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La consécration du principe de l’arrêt Bosman dans le football amateur et ses conséquences

Le 11 avril dernier, le tribunal arbitral du sport (TAS)355, qui statuait en juge unique, a rendu une sentence356 passée presque inaperçue et pourtant fondamentale pour la formation et la libre circulation des jeunes joueurs de football, ainsi que pour l’indemnisation des clubs formateurs. Cette sentence s’inscrit dans le sillage de deux arrêts bien connus des amateurs de football : Bosman357 et Olivier Bernard358.

§1. La sentence du tribunal arbitral du sport359

En l’espèce, six jeunes joueurs amateurs pratiquant au sein du FC Crans360 ont pris contact avec le FC Italia Nyon361 afin de rejoindre ce club, évoluant lui-même au niveau amateur362. Le comité du club nyonnais contacta donc le Président du FC Crans pour connaître sa position.

355 V. M. Reeb, Recueil des sentences du TAS I, L’origine du recours à l’arbitrage en matière sportive, 1986-1998, Kluwer Law, 1998. J.-P. Dubey, « Panorama des sentences du Tribunal Arbitral du Sport », Jurisport, n° 121, 2012, p. 31. V. P. Zen-Ruffinen, Droit du sport, Schulthess, 2002, p. 513. J.-P. Karaquillo, Le Droit du

Sport, 3ème éd., Dalloz, 2011, p. 132.

356 TAS 2012/A/2720 FC Italia Nyon & D. c/ LA de l’ASF & ASF & FC Crans.

357 CJCE, 15 décembre 1995, aff. C-145/93, Union Royale Belge des sociétés de football association contre

Jean-Marc Bosman.

358CJUE, 16 mars 2010, aff. C-325/08, Olympique Lyonnais contre Olivier Bernard et Newcastle UFC, Rec., 2010, P. I-02177, pts 38 et s.

359 Pour une présentation complète du TAS, v. C. Amson, Droit du Sport, « Le traitement international du contentieux sportif et l’émergence du Tribunal arbitral du sport », éd. Vuibert, 2010, p. 113.

360 Site officiel du club : http://www.fccrans.ch.

361 Site officiel du club : http://www.fcitalianyon.ch/FC.ITALIANYON/fc_italia_nyon.html.con

Le Président du FC Crans s’opposa à tout transfert, tout en se déclarant favorable aux prêts de ces joueurs363. Face à ce refus, et désireux d’intégrer ces six jeunes à son effectif, le club de Nyon s’adressa logiquement à l’Association Suisse de Football (ASF)364 pour tenter de transférer les joueurs. Les joueurs décidèrent entretemps de rejoindre le club de Nyon.

Quelques semaines plus tard, le Président du FC Crans adressa un courrier à l’ASF afin de réclamer des indemnités de formation pour les six joueurs365. L’organe compétent de l’ASF rendit sa décision le 9 novembre 2011 et condamna le FC Italia Nyon à payer 9600 CHF à titre d’indemnité de formation au FC Crans, tout en évoquant auprès du club nyonnais la possibilité pour le club de Crans d’avoir recours à des mesures coercitives en cas de non-exécution de la décision: « si le FC Italia Nyon ne paie pas l’indemnité de formation dans le

délai imparti, le FC Crans peut, après une mise en demeure infructueuse, demander le boycott du FC Italia Nyon, conformément aux prescriptions du règlement disciplinaire de l’ASF»366.

L’affaire s’est ensuite poursuivie auprès d’une autorité de recours de l’ASF, puis du TAS.

§2. La portée de la sentence du TAS et ses conséquences sur le football amateur

Le TAS a précisé en préambule qu’il considérait comme valables les indemnités de formation réclamées dans un contexte professionnel367, mais a cependant remis en cause le paiement d’indemnités de formation dans un contexte amateur.

À titre liminaire, le tribunal arbitral estima que le règlement de jeu de l’ASF, sujet à de récentes modifications à ce sujet, n’avait fait l’objet que d’une discrète communication sur ces changements par le biais du site Internet de l’ASF. On pouvait donc légitimement s’interroger

363 Considérant n° 2.7.

364 Site officiel de l’association Suisse de football : http://www.football.ch/fr/ASF.aspx.

365 Considérant n° 2.8.

366 Considérant n° 2.13.

sur la valeur réelle d’une telle notification: une simple publication sur Internet était-elle suffisante ?

En l’espèce, le TAS décida que cela n’était pas le cas, « d’autant plus qu’il n’existait, à l’époque des faits, aucune disposition des règlements applicables renvoyant, de manière obligatoire, les membres à la lecture du site Internet de l’ASF pour connaître une quelconque modification de ces règlements, contrairement à la situation actuelle »368. Au-delà, il n’était pas possible de considérer l’obligation de consulter le site Internet de l’ASF comme une coutume369.

Nonobstant les considérations relatives à la notification du nouveau règlement, le cœur de la sentence a trait aux indemnités de formation versées dans le football amateur.

En l’espèce, le TAS a considéré que ce système d’indemnités de formation dans un contexte amateur était « contraire aux droits de la personnalité des joueurs » Or, selon l’arbitre unique, aucune disposition statutaire ne doit porter atteinte aux droits de la personnalité. Parmi ces droits fondamentaux de la personnalité figurent la liberté d’exercer une activité sportive de son choix, ainsi que le droit à l’épanouissement personnel par la pratique de l’activité sportive.

À cet égard, le TAS précise « qu’une application de la Décision querellée, liée à la demande particulière du FC Crans, aurait comme conséquence le boycott du club : l’ensemble de ses équipes, et de ses membres, seraient ainsi privés de compétition, pour une durée déterminée ou indéterminée, ce qui viole gravement les droits de la personnalité tant du FC Italia Nyon, que de ses membres »370. Le TAS conclut que cette atteinte n’est pas justifiée en précisant qu’« une atteinte aux droits de la personnalité (des appelants) est illicite si elle n’est

pas justifiée par le (i) consentement de la victime ou (ii) un intérêt prépondérant privé ou public, (iii) ou par la loi au sens de l’article 28 al. 2 CC371 ».

Or, en l’espèce, pour le tribunal arbitral, aucune atteinte au consentement n’est retenue si la décision prise est nulle de plein droit.

368 Considérant n° 10.12.

369 Considérant n° 10.17.

370 Considérant n° 10. 36.

371 Considérant n° 10.45., v. art. 28 al. 2 du Code des obligations suisse : La partie qui est victime du dol d'un tiers demeure obligée, à moins que l'autre partie n'ait connu ou dû connaître le dol lors de la conclusion du contrat.

Par ailleurs, la notion d’intérêt privé prépondérant ne pouvait pas non plus être retenue : « Le FC Crans soutient que l’investissement dans les jeunes joueurs est une charge financière importante, ce qui est certainement vrai. Cependant, dans un tel cas, on pourrait se poser la question de savoir si un club ne serait pas satisfait de se « débarrasser » de ses jeunes joueurs, laissant ainsi la charge de leur formation à d’autres clubs. Mais ce n’est généralement pas le cas, car si les clubs investissent dans la formation des jeunes, c’est dans le but de pouvoir bénéficier dans un second temps des effets bénéfiques de cette formation. En effet pour former un bon joueur qui serait susceptible de devenir professionnel, un club a besoin de la présence de nombreux autres joueurs au potentiel moindre pour s’entraîner et jouer avec lui »372. Cette démarche pouvant être assimilée à celle pratiquée dans la boxe où l’on a recours à des « sparing partners » qui participent de façon prépondérante à l’entrainement du boxeur professionnel lui permettant ainsi d’atteindre son meilleur niveau. De ce fait certains « sparing partners » sont très convoités pour leurs qualités sportives qui ne leur ont cependant pas permis de faire une carrière professionnelle de haut niveau.

L’arbitre unique poursuit en disant « qu’ensuite, lorsque ce joueur, arrivé à un certain

âge, signe son premier contrat de joueur professionnel, les règlements prévoient que les clubs formateurs perçoivent une certaine indemnité de formation (de la part du club pour lequel le joueur en question a signé son contrat professionnel)»373. En conséquence, le système d’indemnités de formation n’a pas sa place dans le contexte amateur, et ne saurait être justifié par la notion d’intérêt prépondérant.

La sentence FC Italia Nyon c/ le FC Crans constitue assurément une décision de principe qui contraint les instances du football amateur à adapter leur politique sportive à l’aune de cette sentence.

Rappelons que les indemnités de formation sont nées à la suite de l’arrêt Bosman374. Elles furent créées pour atténuer les effets collatéraux de la décision de la CJCE qui condamna, notamment, l’obligation de verser une indemnité au club pour pouvoir transférer

372 Considérant n°10.49.

373 Ibid.

374 V. CJCE, 15 décembre 1995, aff. C-145/93, Union royale belge des sociétés de football association contre

un joueur en fin de contrat375. Depuis, les joueurs amateurs libres de tout contrat peuvent signer auprès du club de leur choix et selon leur bon vouloir. Aucun élément financier ne limite la libre circulation du footballeur au sein de l’Union européenne376.

L’indemnité de formation est due pour compenser l’effort du club formateur qui éduque le joueur entre l’âge de 12 ans et de 21 ans. Cette indemnité de formation doit être versée au club formateur377 :

- Lorsqu’un joueur signe son premier contrat en tant que joueur professionnel ;

- Et lors de chaque transfert du joueur professionnel jusqu’à la fin de la saison de son 23ème anniversaire. L’obligation de payer une indemnité de formation est applicable indépendamment de la date du transfert, pendant toute la durée de validité du contrat du joueur, ou à la fin dudit contrat378.

L’instance internationale a donc fixé arbitrairement la période de formation entre 12 ans et 21 ans.

Le tribunal arbitral du sport poursuit par la construction d’une longue séquence jurisprudentielle relative à la libre circulation des joueurs dans l’espace européen.

Ladite sentence, qui au plan juridique ne souffre d’aucune distorsion sur le fond, n’en demeure pas moins surprenante économiquement. Nul doute que les clubs amateurs font face à d’énormes difficultés afin de « boucler » leurs budgets, faute de financement. Les dépenses sont nombreuses, y compris dans le football amateur. Les clubs doivent ainsi salarier un

375 Principe déjà dégagé par le Tribunal Fédéral Suisse dans un arrêt ancien Perroud ( Arrêt de la 1ère Cour civile du 15 juin 1976 Servette Football Club c/ Perroud. ATF 102 II 211),

http://relevancy.bger.ch/php/clir/http/index.php?lang=de&zoom=&type=show_document&highlight_docid=atf %3A%2F%2F102-II-211%3Ade.

376 L’arrêt Bosman a entériné le droit pour les footballeurs de choisir librement leur employeur à expiration de leur contrat, comme il en est de mise de façon générale dans le monde du travail.

377 L’art. 261 de la Charte du football professionnel intitulé « dispositions communes » aborde la problématique des indemnités de formation et du statut des joueurs (élite, stagiaire, aspirant, apprenti ou professionnel). Cet article retranscrit la législation de la FIFA et notamment l’art. 19 et 20 du règlement du statut et du transfert des joueurs.

certain nombre d’acteurs indispensables à leur fonctionnement et investir régulièrement dans le matériel (maillots, buts, filets, transports…).

Ces difficultés financières concernent le football amateur, certes, mais impactent également les structures professionnelles379. Rappelons en effet que le sport amateur, la formation qui y est dispensée, sont le vivier qui alimente les clubs professionnels en joueurs potentiellement exceptionnels permettant ainsi d’obtenir un engouement pour un sport fortement médiatisé. C’est bien souvent l’élément déclenchant pour des jeunes à s’adonner dans le cadre amateur dans un premier temps à ce sport qui les fait rêver. Nous retrouvons ici une forme de cercle vertueux ou du moins de vie en symbiose des deux entités que sont le sport amateur et le sport professionnel qui se nourrissent l’une de l’autre.

L’arrêt Bernard380 de 2010 reprit cette sentence. En l’espèce, monsieur Olivier Bernard était un jeune footballeur de nationalité française formé à l’Olympique Lyonnais. Avant la date d’expiration de son contrat de trois années en tant que « joueur espoir », l’Olympique Lyonnais avait proposé au joueur la signature d’un contrat professionnel, ainsi que le prévoyait son contrat d’espoir au sein du club. Monsieur Olivier Bernard préféra cependant signer avec le club de Newcastle. Dès lors, l’OL qui s’estimait lésé dans cette affaire, réclama 55 000 euros au joueur à titre d’indemnités de formation. L’OL se fondait sur l’art. L 122-3-8 du C. Trav français relatif à la rupture des contrats à durée déterminée pour exiger une condamnation solidaire de Newcastle UFC et de monsieur Olivier Bernard. Ce dernier constesta la requête de son ancien club.

Aussi le juge du Luxembourg a-t-il été amené à s’interroger sur le principe de libre circulation des travailleurs, tel que posé par l’article 39 des Traités de la Communauté européenne. Ce principe s’oppose-t-il à une disposition de droit national, selon laquelle un joueur dit « espoir », qui signe à l’issue de sa période de formation un contrat de joueur

379 N. Dutoit, « L’arrêt Bernard, de la licéité des indemnités de formation en cas de transfert », in Jusletter, 28 juin 2010, p. 5 et 6.

380 V. CJUE, 16 mars 2010, aff. C-325/08, Olympique Lyonnais contre Olivier Bernard et Newcastle UFC, Rec. 2010, p. I-02177.

professionnel avec un club d’un état membre de l’Union européenne, s’expose à une condamnation à régler des dommages et intérêts381 ?

De nouveau, c’est l’article 45 du TFUE relatif à la libre circulation des travailleurs au sein de l’UE qui est remis en cause dans ce dossier382.

La Charte du football professionnel édictée par la LFP, applicable à l’époque, obligeait le joueur espoir à signer son premier contrat professionnel avec son club à l’issue de sa formation. À défaut, il était considéré que le jeune joueur avait rompu ses engagements contractuels383. Il relevait donc de la compétence de la CJUE de déterminer si un tel dispositif était constitutif d’« une restriction à la libre circulation des travailleurs ».

La CJUE a pu logiquement considérer qu’un tel dispositif était de nature à dissuader un joueur ressortissant d’un État membre de quitter son État d’origine. À ce titre, les dispositions prévues sur ce point par la Charte constituaient une restriction à la libre circulation des travailleurs assurée à l’intérieur de l’Union en vertu de l’article 45 TFUE. La Cour admettait néanmoins que cette restriction puisse être admise dans certain cas, notamment, « si elle poursuit un objectif légitime (…) et se justifie par des raisons

impérieuses d’intérêt général ». Dans ce cas, elle doit être nécessaire et ne pas être disproportionnée par rapport à l’objectif initialement visé.

La CJUE a considéré que l’objectif consistant à « encourager le recrutement et la formation des joueurs » constituait un motif légitime. La CJUE rappelle que « la perspective des indemnités de formation était de nature à […] assurer la formation des jeunes joueurs ».

Ce mécanisme d’indemnisation de la formation est donc nécessaire pour encourager les clubs à former les jeunes joueurs. En effet, en l’absence de telles indemnités, les clubs formateurs encourraient le risque d’investir à perte et risqueraient, à terme, de ne plus pouvoir investir dans la formation384.

381 http://www.legavox.fr/blog/avocat-droit-du-sport-sport-lawyer-france/indemnite-formation-droit-europeen-arret-1821.htm#.VadioBPtmko. V. également, op.cit., N. Dutoit, p. 3.

382 http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:62008CJ0325

383 V. ancien art. 23 de la Charte du football professionnel. http://www.village-justice.com/articles/Indemnite-formation-football-droit,7650.html

384 V. R. Mahrach, « Indemnité de formation dans le football vue par le droit européen : à propos de l’arrêt de la CJUE du 16 mars 2010 », 2 avril 2010 consultable sur http://www.village-justice.com/articles/Indemnite-formation-football-droit,7650.html

La CJUE a donc considéré que le principe de libre circulation de l’article 45 TFUE pouvait être restreint par la mise en place d’un système garantissant l'indemnisation du club formateur. Cependant, la Cour rappelle que celle-ci doit être proportionnée au regard de l’objectif à atteindre et que les indemnités de formation doivent donc tenir compte des frais réellement supportés par les clubs pour la formation.

Cependant, il s’avère que l’OL n’avait pas uniquement réclamé des indemnités de formation, mais également des dommages-intérêts, en raison de la rupture des engagements contractuels du joueur, et dont le montant n’était pas lié aux coûts réels de sa formation. La CJUE a considéré alors qu’une telle mesure n’était pas justifiée pour atteindre l’objectif légitime en question, car de tels dommages et intérêts « allaient au-delà de ce qui était nécessaire pour encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs ainsi que pour financer ces activités », et qu’ils ne pouvaient être admis comme motif légitime.

Sur un marché fortement concurrentiel, un club de football ne pouvant pas délocaliser son activité, devra faire face à de nombreuses contraintes. Ces dernières sont majoritairement d’ordre économique tant pour conserver les joueurs amateurs formés que pour enchérir sur le « marché » des joueurs professionnels afin de recruter et de garder les éléments les plus performants. Les clubs français souffrent d’un handicap sur le terrain économique et ne sont donc pas ou moins compétitifs. Il convient donc de trouver des solutions pour pallier à ce manque de compétitivité.

Chapitre III : Des solutions pour pallier ce manque de compétitivité des clubs