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L’évaluation de ces stratégies de gestion par l’adéquation de l’effort aux exigences de la situation de communication

2. E TAT DES CONNAISSANCES SUR LE FORÇAGE VOCAL Après avoir tenté de mieux cerner le concept de forçage, nous allons maintenant nous intéresser à

3.5. L’évaluation de ces stratégies de gestion par l’adéquation de l’effort aux exigences de la situation de communication

Nous avons envisagé jusqu’à maintenant les stratégies individuelles de gestions de l’effort comme des configurations laryngées, articulatoires ou posturales différentes pour parvenir à un résultat semblable. Mais quel est au plus précisément ce « résultat » ? Dans la majorité des études sur l’efficacité vocale, ce résultat est objectivé par l’intensité du son produit, ou par son contenu spectral. Cependant, le but final de l’enseignant ou du vendeur sur un marché, lorsqu’ils forcent sur leur voix, est-il de « produire un son » ? En réalité, leur but est plus large et consiste à communiquer un message au travers de ce son. Leur production ne consiste donc pas seulement à générer des sons vocaux mais plus globalement de la parole, à l’attention d’un ou de plusieurs destinataires.

Cette finalité de la production vocale est complètement occultée de la littérature et des protocoles d’étude du forçage vocal. Nous faisons au contraire l’hypothèse dans ce travail que la communication est la clé de voûte du problème du forçage vocal. En effet, l’humain est par nature économe vis à vis de son énergie. C’est la motivation à obtenir quelque chose d’important pour lui qui peut le pousser à faire des efforts. Dans notre cas, le locuteur va fournir un effort (et non le subir), dans le but d’être compris ou de faire passer une émotion à un auditeur. Mais son objectif premier, au-delà de transmettre un message, est avant tout de provoquer chez l’interlocuteur, par la signification de ce message, une conduite désirée (Bougnoux 2002 [33]). Sa gestion de l’effort ne s’arrête donc pas à adopter telle ou telle configuration corporelle pour optimiser l’efficacité de la production, mais consiste également à adapter son effort aux exigences de la situation de communication, en particulier aux exigences d’intelligibilité lors de la communication parlée (théorie hypo-hyper (H&H) de Lindblom 1990

[217]). Ainsi, on aura davantage tendance à articuler en parlant à un bébé ou à une personne de langue étrangère, ou encore à davantage crier en parlant à une personne un peu sourde. De même, Le Huche 1984 [202] propose une typologie des comportements vocaux allant dans le sens d’une adaptation de l’effort vocal au degré de persuasion recherché par le locuteur. Ainsi, ce qu’il nomme la « voix d’expression simple » et la « voix projetée » se distinguent selon lui par le fait que la première n’attend pas de réaction de la part de l’interlocuteur (parler tout seul, faire un commentaire,...) tandis que la deuxième appelle une réponse ou un comportement de la part du destinataire (question, ordre,…). Dans ce cas, une absence de réaction de l’interlocuteur peut entraîner l’utilisation de la « voix d’insistance », caractéristique selon lui du forçage vocal.

Le locuteur ne se contente donc pas de gérer un effort qui lui serait imposé, mais régule lui-même cet effort par rapport à la situation de communication, en effectuant un compromis permanent entre le

désir d’être compris et d’agir sur son interlocuteur, et la minimisation de l’énergie dépensée pour y parvenir (cf. Figure 9). Le forçage vocal pourrait alors consister chez certains locuteurs en un dysfonctionnement de cette régulation, les menant à surestimer l’effort nécessaire pour être compris dans une situation donnée. Cette surestimation pourrait provenir d’une mauvaise évaluation de la situation de communication ou d’une sous-estimation de leur propre intelligibilité. La prédisposition des personnalités extraverties vis à vis du forçage vocal (Roy et al. 2000 [295] ; Giovanni 2007 [114]), de même que des personnes ne prêtant pas attention aux signes de fatigue ou de douleur, va tout à fait dans le sens de cette hypothèse.

Figure 9. Deuxième réadaptation de la modélisation du forçage vocal (dans la continuité des Figure 4 et Figure

6), à la fois comme une mauvaise gestion de l’effort par le système-locuteur (corps + cognition), mais également comme une régulation de cet effort vocal par rapport aux exigences d’intelligibilité de la situation de communication. L’entrée du système, subie par le locuteur, n’est alors plus l’effort vocal mais la situation de communication.

De ce point de vue, plusieurs techniques vocales peuvent être considérées comme efficaces vis-à-vis de la communication : Les formants du chanteur et de l’acteur, correspondant à renforcement énergétique du spectre dans la zone sensible de l’oreille (Sundberg 1972 [337] ; Bele 2006 [23]), permettaient de faire émerger la voix au milieu d’un orchestre ou de la porter à distance, sans pour autant augmenter l’intensité vocale globale. De même, une augmentation de la précision articulatoire peut accroître considérablement l’intelligibilité. Mais surtout, d’autres techniques de communication non vocales peuvent participer à l’efficacité de la communication : le prototypage articulatoire ou l’utilisation du langage des mains peuvent également servir à l’interlocuteur d’un point de vue visuel pour compléter l’information auditive ( Benoit et al. 1994 [24] ; Schwartz et al. 2004 [309]), et ainsi peut-être permettre au locuteur de réduire son effort au niveau acoustique. Par ailleurs, la capacité à développer sa présence et à gérer les tours de parole dans une conversation peut éviter au locuteur de faire des efforts intenses uniquement pour prendre la parole. Enfin, la concision, ou l’art d’exprimer une idée en peu de mots, peut également rentrer dans les stratégies d’efficacité de communication. Ces réflexions nous amènent à formuler l’hypothèse qu’il existe des stratégies linguistiques pour communiquer dans certaines situations de communication adverses et qu’elles participent au même titre que d’autres stratégies physiologiques ou acoustiques, à la gestion de l’effort vocal et par conséquent au forçage vocal ou à sa prévention. Cela nous amènera à étendre notre champ disciplinaire de l’acoustique aux sciences du langage, et à la phonétique en particulier.

Enfin, plusieurs situations de communication sont recensées dans la littérature comme des facteurs prévenant ou favorisant le forçage vocal. Certaines professions dont la voix est un outil de travail sont en effet considérées comme « à risque » vis à vis du forçage vocal : les enseignants (Rantala et al. 1999 [280] ; Sodersten et al. 2002 [321]), les instructeurs d’aérobic (Long et al. 1998 [225]), les instructeurs de l’armée (Mann et al. 1999 [232]), les opérateurs de renseignements téléphoniques ou de télémarketing (Lehto et al. 2003 [206])ou encore les chanteurs et acteurs professionnels (Kitch et al. 1994 [181]). De même, la présence de bruit ambiant, l’éloignement de l’interlocuteur, une mauvaise acoustique de salle ou l’absence d’amplification de la voix (Long et al. 1998 [225]) sont considérées comme des facteurs de forçage. Toutes ces situations ne sont pas pour nous des « facteurs » mais l’entrée même du système de forçage(cf. Figure 9), qui oblige le locuteur à augmenter son effort vocal en adaptation à la situation de communication, dans le but de se faire comprendre par un interlocuteur

3. POSITIONNEMENT ET HYPOTHESES DE NOTRE TRAVAIL

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dans une situation extrême, ou dans le but de tenir un engagement professionnel, malgré les signes de fatigue qu’il peut ressentir.

Nous avons alors cherché à recenser les différentes situations de communication pouvant pousser le locuteur à adapter son effort et l’amener à éventuellement forcer sur sa voix. Les 21 personnes interrogées quant à leur conception du forçage vocal (cf. paragraphe 1) ont également répondu à la question « pouvez vous citer des situations de forçage vocal ? ». Le détail des réponses est consultable en Annexe Res1.

Parmi les situations citées, 1% représentent des prises de parole en posture inconfortable et 11% des situations de trouble émotionnel inhibant (trac, timidité), tandis que 88% représentent des situations d’effort vocal (cf. Figure 11). Cet effort est induit à 8% (des 88%) par une mauvaise acoustique de salle (amphithéâtre, plein air), à 12% par l’usage d’une hauteur de voix inhabituelle (principalement dans le chant), à 19% par un

usage prolongé de la voix (enseignement la plupart du temps) et à 53% pour un usage de la voix à forte intensité (cf. Figure 11).

Enfin, l’usage de la voix forte ou criée est exigé dans 3% des cas (des 53% précédents) par une situation d’urgence (avertissement, demande d’aide), dans 3% par l’éloignement de l’interlocuteur, dans 13% par une émotion (colère, excitation, joie) et dans 63% par la présence de bruit ambiant (salle de classe, lieux public de divertissement, usine, milieu urbain et transports en commun) (cf. Figure 11).

Figure 11. A gauche, répartition des différentes situations d’effort vocal. A droite, répartition des différentes

situations d’usage de la voix à forte intensité.

Figure 10. Occurrence des trois principaux types

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