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La complémentarité des actifs et les notions de compétence et de compétence-clé

Dans cette section, nous évoquons le fait que certains actifs à disposition de l’entreprise sont complémentaires, c’est-à-dire que leur coordination apporte plus à l’entreprise que l’utilisation de chacun des actifs séparément. Après avoir évoqué la complémentarité des actifs et son implication, nous abordons la notion de coordination des actifs, puis de compétence et compétence-clé.

1. La complémentarité des actifs

Deux actifs sont complémentaires lorsque l’effet du premier est affecté par l’utilisation du deuxième. Ainsi, en plus des effets indépendants de chacun des actifs, la complémentarité des actifs met en évidence l’effet de l’interaction de plusieurs actifs coordonnés (Moorman et Slotegraaf, 1999 ; Morgan, Slotegraaf, et Vorhies, 2009 ; Vorhies, Orr, et Bush, 2010).

Il existe donc des relations d’interdépendance entre les actifs (Dierickx et Cool, 1989). Cette complémentarité offre la possibilité de mettre en place des combinaisons synergiques, qui permettent d’atteindre de meilleurs résultats par leur coordination plutôt que lorsqu’ils sont déployés séparément, c’est-à-dire en silo (Ketchen, Thomas, et Snow, 1993 ; Morgan, Slotegraaf, et Vorhies, 2009).

Les managers doivent prendre en considération cette complémentarité des actifs (Parmigiani et Mitchell, 2009 ; Teece, 2007), que ce soit entre ressources, entre capacités et ressources, ou encore entre capacités, qu’elles soient mobilisées de façon simultanée, ou déployées à différentes phases d’un processus (Teece, 1986). L’utilisation conjointe d’actifs complémentaires n’est pas tant en termes de temporalité (utilisation simultanée ou utilisation séquentielle), mais plutôt en termes de coordination des actifs.

Plus spécifiquement en marketing, quelques recherches ont mis en évidence la complémentarité des actifs (Morgan, Vorhies, et Katsikeas, 2012 ; Vorhies et Morgan, 2005).

A titre d’illustration, Morgan, Slotegraaf, et Vorhies (2009) montrent que la capacité de vigilance (« sensing ») est complémentaire aux activités de gestion de la marque. En effet, selon les chercheurs, l’activité de « sensing » améliore l’efficacité des activités de management de la

Chapitre 2. Les ressources, capacités, capacités dynamiques et compétences

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marque en termes d’impact sur les revenus et sur la marge de l’entreprise. ‐n effet, la capacité de « sensing » permet d’acquérir une connaissance des tendances du marché et ainsi d’orienter l’activité de gestion de la marque vers elles. Ainsi la capacité de « sensing » permet d’ajuster le positionnement de la marque en fonction de la connaissance du marché, et ainsi d’améliorer le revenu de l’entreprise. De plus, les chercheurs ont montré que la capacité de « sensing » coordonnée avec la capacité de gestion de la marque permet d’atténuer l’effet négatif de cette dernière sur les marges. En effet, la capacité de « sensing » permet de prioriser les ressources à mobiliser pour les activités de gestion de la marque. Par exemple, la capacité de « sensing » permet d’orienter la communication vers le ou les médias adéquats en fonction de la cible, plutôt que de le choisir au hasard, ou de tous les choisir.

À l’inverse, dans le cas d’une utilisation séparée des capacités de « sensing » et de gestion de la marque, l’entreprise fonctionne en silo. La capacité de gestion de la marque a un effet positif sur les revenus de l’entreprise, puisqu’elle permet d’améliorer l’image de la marque, l’attitude des consommateurs envers celle-ci, et d’influencer les comportements d’achat. Toutefois, cette capacité a un impact négatif sur les marges, puisque la gestion de la marque coûte cher (notamment en termes de communication). Sans la coordination avec la capacité de « sensing », la capacité de gestion de la marque ne détient pas d’éléments informationnels qui lui permettent d’orienter ses efforts vers des cibles à potentiel, ou encore de savoir quelle est la manière la plus efficace de mettre en œuvre ses efforts pour toucher la cible désirée.

Une utilisation conjointe des deux actifs s’apparente à une coordination de ces deux activités (c’est-à-dire que les deux activités s’agencent comme un ensemble cohérent), grâce à une coopération entre les entités qui possèdent ces actifs (c’est-à-dire qui sont orientés vers un objectif commun).

Toutefois, même si ces recherches mettent en évidence des relations synergiques entre les capacités d’une entreprise, la coordination des capacités, à partir de leur complémentarité, reste encore un thème de recherche peu étudié et qui mérite d’être approfondi (Newbert, 2007).

2. L’avantage concurrentiel de la coordination des actifs

La notion de complémentarité des actifs est cohérente avec la théorie des capacités dynamiques, qui avance également que les capacités peuvent être complémentaires, et créer ainsi des avantages concurrentiels (Grant, 1996 ; Teece, Pisano, et Shuen, 1997).

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Le degré de complémentarité entre les variables est lié avec la performance de l’entreprise (Morgan, Vorhies, et Mason, 2009 ; Vorhies et Morgan, 2003) puisque l’utilisation conjointe d’actifs complémentaires crée plus de valeur que l’utilisation de chaque actif séparément. La manière dont les différents actifs sont coordonnés et le choix des actifs coordonnés influencent donc la performance de l’entreprise (Vorhies, Morgan, et Autry, 2009).

De plus, une autre raison de l’avantage procuré par la complémentarité des actifs réside dans le nombre quasiment infini de configurations possibles, que ce soit entre ressources, entre capacités ou les deux. Cette multitude d’options possibles rend le produit de la combinaison de ces actifs idiosyncratique, et de ce fait plus difficile à imiter et à identifier (Stock et Zacharias, 2011 ; Teece, 2007).

Enfin, la coordination des actifs crée de l’ambiguïté causale. Autrement dit, comme plusieurs ressources, capacités et/ou compétences entrent en jeu dans les activités de l’entreprise, et s’influencent les unes les autres, il sera difficile d’identifier exactement la source de l’avantage, et donc difficile à imiter et reproduire pour la concurrence (Morgan, Slotegraaf, et Vorhies, 2009 ; Morgan, Vorhies, et Katsikeas, 2012).

3. Les compétences : l’utilisation des ressources par les capacités

Une des limites de la RBV évoquée dans la section 1 de ce chapitre est le fait que la possession de ressources ou de capacités seules n’apporte qu’une valeur très limitée à l’entreprise. C’est essentiellement le déploiement de ces actifs, autrement dit l’utilisation des ressources par les capacités, et plus particulièrement la qualité de cette utilisation, qui offre un avantage concurrentiel.

Les compétences peuvent être définies comme l’utilisation des ressources par les capacités, et plus particulièrement les « services rendus » par cette utilisation (Moati et Volle, 2012). Ce sont donc les compétences (autrement dit ce que l’organisation possède comme potentiel réel par l’exploitation de ses ressources et de ses capacités) qui permettent à l’organisation d’obtenir un avantage par rapport à la concurrence (Penrose, 1959). En effet, c’est dans l’utilisation des actifs (c’est-à-dire les services rendus par cette utilisation), et non dans leur seule possession que les entreprises tirent un avantage vis-à-vis de leurs concurrents.

Chapitre 2. Les ressources, capacités, capacités dynamiques et compétences

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Les compétences représentent donc un cas particulier de coordination des actifs d’une entreprise, puisqu’elles représentent la combinaison de ressources et de capacités.

4. Les compétences-clés : la coordination de compétences entre départements

Au-delà de la notion de compétence, Prahalad et Hamel (1990) ont introduit la notion de compétence-clé (« core competency »), pour offrir un cadre pour étudier la planification stratégique et pour appréhender les synergies entre les différentes fonctions d’une entreprise, comme par exemple la fonction marketing et la direction des systèmes d’information (Javidan, 1998).

Une compétence-clé est un agrégat d’actifs issus de différents départements de l’organisation. Ainsi, la différence entre une compétence et une compétence-clé, est que les compétences sont considérées de façon isolée, tandis que les compétences-clés sont des ensembles de compétences (Prahalad et Hamel, 1990). De fait, la notion de compétence-clé repose sur l’identification et l’harmonisation des différentes compétences à disposition de l’entreprise (technologiques, savoir, activités et processus), au-delà des frontières entre les différents départements. Il s’agira alors d’anticiper et de répondre aux évolutions du marché avec une approche « inside-out », c’est-à-dire une identification des compétences internes et leur exploitation au travers de leur coordination pour répondre aux opportunités du marché. Les actifs mobilisés dans la création d’une compétence-clé sont généralement des connaissances et du savoir-faire (Javidan, 1998). Leur combinaison nécessitera alors un partage de connaissances intra-organisationnel.

À la suite des travaux de Prahalad et Hamel (1990), Javidan (1998) propose une hiérarchie des compétences, dans laquelle il distingue les compétences des compétences-clés, et dans laquelle il propose quatre différents niveaux d’actifs.

Les premier et deuxième niveaux représentent les ressources accessibles à l’entreprise, puis les capacités à exploiter ces ressources. Selon le chercheur, les ressources sont en bas de la hiérarchie car la possession de ses actifs ne présume pas de la performance de l’entreprise qui les détient, car elles peuvent être mal ou pas exploitées.

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Aux troisième et quatrième niveaux se trouvent les compétences-clés. Elles permettent une

intégration et une harmonisation des compétences entre les départements et les différentes unités de l’entreprise.

Ainsi, la capacité à recombiner les différentes compétences à disposition de l’entreprise (c’est- à-dire ce que l’entreprise peut réellement faire) permet de développer une compétence cross- fonctionnelle d’ordre supérieur, et difficile à imiter. Par exemple, Dutta, Narasimhan, et Rajiv (1999) ont montré l’importance d’une coordination entre les capacités du département marketing et celles du département de R&D pour la performance de l’entreprise.

Plus spécifiquement en marketing, Kozlenkova, Samaha, et Palmatier (2013) évoquent l’idée que les actifs de la fonction marketing ont tendance à être plus complémentaires que d’autres types d’actifs, et donc plus souvent coordonnés avec ceux des autres départements. Cette idée est cohérente avec la nécessité de combiner des capacités tournées vers l’extérieur (souvent des capacités de la fonction marketing, telles que la connaissance du marché et des clients) avec des capacités tournées vers l’interne, qui sont essentiellement des capacités des fonctions support, telles que les ressources humaines ou encore la finance (Day, 1994).

La porosité des frontières intra-organisationnelles, en facilitant le transfert d’informations sur le marché et les consommateurs (Achrol et Kotler, 1999 ; Homburg, Artz, et Wieseke, 2012), ainsi que la diffusion des pratiques et activités liées au marketing dans l’organisation, favorise la création de compétences-clés. Face à la turbulence des marchés, et dans le but de développer leur agilité, les organisations ou départements se regroupent par spécialisations complémentaires (Achrol, 1991 ; Homburg, Artz, et Wieseke, 2012 ; O’Driscoll, Carson, et Gilmore, 2000).

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La complémentarité des actifs met en évidence l’effet d’interaction entre actifs, en plus de l’effet que chaque actif peut produire séparément. Ainsi certains actifs sont interdépendants et ont un effet synergique lorsqu’ils sont utilisés conjointement.

La prise en considération de la complémentarité des actifs dans leur utilisation confère un avantage concurrentiel. Cet avantage est acquis grâce à l’effet synergique de la combinaison, mais également grâce à sa nature idiosyncratique et de fait, difficile à imiter et identifier.

Chapitre 2. Les ressources, capacités, capacités dynamiques et compétences

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Parmi les combinaisons d’actifs pouvant conférer un avantage concurrentiel se trouvent les compétences, qui sont l’utilisation des ressources par les capacités (c.-à-d. ce qu’une entreprise peut réellement faire), ainsi que les compétences-clés, qui représentent une combinaison de plusieurs compétences de l’entreprise.

Après avoir réalisé un panorama des ressources, capacités, capacités dynamiques, compétences et compétences-clés, nous abordons, dans la section suivante, le cas particulier de la knowledge-based view, pour laquelle la connaissance est considérée comme une ressource stratégique pour les entreprises.