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Les commentaires du Premier secrétaire du parti socialiste François Mitterrand

François Mitterrand ne s'est pas présenté à l’élection présidentielle de juin 1969 suite aux événements de mai 1968 mais demeure une des principales personnalités de la gauche non communiste au début des années 1970. Il prend d’ailleurs le contrôle du nouveau parti socialiste en en devenant son Premier secrétaire à l’occasion du congrès d'Epinay sur Seine en juin 1971. Il apparaît dès lors comme son candidat naturel à la prochaine élection présidentielle, sur une ligne d'union de la gauche avec les communistes. Le nouveau Premier secrétaire du parti socialiste prépare néanmoins, avant ces futures échéances, les élections législatives de mars 1973 et aborde régulièrement le sujet des institutions afin de préparer l’arrivée au pouvoir de la gauche. Nous allons chercher à déceler ses intentions vis à vis de la notion de cohabitation au cours de ses nombreuses déclarations dans les années 1969-1974.

François Mitterrand est l'invité du Club de la presse le 22 octobre 1971 sur la 1ère chaîne, il pense qu'il accepterait naturellement d'être Premier ministre si la gauche sortait victorieuse des élections législatives de 1973 et si Georges Pompidou lui demandait de former un gouvernement : « on ne peut pas dire que les positions de

monsieur Pompidou soient faciles à combattre parce qu’au fond, on ne les connaît pas sinon qu’il faut que cela dure … si la coalition de gauche l’emporte, et qu’elle soit en mesure de faire respecter son programme pour lequel elle aura été élue, j’accepterais d’être Premier ministre du président de la République qui me le proposera ».

François Mitterrand est l'invité de l'émission A armes égales le 10 janvier 1973 sur

la 1ère chaîne, il souligne que le président de la République Georges Pompidou a des

pouvoirs comparables à certains hommes forts du continent européen : « j’ai comparé

les pouvoirs de monsieur Pompidou à ceux du chef du gouvernement du Portugal, monsieur Caetano, du général Franco et des colonels grecs, en vérité, j’ai comparé les pouvoirs, je n’ai naturellement pas comparé les personnes … ».

Il nous fait part de son respect pour la personne et la fonction du président de la République : « j’ai beaucoup de respect pour la personne du président de la

République et dans des circonstances dramatiques pour lui, je me suis refusé à hurler avec les loups, en plus, j’ai beaucoup de respect pour la fonction, je souhaite que monsieur Pompidou puisse exercer sa fonction dans le cadre de la Constitution, s’il veut bien la respecter, jusqu’au terme qui lui est fixée par la loi ».

Il pense néanmoins que le président de la République et le gouvernement exercent des pouvoirs qui dépassent ceux prévus par la Constitution au niveau du parlement : « il

n’y a donc pas de discussion là-dessus mais j’ai comparé les pouvoirs, alors là, c’est un débat sérieux, institutionnel, monsieur Pompidou, il a les pouvoirs que lui donne la Constitution, ils sont importants et puis il a ceux qu’il a pris ou que son prédécesseur a pris pour lui. Et au total, ce gouvernement, le président de la République dispose de tous les moyens, peut ne pas faire présenter le gouvernement qu’il forme à l’Assemblée Nationale, contrairement à la Constitution. Le gouvernement est composé naturellement des représentants des divers groupes de la majorité, cela c’est normal mais au niveau du parlement, la majorité détient toutes les présidences de commission, tous les rapports de commission à l’initiative de toutes sauf sept d’entre elles depuis 14 ans, de toutes les lois, de telle sorte que sur le plan législatif, le gouvernement qui inspire la majorité et le président de la République qui inspire le gouvernement a les moyens de légiférer. Non seulement, il exerce l’exécutif mais il exerce un pouvoir légiférant comparable à celui du parlement, ceci a d’ailleurs été expliqué en termes très clairs par monsieur Foyer et par monsieur Debré dans des thèses qu’ils ont défendu dans les alentours des années 1963-1964 … ».

Il dénonce également la main mise du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire et constitutionnel : « enfin sur le plan du pouvoir judiciaire, monsieur Pompidou est

président du Conseil Supérieur de la Magistrature, les membres du Conseil Supérieur de la Magistrature sont nommés dans des conditions qui ne permettent pas de dire qu’ils échappent au pouvoir exécutif. Il existe à côté une Cour de Sûreté totalement nommé par le ministre de la justice et par le ministre de la défense nationale. Et enfin, le Conseil Constitutionnel, qui est chargé d’arbitrer les pouvoirs entre l’exécutif et le législatif, est composé en majorité, six sur neuf des personnes désignés par le président de la République et par le chef du gouvernement qu’il désigne. Je dis que le

président de la République dispose de par la loi mais aussi en raison de l’usage abusif qu’il en fait de pouvoirs comparables à ceux des personnes que j’ai citées ».

Il se montre satisfait de la position du président de la République au cours de sa récente conférence de presse concernant une éventuelle coexistence : « j’observe que

monsieur Pompidou dans sa conférence d’hier, j’observe, c’est très important cette discussion, après avoir il y a quelques mois semblé hésiter sur son devoir si l’union de la gauche l’emportait, ses déclarations d’hier étaient beaucoup plus conformes à la lettre, monsieur Pompidou est redevenu raisonnable et nous n’avons pas l’intention de nouveau de lui poser la question, il respectera la Constitution, parfait ».

François Mitterrand prononce une déclaration au cours d’une conférence de presse le 12 février 1973, il regrette que le président de la République s'obstine à n’être, à ses yeux, que l'homme d'un seul clan, Georges Pompidou ayant en effet récemment apporté son soutien à la majorité parlementaire : « le rôle du président de la

République n'est pas de créer le désordre, mais d'harmoniser les inévitables contradictions commandées par l'évolution d'un grand peuple … monsieur Pompidou, président de tous les français, nous le reconnaissons comme tel, semble mettre un point d'acharnement à ne vouloir être à tout prix que le président de la moitié, c'est dommage, nous le déplorons, mais je le répète, nous pensons que la sagesse l'emportera et nous n'émettons aucune passion particulière ».

Il s’attend à ce qu'un Premier ministre et un gouvernement de gauche issus de la nouvelle majorité cohabitent avec le président de la République : « la gauche ne

demande que cela, ne demande que premièrement, gagner les élections, ayant gagné les élections, ce qui suppose une majorité de parlementaires, constituer une majorité et elle attendra du président de la République qu'il veuille bien désigner un Premier ministre capable de former un gouvernement dans la ligne générale de cette majorité qui elle-même se sera constituée sur la base du programme commun … ».

Il rappelle que le mandat du président de la République n’est absolument pas mis en cause par la gauche : « voilà la logique, je le répète volontairement, la sagesse, voilà

l'intérêt du pays, bon, monsieur le président de la République s'y refuse, il engage un processus dont il est seul maître et seul responsable. J'ai dit et j'engage la gauche, que

le président de la République est élu jusqu'en 1976 et que sauf accident que nous ne souhaitons pas, il doit parvenir au terme de sa charge, s'il estime lui même qu'il doit en être autrement, cela le regarde, mais nous ne souhaitons pas une succession d'élections qui occupe constamment le pays alors qu'il y a mieux à faire ».

François Mitterrand souhaiterait donc que Georges Pompidou respecte la Constitution en cas de victoire de la gauche aux élections législatives de mars 1973, il s’attend en effet à ce qu’il désigne un Premier ministre capable de former un gouvernement dans la cadre de la nouvelle majorité parlementaire qui se sera elle-même constituée sur la base du programme commun. Il considère également, au niveau des institutions, que le président de la République et son gouvernement exercent des pouvoirs qui dépassent ceux prévus par la Constitution au niveau du parlement, il dénonce de la même manière leur main mise sur le pouvoir judiciaire et constitutionnel.

Les commentaires du secrétaire général du parti communiste Georges Marchais Georges Marchais devient secrétaire général adjoint du parti communiste en février 1970 avant d’être élu secrétaire général en décembre 1972, poursuivant la politique d’union entre socialistes et communistes, il a ainsi conclut le programme commun de gouvernement avec ses partenaires socialistes et radicaux de gauche en juin 1972. Il prépare aussi, comme François Mitterrand, son parti aux élections législatives de mars 1973. Nous allons chercher à déceler ses intentions vis à vis de la notion de cohabitation au cours de ses nombreuses déclarations dans les années 1969-1974.

Georges Marchais est l'invité de l'émission Actuel 2 le 29 janvier 1973 sur Antenne 2, il nous explique qu’un gouvernement de la gauche comportera des ministres des trois formations de la gauche et donc forcément des ministres communistes : « nous disons,

dans le cadre d'une victoire de la gauche, il appartient au président de la République de désigner le Premier ministre et les trois partis discuteront démocratiquement de la Constitution du gouvernement qui comprendra forcément des représentants des trois formations … il a toujours été très clair pour tout le monde que l'accord conclu entre communistes, socialistes et radicaux avait objet la mise en œuvre du programme de gouvernement que nous avons conclu ensemble par les trois formations ».

Il souligne que les français vont bientôt se prononcer démocratiquement sur la politique à mener : « la Constitution dit que la souveraineté appartient au peuple qu'il

exerce par ses représentants, les prochaines élections sont des élections législatives, où précisément le peuple français va élire ses députés, ses représentants. Il élira ses représentants sur la base d'une politique donnée, si la gauche a la majorité, cela voudra dire que la majorité du peuple français s'est prononcé démocratiquement, pour la mise en œuvre du programme commun qui lui est aujourd'hui proposé … ».

Il ne pense pas que le président de la République s’opposera à la mise en œuvre d’une nouvelle politique : « je vois vraiment difficilement le président de la

République, surtout que maintenant voilà l'UDR qui se permet de faire des promesses démagogiques auxquelles d'ailleurs personne ne croit parce que les gens se disent pourquoi feraient-ils demain ce qu'ils n'ont pas fait hier ? pourquoi voudriez-vous que le président de la République s'oppose à la réalisation de ces objectifs ?, alors sinon,

il faudrait dire, cela n'est pas la peine d'aller aux élections législatives, alors ce n'est pas la peine de faire des élections, si on fait des élections … monsieur Pompidou a dit j'appliquerais la Constitution … il ne s'agit pas d'élections présidentielles, il s'agit d'élections législatives, il s'agit d'élire une Assemblée Nationale … ».

Il affirme que le gouvernement conduit la politique de la Nation, le président de la République devant appliquer la Constitution : « la Constitution dit : la souveraineté

appartient au peuple qu'il exerce par ses représentants, la Constitution dit : le gouvernement dirige les affaires de la Nation, ce n'est pas mot à mot mais l'esprit est là. Nous allons aux élections législatives, le peuple français démocratiquement élit une majorité de gauche, cette majorité de gauche est mandaté pour appliquer le programme sur lequel elle a été élue, voilà comment moi je vois la question et le président de la République n'a jamais dit qu'il n'appliquerait pas la Constitution ».

Il estime que Georges Pompidou n’a pas tenu ses promesses présidentielles et considère donc que les français seront légitimement conduits à faire un choix différent : « en 1969, il a été élu sur la base d'une politique donnée mais 4 ans ont

passé … 4 années sont passés, si la majorité du peuple français s'aperçoit que les promesses qui avaient été faites n'ont pas été tenues, dans aucun domaine, dans aucun domaine. La majorité du peuple français décide de mettre en œuvre la politique contenue dans le programme commun de gouvernement, pourquoi le président de la République n'en tiendrait-il pas compte, ou alors s'il n'en tient pas compte alors pourquoi on fait des élections, pourquoi, on fait des élections pour rien ? ».

Il pense que si le chef de l’État était conduit à dissoudre l'Assemblée Nationale à la suite des élections, les français voteraient de toute façon dans le même sens : « si le

président de la République ne tient pas compte de la volonté exprimée par la majorité du suffrage universel et qu'il dissout l'Assemblée Nationale, nous retournons aux élections. La majorité du peuple français ne se déjugera pas, elle confirmera tout simplement la majorité de gauche pour mettre en œuvre le programme commun de gouvernement. Je pense que le président de la République, il réfléchit aussi à cette éventualité, vous savez bien qu'il n'y a pas d'exemple où les électeurs se soient déjugés, regardez quand on annule les élections, que ce soit législatives, municipales, cantonales, les électeurs confirment toujours leur vote, monsieur Pompidou le sait ».

Georges Marchais affirme donc que le gouvernement conduit la politique de la Nation et que le président de la République doit appliquer la Constitution. Il pense ainsi, qu’en cas de victoire de la gauche aux élections législatives, Georges Pompidou ne s’opposera pas à la mise en œuvre du programme commun. Il imagine également que si le chef de l’État était malgré tout conduit à dissoudre l'Assemblée Nationale, les français voteraient de toute façon dans le même sens aux nouvelles élections.

1.3.4. L'adhésion des socialistes et des

communistes à la notion de cohabitation au cours