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2. DISCUSSION

2.1. Conceptions de l’animal et des relations humains-animaux

La première question spécifique de recherche est la suivante : « Quelles

conceptions de l’animal et des relations humains-animaux sont présentées dans les manuels scolaires en ÉCR? ». Pour y répondre, revenons d’abord à un constat établi en

amont. Tel que mentionné au début du chapitre 4, une lecture initiale du corpus à l’étude a permis de relever qu’à première vue, les différentes utilisations des animaux (de compagnie, d’élevage, animaux sauvages en liberté, animaux sauvages en captivité et les animaux en général) semblaient dicter non seulement les thèmes des unités dans lesquels ils se trouvaient, mais aussi la manière dont les animaux eux-mêmes étaient présentés. Les résultats du codage ainsi que l’interprétation de ces résultats ont permis de confirmer cette impression, mais aussi de relever quelques cas étonnants, divergents des grandes tendances. Une certaine ambivalence est également observée dans la relation humain- animaux pour certaines catégories d’utilisation. Voici, sous forme de tableau, les principaux constats qui ont été relevés.

Tableau 12. Représentations des animaux selon les types d’utilisation

Animaux de compagnie

On les distingue des humains, mais on leur accorde un statut relativement important. Sont des êtres sensibles qui ont des besoins nombreux, qui se doivent d’être comblés. Une réflexion éthique plus poussée n’est pas suggérée sauf à deux endroits dans le corpus, soit qu’il est une bonne chose de dénoncer les mauvais traitements causés à un animal de compagnie (enjeu actuel) et que battre son chien n’est pas acceptable (pratique du passé).

Une méconnaissance de l’animal de compagnie est aussi véhiculée et un manque de considération pour ses besoins comportementaux est présent à certains endroits dans le corpus.

On reconnait, surtout au 3e cycle, que les humains font diverses

utilisations de l’animal de compagnie qui sont tantôt normalisées, tantôt critiquées.

Animaux d’élevage

Ne sont pas explicitement présentés comme étant des êtres sensibles. Contents de leur sort et ont des besoins simples tels qu’être nourris et abrités. N’ont pas de besoins psychologiques.

souhaitable des sociétés humaines. Le fait que cette évolution des mœurs implique des êtres vivants sensibles n’est pas souligné. La relation humain-animal d’élevage est décrite comme étant mutuellement bénéfique. On suppose que l’animal « donne » ses ressources en échange de nourriture et d’abri. Le caractère traditionnel est souvent utilisé en guise d’introduction des unités.

Animaux sauvages en

liberté

Ne sont pas clairement des êtres sensibles mais plutôt des représentants de leurs espèces.

Semblent avoir une valeur intrinsèque et doivent être protégés par l’humain, par le biais de la préservation de leur environnement. Doivent aussi être protégés de la chasse excessive, mais seulement lorsque leur espèce est menacée. La chasse et la pêche à l’échelle individuelle sont associées à un amour de la nature, alors qu’au 3e cycle, ils sont chassés par des gens peu civilisés.

Sont utiles pour les humains, mais cette utilité n’est pas claire (On ne retrouve qu’une question posée à l’élève « comment les animaux sauvages peuvent satisfaire certains besoins des êtres humains? » sans fournir de réponse).

Animaux sauvages en

captivité

Ne sont pas explicitement présentés comme êtres sensibles. Sont source de divertissement. Leur besoin d’exprimer des comportements naturels n’est pas mentionné. Aimer les côtoyer dans ce contexte de captivité est associé à l’amour des animaux. Le PÉCR suggère une réflexion éthique quant au traitement de ce type d’animal mais aucun manuel ne

l’actualise. Animaux en

général

Sont un groupe d’êtres vivants dont l’être humain se distingue

clairement. Bien qu’ils communiquent entre eux, les animaux sont des êtres simples. La protection des animaux est une cause valable comme d’autres, mais elle n’est pas définie.

Un des constats généraux de cette recherche est le suivant : dans les manuels offerts pour la formation éthique au primaire, les conceptions des animaux et par conséquent les conceptions des relations que l’humain entretient avec eux diffèrent grandement. Certains sont des êtres sensibles que l’on doit protéger et aimer, qui vivent sous notre toit et avec qui on partage notre quotidien, d’autres sont plutôt des êtres vivants sans individualité, que l’on doit nourrir et abriter mais qui ne semblent avoir aucun autre intérêt et dont l’utilisation est non seulement acceptable, mais dépeinte comme étant bénéfique à l’animal.

Ces représentations sont, il n’est pas surprenant, analogues à celles que l’on observe dans la société québécoise. Cette différenciation n’est pas fondée sur les impératifs biologiques réels des animaux, mais sur l’utilisation socialement acceptable que l’on fait d’eux. Par exemple, le chien est au Québec un animal utilisé pour sa compagnie, alors qu’il est utilisé pour sa viande dans d’autres cultures. Dans les manuels, on le dépeint comme un membre de la famille et un animal à protéger, c’est-à-dire un individu dont on doit combler les besoins, pour lequel on ressent des sentiments forts tels que l’amitié, et dont on doit dénoncer les mauvais traitements si l’on en est témoin. Une scène particulièrement violente est même décrite au 3e cycle afin d’imager des pratiques inacceptables du passé.

En contraste, la vache est un animal considéré comme étant un animal d’élevage au Québec, alors qu’elle est sacrée et n’est pas consommée dans certaines régions dans le monde. Dans les manuels pour la formation éthique, on la présente toujours comme animal produisant du lait. Ses besoins ne sont pas mentionnés, autre que d’être abritée et nourrie, sans précisions sur la qualité ou le confort de son habitat. Selon un manuel, les vaches laitières broutent dans le champ, ce qui pourrait, indirectement, faire allusion au besoin impératif d’avoir de l’espace pour bouger et de l’herbe fraiche pour brouter. Cependant, cette image n’est pas représentative de la production laitière au Québec72. La scène violente mettant en scène le chien Buck ressemble, de manière très dérangeante, aux vidéos captés dans l’industrie de l’élevage animal d’aujourd’hui, par exemple le cas des veaux de Pont Rouge (voir p.16). Ce type de dénonciation par caméras cachées continue toujours de nos jours.

Enfin, les animaux dont l’utilisation est ambigüe au Québec, tels le lapin et le cheval, tous deux animaux domestiques adorés par certains (animaux de compagnie) et mangés par d’autres (animaux d’élevage), ne figurent pas dans les manuels.

En ordre de considération éthique, les manuels présentent les animaux selon cette hiérarchie : les animaux de compagnie; les animaux sauvages en liberté; et, sur un pied d’égalité, les animaux d’élevage et les animaux sauvages en captivité.

Nous sommes donc d’avis que la conception des relations humains-animaux dans les manuels d’ÉCR en est une principalement d’utilisation. La vache nous donne son lait et sa viande en échange d’abri et de nourriture, le chien nous donne sa compagnie en échange de soins et d’amour. Dans les deux cas, il s’agit d’un échange équitable entre l’humain et l’animal, selon cette conception. Cependant, selon les éthiciens en ÉA et les défenseurs du bien-être animal, il y a beaucoup à remettre en question dans cet arrangement, d’un point de vue éthique (comparativement à un point de vue pragmatique ou économique). Les conclusions diffèrent selon les écoles de pensées, mais la remise en question, elle-même, est impérative selon eux. Dans les manuels, aucune des pratiques courantes dans la culture québécoise actuelle quant au traitement des animaux n’est remise en question dans cette conception des animaux et des relations humain-animaux. Les pratiques critiquées (battre les chiens pour en faire des chiens de travail, chasser les baleines par harpons) sont majoritairement choses du passé et il n’existe plus d’enjeux aussi désolants de nos jours, si l’on se fie au contenu du matériel didactique en ÉCR au primaire. Mais qu’est-ce qui explique un traitement aussi différencié?

Dans leur étude approfondissant le lien entre les attitudes envers les animaux et l’empathie envers les humains, déjà largement démontré dans les écrits, Signal, Taylor et Maclean (2018) ont examiné l’effet différencié du type d’animal sur cette relation. Leurs résultats ont permis de voir qu’en plus des connaissances existantes décrivant le lien entre l’empathie pour les humains et les attitudes envers les animaux (à savoir qu’une plus grande empathie envers les humains est associée à des attitudes pro animales) la force de ce lien est influencé par le type ou la catégorie d’animaux (animaux de compagnie, animaux nuisibles et animaux utilisés pour le profit). Ils ont découvert qu’une empathie envers les humains est fortement associée à une empathie envers les animaux de compagnie, et qu’elle est également associée, quoique moindrement, à une empathie envers les animaux considérés comme étant nuisibles ainsi que les animaux utilisés pour

le profit. Cette force d’association diminue selon le type d’animal (compagnie > nuisible > profit). Dans leur discussion, les auteurs soutiennent qu’il faut rapidement se pencher sur l’acceptation sociale des mauvais traitements envers les animaux qui ne sont pas des animaux de compagnie, si l’on cherche à réduire la cruauté envers ces animaux qui sont d’autres « types » que le type animal de compagnie. Cette acceptation sociale dans le contexte québécois est d’ailleurs discutée plus loin, dans la section 6.5.

Un second constat est qu’une certaine ambivalence quant aux intentions pédagogiques est relevée à plus d’un endroit dans les manuels. Ce manque de clarté a été relevé dans la section précédente, lors de l’interprétation. Pour prendre quelques exemples, notons que le thème de la chasse aux baleines est accompagné d’un message implicite peu clair : d’un côté la protection des animaux justifie un comportement héroïque, mais d’un autre, ce dernier n’est plus nécessaire de nos jours. La chasse et la pêche sont tantôt associées à un amour des animaux, tantôt associés à un manque de civilité. La captivité est condamnée dans un manuel destiné à l’élève, mais sa remise en question est découragée dans le guide d’enseignement qui l’accompagne. Les intérêts des animaux de compagnie se doivent d’être respectés, mais une méconnaissance de ceux-ci est véhiculée. Cette ambivalence ne semble pas reposer sur des règles tel, par exemple, un souci de présenter des informations diverses à l’élève afin qu’elle ou il construise sa propre opinion, mais semble plutôt explicable soit par un manque de connaissances sur les animaux de la part des concepteurs ou par l’absence de cadre cohérent quant au traitement des thèmes reliés aux animaux en amont de la conception.