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1.2 – La connaissance statistique des accidents du travail via le système d'indemnisation ou l'institutionnalisation d'une catégorie

Les accidents du travail gérés par la Sécurité sociale sont les accidents qui ont été reconnus comme tels au titre de la loi. Au-delà de la construction juridique qui constitue sa base, la connaissance des accidents du travail repose sur une autre construction (sociale et institutionnelle) : celle de la statistique produite par les institutions de Sécurité sociale sur la base des accidents du travail reconnus. Dans ce domaine, les statistiques publiées annuellement par la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) constituent le vecteur principal la connaissance63.

Dans ce point, nous revenons sur la connaissance statistique produite pour les accidents du travail reconnus pour les salariés du régime général de la Sécurité sociale. Il s'agit de poser un regard global sur les statistiques produites afin de donner à voir la logique qui les construit.

Nous terminerons par un regard élargi, en France, sur les données produites pour certains régimes particuliers ou spéciaux, et au-delà, sur les données produites à l’échelle internationale. Nous verrons sur ce dernier point qu’un "accident du travail" connu (car reconnu) en France peut ne pas en être un (ie. non comptabilisé) à l’échelle de l’Union Européenne.

1.2.1 – La connaissance statistique des accidents du travail pour les salariés du régime général de la Sécurité sociale

Deux types de statistiques sont élaborés par les organismes de Sécurité sociale pour les accidents du travail survenus aux salariés du régime général : les Statistiques technologiques et financières (annuelles) et les Statistiques trimestrielles élaborées par la CNAMTS sur la base des remontées d'informations des CPAM.

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Non pas que les régimes spéciaux ou particuliers soient dépourvus de systèmes d’information statistique, mais ces derniers (lorsqu’ils existent) sont inégalement publiés et commentés dans l’espace social. En effet, c’est essentiellement sur la base des statistiques de la CNAMTS que sont élaborés les discours et commentaires

Les Statistiques trimestrielles sont construites sur la base de la date de survenue des accidents du travail reconnus au cours du trimestre, qu'ils aient ou non entraîné un arrêt de travail. Elles permettent un suivi conjoncturel des accidents du travail.

Les Statistiques technologiques et financières sont élaborées à partir des données de la tarification : les accidents du travail sont enregistrés le jour du versement de la première prestation (indemnité journalière, rente). Il s’agit d’informations concernant la gestion du risque "accidents du travail", c’est-à-dire fondées sur le stade ultime du processus de reconnaissance/indemnisation. Il s’agit aussi d’un instant qui ne tient compte ni du passé ni de l’avenir en matière même d’indemnisation puisque les statistiques portent sur les cas reconnus et indemnisés pour la première fois dans l'année. Ces statistiques ne permettent pas de connaître l'écart entre cas déclarés et cas reconnus.

Les statistiques technologiques et financières fournissent, d'une part, des informations comptables (statistiques financières), tels le coût moyen d'un accident avec arrêt, le coût moyen d'un accident avec une IPP inférieure à 10% ou celui d'un accident avec une IPP supérieure ou égale à 10%. Elles chiffrent le montant global des indemnités et des rentes versées annuellement. Ces chiffres sont détaillés par caisse régionale et par branche d'activité. D'autre part, ces statistiques contiennent des variables permettant d'établir des caractéristiques et des comparaisons des accidents du travail (statistiques technologiques), telles que la branche d'activité, le niveau de qualification, le sexe, mais aussi des informations sur le siège des lésions, "l'élément matériel" considéré comme à la base de l'accident du travail.

Le champ couvert par les statistiques technologiques et financières établies annuellement par la CNAMTS est celui des accidents ayant entraîné au moins un jour d'arrêt de travail, qui ont fait l'objet d'une déclaration d'accident du travail auprès de la CPAM, et qui ont été reconnus et indemnisés à ce titre par la caisse : "Les seuls accidents du travail dont il est tenu compte dans les statistiques financières et dans les statistiques technologiques, qu’ils soient dénommés "accidents avec arrêt" ou simplement "accidents", sont les accidents ayant entraîné une interruption de travail d’un jour complet en sus du jour au cours duquel l’accident est survenu et ayant donné lieu à une réparation sous forme d’un premier paiement d’indemnité journalière"64.

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CNAMTS, Direction des risques professionnels. Statistiques financières et technologiques des accidents du travail.

Cette définition met l'accent sur les conséquences de l'accident du travail, appréhendées en termes financiers (indemnité journalière). Cela dénote une approche comptable et technicienne des accidents du travail qui ouvre difficilement à une approche compréhensive de l’accident permettant d’identifier ne serait-ce que les défauts de sécurité, a fortiori ce qui a trait à l’organisation du travail, aux marges de manœuvre du travailleur, aux rapports sociaux. Ainsi les statistiques publiques disponibles concernant les accidents du travail ne correspondent pas à une connaissance pour comprendre, expliquer, prévenir, mais pour gérer une masse financière.

Trois catégories d'accidents sont distinguées parmi les accidents survenus : les accidents avec arrêt (au moins 24 heures), parmi eux, les accidents ayant entraîné une incapacité partielle permanente (IPP) et donc le versement d'une rente, et les accidents mortels. Ces trois catégories sont présentées en fonction de :

- l'âge de la victime ; - sa nationalité ; - son sexe ;

- sa qualification professionnelle ; - la nature et le siège des lésions ; - l'élément matériel.

Tendances observées

L’interprétation de l’évolution statistique concernant les accidents du travail dépend du recul historique adopté. Sur une durée de plusieurs décennies les tendances observées sont les suivantes65 :

"Le taux de fréquence des accidents du travail avec arrêt a été divisé par deux en trente ans (1955 à 1985), il a diminué d'un quart en quinze ans (1975 à 1990). Deux causes de nature différente expliquent cette baisse : l'évolution de la structure des secteurs et des emplois ; l'amélioration de la sécurité, le progrès des automatismes et de la prévention. (…)

Cette tendance s'est inversée entre 1988 et 1990 dans les secteurs à risques élevés (BTP, bois, transports et manutention), dans la métallurgie et dans le secteur appelé par la CNAMTS "l'interprofessionnel" qui inclut les sociétés de services divers" dont les entreprises de travail temporaire."

Ces tendances sont confirmées par les données les plus récentes. Selon les statistiques de la CNAMTS, on note depuis 1990, des fluctuations de taux de fréquence d'accident avec arrêt (hausse consécutive en 1994, 1994 et 1995, baisse en 1996) mais une tendance à l'augmentation du taux de gravité entre 1989 et 1995 (CNAMTS, années 90 à 96).

Entre 1996 et 2003, pour un nombre de salariés couverts par le régime général en augmentation (on passe de 14 473 759 à 17 632 798 salariés), le nombre d’accidents avec arrêt comptabilisés par la CNAMTS passe de 658 083 à 721 227. L’indice de fréquence tend à diminuer (de 45,47 à 40,9) ainsi que le nombre d’accidents mortels (de 773 en 1996 à 661 en 2003)66.

Les données de la CNAMTS sont ventilées dans 9 "comités techniques nationaux" (CTN), représentés sur le graphique ci-dessous :

source : CNAMTS (2004). Taux de fréquence = (nombre d'AT avec arrêt / nombre d'heures travaillées) x 1 000 000

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Il importe toutefois d'apporter des réserves quant à l'évolution d'effectifs salariés fournie par la CNAMTS.Une note interne de la DARES (datée du 20/12/02) notait le "manque de vraisemblance" des évolutions des effectifs salariés fournies par la CNAMTS, au vu des données fournies par l'INSEE. Ainsi, "en 1998 déjà l'évolution de l'emploi selon la CNAMTS (+5,2%) dépassait largement celle fournie par l'INSEE (+2,4%)". Ces disparités pourraient être liées à un problème de méthode de la CNAMTS, qui fonde son calcul sur les Déclarations Annuelles de Données Sociales, en sous-estimant probablement le nombre de "doubles ou de triples comptes de certains salariés" ayant eu plusieurs contrats (CDD, intérim) dans l'année. Cette remarque, qui appellerait à une étude plus approfondie de la question, nous conduit à utiliser avec prudence les indices de fréquence fournis.

Taux de fréquence des accidents avec arrêt par CTN (2002)

6,9 16 24,1 25,4 27,6 27,6 29,2 34,9 37,1 58,4 0 20 40 60 Bâtiment et TP (8)

Bois, ameublement, papier-carton, textiles, vêtement, cuir et peaux, pierre et terres à feu

Services, commerces, industries de l'alimentation

Métallurgie

Activités services 11 et travail temporaire (santé…)

Transports, EGE (9), Livre, communication

Total 9 comités techniques nationaux :

Chimie, caoutchouc, plasturgie

commerces non alimentaires

activités services 1(banques, assurances, administrations…) (10)

La durée moyenne des incapacités temporaires (arrêts de travail) augmente, tendant à alimenter l'hypothèse que la déclaration des accidents tend à se restreindre aux seuls accidents graves, les "petits" accidents n'étant pas déclarés67.

Les observations selon le type d'accident montrent que de façon constante, les trois "facteurs majeurs de survenue des accidents" sont ceux liés à la manipulation d'objets, les accidents de plain pied et les accidents comportant une chute avec dénivellation.

La "nature des lésions" est le plus souvent une contusion, une plaie ou une douleur causée par un effort, type lumbago.

1.2.2 – La connaissance statistique des accidents du travail pour les salariés des régimes spéciaux de Sécurité sociale

Si l'on s'en tient aux données liées aux agents de la fonction publique et aux travailleurs salariés agricoles, on observe l'existence de systèmes statistiques de comptage des accidents du travail ("accidents de service" pour la fonction publique) plus ou moins bien structurés, construits sur une même logique de comptage des indemnités et rentes versées68.

"Les trois fonctions publiques emploient 5 millions de personnes au 31 décembre 2003, soit un salarié sur cinq. 51% appartiennent à la fonction publique d'Etat, 30% à la fonction publique territoriale et 19% à la fonction publique hospitalière. (…) En 2003, 60 000 accidents du travail sont survenus dans les ministères et établissements publics de tutelle"69.

C'est la Caisse des dépôts de Bordeaux qui gère le système statistique des accidents du travail dans les fonctions publiques et hospitalières. Ce système a été mis en place récemment (cinq ans d'ancienneté sous cette forme). Le rapport annuel 2004 indique la survenue de 12 449 accidents du travail pour la fonction publique hospitalière (173 800 agents) et 21 712 pour la fonction publique territoriale (405 500 agents). Les données sont ventilées selon la

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N. Rinte (1996). 68

D'autres systèmes statistiques existent, plus ou moins organisés, pour les autres régimes de Sécurité sociale. Il ne s'agit pas ici d'en faire un inventaire exhaustif, mais de proposer un aperçu des logiques de comptage existant en dehors de la CNAMTS.

gravité (avec ou sans arrêt), et selon des indicateurs qui n'existent pas dans les données de la CNAMTS, comme l'ancienneté (moins de 5 ans, de 5 à 10 ans, de 10 à 15 ans, 15 ans et plus), mais aussi l'élément matériel ou le siège de la lésion, comparables aux statistiques CNAMTS70.

Le rapport annuel de la fonction publique précise que "certains ministères ne sont pas encore parvenus à recenser tous leurs services, mais la couverture progresse chaque année". Le Bilan des conditions de travail 2004 de la direction des relations du travail concernant la fonction publique d’Etat, précise que les accidents du travail avec arrêt ont augmenté de près de 5% entre 2001 et 2002, sachant que la fréquence des accidents du travail dans la fonction publique d’Etat est près de trois fois inférieure à celle du secteur privé.

Concernant les travailleurs salariés agricoles, les chiffres proviennent de la Mutualité sociale agricole, dont le système de comptage et d'analyse des accidents du travail est très structuré. S'il relève, là encore, d'une logique de gestion des indemnités et des rentés, nous donnons ci-après un aperçu de ce système de connaissance statistique, qui ouvre néanmoins sur un mode de production de connaissance statistique intéressant à observer au regard des statistiques de la CNAMTS71.

- "En 2002, 161 654 exploitations et entreprises agricoles ont déclaré en moyenne 1 178 131 salariés chaque trimestre. L'ensemble des activités professionnelles a été touché par 84 154 accidents de travail proprement dits (dont 48 709 avec arrêt de travail) et par 5 299 accidents de trajet (dont 3 869 avec arrêt) ; de plus, 2 785 maladies professionnelles ont été reconnues.

La gravité des accidents peut être approchée par 4 indicateurs :

- La durée moyenne d'arrêt, qui s'était stabilisée entre 1994 et 1998, connaît depuis une nette augmentation et enregistre en 2002 une moyenne de 49 jours.

- La proportion d'accidents graves, avait connu une diminution régulière entre 1993 et 1998 (minimum historique à 11,9%) ; elle présente une légère augmentation entre 1999 et 2002 (respectivement 12,5% et 13,1%).

- Le taux moyen d'IPP, qui avait diminué depuis 1979 pour se situer à 8,5 points en 1999, enregistre une hausse et atteint 9,5 points en 2002.

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Caisse des Dépôts et Consignations de Bordeaux (2005). 71

- Le taux de fréquence des accidents mortels s'inscrit dans une tendance à la baisse, avec des fluctuations annuelles irrégulières, bien que variant peu depuis 1994. Ce taux avait baissé très significativement entre 1976 et 1987.

- Concernant la typologie des victimes, les accidents de travail proprement dits représentent toujours un risque excessif pour les "Nouveaux embauchés" : près de 60% des accidents concernent des personnes dont l'ancienneté est inférieure à 2 ans. Ces accidents ont une gravité accrue pour les salariés les plus âgés : les "plus de 50 ans" représentent 23 % des accidents graves quand ils pèsent 14% des accidents avec arrêt."

1.2.3 – Regard européen

Les statistiques européennes sur les accidents du travail sont établies sur la base de la Directive Cadre du Conseil n° 89/391/CEE du 12 juin 1989 (amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail). Le système statistique de connaissance des accidents du travail dans l'UE géré par Eurostat (programme SEAT72 ou ESAW) se base essentiellement sur les données concernant la population couverte par l’assurance-maladie, avec une variabilité des systèmes selon les pays que nous ne pouvons détailler dans le cadre de cette thèse. Seuls les accidents du travail suivis d'au moins trois jours d'arrêt de travail sont pris en compte dans ce système. Au-delà des systèmes institutionnels de recensement des accidents du travail, il faut en outre souligner l’importance de l’histoire de la protection sociale propre à chaque pays, histoire elle-même construite en référence à l’évolution des rapports sociaux.

Nous proposons le schéma ci-dessous, qui illustre le niveau de "déperdition" de connaissance au fur et à mesure des critères choisis pour, d’une part, reconnaître les accidents du travail (tous les accidents déclarés ne sont pas des accidents reconnus) et, d’autre part, pour construire les statistiques (les accidents non suivis d’arrêt de sont pas dans les statistiques technologiques et financières (ils ne "coûtent" rien) ; les accidents suivis d’un arrêt de un jour ou deux ne sont pas dans les statistiques de l’UE).

1 AT tous régimes confondus

2 AT régime général Sécurité sociale

3 AT régime général Sécurité sociale et déclarés

4 AT rég. gal déclarés et reconnus avec ou sans arrêt

5 AT rég. gal reconnus avec arrêt >= 1 jour

6 …avec arrêt >= 3 jours

Niveau 4 : statistiques trimestrielles sur les accidents du travail publiées par la CNAMTS

Niveau 5 : statistiques financières et technologiques des accidents du travail publiées annuellement par la CNAMTS

Niveau 6 : statistiques européennes sur les accidents du travail publiées par EUROSTAT (programme SEAT) Hachuré : la part des accidents du travail "invisibles" car non comptabilisés

1.3 – Les limites liées à la connaissance reflétée par le dispositif