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Concordances intra-modale et inter-modale

Dans le document La concordance des temps en espagnol moderne (Page 157-164)

Concordance des temps du locuteur- locuteur-observateur

3.1 Choix et visée discursive

3.1.3 Concordances intra-modale et inter-modale

Le phénomène de la « concordance des temps » doit être redéfini si l’on prend pour cadre la nouvelle théorie des modes et des temps de Gilles Luquet. À partir du moment où l’on ne

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raisonne plus en terme d’opposition entre mode indicatif et mode subjonctif, la concordance des temps telle qu’elle est posée traditionnellement et uniquement comme concordance inter-modale − mode indicatif dans la principale/mode subjonctif dans la subordonnée −, est caduque et doit laisser place à une redéfinition des relations temporelles dans la phrase complexe.

La phrase subordonnée n’est plus le cadre de l’opposition entre le vrai et le non vrai, le réel et le non réel. Elle est le cadre syntaxique où s’exprime pour le locuteur la possibilité de repérer des événements avec les deux modes actualisant/inactualisant en fonction de ce qu’il souhaite ramener à son actualité et ce qu’il souhaite éloigner mentalement de cette actualité.

Les exemples précédents, et une multitude d’autres que nous ne reportons pas ici, afin de ne pas alourdir la démonstration, se partagent en effet entre deux types de concordances : une concordance intra-modale − mise en relation de deux formes verbales du mode inactualisant −

et une concordance inter-modale − mise en relation de deux formes verbales, l’une appartenant au mode actualisant, l’autre au mode inactualisant.

Concordance inter-modale

Du mode actualisant au mode inactualisant

Concordance intra-modale

À l’intérieur du mode inactualisant Présent actualisé

/ forme en -e/-a (aux. et non aux.) / forme en -ra/-se (aux. et non aux.) prefiere que ganen

rechaza que se haya facilitado es inmoral que hiciera

desmiente que les hubiera comunicado

Présent inactualisé / forme en -e/-a (aux. et non aux.) / forme en -ra/-se (aux. et non aux.) no quería que se muestre

negaba que haya cobrado deseaba que se extendiera

negaba que hubiera sido presionado

Présent actualisé d’aspect transcendant / forme en -e/-a (aux. et non aux.) / forme en -ra/-se (aux. et non aux.) ha apelado a que se mantenga

ha negado que haya participado ha lamentado que no llegara ha negado que hubiera tomado

Présent inactualisé d’aspect transcendant / forme en -e/-a (aux. et non aux.) / forme en -ra/-se (aux. et non aux.) había pedido que sea destruida

había rechazado que haya usado había aceptado que se terminara había negado que hubiera escondido

Futur actualisé / forme en -e/-a (aux. et non aux.) / forme en ra/-se

ordenará que se efectúe se exigirá que haya cotizado será posible que nadie viera

Futur inactualisé / forme en -e/-a (aux. et non aux.) / forme en -ra/-se

sería necesario que se incrementen exigiría que haya entrado

convendría que se investigara

Futur actualisé d’aspect transcendant / forme en -e/-a

/ forme en -ra/-se

te habrá sorprendido que me dirija habrán deseado que alcanzara

Futur inactualisé d’aspect transcendant / forme en -e/-a (aux. et non aux.) / forme en -ra/se (aux. et non aux.) le habría gustado que esté presidida

habría ocasionado que haya ido a pique le habría gustado que se publicaran

nos habría gustado que hubiera sido recogido

Passé actualisé / forme en -e/-a (aux. et non aux.) / forme en -ra/-se (aux. et non aux.) pidió que le permita

se quejó de que no hayan consultado pidió que se pusiera énfasis

negó que hubiese defendido

Forme en -e/-a / forme en -e/-a

/ forme en -ra supongamos que sea verdad

Passé actualisé d’aspect transcendant / forme en -ra

le hubo pedido que se apresurara

Forme en -ra / forme en -e/-a

/ forme en -ra/-se (aux. et non aux.) quisiera que abandone la isla

quisiera que estuvieran encaminadas quisiera que hubiese sucedido

Forme en -ra d’aspect transcendant / forme en -e/-a (aux. et non aux.) / forme en -ra

le hubiera pedido que se postule

me hubiera gustado que se haya plasmado no hubiera evitado que perdiéramos

La concordance intra-modale prévoit également la mise en relation d’événements déclarés uniquement par des formes appartenant au mode actualisant (présent, prétérit, futur), possibilité non reportée ici. Le locuteur a, en effet, le choix de tout actualiser dans une « principale » et une « subordonnée » au mode actualisant.

Dans ce classement abandonnant le cadre traditionnel de la règle de la « concordance des temps », exprimée en terme d’opposition indicatif/subjonctif, on observe que le locuteur-observateur a deux choix à partir de son présent d’énonciation :

il peut tout inactualiser. Principale et subordonnée sont au mode inactualisant : c’est une concordance intra-modale avec, éventuellement, des degrés dans l’inactualité : no quería que se muestre ~ sería necesario que se incrementen ~ convendría que se investigara...

Il peut actualiser et inactualiser. La principale est au mode actualisant, la subordonnée au mode inactualisant. C’est une concordance inter-modale avec, éventuellement, des degrés dans l’inactualité : prefiere que ganen ~ negó que hubiese defendido ~ pidió que se pusiera énfasis...

Le repérage offert par les formes verbales du mode inactualisant, dont les formes en -ra/-se (ex-« subjonctif » imparfait) et la forme en -e/-a (ex-« subjonctif » présent), est un repérage moins direct que le repérage déictique des formes actualisantes qui définissent le hic et nunc de l’énonciation. Les formes inactualisantes, toujours construites autour de la figure du locuteur, offrent un autre type de repérage délié de l’expérience, donc moins immédiat, un repérage interne à l’énoncé, lié à la visée discursive du locuteur. Ces formes trouvent ici dans la subordonnée substantive, un cadre syntaxique privilégié. La forme en -e/-a et la forme en -ra/-se appartiennent au mode inactualisant, mais chacune propo-ra/-se un degré d’inactualité différent, exploitable par le sujet parlant en fonction de sa visée discursive. Dans la concordance inter-modale, l’emploi des formes inactualisantes en -e/-a et en -ra/-se mises en relation avec les formes du mode actualisant laissent voir au sein de la phrase, en situation, un décrochage, une « déréalisation », à première vue assez semblable à celle que produit le passage du mode indicatif au mode subjonctif.

Dans la concordance intra-modale, ce que l’on voit très clairement, et qui nous paraît essentiel, c’est que le choix du mode dans la « principale » peut déjà marquer que le locuteur a renoncé à relier l’événement à son actualité. Dans une phrase comme deseaba que se extendiera, le décrochage par rapport à l’actualité du locuteur s’est déjà produit, dès le choix pour référer à un événement, dans la proposition principale, avec la forme de « présent inactualisé », « deseaba ». C’est bien la preuve que le locuteur et sa visée ne sont pas présents uniquement dans la principale, au mode actualisant ; ils sont tout aussi présents dans la subordonnée, et quel que soit le degré d’inactualité retenu dans le mode inactualisant. Le mode « indicatif » avec ses subdivisions temporelles traditionnelles (incluant notamment « l’imparfait ») donne l’illusion d’être LE mode du locuteur, et partant, d’être le mode le plus souvent embrayeur de subordonnée. En réalité, le mode de l’inactuel peut tout autant être embrayeur de subordonnée. Il n’est pas lié syntaxiquement uniquement à la subordonnée, comme on a pu l’observer dans de nombreux exemples.

Au vu de la concordance intra-modale, il est préférable de poser désormais que le choix des formes verbales retenues est la conséquence, tant dans la principale que dans la subordonnée, d’une stratégie globale de discours pour laquelle le locuteur, soit ramène tout à son présent d’expérience et puise dans les formes disponibles en système au service de cette visée, soit détache les événements auxquels il réfère de son présent d’expérience, et puise dans le mode

inactualisant les formes adéquates. Il faut admettre l’idée qu’un mode choisi, quel qu’il soit, n’est pas prépondérant par rapport à un autre. De fait, le mode choisi n’est pas obligatoirement lié fonctionnellement à la principale ou à la subordonnée, même si les termes de « principale » et de « subordonnée » le donnent à penser.

Le mode actualisant n’est pas obligatoirement attaché fonctionnellement à la principale, ni le mode inactualisant à la subordonnée.

Il s’ensuit que la « concordance des temps » pour un locuteur hispanophone ne se définit ni en terme de temps d’événements, ni en terme uniquement de concordance inter-modale ou intra-modale, mais en terme d’occupation d’espaces temporels. C’est la raison pour laquelle il est absolument crucial de poser au préalable une théorie sur le représenté temporel des formes verbales espagnoles pour ensuite rendre compte des concordances d’espaces temporels effectivement rendues possibles par la langue, et concrètement exploitables par le locuteur-observateur pour sa visée de discours.

[...] ces représentations sont de deux types : elles se définissent, soit comme des espaces temporels occupables ou effectivement occupés par le Moi locuteur − entité linguistique utilisatrice de la langue − soit encore comme des espaces temporels occupables par le Moi en tant qu’observateur de lui-même et de son propre univers − c’est-à-dire en tant qu’entité linguistique constructrice de la langue.347

Si l’on observe le tableau des concordances possibles, à l’intérieur du mode inactualisant ou entre les deux modes, on peut diviser les combinaisons en fonction de cette duplication de la manière suivante :

Le Moi locuteur peut effectivement, dans la principale, occuper l’espace temporel défini par une forme verbale de présent, d’impératif et de futur. Il peut faire concorder ces formes avec une autre forme définissant un espace temporel susceptible d’être occupable par lui, Locuteur : formes en -e/-a et en -ra/-se.

Le Moi observateur peut effectivement, dans la principale, occuper l’espace temporel défini par les formes verbales suivantes : prétérit, présent inactualisant, futur

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inactualisant, forme en -e/-a, forme en -ra. Il peut faire concorder ces formes avec une autre forme définissant un espace temporel susceptible d’être occupable par lui, Observateur : formes en -e/-a et en -ra/-se.

Ce partage illustre un fait d’importance : le temps linguistique de type occupable par le MOI locuteur ne correspond pas forcément aux formes actualisantes ; de même que le temps linguistique de type occupable par le MOI observateur ne correspond pas forcément aux seules formes inactualisantes. Le trouble-fête est le prétérit : il fait bien partie du mode actualisant mais le MOI locuteur ne peut occuper cet espace temporel concrètement puisque, par définition, le passé n’est plus et ne sera jamais plus. Seul le MOI observateur peut se déplacer imaginairement dans le passé, y a accès. Le temps impliqué dans une forme verbale de prétérit n’est pas occupable par le locuteur puisque le passé n’est plus. Le locuteur ne peut que l’observer. En revanche, le futur qui fait lui aussi partie du mode actualisant est un espace temporel occupable par le locuteur du fait de la fluence du temps, remontant ici du futur vers le passé, où chaque moment du futur est amené à devenir instant de présent avant de fuir vers le passé (supra 2.1.2).

Avant de préciser encore les choses sur les temps verbaux que le locuteur peut effectivement faire concorder, et pas seulement dans le cadre habituel de la subordonnée substantive, il nous faut revenir sur ce que l’on entend par subordination, toute théorie des temps verbaux étant liée à une théorie de la subordination348. Sans procéder à une remise à plat de la subordination en espagnol, probablement souhaitable, mais dépassant amplement le cadre de cette étude, nous pouvons néanmoins signaler les problèmes que pose en matière de concordance des temps cette opposition traditionnelle entre phrase principale et phrase subordonnée, puis en proposer une autre approche.

348 Pour Daniel Roulland, par exemple, la théorisation sur les temps verbaux va de pair avec la théorie sur la subordination. Voir « La subordination non finie en anglais », 1992, p. 160-184.

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