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Eu égard à la relative méconnaissance de notre objet de recherche au début du processus scientifique, nous avons adopté dans cette première partie une démarche que nous avons qualifiée de macro-historique puisqu'elle se base sur les faits concernant les entreprises françaises en général.

Cette vision d'ensemble nous a permis de décrire la gestation, la naissance et le développement de la communication financière : cette histoire de la communication financière passe par l'évolution du concept de communication financière d'une part, et des pratiques d'autres part. Pour décrire l'évolution des pratiques nous avons fait le choix de dissocier les deux composantes identifiés par Watzlawick (1972) à savoir le contenu et la relation pour une raison très simple : la première composante, autrement dit le contenu, est, dans le cas de la communication financière, un contenu réglementé. Les premières réglementations concernant le contenu de la communication financière date de 1867. Ainsi, en abordant l'évolution du contenu dans un chapitre distinct, nous avons pu mettre en évidence le renforcement des contraintes de communication financière. La composante "relation" n'entre en scène et commence à s'installer plus tardivement après la deuxième guerre mondiale. Ainsi pendant longtemps, il n'y avait pas de véritable relation entre l'entreprise et ses actionnaires, ou alors ce qu'il serait abusif d'appeler "relation" se réduisait à l'information financière légale.

Ainsi, la littérature traitant directement ou indirectement de la communication financière des sociétés françaises cotées nous a permis d'explorer le phénomène étudié et donc d'affiner notre connaissance de l'objet de recherche. L'analyse sous un angle macro-historique de l'émergence de la communication financière dans les sociétés françaises cotées nous a tout d'abord amenée dans un premier chapitre à

spécifier les concepts (information financière, publicité financière, communication financière) et les relations entre ces concepts.

Que cache le passage d'un concept à l'autre ? Que cache le passage de la publicité financière à la communication financière ? Ce changement de concept est la traduction d'un changement de nature de la communication financière. Cette dernière n'étant plus appréhendée uniquement comme une contrainte mais également comme un outil stratégique. La communication devient stratégique lorsque la société décide de faire appel au marché.

Les sociétés cotées font appel au marché à des moments où la conjoncture économique est favorable (après la seconde guerre mondiale, à la fin des années soixante, au milieu des années quatre-vingt) ou défavorable (période de crise, de scandales). C'est à ces moments que se développent les besoins d'informations chez les actionnaires. Il est donc important de leur faire passer des messages allant dans le sens des sociétés cotées : d'une part, pour attirer les capitaux en période de croissance et donc de nouveaux actionnaires, et d'autre part, pour conserver les anciens actionnaires en période de crise.

C'est ainsi que petit à petit, les sociétés cotées ont compris que pour faire passer un message en leur faveur, il fallait y rajouter un zeste de relationnel. Il fallait donc entrer en relation d'abord directement avec les actionnaires, chose qui est difficile lorsque l'actionnariat est diffus et puis progressivement avec tous les acteurs susceptibles d'influencer la compréhension des messages par les actionnaires.

Si le chapitre 2 montre l'accroissement des contraintes, le chapitre 3 quant à lui plaide pour la participation de la communication financière à la gestion de la relation avec les actionnaires.

La première partie de cette thèse illustre donc les propos formulés par Chritian Laubie347 en préface de l'ouvrage de Léger (2003)348 :

"… cette communication dite financière, va s'élargir considérablement et dépasser le simple respect des obligations légales et strictement comptable et prendre une nouvelle dimension : ce que Jean-Yves Léger appelle la communication économique".

Bien que nous ne soyons pas totalement séduite par le qualificatif "économique" retenu par Léger (2003, p.32) pour intégrer la nécessité pour les sociétés cotées de développer une communication "enracinée dans des thématiques économiques concernant l'entreprise elle-même et son environnement", cette évolution se traduit par le dépassement des obligations légales. Nous préférons parler de communication institutionnelle

Quelque soit le qualificatif utilisé pour désigner cette nouvelle communication financière, c'est l'intégration de cette dimension stratégique qui caractérise la transformation de l'outil. Il convient toutefois de préciser que la dimension réglementaire est plus que jamais très présente.

Christian Laubie le fait d'ailleurs remarquer :

"Il n'est pas question de nier l'importance de l'information comptable et financière de base, laquelle doit encore être améliorée, notamment par le développement de normes comptables admises dans le monde entier, ainsi que par le développement des explication que l'entreprise doit donner sur les hypothèses de calcul retenues pour l'établissement de ses comptes. Mais c'est la dimension stratégique et prospective qui va permettre à l'entreprise de se différencier de ses concurrents et d'attirer les investisseurs qui achèteront ces perspectives d'avenir.

Ce passage d'une communication purement financière, c'est à dire comptable et réglementaire, à une communication économique est évidemment difficile à réaliser ; elle doit répondre à la règle des 3 C que Jean-Yves Léger énonce implicitement Clarté ; Constance ; Cohérence.

347 Administrateur de Danone. 348 Léger J.-Y. (2003), op. cit.

Il est nécessaire qu'une telle communication émane, pour l'essentiel, du chef d'entreprise lui-même ou de ses collaborateurs les plus directs qui participent à la définition et la réalisation de la stratégie."

Cette première partie nous a permis d'enrichir notre connaissance de l'objet recherche par une vision d'ensemble. Celle-ci est toutefois insuffisante à elle-seule pour développer une compréhension de l'émergence de la communication financière dans les sociétés françaises cotées. Ainsi, pour compléter la démarche macro- historique adoptée dans la partie précédente, nous avons choisi d'observer l'émergence de la communication financière dans une organisation en adoptant une approche micro-historique.

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Au cours de la partie précédente, nous avons développé une vision d'ensemble du phénomène. Cette vision "de l'extérieur", basée sur des faits macro-historiques, a permis de mettre en évidence les deux visages de la communication financière : une communication financière qui peut être vécue comme une contrainte car elle repose en grande partie sur le respect d'obligations légales de plus en plus contraignantes, et une communication financière qui peut être appréhendée comme un outil stratégique car elle participe au dynamisme de la relation entre l'entreprise et ses actionnaires pour répondre à des objectifs stratégiques.

La première partie nous a permis de repérer les grandes étapes du changement. Une première vision, par des faits concernant l'ensemble des entreprises, était en effet nécessaire pour comprendre quels événements ont contribué à faire évoluer les pratiques de communication financière des sociétés françaises cotées. Cette première vision demeure toutefois insuffisante pour comprendre comment concrètement la communication financière est devenue une arme stratégique. En effet, s'arrêter à la première partie de cette thèse reviendrait à accepter que les entreprises n'ont fait que se plier aux stimulations externes qui les ont guidées (législation, mimétisme, nouvelles technologies de l'information et de la communication …) et reviendrait à ignorer ce que peut représenter au quotidien la gestion de la relation avec les actionnaires.

Dans cette thèse, nous voulons montrer que le passage de la publicité financière à la communication financière a pris plusieurs années, plusieurs décennies, près d'un siècle. Il ne s'agit toutefois pas d'observer au jour le jour cette transformation (une telle observation serait impossible) mais de vivre cette transformation en insistant sur les moments forts.

C'est pourquoi, il s'agit à présent, dans cette deuxième partie, d'appréhender le phénomène "de l'intérieur" (il s'agit d'appréhender le phénomène dans la perspective des acteurs y participant) : pour ce faire, nous avons choisi de compléter la première vision d'ensemble en lui donnant un écho empirique.

Ainsi la deuxième étape de notre recherche consiste à observer comment une entreprise a été amenée à changer sa vision de la communication financière. L'analyse des faits macro-historiques exposée dans la partie précédente se poursuit ainsi par une appréciation de leur cohérence avec les faits relatifs à une seule entreprise conformément à la démarche exposée dans l'introduction générale de notre thèse.

En effet, la deuxième question à laquelle nous avons tenté de répondre est, rappelons-le, la suivante : quelles sont les stimulations internes qui ont amené les entreprises à appréhender la communication financière comme un outil stratégique ? Pour répondre à cette interrogation sur les raisons de la transformation de l'outil par les entreprises, nous avons choisi de suivre au fil du temps l'évolution conjointe de l'outil (telle qu'elle est décrite dans la première partie) et celle d'une l'organisation, en l'occurrence la société Saint-Gobain. Dans cette perspective, cette deuxième partie a pour objet de donner une dimension empirique à notre démarche générale.

Si cette thèse raconte l'histoire de la communication financière, elle raconte également l'histoire des relations entre Saint-Gobain et ses actionnaires. Mais en menant cette étude de cas, notre objectif premier n'est pas de raconter l'histoire de Saint-Gobain. En effet, à cette étape du processus scientifique, nous espérons surtout que l'étude du cas Saint-Gobain contribue à apporter d'autres éléments de réponse à notre question de recherche que ceux apportés dans la première partie de cette thèse. Cette deuxième partie est alors structurée en trois chapitres.

Le chapitre 4 est une réflexion d'ordre méthodologique exposant les choix d'investigation empirique que nous avons opérés. Il permet ainsi de justifier la stratégie d'accès au réel que nous avons retenue, et de montrer sa cohérence avec notre objet de recherche. Ainsi, avant de rendre compte des résultats de notre observation processuelle longitudinale, nous avons souhaité dans ce chapitre revenir sur quelques considérations méthodologiques et plus particulièrement sur les sources et méthodes que nous avons mobilisées. Nous y présentons le cas Saint-Gobain en mettant en évidence sa singularité, nous y précisons les sources auxquelles nous avons eu accès (celles-ci sont inégales sur toute la période étudiée) et les choix méthodologiques adoptés pour mener à bien notre étude de cas longitudinale.

Les deux chapitres suivants (chapitre 5 et chapitre 6) retracent les différents épisodes qu'a vécus la société Saint-Gobain et qui l'ont amenée à concevoir différemment sa communication financière. Nous avons donc suivi un cheminement chronologique tout en restant flexible sur des allers et retours éventuels dans le temps. Les deux grandes périodes que nous avons repérées dans la partie précédente font l'objet de deux chapitres distincts :

 Du dix-neuvième siècle aux années 1980 : la communication financière est appréhendée comme une contrainte mais ses vertus stratégiques sont progressivement reconnues en particulier au moment de l'attaque hostile de BSN en 1968.

 A partir du milieu des années 1980, Saint-Gobain met en place une véritable stratégie de communication financière. Sa communication devient stratégique lorsque la société décide de faire appel au marché. La privatisation de 1986 est alors le phénomène catalyseur.