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Congruences d’une approche didactique de la littérature avec les sociologies de la consommation et de la réception culturelle

Ce que quelques traces de réceptions d’un poème par des élèves peuvent faire dire de l’enseignement de la littérature

1. Congruences d’une approche didactique de la littérature avec les sociologies de la consommation et de la réception culturelle

Dans une perspective externe à l’école, les approches sociologiques des biens culturels se développent, comme le pointe Bernard Lahire (2009), sur les axes de la « consommation » et de la « réception » : la sociologie de la consommation culturelle procède en « agrégeant des

Ce que quelques traces de réceptions d’un poème par des élèves…

valeur symbolique dans la hiérarchie des légitimités » (p.8), tandis que la sociologie de la réception culturelle se penche sur « la rencontre socialement différenciée avec des œuvres singulières » (ibid.). Du côté de la compréhension des processus de transposition externe conduisant à la sélection d’un texte et de pratiques de textes à valeur littéraire comme pouvant faire l’objet d’enseignements, les approches didactiques sont susceptibles d’emprunter aux deux perspectives sociologiques évoquées.

La sociologie de la consommation culturelle apportera par exemple des éléments de réponses aux questions concernant les valeurs symboliques prêtées à des textes ou à des pratiques de textes. Elle peut ainsi aider à reconnaître que le caractère littéraire même – la « littérarité » – est une valeur symbolique forte d’un effet hiérarchisant. En effet, la reconnaissance (construite) de cette valeur peut légitimer ou discréditer tels textes ou telles approches de textes. De ce fait, la sociologie de la consommation culturelle servira également à qualifier les types de rapports aux textes que l’école, en les institutionnalisant, rend plus légitimes que d’autres, et à les comparer avec les catégories de pratiques majoritairement représentées dans des milieux sociaux différents.

De son côté, la sociologie de la réception permettra de retracer les enchaînements de réceptions successives, socialement différenciées, conduisant un texte au rang d’« enseignable ». Pour ce faire, elle se penchera sur les « manières plurielles de s’approprier les mêmes textes » (Lahire, op. cit., p.7), telles qu’elles transparaissent des rapports entretenus par différents lecteurs successifs avec ces textes.

La répartition sur deux axes distincts que Lahire effectue avec les approches sociologiques des biens culturels est conceptuellement clarificatrice. Cependant, prise comme telle, cette répartition peut induire une distance potentiellement trompeuse entre ce qui relèverait strictement de l’analyse des valeurs prêtées aux biens culturels (la « sociologie de la consommation »), et de celle des rencontres socialement différenciées avec des œuvres (la sociologie de la réception). Les valeurs qui président à la reconnaissance, dans notre cas, du caractère littéraire de textes ou de pratiques de textes déterminent aussi bien les corpus scolarisables que les manières de faire entrer les élèves en contact avec ceux-ci. A son tour, la relation socialement différenciée (que l’on sait également socialement médiatisée) avec ces

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textes concourt progressivement à la confirmation ou à la redéfinition de valeurs. De la sorte, il apparait qu’une relation d’ordre systémique relie les objets d’étude des approches sociologiques de la consommation et de la réception.

Une didactique de la littérature comme sociologie de la production de réceptions en contexte scolaire

La sociologie de la consommation et celle de la réception représentent un intérêt complémentaire pour les recherches portant sur l’enseignement et l’apprentissage de la littérature. La catégorisation que la sociologie de la consommation met en évidence parmi les biens culturels et parmi les rapports à ces derniers indique que ses analyses portent en fait sur des produits. En cela, la sociologie de la consommation fait l’impasse sur une dimension épistémologique importante des biens culturels, dimension qui doit occuper une position centrale dans les approches didactiques de la littérature : une œuvre ne peut se réaliser qu’au travers des relations socialement différenciées qu’un auditeur, un spectateur ou un lecteur développent avec elle. Que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur de l’école, l’appropriation d’un texte engage tout autant l’objet dit littéraire que les regards portés dessus, à tel point que l’objet dit littéraire peut être considéré comme le produit chaque fois renouvelé, chaque fois singulier de sa propre pratique. De la même manière, parce que la « littérature » renvoie moins à un objet aux contours définis par des qualités intrinsèques qu’à une valeur littéraire culturellement et socialement évolutive, approcher les situations d’enseignement et d’apprentissage des textes littéraires sans prendre en considération le fait que des valeurs symboliques orientent le déploiement de ces situations revient en quelque sorte à endosser des œillères qui, si elle facilitent l’analyse didactique, amputent ce faisant l’objet d’une partie importante de ses déterminations.

Il s’agirait donc, pour viser la complétude d’une approche didactique de la littérature, de se pencher sur la production de réceptions variées tout en prenant en considération les valeurs symboliques qui imprègnent les textes et les pratiques de textes. En ce sens, parce que les textes et les pratiques de textes aussi bien que leurs processus de scolarisation ont à la fois une nature et une fonction sociales, la didactique de la littérature me semble pouvoir être

Ce que quelques traces de réceptions d’un poème par des élèves…

croisement des sociologies de la consommation, de la réception, et des approches didactiques. Parmi les déterminants de la production de réceptions en contexte scolaire, il me semble falloir retenir la configuration prise, à un moment donné, par une discipline comme le français : les finalités qu’elle poursuit, son organisation en sous-disciplines et les valeurs symboliques qu’elle véhicule peuvent être considérées comme autant d’éléments fondateurs d’un contexte de réception spécifique, rendant d’ailleurs plus ou moins aisé la scolarisation de tel ou tel texte. Simultanément, ce processus de sélection – toujours du point de vue de la réception – dépendra également des théories du texte ayant cours à un moment donné de l’histoire littéraire, de leurs valeurs symboliques, de leur transposition didactique et des manières suivant lesquelles elles peuvent modaliser le rapport des élèves aux textes. Du point de vue de la transposition interne, l’appropriation par les élèves de textes et de pratiques de textes sera pour sa part tributaire des conditions sociales organisant les interactions scolaires, que ce soit du point de vue des objectifs spécifiques d’apprentissage guidant les gestes de l’enseignant ou de celui, plus relationnel, des rapports se développant entre les acteurs d’une situation d’enseignement et d’apprentissage.

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