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8. LES OBJECTIFS ET INTERÊTS DES PRINCIPAUX ACTEURS

8.2 Application de la LTr selon l'AMIG

Il n’est pas inutile de rappeler à ce stade que l’AMIG n’a jamais participé à l’élaboration de la LTr puisqu’elle n’est logiquement pas considérée comme un interlocuteur privilégié des décideurs de Berne. C’est l’ASMAC, organisation faîtière des médecins assistants suisses, qui aurait du assumer ce rôle, mais les médecins des hôpitaux dans leur ensemble n’ont malheureusement que peu été écoutés lors de l’élaboration du texte permettant d’appliquer au monde médical hospitalier une loi initialement écrite pour l’industrie. Ceci a abouti à l’élaboration d’articles, simplement calqués de l’activité artisanale ou industrielle, qui sont peu voire pas compatibles avec l’activité hospitalière. L’exemple le plus flagrant est l’obligation de garantir au médecin travaillant seul la nuit de pouvoir bénéficier de quatre heures de repos lors d’une garde de 12 heures, alors que la nature même de son activité et surtout de ses responsabilités rend impossible l’application d’une telle clause.

L’AMIG a été très attentive aux travaux parlementaires et à ceux du seco lors de l’élaboration des ordonnances d’applications. Elle a dès 2003 et à de nombreuses reprises, proposé à la DRH de travailler ensemble à l’implémentation de la LTr aux HUG sans jamais être entendue. Consciente des difficultés de cette mise en application et des contraintes budgétaires auxquelles les HUG devaient faire face, l’AMIG ne s’est jamais attendue et encore moins exigé une application « lege artis » au 1er janvier 2005. L’objectif était de proposer un agenda et diverses propositions basées sur la connaissance du « terrain » que possèdent les médecins (organisation du travail, services à la population), compétences que ne peut maîtriser la DRH de par la spécificité du travail médical et surtout la diversité des organisations dans les différents services (pour rappel il y en a 63 !) née chacune sous l’impulsion de chefs de service différents.

Voici les pistes qui ont été proposées par l’AMIG pour permettre de se rapprocher d’une application de la LTr à budget constant:

- revoir le cahier des charges et l’organisation du travail des médecins

C’est la première évidence ! Même si l’accord AMIG-HUG prévoyait depuis 2001 une diminution progressive des temps de travail, force est de constater que l’institution n’a pas eu la force ni la volonté d’astreindre les chefs de service aux changements radicaux nécessaires en matière d’organisation du travail, mais a favorisé la compensation financière des heures supplémentaires de travail et l’octroi de nouveaux postes. A la décharge de ces derniers, la direction générale ne s’est jamais investie dans cette direction en créant par exemple des incitatifs aux réformes allant dans ce sens. Au contraire, les services accumulant les heures supplémentaires étaient « récompensés » par des postes supplémentaires contrairement aux « bons élèves » qui avaient revu leur manière de travailler. Quand on sait que l’ego d’un chef de service se mesure parfois au nombre de médecins sous ses ordres, on prend la mesure de cette gestion contre-productive…

L’organisation du travail de nombreux médecins était encore calquée sur le modèle prévalant il y a 40 ans à savoir un employé corvéable à merci, qui connait l’heure de son entrée en service le matin mais jamais la fin. S’il lui est demandé d’assister à une remise de garde à 7h le matin et d’assister au rapport du soir à 19h tout en étant atteignable pendant sa pause de midi, il est impossible d’appliquer la semaine des 50 heures. Finalement et c’est un aspect économiquement sensible, en raison de sa disponibilité totale, le médecin a hérité de tâches administratives toujours plus nombreuses (classement, secrétariat,

« typing », formulaires d’assurances), permettant ainsi d’éviter le paiement d’heures supplémentaires aux secrétariats et surtout l’engagement de personnel administratif supplémentaire. Si l’AMIG s’est en tout temps clairement positionnée en faveur de compensation en temps des heures supplémentaires effectuées, elle s’est également battue pour que le tarif prévu pour la compensation financière de ces heures supplémentaires soit le plus élevé possible afin que l’argent devienne un incitatif puissant pour non seulement réorganiser le travail mais également pour engager un personnel moins qualifié et donc moins onéreux afin d’effectuer les tâches qui ne nécessitent aucune qualification médicale universitaire.

- assurer un suivi des nouveaux postes médicaux attribués

Lors des travaux de la commission paritaire entre 2001 et fin 2004, l’AMIG a toujours souhaité que les HUG contrôlent l’utilisation des quelques 80 nouveaux postes destinés à la diminution de la charge de travail des médecins. Sous prétexte d’un manque de moyens, cette tâche pourtant essentielle n’a pas été effectuée et nombres de ces postes ont été utilisés par les chefs de service pour développer leurs prestations, ceci parfois de manière ostentatoire sans susciter de réaction de la part de la DRH. Comme pour la réorganisation du travail dans les services, on s’est heurté ici au fonctionnement même de l’institution, à l’indépendance certes nécessaire accordée aux départements, mais à laquelle la DRH ne semblait pas vouloir ou oser se heurter. Ceci pose une fois de plus la complexité du rôle de la DRH dans cette institution. A-t-elle les moyens de proposer une politique ? Et surtout aurait-elle les moyens de la faire respecter ?

- revoir la mission de service public des HUG

La mission des HUG est triple : offre de soins, enseignement, recherche. L’hôpital public, en dehors de sa mission universitaire, doit principalement apporter une palette de soins variée à toute la population, principalement les soins ne pouvant être obtenus dans le domaine privé. Le système de santé en Suisse garantit encore à ce jour des soins de qualité pour tous à des prix contrôlés en ambulatoire (Tarmed). L’interrogation de l’AMIG était la suivante : pourquoi les HUG maintiennent-ils une activité ambulatoire pléthorique concurrençant de manière illicite les praticiens privés? En effet, une partie des effectifs médicaux pourrait être recentrée sur les activités hospitalières permettant ainsi d’assainir la situation des horaires sans pour autant augmenter le nombre de postes de médecins.

L’AMIG consent qu’à des fins de formation, il soit indispensable que les HUG conservent une telle activité afin de former les praticiens privés de demain. Il est également nécessaire d’offrir en ambulatoire des prestations encore non disponibles dans le privé (médecine de pointe principalement), de même que des consultations pour les patients migrants, réfugiés ou clandestins qui pour des raisons évidentes de barrières linguistique et économique ne pourraient être pris en charge en pratique privée. Mais l’activité ambulatoire des HUG dépasse largement ces objectifs, et ceci pour une raison simple : l’ambulatoire est une activité extrêmement rentable à laquelle la direction actuelle et les services ne veulent pas renoncer. Cette piste de réflexion proposée par l’AMIG n’a jamais été entendue, puisqu’elle se heurte de manière frontale aux objectifs budgétaires des HUG.

Elle heurte également les prérogatives et le prestige des chefs de service pour lesquels ces rentrées financières ambulatoires sont non seulement bienvenues, mais révèlent également un important volume d’activité dans le service.

- revoir le catalogue de prestations de la LAMAL

Cette proposition rejoint quelque peu celle de la révision du catalogue de prestation ambulatoire des HUG mais au niveau national. Si notre société n’arrive plus à « se payer » la qualité de médecine dont elle dispose, que cela soit en raison des coûts des nouvelles technologie, du vieillissement de la population ou des coûts supplémentaires que générerait une application de la LTr, pourquoi les politiques (et non les assureurs !) n’ouvriraient pas un peu plus la boite de Pandore qu’est le rationnement des soins ? Si tous approuvent sa rationalisation, il est probable qu’un jour il faille aller plus loin dans ce processus, et s’attaquer au vif du sujet plutôt que timidement réduire le remboursement des médecines parallèles qui finalement ne concerne qu’un pourcentage négligeable de la facture finale. Sous prétexte qu’il n’existe pas de moyens supplémentaires, les médecins devraient-ils accepter de travailler dans l’illégalité et continuer à accumuler les heures supplémentaires non compensées? Depuis plusieurs décennies les suisses bénéficient d’une médecine de qualité qu’ils ne paient pas à son juste prix puisque qu’ils ont bénéficié de travailleurs qualifiés dont le travail n’était (et est toujours !) que partiellement rémunéré. Il est temps que la loi s’applique, que les coûts liés à cette application soient

chiffrés et diffusés, et finalement que le monde politique assume les responsabilités que le peuple lui a confiées.

L’AMIG n’a jamais pensé ni espéré que l’application de la loi sur travail puisse se réaliser à

« budget constant » comme souhaité par les HUG. Le Conseil Fédéral lui-même a estimé que

« l’aspect financier de la question ne constitue pas à lui seul un argument valable pour s’opposer à l’amélioration des conditions de travail des médecins-assistants » 29 comme déjà mentionné précédemment. Il est certain qu’une telle révolution ne saurait prendre place, dans l’optique de garder une offre de soins similaire, sans injecter de nouveaux postes (médicaux ou/et administratifs) dans la santé. Cependant, l’AMIG regrette qu’une réflexion plus globale sur les options rendant possible une application à moindre coûts n’ait pas été discutée au sein des HUG, et que n’ait été appliquée à ce jour principalement qu’une politique d’octroi de postes supplémentaires associée à de timides pressions pour la réorganisation du travail des médecins.

Pour l’AMIG, la direction adopte une ligne qui d’un côté va timidement dans le sens de l’application de la LTr en créant des postes supplémentaires même si certains ont été détournés de leur mission première, mais de l’autre ne souhaite pas heurter les chefs de départements et de services en les astreignant à participer plus activement au processus de réforme du travail des médecins.

Alors que l’AMIG était disposée, ceci depuis de nombreuses années, à travailler avec la DRH à l’implémentation de la loi, la décision de la direction des HUG d’abroger au 1er janvier 2005 unilatéralement toute directive en vigueur plus favorable que la LTr (directive des gardes et piquets30, accord AMIG-HUG de 200131), ceci au mépris des contrats à durée déterminée des médecins signés sous cet « l’ancien régime », n’a contribué qu’à compliquer les rapports entre les représentants des médecins et la direction. Si la LTr ne fait que poser un cadre légal minimum, elle n’interdit pas que des conditions plus favorables négociées entre employeur et employés puissent être mises en place. Surtout, elle ne cautionne en aucun cas que ces dispositions antérieures puissent simplement être abrogées sans respecter les règles du droit du travail. Pour l’AMIG, les HUG ont « fait leur marché », décidant d’appliquer uniquement les points de la loi leur paraissant favorables ou non contournables (indemnités des heures de nuit, et travail du dimanche), et surtout n’appliquant pas ce qui pouvait financièrement leur coûter cher (décompte du travail à la semaine). Ils ont de plus utilisé comme prétexte l’entrée en vigueur de la LTr pour abroger toute disposition antérieure n’étant pas spécifiquement mentionnée dans le texte législatif et qui ne leur était pas financièrement propices. C’est dans ce climat que se sont ouvertes les négociations pour l’application de la LTr aux HUG (chapitre 7).