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Conclusion générale

Dans le document La concordance des temps en espagnol moderne (Page 189-192)

« Le maximum du comprendre, c’est une bonne théorie. »

Principes de linguistique théorique de Gustave Guillaume

La fameuse « règle de la concordance des temps » alimente généreusement cette « Grammaire, terre de légendes », à laquelle Marie-France Delport consacre un chapitre de sa revue Chréode-Vers une linguistique du signifiant417. Le succès de cette règle, même lorsqu’il s’agit de déclarer son inexistence, sous forme de boutade, comme le fit Ferdinand Brunot dans La pensée et la langue (1965) pour le français418, s’explique, sans aucun doute, par la formule elle-même, idéalement binaire et réunissant des termes polysémiques à souhait. On se plaît à rêver de concordance pour mieux se délecter des discordances déclinables à l’infini − et pas

417 « Une dernière section, Grammaire, terre de légendes, sera consacrée à un problème d’enseignement de la grammaire, à propos duquel on souhaite apporter un éclairage nouveau ou, comme cette fois-ci, tordre le cou à une présentation désastreuse et néanmoins fort en usage. Dans ce cas particulier, par delà l’usage que peuvent en faire directement enseignants et étudiants, l’article vise à mettre au jour les raisons qui ont conduit à l’élaboration d’une fausse règle et celles pour lesquelles cette fausse règle a trouvé tant de partisans et pour un si long temps », Chréode, 2008, Avant-propos, p. 7.

418 « Ce n’est pas le temps principal qui amène le temps de la subordonnée, c’est le sens. Le chapitre de la concordance des temps se résume en une ligne : il n’y en a pas. »

uniquement en repérage biblique ou en morphologie (accord/non accord) −, appliquée en syntaxe aux accords verbaux, en littérature (temps des faits/temps de l’écriture), en histoire (« Concordance des temps », titre d’une émission de France Culture). On se plaît à poser une unité, même fictive, pour mieux se répandre sur le multiple.

L’incroyable succès de cette fausse règle de grammaire doit aussi beaucoup au télescopage qui se pratique trop souvent entre la tâche du linguiste et la compétence des locuteurs :

Il ne saurait y avoir équivalence entre les procédures mises à jour par la théorie (premier sens possible de la grammaire) et la compétence interne des locuteurs (autre sens possible de la

grammaire). Cette non coïncidence crée une béance où s’épanouissent à la fois le souci

empirique, indispensable dans les « sciences du langage », et le désir de rationalisation.419

La présente étude est loin d’avoir tout réglé en matière de « concordance des temps ». Il faut dire qu’au préalable une lourde tâche de « nettoyage » s’avérait nécessaire. Ce terme, Jean-Claude Chevalier ne le renierait pas, lui qui, avec force, a écrit et enseigné la nécessité de faire le « ménage par le vide ».

Ensuite, pour mettre à l’épreuve une théorie, faire le « ménage » peut aussi amener le linguiste, pragmatique, à revisiter les apories à la lueur de cette théorie pour juger de ce qu’elle permet de résoudre et de dépasser. C’est le parti-pris que j’ai adopté avec la nouvelle théorie des modes et des temps de Gilles Luquet. Force est de constater que cette théorie, outre l’opportunité qu’elle offre de résoudre les difficultés qu’engendre la traditionnelle opposition entre mode « indicatif » et mode « subjonctif », n’est pas « caduque » − pour reprendre l’avertissement de Guillaume − après l’examen de tous les exemples observés dans le corpus. Loin de là. Elle permet au contraire d’en rendre compte et de comprendre les mécanismes à l’œuvre dans le choix d’une forme ou d’une autre. Ce travail préalable de confrontation entre la théorie et les emplois effectivement observables n’est qu’une étape, mais nécessaire, un passage obligé, avant d’être en mesure de poser une théorie générale de la subordination.

419 Voir Les linguistes et la norme Aspects normatifs du discours linguistique. Présentation par Gilles Siouffi et Agnès Steuckardt, p. VIII.

Le système verbo-temporel de l’espagnol est la réponse sémiologique apportée par cette langue particulière à un phénomène universel : l’expérience humaine du temps. Au regard de l’infinie variété des expériences humaines, la langue espagnole propose un système simple et cohérent de formes pouvant revêtir chacune un grand nombre de cas d’emplois en discours, à la condition expresse que l’unité, le trait commun, se cache derrière cette multiplicité des emplois, la langue ne pouvant retenir qu’un certain nombre de conceptualisations.

Il est de bon ton de souligner, parfois, l’impossibilité de réduire la langue à une théorie et de faire des linguistes des penseurs sans preuve. Il existe pourtant un garde-fou, signalé en préambule à cette étude : « une observation rigoureuse du signifiant, observation qui, à mes yeux, est l’unique garde-fou de celui qui entend théoriser le langage : les hypothèses du linguiste, pour être autre chose que de simples spéculations, me semblent devoir être suggérées par la structure du signifiant et – surtout – corroborées par ce qui s’y trouve inscrit. »420

Il me semble en effet que le signifiant peut valoir comme preuve lorsqu’après avoir recherché et postulé un trait commun, un invariant, on est en mesure d’en vérifier toute l’utilisation effective (du moins une grande partie) par une démarche s’apparentant à une navette entre la langue, la compétence du locuteur, et les phrases. La théorie de Gilles Luquet offre tous les avantages de cette « linguistique du signifiant », et manifeste amplement tout l’intérêt que le linguiste-théoricien doit porter naturellement aux emplois de discours. « L’invariant n’est pas le graal de la linguistique... »421, j’ajouterais : ...d’inspiration guillaumienne, non plus.

420 G. Luquet, « De l’iconicité des morphèmes grammaticaux en espagnol », 2008a, à paraître.

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Dans le document La concordance des temps en espagnol moderne (Page 189-192)