si depuis plusieurs décennies la population a bénéficié d'une médecine qu'elle n'a pas payé à son juste prix puisque bénéficiant de médecins que partiellement rémunérés pour leur travail,

peut-être était-il temps de se poser cette question. Cette délicate question est brûlante d'actualité. Si de nombreux praticiens admettent avoir pratiqué le rationnement des soins de manière implicite, il serait plus qu'urgent que nos dirigeants politiques, ayant seuls la légitimité de modifier le catalogue des prestations de base et après avoir largement consulté les experts que sont les médecins, puissent établir des règles de rationnement explicite au vu de difficultés financières de notre système de santé, du vieillissement de notre population et des moyens techniques toujours plus sophistiqués et coûteux mis à notre disposition. Le but à poursuivre serait de réaliser une analyse fine du catalogue actuel, d’en exclure les prestations qui ne sont plus reconnues médicalement comme efficace (« evidence-based »), mais surtout d’instaurer une limitation de la répétition d’actes médicaux inutiles mais présents sur le catalogue. Le passage d’un rationnement implicite à un rationnement explicite permettrait de traiter tous les patients sur un pied d’égalité.

Les conséquences de la soumission de la LTr aux médecins assistants sont multiples et complexes, de même que les pistes possibles pour la mettre en application tout en restant sensible aux conséquences budgétaires. Ce bref survol montre que le sujet aurait mérité une plus large consultation entre tous les milieux concernés (Confédération, facultés de médecine, assurances maladies, médecins, cantons, hôpitaux), afin de tenir compte de la globalité du problème. Au lieu de cela, chaque canton, chaque hôpital cherche à s’en sortir et bricole dans son coin, sans prendre en considération les conséquences de ces demi- mesures.