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II. RECENSION DES ÉCRITS

2. Antibiotiques et antibiorésistance

2.2 Résistance aux antibiotiques

2.2.2 Résistance acquise

2.2.2.2 Conjugaison répondant aux phéromones

La première étape de cette conjugaison consiste en la formation d’agrégats de bactéries. Ceux-ci vont faciliter le transfert de l’ADN plasmidique d’une cellule donatrice vers une cellule réceptrice grâce à la formation d’un complexe unique de multi-protéines formé dans la région du contact bactérien. Les fonctions de conjugaison sont codées par la région tra du plasmide, laquelle, chez les bactéries à Gram-positif, démontre une homologie avec les gènes codant pour le système de sécrétion de type IV. Plusieurs composantes codées dans cette région sont responsables de la liaison de l’ADN plasmidique, de la translocation ATP-dépendante de l’ADN simple brin ou de la formation du canal de conjugaison [291].

Les plasmides répondant aux phéromones des entérocoques, constituent un des mécanismes de transfert horizontal d’éléments génétiques mobiles les plus originaux décrits chez les bactéries. Le mécanisme de conjugaison de ces plasmides, découvert il y a plus de 30 ans [292], est basé sur l’existence de molécules spéciales nommées phéromones. Ces dernières sont de petits peptides extracellulaires spécifiques envers les bactéries donatrices possédant divers plasmides conjugatifs répondant aux phéromones. Les phéromones sont produites par des bactéries réceptrices potentielles, c’est-à-dire des bactéries qui n’ont pas de plasmide appartenant à un groupe de phéromones particulier. Ces signaux moléculaires sont codés sur le chromosome, tandis que les déterminants génétiques, pour la détection du signal et la réponse s’en suivant, sont codés sur le plasmide répondant aux phéromones [156]. La cellule donatrice, en présence de la phéromone, exprime des structures protéiques [293] à sa surface nommées SA. Cette dernière se lie à une substance de liaison (BS) présente à la surface de la bactérie réceptrice. Durant ce processus, un canal de conjugaison entre le donneur et le receveur est formé, lequel permet le transfert de l’ADN plasmidique. Après l’acquisition du plasmide, la bactérie réceptrice arrête la production de la phéromone et commence à produire un peptide inhibiteur spécifique codé sur le plasmide. Ce peptide permet de désensibiliser la bactérie à de faibles niveaux de phéromone endogène et de celles exogènes produites par les donneurs [294]. De plus, des protéines d’exclusion de surface sont exposées à la surface de la bactérie afin de prévenir l’acquisition des plasmides déjà

présents dans la cellule (mécanisme d’entrée-exclusion). Bien qu’encore mal défini, leur rôle probable serait de bloquer le transfert de l’ADN plasmidique en perturbant la formation d’agrégats conjugatifs entre les donneurs [295]. L’acquisition du plasmide répondant aux phéromones par une bactérie réceptrice rend celle-ci donneuse potentielle, car tous les éléments nécessaires à la réponse aux phéromones et au transfert conjugatif sont codés par le plasmide nouvellement acquis.

Le système de conjugaison répondant aux phéromones a été plus spécifiquement étudié pour les plasmides pAD1, pCF10, pPD1 et pAM373 chez E. faecalis. Le tableau IX représente les étapes de conjugaison de ces plasmides et les déterminants moléculaires clés de chaque système.

Tableau IX. Étapes de la conjugaison des quatre plasmides répondant aux phéromones les mieux caractérisés et déterminants moléculaires clés des fonctions de conjugaison (selon [296]).

Étapes de conjugaison

Nomenclature des protéines et des gènes impliqués dans les étapes de conjugaison des différents plasmides

pAD1 pCF10 pPD1 pAM373

1. Sécrétion des phéromones codées par

le chromosome cAD1 (cad) cCF10 (ccfA) cPD1 (cpd)

cAM373 (camE) 2. Reconnaissance et internalisation des

phéromones à la surface des cellules

réceptrices TraC PrgZ TraC TraC

3. Induction du système de conjugaison TraA PrgX TraA TraA 4a. Synthèse de la substance

d’agrégation (SA) sur la surface de la cellule donatrice

Asa1 (asa1) Asc10 (prgB) Asp (asp) (asa373) Asa373 4b. Agrégation des donneurs et

receveurs – liaison entre AS et BS (substance de liaison sur cellules réceptrices)

Sea1 (sea1) PrgA (sec10) Sep1 (sep1) Aucun

5. Initiation du transfert plasmidique oriT1, oriT2, TraX, TraW oriT, PcfG nk

oriT,

homologues TraX et TraW 6. Arrêt des fonctions de conjugaison

dans la cellule réceptrice ayant reçu le

plasmide iAD1 (iad1) iCF10 (prgQ) iPD1 (ipd)

iAM373 (iam373) * Il est à noter à l’étape 4b que les protéines impliquées décrites sont les protéines d’exclusion de surface. Elles sont inscrites à cette épate car elles seraient impliquées dans la perturbation de la formation

d’agrégats suite à l’acquision du plasmide.

Le plasmide hautement conjugatif pAD1 (60 kb) a été un des premiers plasmides répondant aux phéromones caractérisé chez l’isolat clinique E. faecalis DS16. Il porte

plusieurs déterminants de résistance et de virulence [297]. Plus de la moitié des gènes de pAD1 sont consacrés à la réponse de conjugaison et à sa régulation [298]. Ces régions démontrent un haut niveau d’homologie aux régions équivalentes des autres plasmides répondant aux phéromones [299]. Toutes les étapes majeures, résultant en l’acquisition de pAD1 par les bactéries sans plasmide, sont très similaires chez la plupart des plasmides répondant aux phéromones caractérisés à ce jour. Une exception, le plasmide pAM373, démontre des différences au niveau du contenu génétique et de leur fonction. La SA codée sur le plasmide est structurellement différente et est capable de se lier aux bactéries sans BS [300]. Une autre caractéristique de pAM373 est l’absence du mécanisme entrée-exclusion [301]. Ainsi, on ne connaît pas le mécanisme permettant d’éviter l’acquisition de plasmides déjà présents dans la bactérie.

La première évidence de l’existence d’une molécule induisant l’agrégation cellulaire et la conjugaison a été démontrée par Dunny et al. [292]. Travaillant sur E.

faecalis, ils ont découvert des facteurs, sensibles à la protéase et stable à la chaleur,

qu’ils ont nommé phéromones. Plusieurs phéromones produites par les souches sans plasmide, démontrent une haute spécificité aux plasmides répondant aux phéromones correspondants. Une seule bactérie peut produire un minimum de six phéromones différentes [302]. Cette production résulte en la conjugaison et l’acquisition d’un plasmide dont l’arrêt de la sécrétion de la phéromone correspondante s’en suit. Malgré tout, la synthèse des autres phéromones continue et donc, une seule bactérie est capable d’accumuler différents plasmides répondant aux phéromones [161]. Ces plasmides peuvent être divisés en sous-groupes selon leur sensibilité aux phéromones, laquelle peut être comparée aux caractéristiques d’incompatibilité des plasmides [299]. Dans le but de clarifier le rôle des phéromones dans l’environnement intestinal, une étude a comparé des souches d’E. faecalis croissant dans le mucus intestinal isolé de rats exempts de germes (ex vivo) versus celles en bouillon de culture (in vitro) afin d’évaluer l’effet de phéromones synthétiques cCF10 sur la cinétique de transfert du plasmide répondant aux phéromones pCF10 [303]. Ils ont pu observer qu’effectivement les phéromones joueraient un rôle dans le transfert plasmidique dans l’environnement intestinal. La même équipe aurait également démontré que le plasmide pCF10 pouvait être efficacement transféré in vivo entre des souches d’E. faecalis colonisant l’intestin de

mini-cochons [304]. Selon les résultats obtenus dans le mucus de rats, les auteurs émettent l’hypothèse que pour obtenir un transfert efficace dans l’intestin, les cellules d’E. faecalis produisant les phéromones cCF10 doivent soit être en abondance dans l’environnement intestinal, ou avoir été présentes suffisamment longtemps afin qu’il y ait eu accumulation de cCF10 dans la couche mucosale de l’intestin [303].

Les déterminants génétiques codant pour les phéromones ont été identifiés par Clewell et ses collaborateurs en 2000 [305]. L’étude a révélé que les phéromones font parties de la séquence signal de précurseurs lipoprotéiques. Dans le cas de cAD1, le peptide mature correspond aux huit derniers résidus des 22 acides aminés de la séquence signal du précurseur lipoprotéique [306]. La maturation de la molécule implique l’action d’une lipoprotéine signal peptidase et de la protéine Eep, similaire à certaines métalloprotéases [307]. L’identification des précurseurs du peptide inhibiteur de la phéromone, codés par les plasmides, a été faite beaucoup plus tôt. Par exemple, l’inhibiteur de pAD1, iAD1, est codé par le gène iad. Le peptide inhibiteur iAD1 est de la même taille et possède une séquence similaire à la phéromone. Il correspond également aux 8 derniers résidus des 22 acides aminés du précurseur [308]. La majorité des autres phéromones connues et des inhibiteurs de phéromones, démontrent une similarité dans leur mécanisme de transformation et leur structure finale [305], à l’exception de cAM373, lequel est produit indépendamment de l’activité de la protéine Eep [309]. La phéromone du plasmide pAM373 représente le seul exemple où un peptide similaire est excrété par une bactérie autre qu’un entérocoque, tel qu’un staphylocoque ou un streptocoque [32, 310]. Par contre, il n’y aurait pas de relation entre les précurseurs lipoprotéiques de cAM373 et cAM373 de S. aureus (camE), suggérant que la similarité entre ces deux peptides n’est seulement qu’une coïncidence [311]. Les plasmides répondant aux phéromones ne semblent pas se répliquer ou s’établir efficacement dans des hôtes autres que les entérocoques. Par contre, une phéromone similaire à cAM373, produite par Streptococcus gordonii Challis, a facilité la mobilisation d’un plasmide co-résident de pAM373, soit un plasmide non-conjugatif codant pour de la résistance à l’érythromycine, de la souche donatrice E. faecalis vers la souche réceptrice S. gordonii Challis. De plus, ce transfert a été 1000 fois plus élevé

lorsque la bactérie donatrice E. faecalis était exposée à la phéromone similaire à cAM373 de S. gordonii (Figure 7) [32]. La production de la phéromone était dépendante d’un homologue Eep chez cet hôte, suggérant ainsi dans ce cas, un rôle de Eep dans la maturation de la phéromone.

Figure 7. Modèle de la mobilisation de la résistance aux antibiotiques de la souche donatrice E. faecalis vers la souche réceptrice S. gordonii Challis en réponse à la phéromone gordonii-cAM373. (a) S. gordonii Challis produit un signal, gordonii- cAM373, qui est détecté par E. faecalis possédant le plasmide pAM373 via la protéine membranaire TraC; (b) Les fonctions de conjugaison sont induites sur pAM373 par la présence de gordonii-cAM373, ce qui mène à la formation du pore conjugatif et la mobilisation du plasmide non-conjugatif ayant la résistance à l’érythromycine. En l’absence de pAM373, il n’y a pas de transfert (non-montré).

Les bactéries réceptrices potentielles produisent de façon constitutive un haut niveau de phéromones. Par contre, un bas niveau de phéromones endogènes est également observé chez les donneurs. Une régulation stricte et complexe des fonctions

de conjugaison prévient l’auto-induction des plasmides répondant aux phéromones. Jusqu’à maintenant, ces mécanismes de régulation ont été étudiés principalement pour quatre plasmides, pAD1, pCF10, pPD1 et pAM373 [302]. Les joueurs clés de chacun de ces systèmes sont : (i) deux régulateurs intracellulaires négatifs essentiels qui contrôlent l’expression de gènes à partir de deux promoteurs opposés, et (ii) un régulateur positif qui contrôle la synthèse des gènes de structure de la conjugaison.

Figure 8. Représentation schématique du mécanisme de régulation de la réponse à la phéromone de pAD1 (adapté de [296]).

Légende : État non-induit : En l’absence de la phéromone cAD1, deux régulateurs négatifs, TraA et mD, vont garder le niveau d’expression du gène iad très bas et bloquer la transcription de traE1 et des gènes de structure nécessaires à la conjugaison. État induit : Lorsque la phéromone entre dans la bactérie, elle se lie à TraA et la régulation négative est arrêtée. Ceci permet une synthèse à haut niveau de iAD1 (inhibiteur) et l’expression de TraE1 et des protéines de la machinerie de la conjugaison. traE1, gène régulateur positif – t1, t2, sites de terminaison – Po, Pa, promoteurs opposés.

En l’absence d’un niveau d’induction de la phéromone (Figure 8, état non- induit), une protéine de régulation négative, TraA, bloque Po, le promoteur du gène iad.

Cette régulation a pour résultat l’expression du peptide inhibiteur à un très bas niveau permettant ainsi de titrer la phéromone endogène dans l’état non-induit [312]. La transcription à partir de Po va jusqu’aux sites de terminaison t1 et t2, mais pas au-delà

[313]. C’est la présence d’un second régulateur négatif, l’ARN antisens mD, exprimé à un niveau relativement élevé depuis le promoteur convergent Pa, qui permet de bloquer

la suite de la transcription. L’expression à partir de ce promoteur donne également un bas niveau de la protéine TraA, essentielle pour l’inhibition de l’activité du promoteur Po

[302]. De plus, mD permet la terminaison de la transcription à t1 due à sa région de 11 nucléotides complémentaires à la région s’étendant jusqu’au transcrit en tête d’épingle du site de terminaison t1 [313]. Ce système de régulation négative complexe semble être une caractéristique importante de la régulation de la réponse aux phéromones en général [314].

Lorsqu’un niveau plus élevé de phéromones exogènes apparaît (Figure 8, état induit), ces dernières se lient à la surface de la bactérie donatrice et sont transportées dans le cytoplasme où elles se lient à TraA. Cette liaison permet d’arrêter la régulation négative en relâchant la protéine TraA du promoteur Po [315]. Il en résulte une

transcription plus élevée à partir de Po amenant ainsi une production à haut niveau du

peptide inhibitoire iAD1, mais également une transcription au-delà des sites de terminaison t1 et t2 et donc, l’expression du régulateur positif TraE1. Ce dernier permet par la suite l’expression des gènes de structure de la conjugaison tels que asa1 codant pour la SA. Cette expression permettra à la bactérie réceptrice de former des agrégats

avec les donneurs et ainsi d’acquérir le plasmide. La présence d’un niveau élevé de iAD1 résulte en une terminaison rapide des fonctions de conjugaison. Ce mécanisme de régulation sophistiqué permet de répondre aux moindres petits changements en concentration de phéromones et de peptides inhibitoires assurant ainsi une sensibilité élevée face à la présence de bactéries réceptrices [156].