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Conclusion de la première partie

Cette partie avait pour objectif de comprendre l’introduction des primes au mérite dans la fonction publique. Au-delà de la critique théorique du mode de détermination de la rémunération dans la fonction publique, deux raisons principales nous permettent d’expliquer la volonté d’introduire davantage de modulation dans la rémunération des fonctionnaires.

La première raison de l’introduction des primes au mérite ne réside pas tant dans la critique du modèle bureaucratique d’organisation et de rémunération que dans l’application de ce modèle. En effet, nous avons vu que la notion de mérite n’était pas absente du statut de la fonction publique. La valeur professionnelle détermine en principe le rythme de carrière des agents. Pour autant, il apparaît une certaine insatisfaction des agents à l’égard de leur carrière. Comme le notent C. Desmarais et S. Guerrero (2004, p. 211), « les fonctionnaires sont perçus comme bénéficiaires de progressions automatiques de carrière, alors qu’en retour ils seraient peu performants (voire incompétents) et peu motivés par leur travail. Mais le système de la carrière dans les organisations publiques fait aussi l’objet de représentations positives, liées au fait qu’elle a été un formidable moteur d’ascension sociale pendant une partie du XXe siècle. Pourtant, ce moteur semble aujourd’hui enrayé : les rapports et les enquêtes sociales soulignent les effets contre-performants de la carrière publique ; ils indiquent une insatisfaction presque chronique en matière de carrière ».

Le problème réside en grande partie dans l’insuffisante prise en compte de la valeur professionnelle dans la carrière, malgré la mise en place de procédures d’avancement au choix. Dans le cas, par exemple, des professeurs certifiés, le déroulement de carrière d’enseignants qui progressent exclusivement au grand choix se fait sur 20 ans, contre 30 ans pour ceux qui progressent exclusivement à l’ancienneté. Pour autant, si de telles procédures en fonction de la valeur professionnelle sont prévues, leur application est aléatoire et parfois

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remise en question au bénéfice de l’ancienneté. Ainsi, le constate le Conseil d’Etat (op. cit., p. 245) : « les avancements (…) n’échappent que difficilement à la pesanteur de l’ancienneté », la notation « qui pourtant absorbe l’énergie des gestionnaires du haut en bas de l’échelle pendant de long mois (…) débouche sur des notes chiffrées dont l’éventail est des plus réduits, ainsi que sur des appréciations écrites sur la valeur des agents à ce point chantournées qu’il faut des talents d’exégète pour discerner dans les nuances de l’éloge la réalité d’un jugement critique ». Dans l’enseignement supérieur, par exemple, l’avancement au choix, quant à lui, a été complètement abandonné en 1984 et a ainsi laissé place à l’ancienneté. Par ailleurs, le système de promotion sur épreuves peut entraîner des effets pervers dans la mesure où il est susceptible de conduire certains fonctionnaires à délaisser quelque peu leur travail pour se consacrer davantage à la préparation de concours (Durvy, 1978, p. 30). Dans ce contexte, l’effort effectué par l’agent lors de la préparation des concours s’avère de fait mieux récompensé que l’effort dans le travail.

Si la carrière ne permet pas de reconnaître le mérite, celui-ci devrait alors être pris en compte dans la rémunération.

La deuxième raison de l’introduction des primes au mérite, certainement soutenue par la première, réside dans la crise de légitimité de la fonction publique dans un contexte budgétaire difficile. La société est devenue particulièrement attentive aux deniers publics et la fonction publique est ainsi de plus en plus tenue à rendre compte de ses actions et de ses résultats. Le titre du rapport remis en 1999 à L. Fabius « contrôler plus pour dépenser mieux » illustre cette logique. La LOLF impose en effet aux gestionnaires de rendre compte de leurs actes et renforce la transparence et le contrôle des comptes des différentes administrations.

Cette logique est en outre descendante, on demande aux administrations de rendre compte de leurs résultats au Parlement et aux citoyens ; on demande aux fonctionnaires de rendre compte de leurs résultats à leur administration. Les primes au mérite s’inscrivent naturellement dans une telle logique. Non seulement, elles permettent, en principe, d’inciter davantage les agents à l’effort, mais en plus, dans la mesure où l’instauration des primes au mérite nécessite la construction d’une batterie d’indicateurs, elles permettent de donner une meilleure visibilité à l’action de l’Etat. La politique annoncée en 2004 par N. Sarkozy, ministre de l’Intérieur, illustre ce propos. Une enveloppe budgétaire de 5 millions d’euros a été libérée pour « développer une culture du résultat et de l’évaluation » dans la police. Cette

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enveloppe est destinée à récompenser les agents méritants. Ainsi, P. Smolar écrit que « Nicolas Sarkozy a prôné depuis dix-neuf mois la « culture du résultat » et a scellé une sorte de contrat, donnant donnant, avec les forces de l’ordre. Le ministre de l’Intérieur leur a obtenu des moyens financiers et humains considérables, ainsi que des outils juridiques inédits ; en contrepartie, il a exigé une traduction de ces efforts dans les indicateurs statistiques de la délinquance : soit plus de gardes à vue, plus d’affaires d’initiative et un taux d’élucidation en hausse » (Le Monde, mercredi 7 janvier).

Dans cette optique les primes au mérite s’expliquent alors par la volonté de donner une nouvelle forme de légitimité à la fonction publique et se traduisent par une privatisation de ses modalités de gestion.

Au regard de la difficulté à appliquer les principes de gestion existants, on peut se demander comment les gestionnaires se sont emparés des réformes indemnitaires et dans quelle mesure la modulation a été renforcée.

Deuxième partie. La fausse privatisation de l’administration