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Caractérisation des conséquences d’un effort vocal progressif

2. E TAT DES CONNAISSANCES SUR LE FORÇAGE VOCAL Après avoir tenté de mieux cerner le concept de forçage, nous allons maintenant nous intéresser à

2.3. Un forçage défini par ses conséquences, mais observé à plusieurs niveaux de temporalité et de causalité

2.3.1. Caractérisation des conséquences d’un effort vocal progressif

De nombreuses études se sont donc intéressées à caractériser les conséquences d’un effort vocal sur le larynx, sur le son produit ou sur le ressenti du locuteur, à différentes étapes temporelles du cycle de forçage. Cette façon d’aborder l’étude du forçage vocal est en grande partie associée au domaine phoniatrique et à la nécessité de trouver des critères objectifs de diagnostic du forçage vocal.

Un premier niveau de ce cycle de forçage peut correspondre à un effort prolongé ponctuel, et être modélisé sous forme d’un continuum de différents stades, tel que le propose Vintturi 2001 [368] : Tout d’abord un stade d’échauffement vocal, non pas préalable à l’effort, mais qui en constitue la phase initiale où des changements rapides vont se produire (§ 2.3.1.1). Puis un premier pallier dans l’effort vocal où apparaissent des premiers symptômes et signes de fatigue (appelé « Early stage of vocal loading » par Vintturi 2001 [368]). Vient ensuite un stade de fatigue vocale durant lequel les symptômes se développent (§ 2.3.1.2).

Cet effort ponctuel va être suivi d’un temps de récupération et de repos vocal, conduisant à la disparition ou la persistance des symptômes (§ 2.3.1.3)..

Enfin, un deuxième niveau du cycle de forçage correspond à une répétition de ces efforts ponctuels en une alternance d’efforts prolongés et de repos vocal. En l’absence de récupération vocale et de résorption des symptômes, ceux-ci peuvent se développer et s’installer de façon durable, en dehors de ce cycle d’efforts (§ 2.3.1.3). Ces symptômes représentent un niveau de gravité différent de ceux consécutifs à un effort ponctuel, bien qu’ils appartiennent à un même continuum de dégradation de la voix au niveau organique et sonore (cf. Figure 5), et qu’ils puissent partager des caractéristiques perceptives ainsi que des méthodes pour les évaluer.

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Figure 5. Représentation du cycle de forçage vocal comme imbrication des cycles d’effort prolongé et

d’effort répétitif. Les différents stades d’un effort prolongé forment un continuum depuis l’échauffement vocal à la fatigue vocale, en intégrant l’adaptation à la fatigue. Le cycle d’efforts répétitifs consiste en une alternance de ces efforts prolongés avec des phases de repos vocal. La non-récupérationn de la fatigue vocale passagère peut entraîner un passage à une fatigue vocale chronique.

2.3.1.1. Conséquences d’un échauffement vocal

Les phénomènes physiologiques mis en jeu dans l’échauffement vocal ne sont pas encore totalement connus. Certains auteurs ont avancé que l’augmentation de la température des muscles serait accompagnée d’une diminution de la viscosité des cordes vocales, augmentant par conséquent la mobilité des cordes vocales (Safran et al. 1989 [298]). D’autres se sont également intéressés aux changements intervenant au niveau de la circulation sanguine ou des gestes respiratoires (Titze 1984 [350])

La majorité des études relatent que le locuteur se sent plus alerte et que sa voix est plus stable après un échauffement vocal. Cela est tout à fait logique puisque la fin de l’étape d’échauffement vocal est définie dans la plupart des études par un ressenti positif de la part des locuteurs ou chanteurs. Par contre, la caractérisation acoustique ou glottique des effets de l’échauffement vocal n’est pas toujours positive (Vintturi 2001 [368]). Au niveau glottique, Laukkanen et al. 1996 [199] observent que l’activité musculaire laryngée décroît au bout de quelques minutes d’exercices vocaux simples, la résistance glottique diminue, accompagnant une augmentation du débit glottique (Laukkanen et al. 1996 [199]). Elliot et al. 1995 [82] constatent également que le seuil de phonation (PTP) varie significativement avec l’échauffement vocal, mais de façon différente selon les individus. Laukkanen et al. 1996 [199] observent également que la pente spectrale devient moins raide, le rapport signal sur bruit augmente, en rapport avec la perception d’une voix plus solide, moins dure. Enfin, Neils et al. 1987 [252] ; Rantala et al. 2002 [281] ; Laukkanen et al. 1996 [199] ne constatent pas d’effet de l’échauffement vocal sur l’intensité et la F0, quand au contraire Sihvo et al. 1996 [317] observent une augmentation de l’étendue vocale.

La limite principale de ces caractérisations réside dans la définition problématique de la fin de l’échauffement vocal. Un temps fixe valable pour tous les locuteurs serait aberrant du fait des différences interindividuelles de résistance vocale. Mais un degré de ressenti subjectif par le locuteur nous semble également problématique du fait que l’estimation de la gêne ou de la douleur est très variable selon les personnes, et que le forçage vocal consiste peut être justement en une sous-estimation de la douleur ou de la fatigue par les locuteurs.

2.3.1.2. Conséquences d’un effort important ou prolongé ponctuel

L’évaluation subjective de la fatigue vocale par les locuteurs eux-mêmes a fait l’objet de plusieurs études (Buekers 1998 [38] ; Gotaas et al. 1993 [117] ; Rantala et al. 1999 [280] ; Kitch et al. 1994 [181] ; Kostyk et al. 1998 [186]). Ces symptômes sont de trois ordres :

- tout d’abord, il s’agit de douleurs ou de gênes : irritation, sécheresse, picotements, brûlures ou sensation de serrage au niveau de la gorge, douleurs dans le dos, la nuque et les épaules, maux de tête, douleurs au niveau de la mâchoire, aphonie ou voix qui s’enroue.

- les symptômes de la fatigue concernent également une perte de contrôle de la voix : difficulté à maintenir l’intensité, manque de contrôle du souffle (Koufman et al. 1988 [187]), difficultés à maintenir une F0 basse (Stemple et al. 1995 [329]) et à maintenir une hauteur stable tout court (Kitch et al. 1994 [181] ; Smith et al. [320])

- enfin, la fatigue peut être générale, s’accompagnant d’une chute du moral, d’ennui ou de problèmes de concentration.

L’évaluation perceptive de la fatigue vocale par l’auditeur est également très importante à des fins de diagnostic. Ainsi, Stemple et al. 1995 [329] ont rapporté un manque de modulation de la voix en situation de fatigue, et introduisent l’idée de « monopitch » pour décrire une intonation qui devient monocorde. Au niveau du timbre, la voix peut devenir soufflée (Stemple et al. 1995

[329]), rauque, tendue, dure ou criarde, et instable. L’échelle GRBAS d’évaluation des voix pathologiques est controversée mais beaucoup utilisée pour caractériser la fatigue vocale d’un point de vue perceptif (Hirano 1981 [147] ; Dejonckere et al. 1993 [64]). Cette échelle comprend 5 paramètres et 4 niveaux de graduation (de 0, pour une voix « normale » à 3, pour une altération sévère). L’échelle G (pour « Grade ») permet d’évaluer l’impression générale d’anormalité de la voix. L’échelle R (pour « Rough »), évalue la raucité et l’instabilité de la voix en fréquence et amplitude. L’échelle B (pour « Breathy »), évalue le caractère soufflé de la voix, ses fuites d’air. L’échelle A (pour « Asthenic »), concerne le manque de puissance ou d’harmoniques élevées de la voix. Enfin, l’échelle S (pour « Strain ») évalue le caractère forcé et hyperfonctionnel de la voix.

Au niveau acoustique, ces modifications de qualité vocale se traduisent par une augmentation de l’intensité vocale (Gelfer et al. 1991 [111] ; Vilkman et al. 1999 [367] ; Buekers 1998 [38] ) ainsi que de la fréquence fondamentale moyenne au bout d’une heure de phonation en moyenne (Rantala et al. 1999 [280] ; Gelfer et al. 1991 [111] ; Stemple et al. 1995 [329]). Le seuil de phonation (PTP) augmente également, mais seulement après au moins 2h de phonation (Maclagan et al. 2004 [227]). L’ambitus de F0 et la dynamique d’intensité diminuent pour la plupart des chanteurs, mais s’étend pour quelques-uns uns (Kitch et al. 1996 [182]). Enfin, le jitter et le shimmer évoluent de façon différente selon les études (Rantala et al. 1999 [280] ; Kitch et al. 1996 [182] ; Stemple et al. 1995 [329] ; Mann et al. 1999 [232] ; Gelfer et al. 1991 [111]). La phonation devint globalement plus pressée, allant vers l’hyperfonction (Lauri et al. 1997 [201] ; Vilkman et al. 1997

[366] ; Vilkman et al. 1999 [367]). Ainsi, la fermeture des cordes vocales devient plus abrupte (Vilkman et al. 1999 [367] ; Vintturi 2001 [368]), et l’énergie des harmoniques de la voix augmente (Rantala et al. 1998 [279] ; Kitch et al. 1996 [182]). A noter que certaines études ne trouvent pas de changements significatifs après un usage prolongé (Verstraete et al. 1993 [364] ; Neils et al. 1987

[252]. ; Novak et al. 1991 [257] ; Buekers 1998 [38])

Au niveau physiologique, la façon dont vibrent les cordes vocales se modifie au bout de seulement 15 min d’effort vocal (Linville 1995 [222]), mais avec une très grande variabilité interindividuelle. Stemple et al. 1995 [329] observent également par vidéostroboscopie l’apparition de fentes glottiques antérieures après une tâche d’effort chez 6 sujets sur 10. L’observation clinique montre souvent une irritation de la muqueuse laryngée, ainsi qu’une élévation de la viscosité et de la raideur des cordes vocales, pouvant être accompagnée d’œdèmes.

La comparaison de ces différentes études est assez difficile du fait que les tâches d’effort imposées aux sujets sont très variables (cf. Tableau1 de l’annexe Bib1). Les différents auteurs semblent considérer toute tâche d’effort comme équivalente, du moment où elle pousse le système à générer des symptômes. Cela nous semble poser plusieurs problèmes :

- tout d’abord cela semble sous-entendre que les symptômes sont induits par L’effort ou LE forçage en général, et ne sont pas spécifiques d’UN effort ou d’UN forçage en particulier. Pourtant, le manque de résultats significatifs de certaines études et la grande variabilité des résultats d’une étude à l’autre ont motivé certaines études à comparer l’influence de la tâche d’effort vocal sur l’importance et la rapidité d’apparition des symptômes (cf. § 2.3.3.). A notre connaissance, aucune étude n’a exploré s’il existait une différence de nature des symptômes selon la tâche d’effort effectuée. Pourtant, le fait de parler fort ou aigu ne fait pas subir les mêmes tensions ou traumatismes aux cordes vocales. Il ne nous semble donc pas évident que toutes les tâches d‘effort conduisent aux mêmes conséquences pour la voix.

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- par ailleurs, cela semble considérer la fatigue vocale comme un état « stable » une fois qu’il est atteint ou du moins comme un état qui évolue dans le prolongement de l’échauffement et de l’effort. Pourtant, les conséquences générées par le système « en forçage » ne lui sont pas extérieures mais l’affectent lui-même. Aussi, il faudrait tenir compte d’une rétroaction des symptômes sur le système, influençant l’aggravation de ses symptômes, ou l’apparition de nouveaux symptômes (cf. Figure 4). Et dans une conception du forçage où le locuteur ne se contente pas que de subir l’effort, on peut penser, comme Stemple et al. 1995 [329] le suggèrent, que les locuteurs s‘adaptent à la fatigue (cf. Figure 5) en effectuant des ajustements vocaux subtils compensatoires qui pourraient réduire ou au contraire augmenter l’aggravation des symptômes. Cette idée de surenchère ou de manque d’attention aux signes de fatigue est également souvent évoquée dans la littérature ou dans les définitions du malmenage vocal de notre questionnaire (cf. § 1.2.4). Pour autant, elle n’a à notre connaissance jamais été caractérisée expérimentalement ni prise en compte dans les protocoles d’études de la fatigue vocale. Pour revenir à notre propos, ces réflexions impliquent que lorsqu’on observe le comportement vocal à un unique stade de la fatigue vocale, il est possible que les symptômes que l’on croit caractériser du forçage vocal correspondent en fait à un comportement compensatoire d’adaptation à ces symptômes. 2.3.1.3. Conséquences d’un repos vocal après un effort important ou prolongé

Les études ayant étudié les effets d’une pause vocale (Rantala et al. 1999 [280] ; Neils et al. 1987 [252] ; Vilkman et al. 1997 [366] ; Lauri et al. 1997 [201] ; Sherman et al. 1962 [313]) montrent des résultats divergents, mais aussi que des groupes d’individus réagissent de façon contraire, certains montrant une amélioration de la voix après une pause vocale quand d’autres au contraire ressentent une aggravation de la gêne.

2.3.1.4. Conséquences d’un effort important ou prolongé répété

L’évaluation de la sévérité d’une dysphonie a motivé la création de plusieurs questionnaires d’évaluation subjective par le locuteur de ses symptômes. Le « Voice handicap index » (ou VHI) a été introduit par Jacobson et al. 1997 [165]. Il consiste en une trentaine de questions concernant le ressenti du locuteur, ses symptômes et ses habitudes de vie. Les dix questions ayant montré le plus de corrélation avec une description acoustique et clinique de la voix ont été retenues pour former le VHI. Le Voice-Related Quality of Life (V-RQOL) consiste de la même façon en une dizaine de questions physiques et socio-émotionnelles (Hogikyan et al. 1999 [150]). Rantala et al. 1999 [280] a également mis au point un questionnaire sur la gêne ressentie par les locuteurs et leur fréquence.

Au niveau de la qualité vocale, la perception d’une fatigue chronique peut être comparable à celle d’une fatigue passagère (raucité, dureté, souffle, instabilité…). Les voix dysphoniques sont également évaluées à l’aide de l’échelle GRBAS (Hirano 1981 [147]).

Au niveau acoustique, Rantala et al. 1999 [280] ont réussi à corréler la sévérité des symptômes ressentis par les locuteurs à l’augmentation de la F0 moyenne, de l’intensité, du Jitter et du Shimmer, ainsi qu’à la réduction de l’écart type en fréquence et en intensité. Eustace et al. 1996

[85] ont également montré sur des patients un débit d’air élevé et un temps de phonation maximum réduit. Aronsson et al. 2005 [12] ont aussi observé une pression sous-glottique plus importante chez les sujets dysphoniques. Enfin Eustace et al. 1996 [85] ont mis en évidence des modes de vibration laryngée particuliers chez les sujets dysphoniques, présentant une fente glottique antérieure et/ou postérieure, ou encore en « fermeture-éclair ». Morrison 1997 [246] définit également plusieurs modes vibration des cordes vocales dans son essai de classification des dysphonies. Enfin, Mann et al. 1999 [232] observent également par vidéostroboscopie une augmentation des irrégularités sur le bord des cordes vocales après 5 jours d’efforts excessifs, des oedèmes et une réduction significative de l’amplitude de vibration.

La dysphonie se concrétise malheureusement bien souvent par des lésions organiques observables lors d’un bilan clinique (Giovanni 2006 [113]). Les principales lésions observées sont les nodules. Il s’agit d’un épaississement de la muqueuse semblable à la corne que pourrait présenter un ouvrier là où il tient son outil (Ormezzano 2000 [262]), détecté chez 9 à 13 % des enseignants. Viennent ensuite les polypes, correspondant à une lésion de la corde vocale en

dessous de la muqueuse. Elle survient chez des locuteurs qui utilisent le 1er mécanisme laryngé avec une pression d’accolement importante.

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