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Conclusion quant à l’allongement de la durée des segments

RECUPERATION DE CES INDICES

3.3. Conclusion quant à l’allongement de la durée des segments

Contrairement à ce qui est classiquement observé dans la littérature, le ralentissement du débit de parole dans le bruit n’est pas entièrement corrélé à l’amplification des gestes articulatoires même s’il l’accompagne. On observe effectivement que cet allongement des syllabes correspond pour 2 locutrices sur 3 à une augmentation de la durée durant laquelle les cibles articulatoires et formantiques sont atteintes, et peuvent être perçues par l’interlocuteur. Pour 2 autres locutrices sur 3, le ralentissement du débit est lié à une augmentation de la durée des transitions vocaliques. Certains auteurs soutiennent l’hypothèse que les indices de perception des voyelles soient davantage dynamiques que statiques, et que les transitions formantiques participent en cela de façon déterminante à l’identification des unités phonétiques (Browman et al. 1989 [35] ; Carre et al. 2000 [44]). De même, certaines études ont montré que les transitions formantiques contribuent à l’identification des consonnes occlusives, et peuvent même suffire en l’absence de plosion (Ohde 1988 [259]). Il est donc envisageable que ces transitions soient renforcées dans le bruit pour compenser le fait que le bruit de plosion est plus susceptible d’être masqué par le bruit.

Dans le cas de la parole claire comme dans celui de la parole Lombard, le ralentissement du débit n’est pas uniforme mais dépend des phonèmes (Kim 2005 [180], Castellanos et al. 1996 [46], Junqua 1993 [171], Picheny et al. 1985 [269]), ce qui argumente également en faveur de l’existence d’une

136B3. ALLONGEMENT DU TEMPS DE PRODUCTION OU DE RECUPERATION DE CES INDICES

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stratégie de renforcement des caractéristiques acoustiques ou visuelles d’identification des unités phonétiques et de leur temps de récupération par l’interlocuteur.

Enfin, le ralentissement du débit de parole ne consiste pas seulement en un allongement des phonèmes mais également en l’insertion de pauses. Nous examinerons dans le chapitre suivant comment le ralentissement de la parole peut également contribuer à un renforcement des indices prosodiques de structuration de l’énoncé.

4. CONCLUSION DU CHAPITRE 7

Nous avons vu au cours de ce chapitre que l’élévation du premier formant contribue chez certains locuteurs à une meilleure distinctivité auditive des voyelles ouvertes par rapport aux voyelles fermées selon la dimension (F1-F0), pouvant expliquer l’intelligibilité accrue de la parole Lombard rapportée dans des études antérieures (Junqua 1993 [171]). Cependant, la distinctivité acoustique des voyelles tend plutôt à être réduite par rapport au 2ème et au 3ème formant, si bien qu’il semble que les modifications formantiques observées dans le bruit soient davantage à l’augmentation de l’effort vocal qu’à une recherche de « prototypage » des voyelles.

L’adaptation articulatoire au niveau du mouvement des lèvres contribue également à une meilleure distinctivité visuelle des voyelles dans le bruit ainsi qu’à un renforcement des indices de reconnaissance des consonnes bilabiales. Contrairement à l’évolution des formants, toutes les adaptations articulatoires ne semblent pas pouvoir être totalement expliquées par une augmentation de l’effort vocal : c’est le cas en particulier de l’augmentation du contraste visuel selon la dimension de protrusion ou d’arrondi labial, ainsi que de l’augmentation du pincement des lèvres sur les consonnes bilabiales. Il semble donc exister une stratégie de renforcement des indices visuels de reconnaissance et de discrimination des unités phonétiques dans le bruit.

Nous avons proposé dans ce chapitre l’hypothèse que les adaptations formantiques et articulatoires ne soient pas seulement liées à des stratégies de renforcement de l’intelligibilité mais résultent d’un compromis entre le gain d’intelligibilité apporté par l’augmentation de l’intensité vocale et au contraire à la perte d’intelligibilité que cette stratégie principale peut engendrer au niveau de la réalisation des unités phonétiques. Les résultats que nous observons ici semblent montrer que ce compromis peut être trouvé grâce à la complémentarité des indices audio et visuels. Certaines voyelles, telles que le [u] sont davantage affectées que d’autres par l’adaptation acoustique de la parole dans le bruit, mais leur intelligibilité visuelle est au contraire conservée ou renforcée. A l’inverse, certaines voyelles telles que le [a] et le [i] sont autant, voire moins discriminables visuellement dans le bruit que dans le silence, tandis que leur distinctivité acoustique augmente dans le bruit. L’étude de la parole Lombard comme un type de parole compensatoire, non pas en réaction au bruit ambiant, mais aux perturbations qu’induisent la nécessiter de parler plus fort, serait intéressante à mener plus en détail dans des travaux futurs. En particulier, il serait nécessaire de prolonger cette première exploration par l'analyse des mouvements linguaux pour déterminer s’il existe des adaptations au niveau de la langue, notamment pour les voyelles arrondies, afin de compenser l’augmentation de l’ouverture de la mâchoire liée à l’augmentation de l’intensité vocale.

Enfin, nous avons également montré dans ce chapitre que le ralentissement de la parole dans le bruit ne semble pas être corrélé à l’amplification des gestes articulatoires. Il contribue en revanche à un allongement du temps durant lequel les indices statiques ou dynamiques d’identification des voyelles ou des consonnes bilabiales peuvent être récupérés par l’interlocuteur. Dans ce travail, nous avons laissé de coté la vitesse des mouvements articulatoires car nous avons observé que les pics de vitesse des mouvements labiaux, reliés à la force des mouvements articulatoires, n’évoluent pas de façon significative avec le bruit (cf. chapitre 5). Il serait cependant intéressant d’examiner plus en détail les courbes de vitesse et d’accélération des mouvements labiaux. Selon Roy 2005 [294], ces paramètres seraient en effet utilisés par l’interlocuteur pour focaliser son attention sur les instants où le locuteur atteint des cibles articulatoires. On peut donc faire l’hypothèse que le locuteur renforce ces indices dans le bruit si le ralentissement du débit de parole est pour lui une stratégie visant à faciliter la récupération des indices phonétiques par l’interlocuteur.

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Chapitre 8 :

Une adaptation visant à

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