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Conclusions intermédiaires

c) Le sursis extraordinaire

G. Conclusions intermédiaires

378. L’analyse détaillée des normes en matière d’indisponibilité des immeu-bles nous permet de formuler deux conclusions intermédiaires. La première a trait à la compréhension de ces dispositions affectant la disponibilité des im-meubles dans le sens d’un régime global, transposable dans chaque procédure d’exécution forcée (1.). La seconde, plus synthétique, concerne la portée de l’article 806 CC eu égard au droit de l’exécution forcée (2.).

1) La relecture des normes d’indisponibilité

379. L’examen des normes intervenant en matière d’indisponibilité des im-meubles met en lumière l’existence d’un régime qui repose sur deux axes : la perte du pouvoir de disposer et le régime général d’inopposabilité406.

380. La perte du pouvoir de disposer a pour conséquence que les actes par lesquels le débiteur dispose de ses biens sont nuls. La perte du pouvoir de dis-poser est clairement exprimée dans la saisie à l’article 96, alinéa 2, LP, par l’énonciation de sa conséquence. Dans la poursuite en réalisation de gage, non énoncée, elle résulte du transfert à l’office du pouvoir de percevoir les loyers et d’administrer l’immeuble. Dans la faillite, on en trouve l’expression à la note marginale de l’article 204 LP.

381. Le régime d’inopposabilité exprime le fait que les engagements ou les autres actes juridiques du débiteur ne sont pas opposables à ses créanciers.

Dans la faillite, l’article 204, alinéa 1, LP fonde un régime général d’inopposa-bilité. Dans l’exécution spéciale, des normes ponctuelles prévoient l’inopposa-bilité. Celle-ci découle dans la saisie de l’utilisation de l’annotation au registre foncier ; dans la poursuite en réalisation de gage, elle est prévue par l’article 806, alinéa 3, CC. Ceci étant, nous préconisons la généralisation du régime

405 MCF (1991), p. 222. SchKG III-CASATI-WEYERMANN, N° 6 ad Art. 337 LP ; GILLIERON III, N° 5 ad Art. 337 LP.

406 Voir, en Annexe I, le tableau récapitulatif des normes d'indisponibilité frappant l'immeuble dans les différents modes de poursuite.

d’inopposabilité dans l'exécution spéciale, de manière que l’ensemble des actes juridiques du débiteur soit appréhendé.

382. La gérance légale, en tant qu’elle prévoit le transfert pouvoirs d’admi-nistration à l’autorité sur l’immeuble, est une des composantes de l’indis-ponibilité. D’une part, elle fonde, lorsque les autres normes d’indisponibilité ne le font pas, la perte du pouvoir de disposer qui affecte le débiteur. D’autre part, en désignant des actes d’administration et non seulement des actes de disposition, elle fait naître la nécessité d’instaurer un régime général d’inopposabilité aux créanciers des actes juridiques accomplis par le débiteur.

383. Ce régime d’indisponibilité selon deux axes est commun à toutes les procédures d’exécution forcée. Evidemment, il faut tenir compte des particula-rités inhérentes à chaque mainmise officielle. Par exemple, la saisie réserve la bonne foi des tiers, permettant l'acquisition de bonne foi par eux de droits sur l’immeuble malgré la perte du pouvoir de disposer du débiteur, alors que la faillite ne le fait pas ; ou encore, la poursuite en réalisation de gage n’est pas incompatible avec un changement de propriétaire de l’objet du gage. Il n’en demeure pas moins que ces deux axes s’avèrent être des constantes dès que l’autorité met la main sur les biens du débiteur.

384. Un tel régime fondé sur deux axes et intervenant dès qu’il y a mainmise officielle s’explique et se justifie à plusieurs titres.

385. Tout d’abord, l’indisponibilité ainsi comprise est le miroir de notre sys-tème de droit privé de constitution, transfert et extinction des droits selon le principe de la causalité. D’une manière générale, les droits sont créés, transfé-rés ou éteints en deux temps : le processus d’acquisition suppose l’existence d’un titre d’acquisition, le plus souvent un acte générateur d’obligations, puis une opération d’acquisition, s’exprimant dans un acte de disposition suivi d’un acte matériel. Les deux axes de l’indisponibilité concernent ces deux opé-rations : la perte du pouvoir de disposer affecte la validité de l’acte de disposi-tion en tant qu’il sert à exécuter la constitudisposi-tion, le transfert ou l’extincdisposi-tion du droit. La règle d’inopposabilité concerne le titre d’acquisition, à savoir l’acte juridique par lequel naît la créance tendant à la constitution, au transfert ou à l’extinction du droit.

386. Ce système sur deux axes permet de concilier les intérêts divergents du débiteur et de ses créanciers. Par la perte du pouvoir de disposer, on évite qu’il soit effectivement porté atteinte à l’actif sous main de l’autorité, destiné à être réalisé au profit des créanciers. Avec son caractère relatif, l’inopposabilité tient compte du fait que le débiteur doit pouvoir continuer de s’engager, puisqu’il en conserve la capacité.

387. Les divergences de terminologie concernant l'énoncé de l’indisponibilité s’expliquent par des motifs historiques. En effet, la LP a été adoptée avant le Code civil. Elle ne pouvait donc pas, dans ses normes originelles qui subsistent

aujourd’hui (art. 96, al. 1, LP et 204, al. 1, LP), considérer la terminologie du Code civil, ni intégrer le système de constitution, transfert ou extinction des droits selon le principe de la causalité. Seul l’article 96, alinéa 2, LP, introduit en même temps que le Code civil, tend à harmoniser les deux lois, dans la me-sure où le législateur du droit des poursuites a entendu protéger les tiers de bonne foi acquérant des droits sur des biens saisis comme ils le sont dans le droit privé.

388. La construction que nous proposons se fonde essentiellement sur les normes existantes de la LP. Il manque cependant une base légale permettant d’asseoir un régime général d’inopposabilité dans l’exécution spéciale. Ceci étant, il n’est pas exclu que les juridictions puissent y parvenir par voie juris-prudentielle, un régime d’inopposabilité étant d’ores et déjà admis par les tri-bunaux sur la base de l’article 96, alinéa 2, LP.

389. Enfin, il est frappant de remarquer que la saisie et la faillite posent cha-cune un des piliers de l’indisponibilité, et omettent l’autre ou ne l’évoquent qu’imprécisément. En écho, doctrine et jurisprudence tendent à interpréter les normes à leur disposition de manière à pouvoir exprimer la dimension absente de la loi. Dans la saisie, l’article 96, alinéa 2, LP fonde la perte du pouvoir de disposer ; en jurisprudence et en doctrine, cette norme est comprise comme une norme d’indisponibilité. A l’inverse, dans la faillite, la lettre de l’article 204, alinéa 1, LP est l’expression de l’inopposabilité ; jurisprudence et doctrine y rattachent également, de facto, la perte du pouvoir de disposer.

2) La fonction de l’article 806 CC dans le processus d’indisponibilité

390. Avec l’extension du gage aux loyers, l’article 806 CC tend à favoriser le créancier gagiste. Les moyens utilisés à cette fin sont l’appréhension des loyers, leur affectation préférentielle et la règle d’inopposabilité aux créanciers gagistes d’actes accomplis par le débiteur sur les loyers futurs. En fonction de la procédure et du stade de celle-ci, l’article 806 CC peut, soit consister en une source d’indisponibilité à part entière, soit ne pas avoir de portée qui excède les conséquences énoncées par le droit de l’exécution forcée.

391. Dans la phase préliminaire de la poursuite en réalisation de gage, l’article 806 CC a un rôle constitutif en matière d’indisponibilité. En effet, l’immeuble n’est indisponible que dans l’hypothèse où le créancier gagiste poursuivant est au bénéfice de l’extension du gage aux loyers. Les articles 91 à 96 ORFI, qui posent l’interdiction de percevoir les loyers et d’en disposer et

instaurent la gérance légale, ne peuvent pas être mis en œuvre si les conditions de l’article 806 CC ne sont pas réalisées.

392. A l’inverse, dans la faillite, l’article 806 CC n’induit pas de conséquences propres. L’appréhension des loyers, leur affectation préférentielle et le régime d’inopposabilité découlent directement de la LP, indépendamment de la réali-sation des conditions de mise en œuvre de l’article 806 CC.

Partie 2 :