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A la recherche didactique de concepts pour penser, dire et agir le littéraire

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Academic year: 2022

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Thesis

Reference

A la recherche didactique de concepts pour penser, dire et agir le littéraire

VUILLET, Yann

Abstract

Employant la Vénus Anadyomène de Rimbaud comme un réactif, cette thèse approche didactiquement « la » littérature sur trois niveaux : ceux de l'enseignement, de la formation à l'enseignement, et des cadres conceptuels impliqués par la recherche didactique. Si une perspective didactique se doit de saisir un « objet » à travers les relations existant entre les trois pôles du système didactique, le problème posé par la littérature tient à son absence de définition univoque. Comment, dès lors, approcher didactiquement un objet qui résiste à sa définition ? Yann Vuillet propose de considérer la littérature comme une valeur, en tant que telle soumise au débat permanent. De là se développe le concept de « nœud idéologique », lequel permet de décrire certains phénomènes récurrents se manifestant aussi bien dans le champ des recherches didactiques que dans ceux de la formation et de l'enseignement.

VUILLET, Yann. A la recherche didactique de concepts pour penser, dire et agir le littéraire. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2017, no. FPSE 647

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:129260 URN : urn:nbn:ch:unige-1292606

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:129260

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Section des Sciences de l’Éducation

Sous la direction du Professeur Joaquim Dolz-Mestre

A la recherche didactique de concepts pour penser, dire et agir le littéraire

THESE Présentée à la

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève

Pour obtenir le grade de Docteur en Sciences de l’Éducation

par

Yann VUILLET SOIT VULLIET de

Genève Thèse n° 647

GENEVE

Janvier 2017 N° étudiant : 99-300-261

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Université de Genève

Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation Section des Sciences de l’Éducation

A la recherche didactique de concepts pour penser, dire et agir le littéraire Thèse de doctorat présentée par

Yann VUILLET SOIT VULLIET Le 31.01 2017

Directeur : Joaquim Dolz-Mestre, Professeur, Section des sciences de l’Éducation (FAPSE) de l’Université de Genève.

Jury de thèse : Bernard Schneuwly, Professeur, Section des Sciences de l’Éducation (FAPSE) de l’Université de Genève.

Christophe Ronveaux, Maitre d’enseignement et de recherche,

Section des Sciences de l’Éducation (FAPSE) de l’Université de Genève.

Bertrand Daunay, Professeur, Sciences de l’Éducation de l’Université Charles-de-Gaule, Lille 3.

Jean-Louis Dufays, Professeur, Faculté de philosophie, arts et lettres (SSH/FIAL), Université Catholique de Louvain.

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Remerciements

Pour m’avoir offert les conditions qui me permettraient de devenir didacticien, puis pour avoir su savamment doser entre cadrage et liberté alors qu’il m’accompagnait et m’orientait sur les voies que je résolvais d’emprunter, mes premiers remerciements vont à Joaquim Dolz, mon directeur de thèse. Ses intuitions, ses fulgurances, notre manière de nous comprendre à demi- mots ont été des apports inestimables.

Je remercie ensuite chaleureusement les membres de mon jury de thèse : Bertrand Daunay, Jean-Louis Dufays, Christophe Ronveaux et Bernard Schneuwly. Que ce soit de manière continue ou par impulsions, leurs travaux, leurs soutiens, leurs critiques, les échanges que j’ai eu la chance de nourrir avec eux ont profondément marqué mon travail.

Mes remerciements s’adressent également aux membres des différentes équipes de recherche du GRAFE. Lecteurs experts, discuteurs exigeants et toujours constructifs, c’est en grande partie grâce à eux que j’ai pu apprendre la langue de notre science. Je remercie tout particulièrement Jean-Paul Mabillard et Catherine Tobola-Couchepin pour les heures formatives, stimulantes et plaisantes passées ensemble à affiner des méthodes, préciser des critères, extraire des résultats pour d’autres recherches.

Je tiens à remercier spécialement mes amis et collègues Chloé Gabathuler, Cristian Bota et Stephan Steiner. Sans les discussions que j’ai eues avec Chloé et nos constructions conjointes, mon travail aurait sans doute pris une toute autre forme – et aurait été assurément moins agréable à mener. Les conseils de lecture, mais aussi les encouragements de Cristian m’ont soutenu en des moments-clefs. Enfin, Stephan m’a offert un point de vue qui, pour être celui d’un non-spécialiste, n’en demeurait pas moins toujours remarquablement pertinent et averti.

J’adresse encore mes remerciements à toutes ces personnes qui, d’une manière ou d’une autre, m’ont permis d’avancer par leurs suggestions ou leurs soutiens divers : je pense à Isabelle Mili ainsi qu’à mes collègues valaisans Hervé Barras, Romaine Carrupt, Zoé Moody, Antoine Mudry et Danièle Perisset.

Finalement, je remercie tous les membres de ma famille sans le soutien, la patience et l’amour de qui je n’aurais pu mener ce travail à son terme. A Jacques-André, à Fabienne, à Abigail, à

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SOMMAIRE

Remerciements ... 3

CHAPITRE INTRODUCTIF ... 10

1.OBJECTIF GENERAL ET CADRE ACTIONNEL DE LA RECHERCHE ... 11

2.UN ITINÉRAIRE DE RECHERCHE ET DINTERVENTION ... 12

3.DISPOSITIF DE RECHERCHE ... 25

4.PRESENTATION DES QUATRE ARTICLES ET DES DEUX ETUDES ... 42

BIBLIOGRAPHIE DU CHAPITRE INTRODUCTIF ... 48

ETAPE 1 ARTICLE 1 ... 52

FICHE SYNTHETIQUE DE LECRIT ... 53

LITTERARITES SCOLAIRES : OBJETS DE SAVOIRS, DE FORMATION ET DENSEIGNEMENT ... 54

1.INTRODUCTION ... 54

2.DISPOSITIF DE RECHERCHE ... 55

3.DISPOSITIF DE FORMATION ... 57

4.DEROULEMENT DE LA FORMATION ... 59

5.CONCLUSION ... 65

BIBLIOGRAPHIE DE LARTICLE 1 ... 68

ARTICLE 2 ... 69

FICHE SYNTHETIQUE DE LECRIT ... 70

CE QUE QUELQUES TRACES DE RECEPTIONS DUN POEME PAR DES ELEVES PEUVENT FAIRE DIRE DE LENSEIGNEMENT DE LA LITTERATURE ... 71

1.CONGRUENCES DUNE APPROCHE DIDACTIQUE DE LA LITTERATURE AVEC LES SOCIOLOGIES DE LA CONSOMMATION ET DE LA RECEPTION CULTURELLE ... 71

2.DE LA PRODUCTION DE RECEPTIONS A LINTERIEUR DUNE CLASSE ... 74

3.CONCLUSION ... 79

BIBLIOGRAPHIE DE LARTICLE 2 ... 81

ETAPE 2 ARTICLE 3 ... 82

FICHE SYNTHETIQUE DE LECRIT ... 83

LE GENERAL SE MEURT : VIVE LE GENERIQUE ! ... 84

1.INTRODUCTION ... 84

2.DE LANCIENNE DIDACTIQUE GENERALE ... 86

3.LES DIDACTIQUES GENERALES CONTEMPORAINES : DES ORGANISATIONS PRAXEOLOGIQUES INCOMPLETES 88 4.PASSAGE DUNE DIDACTIQUE GENERALE A UNE DIDACTIQUE GENERIQUE AU SEIN DE LA FILIERE FP DE LA HEP VALAIS ... 93

5.CONCLUSION ... 100

BIBLIOGRAPHIE DE LARTICLE 3 ... 104

(6)

ARTICLE 4 ... 106

FICHE SYNTHETIQUE DE LECRIT ... 107

L’ENSEIGNEMENT DE LA LITTERATURE COMME MATERIALISATION SEMIOTIQUE DE LIDEOLOGIE ... 108

1.INTRODUCTION ... 108

2.LES VALEURS DANS LE PLAN DETUDES ROMAND ... 110

3.AU SUJET DES VALEURS DANS CHAMP DES APPROCHES DIDACTIQUES DE LA LITTERATURE ... 112

4.OPPOSITIONS CONCEPTUELLES AU SUJET DES VALEURS : APPORTS DE NATHALIE HEINICH ... 116

5.POUR UNE APPROCHE SOCIO-DISCURSIVE DES VALEURS ET DE LA LITTERATURE ... 119

6.POUR UNE APPROCHE INTERACTIONNELLE ET SOCIALE DE LA LITTERATURE EN CLASSE ... 125

7.CONCLUSION ... 128

BIBLIOGRAPHIE DE LARTICLE 4 ... 130

ETAPE 3 ETUDE 1 ... 132

FICHE SYNTHETIQUE DE LECRIT ... 133

COMMENT DU LITTERAIRE POURRAIT-IL ETRE RECONNU EN CLASSE ?ETUDE DIDACTIQUE DE LEGITIMATIONS LITTERAIRES EXPERTES ET SCOLAIRE ... 134

1.INTRODUCTION ... 134

2.UN « BRICOLAGE » NOTIONNEL, HISTORIQUE, CULTUREL ET ETHIQUE ? ... 137

3.CADRAGE : PROCESSUS DE LEGITIMATION LITTERAIRE ET MODELISATION DU LITTERAIRE COMME OBJET DENSEIGNEMENT ... 139

4.POSTULATS, HYPOTHESES ET QUESTIONS DE METHODE ... 144

5.TROIS CRITIQUES DE LA V.A. POUR CERNER UN MODE REGULIER DE LEGITIMATION LITTERAIRE EXPERTE . 149 6.PROCESSUS DE CONSTITUTION DUNE LEGITIMITE LITTERAIRE SCOLAIRE POUR LA V.A ... 159

7.CONCLUSIONS ... 176

ANNEXES ... 182

BIBLIOGRAPHIE DE LETUDE 1 ... 186

ETUDE 2 ... 189

FICHE SYNTHETIQUE DE LECRIT ... 190

UN TEXTE REPUTE LITTERAIRE SAISI ENTRE OBSTACLES, NŒUDS ET RISQUES.ETUDE DIDACTIQUE DE DIALOGUES SCOLAIRES ... 191

1.INTRODUCTION ... 191

2.LES OBSTACLES EPISTEMOLOGIQUES : DE BACHELARD AUX PREMIERS MOMENTS DE LEUR INVESTISSEMENT DIDACTIQUE ET PEDAGOGIQUE ... 194

3.SOUS QUELLES CONDITIONS ENVISAGER LA MIGRATION DE LOBSTACLE EPISTEMOLOGIQUE VERS UNE APPROCHE DIDACTIQUE DE SAVOIRS UTILES A LETUDE LITTERAIRE ? ... 200

4.DE QUELQUES OBSTACLES EPISTEMOLOGIQUES ATTESTES ... 203

5.DES OBSTACLES EPISTEMOLOGIQUES AUX NŒUDS IDEOLOGIQUES ... 213

6.DEFINITION DU NŒUD IDEOLOGIQUE COMME CONCEPT DIDACTIQUE ... 234

7.DE QUELQUES NŒUDS IDEOLOGIQUES ATTESTES ... 238

8.CONCLUSIONS ... 255

ANNEXES ... 268

B 2 ... 269

(7)

CHAPITRE CONCLUSIF ... 275

1. LAGIR DIDACTIQUE A TRAVERS DES ACTIVITES DIDACTIQUES DE FORMATIONS ET DAPPRENTISSAGES (ADFA) ... 279

2. LAGIR DIDACTIQUE A TRAVERS DES ACTIVITES DIDACTIQUES DENSEIGNEMENTS ET DAPPRENTISSAGES (ADEA) ... 291

3. LAGIR DIDACTIQUE A TRAVERS DES ACTIVITES DIDACTIQUES DE RECHERCHES ET DINTERVENTIONS (ADRI) ... 307

BIBLIOGRAPHIE DU CHAPITRE CONCLUSIF ... 335

Bibliographie générale ... 341

Table des matières ... 357

Annexe : supports de la séquence didactique ... 362

(8)

Pour Abigail, Alma et Eva

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(…) et c’est avec raison que l’on a dit que faire une science, c’est en faire la langue, et qu’apprendre la langue d’une science, c’est apprendre la science elle-même.

Antoine Louis Claude Destutt de Tracy, Mémoire sur la faculté de penser, lu le floréal an 4 (1796) à l’Institut.

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Légende du pictogramme

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CHAPITRE INTRODUCTIF

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Chapitre introductif

CHAPITRE INTRODUCTIF

Il arrive souvent, dans les discours didactiques, que l’on préfère employer le terme de notion, parfois en thématisant la différence avec le concept, auquel est en quelque sorte prêté une sorte de finitude sémantique, caractérisée à la fois par une univocité en discours et une fonction de catégorisation des faits empiriques.

Mais de tels concepts sont assez difficiles à concevoir en sciences humaines (…). Nous entendons par concepts, ici, des syntagmes fonctionnant comme des moyens théoriquement construits au sein de notre discipline, raisonnablement stables et opératoires, pour une appréhension du réel qu’elle vise à décrire, à expliquer ou à transformer.

Daunay, Schneuwly & Reuter (2011, p.16)

1. Objectif général et cadre actionnel de la recherche

Cette recherche souhaite se soumettre à « l’objectif essentiel » que Jean-François Halté (1992) formulait pour la didactique du français. Nous nous emploierons à « produire des argumentations “savantes”, étayées et cohérentes » dont nous espérons que certaines d’entre elles soient « susceptibles d’orienter efficacement les pratiques d’enseignement » (p.17) – mais aussi celles de formation et de recherche. Dans le but de produire des discours pouvant nourrir quelques prétentions à la validité didactique1, nous avons construit et parfois dû faire évoluer un dispositif de recherche visant à observer, comprendre et conceptualiser un certain nombre de paramètres ayant orienté une séquence de formation à l’enseignement de « la » littérature ainsi qu’une séquence d’enseignement et d’apprentissage réalisée à l’entour d’un texte réputé littéraire.

1 Nous entendons « prétentions à la validité » au sens précis que Bronckart (2004a, p.25) donne à ce syntagme dans la théorie de l’agir communicationnel et praxéologique qu’il étoffe à partir de propositions de Jürgen Habermas (1987a; 1987b; 1987c). Plus globalement, par souci de cohérence

(13)

Chapitre introductif

A cet effet, lors du premier semestre de l’année 2011, nous avons donné une formation à l’enseignement s’adressant à des étudiants-enseignants du secondaire I et II genevois. Durant celle-ci, les participants ont collaboré à la construction d’une séquence didactique plaçant en son centre un unique sonnet : la Vénus Anadyomène d’Arthur Rimbaud2 (1870/2009). Une fois achevée cette étape d’ingénierie, quatre étudiants-enseignants participant à la recherche ont employé dans leurs classes respectives les moyens d’enseignement originaux précédemment créés.

Le point de départ de notre recherche est ainsi constitué par des pratiques professionnelles d’un formateur-doctorant et par des pratiques professionnelles d’étudiants-enseignants. En visant la mise en intelligibilité de certains aspects de ces activités, nous voudrions concourir à la compréhension, voire à la transformation (continuelle) des « démarches de médiation formative » – comme les nomme Jean-Paul Bronckart (2004b, p.99)3 – qu’engage l’agir didactique.

2. Un itinéraire de recherche et d’intervention

Tout ne s’est pas déroulé comme prévu. Tandis que les phases d’intervention et de collecte du corpus se sont réalisées sans encombres, il en est allé différemment aussitôt que nous nous sommes engagés sur l’itinéraire de recherche que nous avions pourtant tenté de baliser par avance.

Le plan de route consistait à approcher les espaces contigus de formation et d’enseignement de « la » littérature par l’intermédiaire de questions relatives aux savoirs, aux valeurs et aux pratiques. Si nous avons conservé ce cap, la progression à travers des espaces littéraires et scolaires – gorgés de savoirs, saturés de valeurs et marqués de pratiques aussi diverses que contradictoires – s’est révélée malaisée. Nous tendions à perdre en chemin soit la neutralité

2 Désormais V.A. Le sonnet est reproduit en page 58 de cette thèse.

3 Bronckart (2004b) définit les « démarches de médiation formative » en tant que « processus délibérés par lesquels les adultes intègrent les “ nouveaux venus ” aux préconstruits disponibles dans leur

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Chapitre introductif

soit la précision légitimement exigibles d’une démarche scientifique4. Par transparence, nous pouvons admettre que la tentation a existé, par moments, de nous délester de l’une ou de l’autre – ne serait-ce que partiellement. A cet égard, il nous semble rétrospectivement que les quelques écarts commis nous auront sans doute servi à avancer.

Les quatre articles ainsi que les deux études qui composent le corps de cette thèse sont les étapes par lesquelles nous avons transité pour nous rapprocher du but fixé. Certains de leurs enchainements pourraient apparaitre sensés à nos lecteurs. D’autres fois, c’est plutôt par bonds ou par ruptures moins directement compréhensibles que nous avons procédé. Quoi qu’il en soit, l’itinéraire finalement suivi s’est avéré sinueux, si bien que nous aimerions saisir l’occasion de cette introduction – sans vouloir reconstruire à postériori une systématicité fallacieuse – pour atténuer (si possible) la sensation de désorientation que nous soupçonnons pouvoir être déclenchée par la succession de ces écrits.

Apparition d’un problème initial, aussi ancien qu’actuel

Les obstacles qui nous ont contraints à infléchir notre itinéraire, voire à effectuer de relativement longs détours, n’étaient pas imprévisibles. Nous ne prétendons pas non plus que les nœuds dans lesquels nous nous sommes retrouvés empêtrés étaient nouveaux. Tout au contraire, le problème auquel nous nous sommes trouvés confrontés est bien connu et néanmoins impossible à trancher sur un plan strictement épistémologique. Il est lié à la difficulté de conceptualiser ce « littéraire » qui s’emploie si couramment pour désigner aussi bien des textes que des lectures ; mais encore : des personnes, des formes d’organisations institutionnelles, des études, etc. Avec Bruno Védrines et Chloé Gabathuler (à paraitre), nous apparenterons cette difficulté à celle de la réputation littéraire. Or le problème, avec la réputation littéraire, c’est qu’elle fonctionne bien mieux en pratique qu’en théorie.

4 Un peu à la manière d’une expérience courante pour les chercheurs en mécanique quantique – qui pour observer précisément la lumière la contraignent méthodologiquement à se présenter soit sous

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Chapitre introductif

Une fois notre corpus collecté, nous avons commencé à avancer, à tâtons, dans des lieux identifiés de longue date au sein de la didactique du français : en témoigne le numéro 1 de la revue Pratiques dont la publication remonte à 1974. Deux de ses contributeurs, Jean-François Halté et André Petitjean, écrivent alors Pour une théorie de l’idéologie d’un manuel scolaire.

Les auteurs y distinguent deux types de théories :

a) les théories scientifiques qui, ayant conscience d’elles-mêmes, connaissant leurs présupposés et ne se donnant pas pour naturelles, élaborent un système conceptuel explicite et une méthodologie. Elles ont pour but de produire de la connaissance au sujet de l’objet qu’elles étudient et qu’elles constituent.

b) les théories « idéologiques » [qui], au contraire, se donnent comme naturelles, allant d’elles- mêmes. Elles ignorent leurs déterminations : inconscientes d’elles-mêmes, ne faisant pas la différence entre l’objet qu’elles étudient et leur méthodologie, elles ne produisent aucune connaissance de leur objet, ne font que se reconnaitre en lui, et méconnaissent

« naturellement » cet effet de reconnaissance. (p.43)

La distinction marxiste opérée par Halté et Petitjean entre la science et l’idéologie est comme un tampon apposé à l’acte de naissance de la didactique du français en tant que discipline de recherche (voir aussi ce qu’en dit Daunay, 2007a, p.142). Cette distinction suppose et défend que des discours peuvent être énoncés à partir d’une sphère scientifique suffisamment autonome pour cerner une sphère idéologique. Elle signale simultanément l’engagement critique originellement pris par la didactique du français contre ce que la Lettre de la DFLM (1998) qualifiera, plus tard, de « pratiques impressionnistes ignorantes de leurs présupposés épistémologiques et idéologiques ».

C’est donc dans un cadre relativement ancien, lui-même connoté et conflictuel, que nous allions devoir évoluer. Les implications conceptuelles des définitions d’Halté et de Petitjean ne se sont imposées plus clairement qu’à la fin de notre recherche. Ce n’est que depuis peu, à vrai dire, que les voies ouvertes par ces auteurs nous sont apparues praticables – mais aussi spécifiquement adéquates pour entendre certains aspects de notre objet.

Avant de pouvoir reconfigurer quelques-unes de nos propres conceptions, à l’entame de notre itinéraire et par souci de discipline, nous adhérions sans réserve au postulat énoncé par Yves Chevallard (1982) au sujet de la scientificité de la didactique des mathématiques. Nous tenions pour loi universellement valide l’idée suivant laquelle « Toute science doit assumer, comme

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Chapitre introductif

sa condition première, de se vouloir science d’un objet, d’un objet réel, existant d’une existence indépendante du regard qui le transformera en un objet de connaissance »5 (p.1).

C’est sur cette base que nous voulions répondre à l’appel formulé par Bernard Schneuwly en 1998, lorsqu’il invitait à « faire de la littérature un objet clairement repérable, clairement délimité » (p.271). Agis par un quasi-réflexe que nous qualifierions aujourd’hui de transpositif descendant, nous avons entrepris d’investiguer en direction de disciplines littéraires de référence ainsi qu’en direction des transpositions conceptuelles déjà réalisées en didactique du français. Toujours avec Schneuwly, nous partions des principes suivants :

La littérature est un objet culturel qui a des discours de référence multiples, mais disciplinairement relativement bien définis, c’est-à-dire avec des disciplines académiques de référence. On pourrait dès lors considérer que la tâche de l’école est d’introduire les élèves dans le mode de penser et de parler particulier des pratiques littéraires qui se fondent sur des savoirs tout à fait spécifiques. Dans une telle perspective, le travail sur la littérature constitue entre autre l’apprentissage d’une forme particulière de lecture qu’il s’agit de repérer parmi d’autres formes de lecture que l’élève doit s’approprier. (Idem)

Alors que l’auteur énonçait en conclusion de son article de 1998 que « la didactique a encore beaucoup de travail » (p.272), au début de notre propre itinéraire – soit une douzaine d’années plus tard – il nous semblait encore possible qu’existent des concepts littéraires dont la stabilité serait fondée « sur des savoirs tout à fait spécifiques ». Il s’agissait alors, pour nous, de les identifier et de les collecter. A cet effet, nous nous sommes principalement engagés dans deux directions que nous estimions complémentaires : celle des recherches littéraires académiques et expertes, et celle des recherches relevant d’approches didactiques de la littérature.

Nous recherchions des concepts opérationnalisables. Au cas où certains auraient été forgés par des spécialistes des pratiques littéraires, nous pourrions les faire migrer en direction de leur opérationnalisation didactique ; rien d’impossible, nous disions-nous, après avoir suivi un cursus de formation universitaire dans une faculté de Lettres. S’agissant des concepts didactiques, nos premières lectures avaient suffi à nous mettre entre les mains des outils que

5 Notons au passage l’écart relativement subtil et pourtant décisif qui sépare la définitions d’Halté et Petitjean (1974) de celle de Chevallard (1982). Les premiers précisent discrètement qu’une théorie

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Chapitre introductif

nous tenions pour exploitables tels quels, en formation comme en recherche – et parmi lesquels nous retenions, en particulier, les types de lectures littéraires définis par Jean-Louis Dufays, Louis Gemenne et Dominique Ledur (1996 ; 2005) ainsi que les textes résistants de Catherine Tauveron (1999). Notre travail s’annonçait exigeant, mais la voie à suivre semblait bien tracée.

Nous avons dû déchanter.

« Sagesse », mystique ou embarras : quelques conceptions de la littérature des littéraires Du côté des produits des pratiques littéraires expertes, tout d’abord, il nous a fallu tenter de reconstituer une carte qui s’est avérée moins lisible qu’attendu. Les propositions que nous récoltions étaient fragiles d’un point de vue théorique, et parfois même éthiquement douteuses. Elles ne répondaient pas à nos besoins didactiques.

L’imposant Etat des recherches en didactique de la littérature offert par Bertrand Daunay (2007a) rend très bien compte des limites au transfert, vers la didactique, de travaux de cet acabit. Dans la section intitulée fort à propos Une « sotte » question nécessaire : qu’est-ce que la littérature ?, l’auteur pointe à la suite de Gérard Genette « le statut ontologique un peu particulier de ce concept de littérature, qui déjoue toute définition de la part de ses spécialistes » (p.151). Genette semble pour sa part se satisfaire de la chose sans ciller, lui qui expose dans l’introduction de son Fiction et diction (1991, p.11) :

Si je craignais moins le ridicule, j’aurais pu gratifier cette étude d’un titre qui a déjà lourdement servi : “Qu’est-ce que la littérature ?” – question à laquelle, on le sait, le texte illustre qu’elle intitule ne répond pas vraiment, ce qui est somme toute fort sage : à sotte question, point de réponse ; du coup, la vraie sagesse serait peut-être de ne pas se la poser. (Cité par Daunay 2007a, p. 151)

Entendre par là que des littéraires francophones seraient disposés à opposer une sagesse du silence au « sot » projet de vouloir discourir scientifiquement de ce qu’ils font – et de ce qui les fait vivre – n’aurait rien d’une interprétation abusive. Pour discuter de la position de Genette, Daunay convoque un philosophe et ancien élève d’Althusser :

Jacques Rancière ouvre son livre La parole muette par cette citation de Genette, en notant cette

« sagesse au conditionnel », qu’il interroge ainsi (1998, p. 5) : « La question est-elle sotte parce que tout le monde sait, en gros, ce qu’est la littérature ? Ou bien, à l’inverse, parce que la notion

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Chapitre introductif

à nous délivrer des fausses questions d’hier ? Ironise-t-il au contraire sur la naïveté qui nous en croirait une bonne fois délivrés ? » Mais, ajoute Rancière, « la sagesse d’aujourd’hui allie volontiers à la pratique démystificatrice du savant le tour d’esprit pascalien qui dénonce en même temps la duperie et la prétention de n’être point dupe. Elle invalide théoriquement les notions vagues mais elle les restaure pour l’usage pratique. » (Cité par Daunay 2007, p. 151) La posture de Genette vis-à-vis de la réputation littéraire a effectivement tout d’un usage pratique. Elle est absolument rationnelle, précisément pour ce qu’elle a d’indéniablement commode du point de vue intellectuel et institutionnel. On pourrait néanmoins trouver curieuse cette valorisation d’une sagesse qui confine au taoïsme ou au silence monastique dans l’esprit d’un ancien développeur du (néo)structuralisme littéraire. Cependant, cette manière un peu mystérieuse de botter en touche ne se distingue pas par son caractère de nouveauté dans la théorie littéraire francophone du XXe siècle. Elle a ses précédents, parmi lesquels les travaux métacritiques de Jean Paulhan6 ne sont sans doute pas les moins exigeants, ni les moins intéressants. Considérons le projet annoncé en 1941, par leur auteur, dans l’incipit des fleurs de Tarbes ou la terreur dans les lettres (1990a) :

L’on parle volontiers du mystère de la poésie et des Lettres. L’on en parle jusqu’à la nausée. Il faut l’avouer pourtant, ce n’est rien éclairer qu’évoquer ici la magie ou l’extase, la pierre enchantée, l’animal attentif. Ce n’est rien dire précisément que parler d’ineffable. Ce n’est rien avouer que parler de secrets. Que le poète soit dévot, bien. Mais de quelle foi ? L’écrivain savant, soit. Mais de quelle science ?

Que le poète ou le romancier se contente ici d’une confusion répugnante, libre à lui. Ce n’est pas son affaire d’expliquer le mystère, s’il l’éprouve et le répand. Et peut-être le rend-il d’autant mieux qu’il s’y refuse lui-même. Mais il existe un autre écrivain, dont la tâche est de rappeler inlassablement ce dont il s’agit, et qui semble perdu.

L’on dirait étrangement que le critique a, de nos jours, renoncé son privilège, et quitté, sur les Lettres, tout droit de regard. Il avait un ordre à imposer. Non, il s’égare en révérences niaises.

« Que les créateurs, dit-il, commencent ! » Ou : « Que puis-je faire tout seul ? » Il prie seulement qu’on le laisse observer, et tenir des comptes (mais cela aussi va lui être ôté). (p.23)

Paulhan annonce ainsi la mise en marche d’une étude à prétention scientifique, robuste et systématique, des discours des métalittérateurs. Il cherchera à cerner rigoureusement ce qui les fonde. Il devra en dégager des lois permettant de déduire une véritable méthode critique.

Les fleurs de Tarbes le conduiront pourtant en d’autres lieux.

En procédant à une ellipse massive, considérons maintenant ce à quoi aboutit le projet en

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Chapitre introductif

question. Voici un extrait du Don des langues (1990b) que Paulhan publie en 1966, peu avant sa mort :

Les disciples d’Hermès, au XVIIe siècle, appelaient don des langues certain savoir secret qui permit au voyageur de parler aussitôt la langue de la contrée où il venait de pénétrer. Celui qui possède ce don, ajoutait-on, peut parcourir sans danger le monde : il trouve partout la paix, l’équilibre, la sérénité. Cependant, un abus du mot (…) semble avoir assez vite substitué la religion à la langue, permettant ainsi à ce voyageur de se faire orthodoxe en Russie, bouddhiste dans l’Inde et taoïste en Chine. Tel est du moins le reproche qu’adressaient aux hermétistes leurs adversaires.

Je ne sais si le reproche était fondé, je ne sais même s’il s’agissait, à proprement parler, d’un reproche. Mais l’expression conviendrait assez exactement à la société qui nous occupe. C’est une société dont les membres – nous tous, peu s’en faut – savent reconnaitre, ou du moins soupçonnent en tout langage la présence sacrée d’un monde unique où nous sommes confondus. Si l’on préfère, d’un Dieu que déchirent nos divisions, notre étude, nos sciences.

(p.332-333)

Paulhan s’annonçait scientifique. Il en vient finalement à expliquer que les sciences déchirent ce Dieu présent en tout langage. Plus explicitement que ce n’est le cas chez Genette, sa recherche l’aura rendu dévot : il reconnaitra au langage une fonction « trivalente », hiératique, et véhicule d’une forme de ravissement spirituel7.

Si elles ne sont pas dénuées d’intérêt d’un point de vue culturel et socio-historique, les vocations littéraires d’un Genette ou d’un Paulhan – qui les autorisent à alterner de façon plus ou moins explicite entre les registres de la science et du sacré (prenne-t-il la forme d’une sagesse ou d’une mystique) – sont intenables en didactique. Laissant Dieu à sa place, devant préférer poser la prétendue sotte question plutôt que de se contenter de la prière ou du silence, la didactique ne saurait trouver là de quoi décrire et expliquer ce qu’il se passe dans des espaces scolaires souhaités profanes et dicibles.

L’on pourrait nous opposer que les derniers exemples de ces deux autorités littéraires francophones auront été stratégiquement choisis dans un contexte tout sauf neutre ; soit pour répondre aux besoins d’une recherche en didactique du français8. Il pourrait parallèlement

7 Voir à ce propos La fascination du Commandeur. Le sacré et l’écriture en France à partir du débat- Bataille de Christophe Halsberghe (2006, p.80-81).

8 Il est vrai que cette dernière n’a pas encore obtenu toute l’autonomie disciplinaire qu’elle revendique, et qu’un tel état de fait peut suffire (ou servir) à porter le soupçon sur chacune de ses

(20)

Chapitre introductif

être reconnu comme « sage » de se méfier des fleurs rhétoriques de l’auteur de Figures I ; II ; III ; IV et V. Peut-être s’agirait-il encore de ne pas tenir Paulhan pour représentatif des études littéraires contemporaines. Afin de lever par avance des objections de ce type et de renforcer quelque peu notre argumentation, nous mettrons encore sur la table des prises de position plus récentes que l’on doit à deux autres spécialistes littéraires et académiques de la littérature : celles d’Yves Citton (2007) et d’Antoine Compagnon (1998).

Nous nous permettons de ne retenir du travail de Citton que quelques extraits de Lire, interpréter, actualiser. Pourquoi les études littéraires (2007), eux-mêmes tirés d’un article laudatif9 que lui consacre un collègue, Franc Schuerewegen (2009). Citton, dont la réputation tend actuellement à prendre une certaine ampleur (y compris en didactique du français), assume son ouvrage comme « ouvertement corporatiste » (p.24)10. C’est son droit le plus stricte, et l’avertissement sonne clair et franc. Il permet simultanément de comprendre que le son de cloche qu’il fera résonner ne se distinguera pas fondamentalement de ceux qui rythment les activités de sa confrérie. Ce qui pourrait le différencier en revanche, c’est que Citton s’applique à frapper fort. Tellement fort que là où d’autres exposent méthodiquement la faiblesse disciplinaire des études littéraires11, lui, tout au contraire, y clame l’origine de leur

« supériorité » :

Cette modestie à l’égard des prétentions habituelles de la «parole vraie» se retourne toutefois aussitôt en revendication de supériorité : alors que toutes les autres disciplines ont une tendance inhérente à développer des dogmatismes, en ce qu’elles nourrissent une prétention (implicite) à décrire adéquatement une réalité extérieure à elles-mêmes, seules les études littéraires sont en mesure de se présenter ouvertement – et donc lucidement – pour ce qu’elles sont (et pour ce que sont en réalité tous les produits du savoir humain) : des affabulations, définies ici comme des constructions imaginaires tendant à se faire passer pour réelles. (p.207)

9 Cette méthode de sélection nous permet d’être moins facilement soupçonnables de partialité. Les extraits en question, préalablement passés au travers d’un filtre laudatif, nous intéresseront doublement. Ils ont été écrits par un premier spécialiste littéraire contemporain, puis valorisés par un second. De manière plus anecdotique, notons que Schuerewegen prend parti dans son article pour des thèses de Citton, et qu’il les dirige contre certaines propositions formulées par Antoine Compagnon lors de sa leçon inaugurale au Collège de France, en 2006.

10 L’article de Schuerewegen (2009) étant de taille modeste, les numéros de pages cités renvoient à

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La posture affectée par Citton, citée et louée par Schuerewegen, laisse songeur. Etrange modestie de façade qui s’ouvre sur une revendication assumée « de supériorité ». D’où provient-elle ? Citton l’esquisse : la force de son étude littéraire tient à ce qu’elle ne prétend pas décrire une réalité extérieure à elle-même. Nous pouvons reconnaitre à cet aveu la sincérité de son auteur, et qui ne porterait pas à conséquence s’il restait cohérent. Ce n’est pas le cas. Cette étude littéraire, élue « supérieure » par son seul suffrage, habituellement occupée à se mirer dans son propre regard, lève la tête et décrète dogmatiquement que les autres disciplines sont dogmatiques. La « théorie idéologique » décrite par Halté et Petitjean (1974) est encore et toujours en mouvement : inconsciente d’elle-même, elle ignore la différence entre l’objet qu’elle étudie et sa propre méthodologie. Nous n’ajouterons rien à la glose, sinon qu’une fois bien allumée, cette « lucidité » conduit finalement l’auteur à rapprocher l’analyse littéraire de « la forme supérieure de la sagesse humaine » (p.208).

Commentant la proposition de son confrère, Franc Schuerewegen (2009) parait adhérer au mot d’ordre de l’apologie des (h)auteurs. Avec une touche conclusive de religiosité dans laquelle nous aimerions voir malice et clairvoyance, il glisse au sujet de l’engagement de Citton :

L’homme a raison, ma foi.

Je n’ajoute pas : amen (j’en ai envie pourtant). (p.22)

Laissant là les affabulations de ceux qui se reconnaissent comme affabulateurs12 (pour la même raison ils nous y enjoignent), nous fournirons un dernier exemple de la difficulté à travailler en didactique avec des conceptions de la littérature des littéraires.

A cet effet et pour être plus constructifs, nous proposons d’entendre ce qu’en dit encore Antoine Compagnon, l’occupant actuel de la chaire de Littérature française moderne et

12 On ne sait trop si la posture de Citton vis-à-vis de son étude littéraire devrait se comprendre en tant que produit de l’importation, dans le domaine académique, d’un évangélisme nourri aux beaux versets de Saint Mathieu – « Ainsi les derniers seront les premiers, et les premiers seront les premiers » (20 :16).

Peut-être s’agirait-il d’y retrouver un autre lieu commun, de l’ordre de l’inversion carnavalesque. Dans un cas comme dans l’autre, nous reconnaissons ses écrits comme étant le fait d’un écrivain institutionnel doué, habile et inventif. En tant que texte lui-même littéraire, Lire, interpréter, actualiser.

Pourquoi les études littéraires (2007) pourrait faire l’objet d’une recherche scientifique. Cette scientificité en revanche, et de l’aveu propre de son auteur, est impensable dans son étude littéraire.

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contemporaine du Collège de France. Ses propos sont autrement prudents que ceux de Citton.

Voilà comment se conclut son Démon de la théorie (1998) :

Ai-je réussi à démythifier la théorie ? A éviter d’en faire une métaphysique négative comme une pédagogie d’appoint ? Critiquer la critique, juger la recherche littéraire, c’est évaluer leur adéquation, leur cohérence, leur richesse, leur complexité, tous critères qui ne résistent sans doute pas au décapage théorique mais qui restent les moins discutables. Comme la démocratie, la critique de la critique est le moins mauvais des régimes, et si nous ne savons pas lequel est le meilleur, nous ne doutons pas que les autres soient pires. Je n’ai donc pas plaidé pour une théorie parmi d’autres, ni pour le sens commun, mais pour la critique de toutes les théories, y compris celle du sens commun. La perplexité est la seule morale littéraire. (p.312)

Compagnon oblitère la théorie littéraire – qu’il renomme au passage « morale » – avec le sceau de la perplexité13. Au sens du Robert historique (1998), celle-ci signifie l’« embarras d’une personne qui ne sait quel parti prendre ». Son étymologie n’est pas moins intéressante.

Elle provient du bas latin perplexitas, qui vaut pour « enchevêtrement, entrelacement », et au figuré pour « obscurité, ambiguïté ». Le terme, avant de se fixer dans son acception moderne, a d’ailleurs désigné « un sentiment de détresse, de souffrance » (1362).

S’il restait à s’en convaincre, le concept de littérature qui pourrait être produit par sa théorisation littéraire se présente sous un jour pénible et confus. A l’endroit du sacrifice à la sagesse du silence, à celui de la dévotion mystique, de la posture « de supériorité » du sage corporatiste ou de l’embarras métacritique14, le ressort didactique de la référenciation à la discipline académique nous est apparu cassé. Pour paraphraser légèrement Paulhan : ce ne semble pas être l’affaire de cette « discipline », de ses « sages » ou de ses experts d’expliquer le mystère s’ils l’éprouvent et le répandent.

Un consensus pratique au prix de la précision désignative : la conceptualisation de la

« lecture littéraire » par des didacticiens

L’année même du commencement de notre recherche paraissait un important article de Brigitte Louichon (2011). L’auteure y pose très sérieusement la question de savoir si la «lecture littéraire» mérite ou non le qualificatif de « concept didactique ». Après un bref passage en

13 Nous verrons plus loin, dans notre recherche, que la prudence éthique dont fait preuve Compagnon est utile dans une perspective didactique. Il s’agirait toutefois de considérer que ce qui légitime les

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revue de quelques prises de positions de didacticiens remontant jusqu’en 1995 – année de

« la première problématisation de la notion dans le champ de l’enseignement » (p.196), sous l’impulsion de Dufays15 – Louichon pose les constats suivants :

Il semblerait donc qu’en quelques années nous soyons passés du pré-concept au concept. Cela suppose a minima que la notion est susceptible d’être définie et que cette définition est acceptée par l’ensemble de la communauté scientifique. Elle doit alors être reproduite en des termes proches par cette communauté. (p.195)

Continuant ses investigations, l’auteure identifie pourtant qu’en 2011, « les définitions ne sont pas totalement convergentes » (p.201). Peut-être pour contribuer à leur stabilisation, elle ajoute :

Pour autant, et même si les configurations discursives dans lesquels ils s’énoncent sont parfois un peu différentes, les appuis théoriques sont assez communs et construisent un substrat de références assez largement partagées. Est commun aussi le projet de déplacer l’enseignable du texte aux interactions texte-lecteur. Ce dernier point me parait tout à fait important. La question de savoir ce qu’il convient d’apprendre et d’enseigner en classe de littérature est récurrente, problématique, centrale et – conséquemment – polémique. La notion de lecture littéraire, toute problématique et plurielle qu’elle demeure, a bien produit du consensus théorique didactique.

(Idem)

Louichon explore alors plus finement l’emploi consensuel que font des didacticiens du syntagme de « lecture littéraire ». Elle met à jour un phénomène intéressant :

Cette notion semble dorénavant relever d’une forme d’évidence puisque sa mention nécessite rarement de processus définitoire et [autorise (?)] même un usage assez faible et assez lâche de la référence. (p.207)

Rappelant ce que la « lecture littéraire » doit aux apports de Dufays, Gemenne et Ledur, et relevant que l’emploi de ces termes renvoie régulièrement à des conceptions provenant en fait d’autres auteurs (parmi lesquelles le sujet lecteur de Gérard Langlade ou les notions d’interprétation et de communauté interprétative de Catherine Tauveron), Louichon poursuit sur sa lancée :

(…) la lecture littéraire n’est plus objet de questionnement théorique. Le concept a migré vers des discours à visée plus praxéologique et atteint une forme de stabilité et d’univocité sémantiques. Ce consensus s’accompagne d’une déperdition de certains aspects au profit d’autres. Par exemple, la question de la participation et de la distanciation est peu évoquée.

(p.208)

15 C’est à lui, ainsi qu’à Louis Gemenne et Dominique Ledur que l’on doit l’investissement didactique

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L’auteure en parvient à la conclusion que la lecture littéraire relève d’un «concept en usage»

ne faisant plus débat (p.209). Tout se passe donc comme si l’enjeu théorique correspondant s’était trouvé émoussé par la pierre à polir du « consensus pratique » (p.207).

A notre sens, les phénomènes décrits par Louichon en 2011 au sein des discours des didacticiens confirment ce que Daunay avait déjà pointé dans son Etat des recherches de 2007.

Thématisant la difficulté de « dénaturaliser les objets d’enseignement » avant de « penser l’enseignement de ce qui se fonde précisément sur sa naturalisation », ce dernier note alors qu’un consensus didactique n’est possible qu’« au prix d’une occultation constante de la définition précise de ce qu’on appelle littérature » (p.153). Dans la même perspective, les fines analyses de Louichon démontrent plus tard que les didacticiens, plutôt que de porter leur attention sur un objet aux contours imprécis, tendent désormais à se focaliser sur les interactions que des lecteurs peuvent entretenir avec lui – quel qu’il soit. Bien sûr, la prise en compte des élèves rendue possible par cette manière de faire représente une plus-value didactique importante. Mais tandis que le gain pragmatique est manifeste, la carence conceptuelle qui demeure ne l’est pas moins : l’impressionnisme des contours du littéraire se sera « simplement » vu transféré du texte vers sa lecture. Par cette mise à distance, la didactique du français semble avoir ménagé un espace lui permettant de continuer à agir « en littérature » – et il valait assurément la peine de le faire. Cependant, dans un angle apparemment mort de ce même espace, la « sotte » question résonne encore : qu’est-ce donc que la littérature ?

Cette rengaine devient d’autant plus obsédante si l’on considère la facilité avec laquelle le littéraire entre et sort à sa guise de l’école. Il y bénéficie manifestement de quelque sésame dont la validité s’adapte historiquement aux mutations des systèmes scolaires. Peut-être faudrait-il en tirer toutes les conséquences, et admettre que la littérature pourrait s’y trouver, essentiellement, chez elle.

Si cette hypothèse pouvait être défendue, cela signifierait qu’il faudrait attendre de la didactique qu’elle aide à clarifier ce qu’il se passe à son endroit. En l’occurrence, les avantages

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ensuite aux confluents des disciplines des sciences humaines et sociales qui endossent leurs responsabilités et leurs contraintes scientifiques ; elle est en prise avec des situations empiriques qui peuvent la prémunir contre les affabulations théoriques ; ses objets de recherche se situent là ou s’articulent la sociohistoire et le développement des individus ; enfin, elle est en droit et en position d’essayer de comprendre – avec prudence et méthode – par quels processus de « médiations formatives » (Bronckart, 2004b, p.99) les êtres humains créent et se transmettent des savoirs et des pratiques.

En somme, la didactique doit non seulement s’intéresser à la littérature, mais elle est encore en mesure de le faire.

Un empêchement massif pour une question de validité didactique

La question de la définition conceptuelle du littéraire, tout ancienne qu’elle soit, n’a absolument rien perdu de son actualité. Au cours de notre recherche, il nous a fallu nous défaire de l’idée suivant laquelle les pratiques expertes des littéraires y auraient répondu.

Nous avons dû reconnaitre qu’elle n’était pas non plus traitée tout à fait rigoureusement en didactique – ce qui est largement plus ennuyeux, puisque cette dernière se voit assigner des tâches précises, non autotéliques, dont elle doit s’acquitter dans une perspective de sciences humaines et sociales.

Le problème du concept de littérature s’est imposé comme un obstacle massif nous empêchant d’avancer. Comment maintenir en effet une quelconque prétention à la scientificité, et partant, comment viser méthodologiquement une forme de validité didactique qui reposerait sur autre chose qu’un « consensus » ou qu’un « usage » certes très pratiques, mais néanmoins foncièrement embarrassants ? Même à vouloir prudemment adopter une posture neutre, « perplexe » ou descriptive vis-à-vis de nos données, le moment ne viendrait- il pas de devoir isoler des phénomènes pour les analyser ? Cette isolation ne pourrait s’effectuer autrement qu’à l’aide de critères qui trahiraient une conception sous-jacente du littéraire. Aurait-il fallu prendre la nôtre ? Elle exclurait sans doute celle de tous ceux qui ne s’y reconnaitraient pas.

Nous ne voulions pas produire un manifeste, mais une recherche qui pourrait rendre des

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comptes – tous ses comptes – sur la base d’un système conceptuel explicite. Il nous restait à trouver lequel conviendrait. Nous voulions produire des connaissances, pas seulement faire preuve de bon gout. Les termes de ce problème nous ont fait comprendre qu’ils engageaient, jusqu’à un certain point, les principes par lesquels se constitue une science du didactique.

Nous avons ainsi dû déplacer notre regard de chercheur, en cours de route, vers le regard même qui permet d’observer, de construire et de faire de la réputation littéraire une multitude d’objets d’enseignements. La question à laquelle nous avons cherché une réponse pourrait dès lors se formuler comme suit :

Comment construire une intelligibilité didactique de phénomènes liés à des savoirs, des valeurs et des pratiques, et pouvant apparaitre à l’occasion de formations, d’enseignements et d’apprentissages développés à l’entour d’un texte réputé littéraire ? Les quatre articles et les deux études que nous présentons pour cette thèse portent les traces de nos tâtonnements, de nos essais, de nos écarts pour y répondre. Peut-être est-ce un effet de notre enthousiasme, et beaucoup reste à faire pour affiner, corriger et repenser les outils que nous avons développés, mais il nous semble que nous sommes parvenus, progressivement, à certaines propositions théoriques opérationnelles qui pourraient servir non pas à dénier toute pertinence au consensus pratique que nous avons thématisé dans les pages qui précèdent, mais à le comprendre au sein d’un système métathéorique et méta- conceptuel. C’est ce dont nous allons maintenant rendre compte.

3. Dispositif de recherche

Dans cette section, nous allons tout d’abord décrire dans son ensemble le dispositif de recherche déployé. Nous exposerons quelles données ont été collectées à travers notre dispositif de formation16. La macrostructure (Dolz, Jacquin & Schneuwly, 2006 ; Aeby Daghé

16 Avec le syntagme « dispositif de formation », nous englobons la « séquence de formation » réalisée au sein de l’Institut Universitaire de Formation des Enseignants du canton de Genève ainsi que les

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et al. 2009) de la séquence de formation réalisée sera ensuite restituée intégralement, et sommairement commentée de façon à faciliter sa compréhension. Il en sera fait de même avec l’orientation générale prise par la séquence didactique construite collectivement en cette occasion. Nous motiverons dans un troisième temps les raisons nous ayant conduit à ne retenir et n’analyser qu’une partie des données collectées : une seule séquence d’enseignement sur les quatre filmées s’est en effet vue finalement retenue.

Dispositif de formation : vision globale

Le dispositif de recherche déployé a donc porté sur un dispositif de formation ayant successivement donné lieu à la réalisation d’une séquence de formation et de quatre séquences d’enseignement. Au terme de la séquence de formation, une séquence didactique plaçant en son centre le sonnet de la V.A. s’est vue créée de façon collective. C’est cette dernière qui a outillé les étudiants-enseignants en question lorsqu’ils ont réalisé leurs enseignements dans leurs classes respectives.

Nous sommes conscients de la rugosité relative de la terminologie qui vient d’être employée.

Celle-ci relaie notre souci de précision. Pour donner une vision d’ensemble plus claire du dispositif de formation à partir duquel s’est construite notre recherche, nous en proposons le schéma suivant :

dans une certaine mesure avec le formateur, étaient encore, à ce moment, en formation. Pour sa part, enfin, la « séquence didactique » désigne les moyens d’enseignement conçus à travers les tâches

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Chapitre introductif

Précisons que la séquence de formation, adressée à des étudiants-enseignants des secondaires I et II genevois, s’est déroulée sur onze séances de 45 minutes chacune. Comme nous le verrons, la partie globalement magistrale de cette séquence a été suivie par l’ensemble de la trentaine d’étudiants-enseignants effectuant, cette année-là, la première année de leur cursus de formation professionnalisante. La seconde partie, plus interactive et organisée sous la forme d’ateliers, a été suivie par un sous-groupe d’une quinzaine de participants.

De leur côté, les quatre séquences d’enseignement réalisées – outillées par la séquence didactique précédemment produite – se sont respectivement déroulées sur :

• Onze séances de 45 minutes (séquence d’enseignement I) ;

• Huit séances de 45 minutes (séquence d’enseignement II) ;

• Neuf séances de 45 minutes (séquences d’enseignement III et IV).

Ajoutons enfin que la séquence de formation ainsi que les quatre séquences d’enseignement ainsi réalisées ont été intégralement filmées17.

Séquence de formation

Comme l’indique déjà le schéma ci-dessus, la séquence de formation s’est organisée en important dans un contexte de formation professionnalisante certains principes développés par l’équipe du GRAFE pour orienter la création de séquences didactiques en français (Dolz, Noverraz & Schneuwly, 2001). Le travail s’est notamment organisé entre des productions initiales et une production finale (ci-dessus : « PI » et « PF »). Entre les premières et la seconde ont pris place des modules qui sont considérables comme des tâches ou des ensembles de tâches coordonnées, eu égard à l’objet de la formation. Pour être plus précis quant à cet aspect particulier de la séquence de formation18, ajoutons que les PI en question ont pris la forme de quatre planifications synthétiques d’enseignements réalisées par autant

17 A l’exception cependant de la séquence d’enseignement IV, dont deux séances de 45 minutes d’enseignement sur les neuf engagées n’ont pu être captées pour des raisons indépendantes de notre

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d’étudiants-enseignants. Ces planifications ont été produites à la suite d’une brève mise en situation adressée uniquement à la quinzaine d’étudiants-enseignants qui suivraient l’entier de la séquence. Lors cette mise en situation (voir les modules 1 et 2 de la macrostructure : infra), le formateur a présenté les grandes lignes de la formation qui serait déployée un mois plus tard. Il a annoncé que la production collective d’une séquence didactique plaçant en son centre le sonnet de la V.A. serait visée. Il a également demandé aux étudiants-enseignants si certains d’entre eux étaient disposés :

a. A produire par avance une planification de séquence d’enseignement devant porter sur le sonnet de la V.A.

b. A réaliser une séquence d’enseignement en employant la séquence didactique qui serait créée collectivement lors de la formation.

Cinq étudiants-enseignants ont répondu positivement à la demande. Seuls quatre d’entre eux ont produit une planification (virtuelle) d’enseignements. C’est dans leurs classes que nous irions ensuite filmer les séquences d’enseignement.

Macrostructure de la séquence de formation

Sur la base de la vidéo et du verbatim de la séquence de formation, nous appuyant sur la méthodologie de recherche développée par le GRAFE, nous avons synthétisé l’information de manière à relater la succession des modules de la formation ainsi que celle des tâches réalisées. La première partie de la séquence de formation, ayant majoritairement concerné l’ensemble de la trentaine d’étudiants-enseignants (à partir du module 3) et ayant tendanciellement pris une forme magistrale entrecoupée de dialogues maïeutiques, peut être rendue par la macrostructure suivante :

Première partie de la séquence de formation

Modules et

thèmes Tâches

1. Présentation de la formation et de la

1.1. Découvrir le programme de la séquence de formation ainsi que la recherche doctorale lui étant liée.

Références

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