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Conséquences à court terme de l’exposition aux polluants sur le cycle de vie des individus

II. Effets des polluants sur les traits d’histoire de vie des populations

II.4 Discussion

II.4.1 Conséquences à court terme de l’exposition aux polluants sur le cycle de vie des individus

Afin d’identifier les conséquences de la pollution des milieux aquatiques sur les populations

de moustiques Aedes aegypti, les traits d’histoire de vie des individus exposés à différents milieux

pollués et ceux de leur descendance ont été étudiés. Plusieurs études ont mis en évidence chez les

insectes l’influence de la condition physiologique des parents, définie par exemple par la

disponibilité des ressources alimentaires ou l’exposition à un polluant, sur le développement, la

tolérance au stress ou la fonction reproductrice de leur descendance (Grech et al., 2007; Sadd et

Schmid-Hempel, 2007; Martins et al., 2012; Valtonen et al., 2012; Perez et Noriega, 2013).

Cependant, la descendance n’est que rarement prise en compte dans les études écotoxicologiques.

L’étude globale des profils d’impact de différents milieux pollués (Tableau II.16) révèle des

modifications de traits d’histoire de vie de la descendance des individus, principalement lors de la

contamination des milieux par l’ibuprofène et le benzo[a]pyrène. La contamination des milieux

apparaît affecter la physiologie des individus exposés, et ce, même lorsqu’aucune perturbation n’est

observée à l’échelle individuelle chez les parents. Plus particulièrement, les impacts

trans-générationnels observés ne sont associés à aucune modification des traits d’histoire de vie

directement liés à la reproduction chez les parents, tels que la fertilité et la fécondité des femelles

(Tableau II.16). Ces observations mettent en évidence l’intérêt majeur que peuvent avoir des

approches trans-générationnelles dans l’évaluation de l’impact des polluants sur les organismes.

Le temps de développement des individus apparaît particulièrement impacté. Que ce soit

chez les individus exposés directement ou chez leur descendance, ce trait apparaît modifié par 7

des 11 milieux contaminés testés. Ceci est probablement lié au fait que le temps de développement

est un trait d’histoire de vie particulièrement plastique chez Aedes aegypti. Ce trait développemental

est influencé par différents facteurs environnementaux naturels tels que la température, la densité

larvaire, la disponibilité des ressources alimentaires et notamment les ressources métaboliques

maternelles (pour revue : Couret et Benedict, 2014).

Chapitre II : Effets des polluants sur les traits d’histoire de vie des populations 106

Tableau II.16 - Bilan des impacts de la contamination des milieux sur les traits d’histoire de vie. Les traits

d’histoire de vie mesurés chez les individus exposés (noir) et leur descendance non exposée (violet) sont non modifiés (cercles

vides), augmentés (+) ou diminués (-).

L’exposition des populations à l’ibuprofène induit une accélération du développement de

leur descendance, tandis que les individus directement exposés ne présentent aucune modification

des traits d’histoire de vie. Ces résultats suggèrent que, bien qu’aucune conséquence de l’exposition

à l’ibuprofène n’ait été observée directement, les individus exposés subissent une modification de

leur potentiel reproducteur au sens large, c’est-à-dire leur capacité à engendrer une descendance

similaire aux populations témoins. Cet effet de l’ibuprofène sur les populations d’Aedes aegypti est

observé dès une concentration cohérente avec la contamination environnementale (1µg/l), bien

loin des seuils de toxicité aigus établis pour ce polluant, ce qui accentue d’autant plus la portée

écologique de nos observations. A notre connaissance, seule une étude a, à ce jour, mis en évidence

un tel impact trans-générationnel de l’ibuprofène chez un invertébré aquatique. Cette étude,

s’intéressant à l’impact de l’exposition chronique (21 jours) du planorbe caréné (Planorbis carinatus)

a notamment décrit une réduction du taux d’éclosion de la descendance (Pounds et al., 2008).

Cependant, cet effet a été observé à des concentrations de l’ordre du milligramme par litre, bien

supérieures aux concentrations retrouvées dans l’environnement et n’est ainsi que faiblement

représentatif des impacts environnementaux de l’ibuprofène. Les impacts trans-générationnels de

Temps de développement Taux de mortalité Sex-ratio Taille alaire Fécondité Fertilité

Type de contamination

Ibuprofène 1 µg/l

- -

Ibuprofène 10 µg/l

- -

Ibuprofène 100 µg/l

- -

Benzo[a]pyrène 0,6 µg/l

- - ++ +

Benzo[a]pyrène 1,2 µg/l

- - ++ +

Benzo[a]pyrène 6 µg/l

+ - +

Bisphénol A 0,4 µg/l

+

Bisphénol A 4 µg/l

○○ - +

Bisphénol A 40 µg/l

○○ +

Mélange 1x

○○ -

Mélange 10x

+ -

l’ibuprofène ont en revanche été mis en évidence à des concentrations plus réalistes chez les

poissons modèles poisson zèbre (Danio rerio) (Ji et al., 2013) et Medaka (Oryzias latipes) (Han et al.,

2010), chez lesquels une exposition respective à l’ibuprofène de 1 µg/l durant 21 jours ou de 0,1

µg/l durant tout le cycle de vie induit un allongement du temps d’éclosion de la descendance en

milieu propre. La descendance n’a néanmoins pas été observée au-delà de l’éclosion dans ces trois

études. Le temps de développement des individus est un des paramètres clés de la dynamique de

des populations, puisqu’il caractérise la vitesse à laquelle les individus reproducteurs sont produits

au sein d’une population. Une accélération du développement des individus est ainsi associée à un

avantage en terme de fitness, que ce soit chez Aedes aegypti (Paris et al., 2011; Perez et Noriega, 2012;

Martins et al., 2012) ou d’autres insectes (Mensch et al., 2008; Valtonen et al., 2012). L’accélération

du développement est notamment associée chez les insectes aquatiques à une augmentation du

taux d’accroissement de la population et à la réduction du temps passé dans une phase de vie

particulièrement vulnérable à la prédation. Ainsi, l’avantage développemental conféré par

l’exposition parentale à l’ibuprofène pourrait avoir un impact positif sur la dynamique des

populations exposées à ce polluant.

L’exposition des populations au benzo[a]pyrène induit des effets plus variés que

l’ibuprofène sur les individus et leur descendance. En effet, l’exposition des populations à 0,6 ou

1,2 µg/l induit une mortalité durant le développement des individus en contact avec le milieu

pollué, mais également chez leur descendance non exposée. Cet effet est cohérent avec les données

de toxicité chronique disponibles dans la littérature, rapportant une létalité développementale du

benzo[a]pyrène chez le chironome, la daphnie et le crustacé marin Trigriopus japonicus (Atienzar et

Jha, 2004; Bang et al., 2009; Du et al., 2014). Cette mortalité accrue est accompagnée dans notre

étude d’une accélération du développement chez leur descendance, encore jamais décrite chez les

invertébrés d’eau douce. Etonnamment, la plus forte concentration testée, 6 µg/l, induit un panel

d’effets différent de celui des deux concentrations inférieures, avec l’absence de modification de la

mortalité développementale des individus, et une réduction de l’impact de l’exposition parentale

sur le temps de développement de la descendance. Cependant, une exposition directe à cette

concentration de benzo[a]pyrène induit un retard de développement des mâles, impact qui n’est

pas observé aux concentrations d’exposition inférieures. Enfin, l’exposition au benzo[a]pyrène

semble avoir un impact dose-dépendant sur la taille alaire des mâles exposés, avec une tendance à

l’accentuation de cet effet avec la concentration d’exposition.

Chapitre II : Effets des polluants sur les traits d’histoire de vie des populations 108

La variation des profils d’impacts selon les concentrations testées semble indiquer que

différents mécanismes d’action du benzo[a]pyrène entrent en jeu (Figure II.15). En effet, si un

mécanisme provoque une cohorte de phénotypes sur un organisme, il est vraisemblable qu’une

modification ou une inhibition de celui-ci affecte tous les phénotypes qui lui sont associés. Il

apparaît ainsi peu probable que les mécanismes sous-jacents de la létalité développementale ou de

l’accélération du développement de la descendance (Figure II.15 : profil A), soient les mêmes que

ceux impliqués dans l’augmentation de la taille alaire ou dans l’allongement du développement des

mâles exposés (Figure II.15 : profil B et C). De telles variations d’impacts selon les doses

d’exposition ont été mises en évidence chez le crustacé marin Trigriopus japonicus, où les impacts sur

les traits d’histoire de vie observés varient selon les concentrations d’exposition chronique au

benzo[a]pyrène (Bang et al., 2009). Plus particulièrement, la létalité durant les stades larvaires

n’apparait, dans cette étude, qu’aux expositions à 1 et 10 µg/l, alors que les auteurs ont testé des

concentrations allant de 0,1 à 100 µg/l. L’évolution des conséquences physiologiques et

individuelles peut ainsi être variable selon le trait considéré, et peut surtout ne pas être strictement

croissante avec l’augmentation de la concentration d’exposition à un polluant. Ces observations

mettent en lumière la nécessité d’analyser une large cohorte de traits lors des études cherchant à

identifier les effets de gammes de concentration de polluants sur les organismes. Le profil d’impact

complexe du benzo[a]pyrène rend difficile toute conclusion concernant l’effet de ce polluant sur la

dynamique des populations d’Aedes aegypti. En effet, la mortalité accrue des individus exposés à 0,6

et 1,2 µg/l de benzo[a]pyrène semble être délétère d’un point de vue populationnel, diminuant le

Figure II.15 – Profils d’impact du benzo[a]pyrène selon la dose d’exposition. La présence d’impacts

phénotypiques pour chaque trait et concentration testée est représentée par les blocs. La largeur et l’intensité de couleur des blocs

représentent l’intensité des effets observés sur les populations exposées par rapport aux populations témoins. EmT

50

: temps

d’émergence médian.

0,6 µg/l 1,2 µg/l 6 µg/l F0 ↑ Létalité F1 ↑ Létalité F1 ↓ EmT50 ↓ EmTF150 F0 ↑ EmT50 F0 ↑ Taille ♂ Co ncen tr ati on d ’e xpos iti on a u benz o[ a]pyr ène

nombre d’individus reproducteurs produits dans la population. Cependant, l’augmentation de la

taille des mâles issus de ces populations exposées est souvent liée à une augmentation tant de leur

longévité (Mogi et al., 1996) que de leur capacité de reproduction (Ponlawat et Harrington, 2007,

2009). De même, alors que le développement de leur descendance est accéléré, augmentant la

vitesse d’apparition d’individus reproducteurs dans cette descendance, la mortalité accrue durant le

développement pourrait contrebalancer cet effet en réduisant le nombre de reproducteurs.

Néanmoins, une mortalité modérément accrue durant le développement pourrait être avantageuse

pour les individus survivants dans une espèce aussi prolifique qu’Aedes aegypti, en diminuant la

compétition pour les ressources au sein du milieu et favorisant ainsi le développement d’individus

reproducteurs plus robustes (Reiskind et Lounibos, 2009).

L’exposition des populations au bisphénol A provoque une augmentation de la taille alaire

des mâles imagos, mais n’apparaît pas influer sur les autres traits d’histoire de vie des individus.

L’exposition à une concentration environnementale de bisphénol A (0,4 µg/l) semble ainsi affecter

la croissance des mâles, entraînant les impacts reproductifs précédemment décrits. Or, les

perturbations physiologiques sous-jacentes ne semblent pas se répercuter sur leur descendance, qui

ne présente pas de développement notablement différent, hormis une surprenante réduction de la

mortalité développementale chez la descendance des populations exposées à 4 µg/l de bisphénol A.

Étonnamment, notre étude n’a pas révélé d’impact du bisphénol A sur le temps de développement

des individus exposés ou de leur descendance. Une étude a pourtant mis en évidence un retard de

développement des femelles chez les chironomes (Chironomus riaprius) exposés à 10 ng/l de

bisphénol A tout au long de leur cycle de vie (Watts et al., 2001). En outre, puisque plusieurs études

ont mis en évidence l’impact du bisphénol A sur différents aspects de la physiologie du chironome

(Watts et al., 2001, 2003; Planelló et al., 2008; Park et Kwak, 2010), des effets plus marqués pouvaient

être attendus dans notre étude.