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a) Les actes de disposition interdits

136. Un acte de disposition est un acte juridique par lequel un droit subjectif est transféré, constitué ou éteint ; il diminue les actifs du patrimoine de celui qui dispose de son droit170. Cette définition générique regroupe les concep-tions de l’acte de disposition en droits réels et en droit des obligaconcep-tions. En droits réels, l’acte de disposition est considéré du point de vue de la volonté manifestée de son auteur : il s’agit de l’acte juridique par lequel le débiteur d’une obligation de transférer la propriété ou de constituer un droit réel sur une chose manifeste sa volonté de se dessaisir de la chose ou de la grever d’un droit réel limité171. En droit des obligations, l’acte de disposition est plus sou-vent défini en fonction des effets qu’il a sur le patrimoine du disposant : l’acte de disposition est l’acte juridique qui affecte directement et définitivement

168 « Der Schuldner darf bei Straffolgen (Art. 169 StGB) ohne Bewilligung des Betreibungsbeamten nicht über die gepfändeten Vermögensstücke verfügen. Der pfändende Beamt macht ihn darauf und auf die Straffolge ausdrücklich aufmerksam. »

169 Voir supra § 101.

170 VAN DE SANDT (2000), p. 19, 265. Voir également supra § 79.

171 DESCHENAUX (1983), p. 223 ; STEINAUER I (1997) p. 41 ; STEINAUER II (2002), p. 265.

l’existence ou le contenu d’un droit appartenant à son auteur ; celui-ci diminue son patrimoine en réduisant son actif172. L’acte de disposition ne déploie d’effets que si son auteur jouit du pouvoir de disposer173.

137. L’acte de disposition (« Verfügung ») est distingué de l’acte générateur d’obligations (« Verpflichtung »), qui a pour effet de créer un rapport de droits et obligations et de faire naître une créance ; avec celle-ci, le passif du bilan est accru d’une nouvelle dette174. Cette distinction entre « Verfügung » et « Ver-pflichtung » s’inscrit dans le fonctionnement global du système de constitution, transfert ou extinction des droits selon le principe de la causalité175.

138. En matière immobilière, les actes de disposition susceptibles de concer-ner l’immeuble sont en particulier la réquisition, faite par le propriétaire, de procéder à l’inscription du droit de propriété ou d’un autre droit réel sur l’immeuble, emportant le transfert de propriété, respectivement la constitution du droit176.

139. Dans sa jurisprudence ancienne relative à l’article 96 LP177, le Tribunal fédéral, suivi par la doctrine178, retenait l’acte de disposition dans son sens lit-téral de « Verfügung ». Par la suite, la portée de la notion d’acte de disposition a été élargie. Aujourd’hui, jurisprudence179 comme doctrine180 retiennent que l’interdiction de disposer exprimée à l’article 96, alinéa 1, LP a une large por-tée, qui dépasse la définition usuelle de l’acte de disposition. Les actes interdits décrits à l’article 96, alinéa 1, LP peuvent être tant des actes juridiques que des actes dits matériels, comme la destruction ou l’endommagement des biens matière immobilière, le principe de la causalité est codifié aux articles 965 et 656 CC, en relation avec l’article 974 CC. En matière mobilière, le principe prévaut également, bien que non codifié : ATF 55/1929 II 302, Grimm ; ATF 64/1938 II 284, Epting-Burkhart = JT 1939 I 99, et plus récem-ment ATF 121/1995 III 345, M. H. = JT 1997 I 39. BK-HAAB-SIMONIUS, N° 16ss ad Art 714 CC ; B A-KO-SCHWANDER, N° 3 ad Art. 714 CC ; TUOR/SCHNYDER/SCHMID (2000), p. 906. En revanche, la contro-verse subsiste s’agissant de la cession de créances : BK-BECKER, N° 1 ad Art. 164 CO ; BAKO -GIRSBERGER, N° 22ss ad Art. 164 CO ; ZK-SPIRIG, N° 37ss ad Vorbemerkungen zu Art. 164–174 CO ; SPIRIG (2000).

176 STEINAUER I (1997), p. 41, 188.

177 ATF 30/1907 II 155, Gewerbekasse Baden.

178 CURTI (1894), p 13. Voir également JAEGER, N° 4 ad Art. 96 LP, pour qui l’alinéa 2 de l’article 96 LP sert à préciser la portée de l’interdiction de l’alinéa 1.

179 ATF 120/1994 III 138, H.

180 AMONN/WALTHER (2003), p. 161 ; SchKG II-FOËX, N° 9 ad Art. 96 LP ; FOËX (2001), p. 8 ; F RITZ-SCHE/WALDER I, p. 358 ; GILLIERON II, N° 24 ad Art. 96 LP ; STOFFEL (2002), p. 137.

sis, d’une part ; d’autre part, parmi les actes juridiques interdits figurent non seulement les actes de disposition (« Verfügungen »), mais également les actes générateurs d’obligations (« Verpflichtungen »).

140. Si nous adhérons à l’extension de l’interdiction en ce qui concerne les actes matériels de disposition (i.), nous sommes d’avis que l’on ne peut pas faire entrer les actes générateurs d’obligations dans le champ des actes inter-dits par l’article 96, alinéa 1, LP (ii.). A l’appui de l’interprétation de l’une et l’autre de ces solutions, à défaut de pouvoir s’appuyer sur les travaux prépara-toires, il est essentiel de considérer le but poursuivi par la saisie : celle-ci, en tant que mainmise officielle, a pour fonction de préserver les biens du débi-teur, en valeur et en quantité, en vue de leur réalisation au profit des créan-ciers poursuivants ; en d’autres termes, il s’agit de préserver l’actif saisi.

i. Les actes de disposition matériels sont interdits

141. L’extension de l’interdiction de disposer aux actes matériels de disposi-tion, comme l’endommagement ou la destruction du bien saisi, contribue à préserver la substance de l’actif mis sous main de justice, au profit des créan-ciers saisissants. En effet, l’endommagement ou la destruction des biens saisis, en raison de la perte – partielle ou totale – de valeur qu'ils engendrent, ont pour effet diminuer d’autant le produit de leur réalisation, au détriment des créanciers saisissants.

142. En outre, cette interprétation élargie aux actes de disposition matériels permet d’accorder l’injonction du droit de l’exécution forcée avec la sanction pénale de l’article 169 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937181. En effet, cette norme a pour fonction de renforcer pénalement l’effectivité de l’inter-diction de disposer énoncée à l’article 96, alinéa 1, LP, en vue d’assurer la dis-ponibilité effective et intacte des droits mis sous main de justice au moment où ils devront être réalisés182. Or, les actes punissables définis par l’article 169 CP sont non seulement les actes de disposition sur des valeurs patrimoniales sai-sies, mais également leur endommagement, leur destruction, leur dépréciation ou leur mise hors d’usage183. Aussi, tous actes de ce type, ayant pour effet la

181 RS 311 ; « CP ».

182 HAUSER (1989), p. 50 ; JAQUES (2003), Rz 23. On parle dans ce cas d’hétéronomie : le droit pénal a pour fonction de sanctionner des normes préalables qui ressortissent à d’autres branches du droit ; la protection pénale apparaît alors comme accessoire (CASSANI (1988), p. 45). A propos de la place des incriminations hétéronomes et accessoires dans un système autonome de droit pénal, voir C AS-SANI (1988), p. 52. C’est une autre question que de savoir si, dans les faits, la menace d’une sanc-tion pénale force réellement au respect de la norme de droit des poursuites. En effet, le nombre de condamnations pour infraction à l’article 169 CP diminue de manière constante depuis quelques an-nées (source : BAKO-BRUNNER, « Kriminalstatistik » ad Art. 169 CP), ce qui nous pousse à nous inter-roger sur son efficacité.

183 Voir infra § 151–155.

diminution du produit de réalisation, doivent être compris dans l’injonction de l’interdiction de disposer.

ii. Les actes générateurs d’obligations ne tombent pas sous l'interdiction

143. En revanche, il n’existe à notre avis aucune raison objective d’étendre, contre la lettre de la loi, l’interdiction de disposer aux actes générateurs d’obligation.

144. En effet, l’acte générateur d’obligations, en faisant naître une dette à charge du débiteur, ne porte pas en soi atteinte à la substance des biens saisis ; seule l’exécution de l’engagement, donc l’acte de disposition, a une telle conséquence184. Il faut en outre considérer les droits que conserve le débiteur sur son patrimoine, malgré la saisie qui le frappe. Tant que dure la saisie, le débiteur conserve son droit de propriété sur les biens saisis185, et sa capacité civile n’est pas affectée : il conserve l’exercice de ses droits civils et demeure capable de conclure des contrats relatifs aux biens saisis186. Enfin, on ne trouve ni en jurisprudence, ni en doctrine de justification à l’appui de cette très large interprétation d’une notion juridique dont le sens est communément admis187 et dont l’homonyme est utilisé dans la version allemande de la loi. En revan-che, nous donnons ci-après dans l’exposé relatif à la norme pénale sanction-nant la transgression de l’injonction d’interdiction une explication à l’apparition de cette interprétation large de la notion d’acte de disposition188. 145. En résumé, nous sommes d’avis que sont touchés par l’injonction d’interdiction de disposer les actes de disposition juridiques, selon la défini-tion usuelle, de même que les actes de disposidéfini-tion matériels. Ces deux catégo-ries d’actes ont pour effet de porter atteinte à l’actif saisi, ce que tend à prohi-ber l’injonction du droit des poursuites.

184 Dans le même ordre d’idées, voir JAQUES (2003), Rz 7, pour qui un « acte de « disposition » sur un droit patrimonial mis sous main de justice ne peut conceptuellement viser qu’un acte en rapport avec l’actif (et non avec le passif) du débiteur ».

185 ATF du 10 décembre 2001 (5P.233/2001), D. et S. AMONN/WALTHER (2003), p. 160 ; COLOMBARA (1992), p. 345 ; FOËX (2001), p. 8 ; GILLIERON (2005), p. 179 ; VAN DE SANDT (2000), p. 218.

186 Art. 12 CC cum 17 CC. Voir en outre les états de fait à l’appui des ATF 110/1984 III 81, Banque M.

en liquidation concordataire = JT 1986 II 139, et ATF 99/1973 III 12, Ingenieurbüro R. Lampert-Brändli ; RNRF 57/1976 360 (AS/FR). AMONN/WALTHER (2003), p. 161 ; COLOMBARA (1992), p. 346–

347 ; VALLAT (1998), p. 89 ; VAN DE SANDT (2000), p. 217.

187 Voir supra § 79, 136.

188 Voir infra § 152–153.