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Avec Le Pont de l’Europe de 1876 et Rue de Paris, temps de pluie de 1877, Caillebotte entame un type de travail reposant sur une observation de la ville à hauteur d’homme. Celle-ci le conduit à accorder une grande importance à la construction de l’espace, qui se trouve régi par l’architecture des sites. Cette vue est pour le peintre un moyen d’exprimer une réalité contemporaine et urbaine – son époque –, mais aussi un moyen de démontrer sa propre perception des lieux. La réalité qu’il perçoit est celle qui se déploie devant lui ; les grandes percées des rues et des boulevards, les architectures haussmanniennes et l’assainissement des lieux en font partie. Tous ces travaux, entrepris dès la moitié du XIXe siècle, découlent d’une nouvelle image urbaine souhaitée par

Napoléon III. Cet élan vers une restructuration de l’espace et une urbanisation adéquate pour l’époque annonce l’arrivée de la modernité. C’est particulièrement cette image moderne qui est peinte par Caillebotte dans ses deux toiles. La rue devient alors, en 1876 et 1877, son endroit privilégié pour saisir le Nouveau Paris.

Grâce à sa proximité avec le quartier de l’Europe, il peut offrir une image vraisemblable de son temps. Pour y parvenir, Caillebotte utilise des techniques et des outils, comme la plaque photographique et la règle d’or. Nous avons d’ailleurs appris qu’il peaufine le rendu de ses scènes au moyen d’une sorte de compas pour reproduire habilement la réalité des sites. Plusieurs dessins préparatoires l’aident également dans sa démarche. Par le biais de ces derniers, le peintre étudie l’espace et les éléments qui le composeront. Si bien qu’il décide volontairement de mettre en évidence ce qu’il veut illustrer aux spectateurs dans ses vues de ville. Il choisit de traiter soigneusement l’architecture, puisqu’elle correspond à sa vision d’une image moderne, du moins à partir d’un point de vue à hauteur d’œil.

Au terme de cette première partie, nous comprenons que ses vues de ville, depuis la rue, semblent restreintes par une seule et unique vision, soit celle à hauteur d’homme. Quelques années suffisent à l’artiste pour amener son regard vers d’autres points de vue intéressants. Cette fois, il peint des scènes à partir de son appartement ou d’endroits familiers, comme les appartements de ses amis. Depuis une fenêtre, Caillebotte reproduit ce qu’il perçoit en contrebas. Des points de vue en plongée sont alors créés. Il instaure donc, pour lui, une nouvelle façon d’observer et de peindre le paysage urbain. Dans le prochain chapitre, nous voyons comment l’artiste traite la ville depuis un nouvel endroit et comment il la représente picturalement.

2.

À LA FENÊTRE

Après avoir peint la ville moderne dans la rue, en 1876 et 1877, Caillebotte entreprend, entre 1878 et 1880, des vues d’en haut. En quelques années, le peintre observe d’un tout autre point de vue le paysage urbain. À plusieurs mètres de la rue, depuis une fenêtre, le regard de l’artiste, pratiquement aux limites des toits de la ville, se projette vers le sol.

Il est possible de distinguer deux types de scènes plongeantes : à la fenêtre et au balcon. Nous tenons à les étudier séparément, puisque chacun d’eux présente des caractéristiques respectives à la vue en plongée. D’autant plus que Caillebotte traite différemment ces types de scène. C’est principalement la position physique du peintre qui apporte des changements notables dans ce point de vue. À la fenêtre, l’artiste rend la vue plongeante jusqu’à éliminer la ligne d’horizon de la scène urbaine, et ainsi, donner lieu à une vue vertigineuse. Tandis que le point de vue depuis un balcon l’amène à concevoir autrement le champ visuel que celui perçu à la fenêtre. Des personnages masculins au balcon s’intègrent désormais dans le champ visuel. Ensuite, Caillebotte pousse plus loin son observation, en peignant la ville à travers les arabesques du motif architectural. De sorte que l’urbanité apparaît difficilement dans la composition, laissant ainsi complètement la surface de la toile au balcon. Pour ce deuxième chapitre, nous étudions spécifiquement la vue d’en haut depuis la fenêtre, car elle représente les premières démarches artistiques, voire les premières études de la vue d’en haut chez l’artiste. Le second type sera traité lors du troisième chapitre. Il convient de rappeler notre choix méthodologique d’étudier les œuvres selon une typologie des différents points de vue.

Ici, nous analysons les œuvres Rue Halévy, vue d’un sixième étage (1878), Un

refuge, boulevard Haussmann (1880) et Boulevard vu d’en haut (1880). Nous les avons

spécifique et unique. Chacune d’elles présente des différences significatives, et ce, à partir d’un même point de vue. Ces particularités nous les percevons par l’angle de vue déterminé par l’artiste. Si le regard de ce dernier est projeté vers le lointain, la perspective est présente ; une ligne d’horizon se dessine au niveau des toits des immeubles, donnant ainsi une vue panoramique. La rue ou le boulevard en contrebas apparaît alors dans la scène observée. Si, plutôt, Caillebotte baisse légèrement ou complètement son regard vers la rue, le champ visuel délimité par cet angle supprime totalement la perspective et un espace plat occupe toute la surface de la composition. Conséquemment, la rue devient l’arrière-plan et une vue vertigineuse apparaît. Nous tâcherons d’examiner, par le biais de ces particularités, comment la vue plongeante est traitée par Caillebotte. C’est pourquoi nous avons retenu principalement ces tableaux, car ils illustrent éloquemment un des points de vue originaux du peintre sur la ville moderne, entre 1878 et 1880.

Déterminer les choix récurrents de Caillebotte pour l’exécution d’une vue en plongée est la première démarche de notre recherche. Une comparaison entre le travail de Caillebotte et celui de quelques artistes ayant traité ce type de vue avant lui nous offre une possibilité de définir sa propre vision et l’intérêt qu’elle représente du point de vue de l’histoire de l’art. À la lumière de ceci, nous tâchons de comprendre les facteurs qui causent précisément une perspective ouverte sur l’horizon, en 1878, puis, deux ans plus tard, une perspective qui devient pratiquement plane sur l’ensemble de la composition. L’utilisation de moyens plastiques modernes, tels que la photographie et les procédés inspirés des estampes japonaises, correspond aux méthodes inspirées par l’artiste pour rendre ses vues de ville intéressantes. Leur mise en application prouve que Caillebotte cible de nouvelles approches dans sa recherche de vues urbaines.