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3 E N CONCLUSION : ENTRE EXCLUSION ET DÉPENDANCE , DES INÉGALITÉS PERSISTANTES

diffusion élargie, inégalités subies

3 E N CONCLUSION : ENTRE EXCLUSION ET DÉPENDANCE , DES INÉGALITÉS PERSISTANTES

Les différentes dimensions constitutives de l’accès à la mobilité motorisée ont été exposées dans ce chapitre dans le but d’identifier et de localiser les principaux freins liés au revenu. En guise de conclusion et au-delà des nombreux chiffres présentés, il nous semble intéressant de rappeler certains résultats.

3.1. Des inégalités d’équipement réduites et un non-équipement synonyme

d’exclusion

Les inégalités d’équipement en automobiles sont fortement conditionnées par la génération d’appartenance du ménage. Chaque génération est mieux équipée que la précédente et la disposition d’au moins une voiture au sein du ménage est aujourd’hui un modèle qui s’impose à tous. En introduisant de nouvelles temporalités et de nouvelles spatialités, l’automobile dessine de nouveaux modes de vie. Plus qu’un simple bien de consommation, la voiture est pour certains l’outil privilégié des modes de sociabilité des sociétés modernes [Dupuy, 2000 ; Urry, 1999]. Des inégalités d’équipement significatives voire importantes subsistent chez les ménages ne comportant qu’un adulte comme chez les jeunes célibataires et les foyers monoparentaux. En milieu de cycle de vie, les inégalités verticales d’équipement sont très faibles dès lors que le ménage comporte au moins deux adultes : seulement 4 % des familles et 6 % des couples ne sont pas motorisés. La voiture apparaît comme un bien obligatoire qui élargit l’éventail des choix possibles en termes de localisation résidentielle, d’accès au marché de l’emploi, de lieux d’approvisionnement, de loisirs ou de sorties. Pour les ménages les plus vulnérables économiquement, on peut vraisemblablement penser que la diminution des inégalités d’équipement se traduit par un poids budgétaire important [Froud et al., 2000].

Toutefois, parallèlement à ces constats globaux, on observe qu’un tiers des ménages de 25-59 ans rattachés au 1er quintile ne sont toujours pas équipés (2 % parmi le dernier quintile). Près de 20 % des familles du 1er quintile n’ont pas de voiture (alors que toutes les familles les plus aisées disposent d’au moins une voiture). Ainsi, parmi les couples et les familles, les situations de non- équipement, restreintes aux plus démunis, sont synonymes d’exclusion. Ces ménages sont en effet évincés d’un système très largement structuré par (et pour) l’automobile [Dupuy, 1999a et 1999b]. La persistance de ces situations de non-équipement subies nous interroge sur la place réservée aux foyers non motorisés dont la portée des déplacements se limite aux territoires

accessibles à pied ou en transports en commun. Leur situation est encore plus délicate lorsqu’ils n’habitent pas en centre urbain dense. Dans un contexte où la disposition d’au moins une voiture au sein du foyer est perçue comme un signe de normalité, la non-motorisation des ménages, vécue le plus souvent comme une contrainte, est difficilement gérable tant d’un point de vue pratique que symbolique1[Beauvais et Fouquet, 2001]. En effet, la voiture garde une valeur symbolique considérable : pour le chef de famille, elle est autant l’outil de son autonomie que la marque de son statut2 [Begag, 1991 ; Le Breton, 2004]. Les ménages modestes sont prêts à y consentir de nombreux sacrifices, car l’automobile comme le logement sont quelques fois « défendus comme un rempart à une déchéance plus grave encore » [Herpin et Verger, 1999, p. 65]. Ainsi, le non-équipement des ménages altère l’image que les individus se font d’eux- mêmes : ils se sentent jugés comme des « êtres inférieurs » ou des « bêtes curieuses » [Beauvais et Fouquet, 2001].

3.2. Un accès inégalitaire à l’auto-mobilité

Les niveaux de motorisation des ménages apparaissent nettement plus dépendants du revenu. Les familles les plus aisées sont ainsi 1,8 fois mieux motorisées que les plus modestes. L’individualisation du bien automobile au sein du ménage apparaît de fait fortement conditionné par son niveau de ressources. C’est bien sur les conditions d’accès individuel au volant que se rejouent aujourd’hui les inégalités verticales et horizontales. Elles se vérifient également en amont, sur les modalités d’accès au permis de conduire.

En 1995 dans l’agglomération lyonnaise, une personne sur 10 n’est pas titulaire du permis de conduire parmi les 30-45 ans : plus de la moitié appartient au 1er quintile (53 %), 80 % sont des femmes, près de 60 % n’exercent pas d’activité professionnelle et près d’un tiers (32 %) dispose d’un niveau d’études primaire (contre 9 % en moyenne pour cette tranche d’âge). L’analyse détaillée menée à l’intérieur de différents groupes sociodémographiques montre que pour les hommes, quel que soit le niveau de vie du ménage, l’acquisition du permis de conduire fait incontestablement partie du « bagage de base » d’entrée de la vie adulte alors que pour les femmes de condition modeste cette aptitude reste encore dépendante de l’exercice d’une activité professionnelle (Graphique 52, Graphique 53). On observe ainsi un certain retard des jeunes

1 Voir Boltanski [1975] pour une analyse du rapport entre la diffusion de la voiture et les représentations

symboliques qu’elle suscite au sein des différents groupes sociaux.

2 Voir également Begag [1991] pour une analyse détaillée de la signification sociale de la possession d’une voiture

filles de milieux modestes dans le passage du permis à l’inverse de leurs homologues masculins ou des filles des ménages aisés. Par la suite, si elles n’exercent pas d’activité professionnelle, cette capacité à la mobilité autonome symbole de liberté et d’émancipation n’ira pas de soi, comme en témoigne la très faible part de titulaires parmi les femmes au foyer des ménages modestes.

Graphique 52 : Indices de concentration de l’accès au volant et au permis chez les hommes

Graphique 53 : Indices de concentration de l’accès au volant et au permis chez les femmes

-0,100 0,000 0,100 0,200 0,300 Lycéen* Etudiant Actif Enfa* Actif 25-59 Chômeur 25-55 Retraité 60-74 Retraité 75 et + Revenu Permis Volant Egalité -0,100 0,000 0,100 0,200 0,300 Lycéen* Etudiant Actif Enfa* Actif 25-59 Chômeur 25-55 Femme foyer Retraité 60-74 Retraité 75 et + Revenu Permis Volant Egalité

Source : EMD de Lyon 1994-1995 Source : EMD de Lyon 1994-1995

L’analyse des inégalités d’accès au volant montre que l’indépendance de déplacements permise par l’accès régulier et autonome à l’automobile n’est pas encore garantie pour tous. Elle est prioritairement attribuée aux hommes et elle reste très dépendante du revenu (Graphique 52, Graphique 53). En milieu de cycle de vie, seul un tiers des femmes du 1er quintile accèdent

régulièrement au volant contre 64 % de leurs homologues masculins (respectivement 87 % et 92 % pour le dernier quintile). Les inégalités inter-genres observées ne résultent pas uniquement de différentiels d’accès au permis de conduire.

Parmi les titulaires du permis, l’accès effectif au volant est nettement plus systématique pour les hommes que pour les femmes. Au sein de cette catégorie, 63 % des femmes de 25-59 ans appartenant au 1er quintile conduisent régulièrement contre 85 % des plus aisées (respectivement 75 % et 93 % pour les hommes). Ces inégalités verticales d’accès effectif au volant contribuent à différencier les probabilités d’insertion ou de réinsertion professionnelle des chômeurs, à limiter le choix des actifs quant au type d’emplois exercés et elles participent au sentiment d’exclusion sociale et spatiale des femmes au foyer. Ce n’est que pour les hommes actifs et pour les jeunes hommes de 18-24 ans qu’elles sont imperceptibles.

femmes se sont très largement réduites ces dernières décennies, le différentiel homme-femme n’a pas totalement disparu même parmi les plus jeunes car il demanderait une bi-motorisation généralisée des ménages. En effet l’analyse précédente a montré que lorsque la voiture est en partage au sein du ménage, les conventions qui règlent les modalités d’attribution se font très nettement en faveur des hommes. En résumé, le renouvellement des générations contribue incontestablement à réduire les inégalités horizontales et verticales d’accès au volant, sans pour autant conduire à leur disparition.

Au quotidien :

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