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Ce travail s’est concentré sur le thème du fédéralisme d’exécution, l’un des concepts-clé du système politique suisse. Notre but était de mieux cerner la manière dont les cantons réagissent face aux changements législatifs opérés par le niveau fédéral. Cependant, contrairement aux études réalisées jusque-là, concentrées sur des mesures étatiques ponctuelles et des périodes relativement courtes dépassant rarement une décennie, nous avons adopté une perspective diachronique plus large et avons retracé la mise en œuvre d’une législation fédérale pendant un demi-siècle. Ainsi, alors que les études précédentes l‘ont réalisé dans des domaines très variés suite à un changement de politique publique, généralement consécutif à l’émergence d’un nouveau problème public, nous avons pu analyser les réactions cantonales consécutives au changement de la même politique publique et ceci de manière répétée à travers le temps.

Une autre force de notre travail réside dans le fait d’avoir inclus tous les cantons dans notre analyse alors que beaucoup d’études précédentes s’étaient concentrées sur certains cantons seulement94.

Nous avons étudié la législation relative à l’acquisition de biens immobiliers par des personnes à l’étranger (LAIE) car nous nous attendions, dans la lignée de Delley et al. (1982), à observer de grandes divergences de mise en œuvre entre les cantons. Or, nos résultats démontrent au contraire une forte convergence des pratiques cantonales d’application face aux divers changements législatifs effectués par la Confédération. Tout comme plusieurs études récentes traitant du fédéralisme d’exécution, notre travail remet ainsi en cause le modèle classique de mise en œuvre s’inscrivant dans la théorie de l’agence, qui postule qu’il est impossible d’appliquer les politiques publiques de manière uniforme à travers l’ensemble du territoire car les disparités cantonales sont trop grandes (cf. Delley 1984 ; Linder, 1987).

Notre travail a démontré au contraire que lorsque la Confédération se dote d’un pouvoir de contrôle conséquent et qu’elle diminue la marge de manœuvre cantonale en restreignant la législation, tous les cantons convergent de manière rapide vers le modèle voulu. Lors des assouplissements, on observe également une convergence. Cependant, celle-ci est plus modeste car l’uniformité des réactions cantonales diminue.

94 Citons à titre d’exemple les études Delley et al. (1982), Gilliand et al. (1985), Delley, Mader (1986) ou encore Sager (2003).

En plus du rôle fondamental de la Confédération dans le processus de mise en œuvre, déjà mis en avant par plusieurs études antérieures (Wälti, 1996 ; Batlthasar, 2003 ; Sager, 2003 ; Kissling-Näf, Wälti, 2006), nous avons également identifié d’autres facteurs expliquant le phénomène de convergence. Ainsi, nous avons constaté que celle-ci n’était pas due à une forte collaboration intercantonale comme l’on pouvait s’y attendre grâce aux mécanismes d’harmonisation secondaire théorisés par Kissling-Näf et Knoepfel (1992)

En revanche, nous avons constaté que les fonctionnaires de terrain sont fortement à l’origine de ce phénomène de convergence car c’est eux qui traitent avec les acheteurs potentiels et leurs représentants et qu’ils filtrent la demande étrangère en bloquant plusieurs requêtes en amont avant le démarrage des procédures administratives formelles. Comme nous avons également constaté une très forte corrélation entre le nombre de requêtes déposées et le nombre d’autorisations, ce sont les fonctionnaires de terrain qui sont grandement responsables de la variation du nombre d’autorisations accordées. Même s’il a été obtenu de manière exploratoire, nous considérons que ce résultat est un élément fondamental car il implique une influence directe de la Confédération sur les fonctionnaires de terrain cantonaux qui n’avaient jamais été révélée auparavant. De ce fait, si l’on reprend la définition de la mise en œuvre de Linder (1987) citée en introduction, les cantons feraient valoir leurs possibilités d’influence, non pas à travers leurs élites politiques (gouvernements et parlements) mais directement par le biais des fonctionnaires de terrain et via des outputs informels de mise en œuvre tel que théorisés par Knoepfel et al. (2006).

Nous avons jusqu’ici résumé les points forts de notre travail. Cependant, celui-ci comporte également plusieurs limites que nous détaillons maintenant.

Premièrement, même si notre volonté a toujours été d’inclure tous les cantons dans notre échantillon, nous avons souvent dû en exclure certains, car les valeurs les concernant étaient insignifiantes et qu’ils auraient engendré des biais importants. De même, toutes nos analyses et particulièrement celles de l’annexe 3 ont démontré à quel point la mise en œuvre de la LAIE était concentrée sur quatre ou cinq cantons selon la période étudiée. Pour pouvoir généraliser le phénomène de convergence, il aurait été préférable d’étudier une loi fédérale touchant l’ensemble des cantons de manière semblable. Toutefois, la LAIE possède trois avantages notoires : elle est relativement ancienne, a été modifiée maintes fois depuis 1961 et des données précises et très complètes, centralisées au niveau fédéral, existent quant à son application.

Une autre faiblesse de ce travail concerne pourtant ces mêmes données qui ne portent pas sur les mêmes types de logement ce qui nous a obligé à scinder notre analyse en deux périodes bien distinctes. De plus, cette fraction des données ne nous a pas permis d’évaluer avec justesse les effets de l’introduction de la lex Friedrich dans les cantons, alors qu’elle constitue certainement le changement législatif le plus fondamental de toute la période et qu’elle semble avoir fortement stabilisé le nombre d’autorisations accordées.

Cependant, nous considérons que ce problème est inhérent à toute étude de mise en œuvre retraçant une période de temps aussi longue, car la collecte des données se modifie au fur à mesure des innovations technologiques et des changements législatifs. Nous avons ainsi préféré élargir notre spectre temporel plutôt que d’avoir des données parfaitement comparables sur toute la période.

Enfin, l’analyse par questionnaires a été réalisée par voie électronique et les réponses majoritairement succinctes des autorités cantonales de première instance n’ont pas apporté autant d’informations qu’espéré. 26 entretiens en face-à-face auraient été préférables.

Cependant, nous y avons renoncé par un manque de temps évident, en nous contentant de mener un entretien à Genève qui nous a confirmé certaines tendances.

Pour terminer, nous présentons quelques pistes de réflexion sur la recherche future consacrée au fédéralisme d’exécution.

Premièrement, comme toute étude de cas, notre travail se concentre sur une politique publique unique. Au vu des résultats étonnants qui ressortent de notre analyse, il serait souhaitable que les recherches futures tentent de comparer plusieurs politiques publiques à travers le temps, ce qui permettrait d’identifier si le phénomène de convergence observé dans notre cas se retrouve également ailleurs.

Deuxièmement, notre travail a volontairement omis un échelon du système fédéraliste suisse, à savoir le niveau communal. Pourtant, les communes peuvent également devenir des acteurs de mise en œuvre à part entière. Delley et al. (1982) l’avaient démontré, par exemple dans le cas des communes lucernoises décrétant un blocage volontaire des autorisations d’acquérir sur leur territoire. Même s’il est encore plus compliqué à analyser car l’hétérogénéité de l’échantillon augmente encore par rapport aux cantons, le niveau communal ne doit dès lors pas être totalement écarté des études de politique suisse, par exemple au profit du niveau

européen ou international. Ceci entraînerait une perte évidente de compréhension du système suisse.

Enfin, ce mémoire a démontré que les fonctionnaires de terrain avaient également un rôle prépondérant à jouer dans le processus de mise en œuvre. Ce rôle a longtemps été négligé au sein de la littérature suisse et nos résultats appellent au contraire à ce que la littérature émergente sur ce thème dans le contexte suisse (Bühlmann, 2005 ; Buffat, 2007 ; Emery et al., 2008 ; Buffat, 2012 – à paraître) se développe encore davantage. Premièrement, le lien direct, que nous avons observé entre la Confédération et les fonctionnaires de terrain cantonaux, boycotte d’une certaine manière les gouvernements cantonaux et mérite d’être théorisé plus précisément car il remet en cause le schéma classique de mise en œuvre du droit fédéral. Si ce lien est confirmé dans d’autres cas, la Suisse tendrait davantage vers la logique inverse au fédéralisme d’exécution où ce sont les fonctionnaires fédéraux qui implémentent directement les politiques nationales comme c’est souvent le cas aux Etats-Unis.

De même, un effort particulier doit être fourni pour quantifier le rôle des fonctionnaires de terrain de manière plus rigoureuse. Lorsque nous avons demandé à ces derniers s’ils traitaient souvent de façon informelle des demandes d’acquisition, tout le monde a répondu par l’affirmative. En revanche, lorsqu’il s’est agit de nous donner une estimation, la plupart ont renoncé à articuler un chiffre et ceux qui l’ont fait ont été très vagues. Or, comme l’influence des fonctionnaires de terrain n’est désormais plus à démontrer, également dans le contexte suisse, la recherche en science politique doit s’atteler à mesurer ce phénomène pour pouvoir le cerner et l’expliquer de manière plus fine.

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