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A. Histoire des deux quartiers, fabrication de l'espace 32

II. L'espace conçu – Hautepierre 33

5. Entre configuration et refiguration, un chantier habité, 1968-94 70

Volker ZIEGLER La réalisation de la ZUP de Hautepierre est confiée à la Société d’Aménagement et d’Equipement de la Région de Strasbourg (SERS) qui démarre le chantier en 1968, dans l’objectif de le terminer en 1979. Le premier habitant s’installe en juin 1970 dans un quartier en pleine construction. Mais ce chantier qui se poursuit à un rythme accéléré les six années suivant son lancement, se ralentit au milieu des années 70 pour s’enliser complètement dans les années 80.

Dès le départ, l’idée de développer des "hameaux" avec une vie de quartier mélangeant différentes couches sociales et différents types de populations, se heurte à des difficultés majeures. L’idée, contrairement à celle développée à la même période par Gustave Stoskopf dans le plan orthogonal de l’Esplanade, avec ses bâtiments jusqu’à 18 étages, était de réaliser à Hautepierre des immeubles groupés de petite taille comportant cinq à huit niveaux. Dans chaque hexagone, deux objectifs auraient dû se compléter : produire du logement locatif public aidé et du logement d’accession à la propriété par deux types de financement adaptés pour l’équivalent de 1000 logements (3000 habitants) par maille. Mais le prix relativement lourd du foncier et la viabilisation complexe dissuadent la promotion privée d’investir dans l’opération. De plus, les "hameaux" rencontrent les réticences du constructeur des logements sociaux, soucieux d’orienter son chantier vers des solutions performantes – des immeubles droits et hauts – avec "son" architecte qui était Gustave Stoskopf.

Pour éviter le dérapage du projet, le maire Pflimlin demande à Vivien, urbaniste en chef de l’opération, d’associer son équipe à l’agence Stoskopf afin de profiter de son expérience en matière de rentabilité constructive. Vivien doit se battre pour que le chemin de grue habituel rectiligne cède à la mise en œuvre plus complexe des "hameaux" et de leurs immeubles de faible hauteur estimés impensables par les autres acteurs du projet. La bataille des "hameaux" est gagnée à un prix lourd : les premiers programmes de logements sont pris en charge par un bailleur social et marquent Hautepierre de l'image d'un quartier d'habitat social.

La circulaire Guichard (1973) qui met fin à la construction des grands ensembles en France, marque aussi une première mise en cause du concept initial de Hautepierre. Pierre Pflimlin, maire de Strasbourg et président de la CUS, rappelle qu'il est nécessaire de trouver une formule qui ne soit pas en contre-pied à la circulaire. Il pense en effet qu'on pourrait envisager de réviser l'architecture de la deuxième tranche de l'opération de la ZUP de Hautepierre située au sud de l'autoroute et de réduire la densification des immeubles.103

5700 logements dont 2894 HLM de la première tranche (Hautepierre Nord) sont construits104 lorsqu'arrive le choc pétrolier de 1974. Les difficultés

économiques qu’il entraîne atteignent Hautepierre : le chantier de construction se ralentit, et le chômage augmente pour atteindre 25 % dans le nouveau quartier. Désormais, le rapport à l’automobile change, posant le problème des déplacements à une époque où il n’y a pas de transports en commun à Hautepierre.

Hautepierre en 1975 (photos F. Luckel).

Le centre urbain ne se réalise pas sous la forme prévue par les concepteurs. En 1976, Hautepierre accueille le centre commercial Auchan qui forme un ensemble déséquilibré avec le théâtre du Maillon posé près de l’autoroute, en limite de quartier. Les équipements de proximité disposés en cœur de maille ne suffisent pas pour faire de Hautepierre un quartier de ville animé, et les promenades entre mailles se font mal ou ne se font pas du tout : pas de belle promenade à l’intérieur du quartier, mais des nappes de stationnement.

Pierre Vivien quitte ses responsabilités d’urbaniste en chef, laissant sa charge qui s’est réduite à celle d’un urbaniste conseil à son fils. En 1978, le concept des mailles est abandonné pour la partie sud dont l’aménagement n’a pas encore débuté, le périmètre de la ZUP ayant été limité à celui de Hautepierre Nord en 1977. La page est tournée dans une réunion du groupe de travail "Hautepierre"105 où Pflimlin remercie Vivien d'avoir admis ce changement ; un

autre point à l'ordre du jour, la réfection des façades du programme des 1831 logements construits par l'OPHLM dans les mailles Eléonore, Catherine et Jacqueline, initie le cycle de la refiguration du quartier.

Les années 80 sont marquées d’un côté par des mutations sociales et des dégradations rampantes et de l’autre par les premières réhabilitations. En 1989, le premier mandat de Catherine Trautmann marque un tournant dans l’histoire de Hautepierre, l’équipe municipale décide de passer du "tout voiture" à la vitesse du tram. En 1994, la première ligne du tramway de Strasbourg relie le quartier au centre ville en un quart d’heure. Pensé pour désenclaver le quartier, le projet du tramway reste avant tout un projet d’aménagement de ligne, en dépit des études engagées en vue d’un projet urbain portant sur les espaces des mailles. Quelle place faut-il laisser à la voiture ? Quels dispositifs spatiaux faut-il introduire comme filtre entre espace privatif et espace public, entre architecture et ville ?

Le rôle structurant de la ligne A du tramway de Strasbourg (source : CUS, 2000).

105 Compte-rendu de la réunion du groupe de travail "Hautepierre" , 13.10.1978, Archives de la Ville de Strasbourg, côte 257W3.