• Aucun résultat trouvé

Le commerce sexuel : une source de revenus substantiels

Dans le document en fr (Page 150-154)

CHAPITRE 2 – La souplesse des prêteurs privés, ou comment la sexualité s’immisce

3. Crédit et sexualité : des carrières de dette genrées

3.2. Le commerce sexuel : une source de revenus substantiels

Les deux premières caractéristiques des carrières de dette – le rôle de codébiteur dans les emprunts familiaux et l’économie de prêts entre amis – peuvent s’appliquer aux deux sexes. En revanche, le fait que les femmes fassent valoir leur activité de commerce sexuel dans les arrangements de crédit donne une couleur genrée à leur carrière de dette, d’autant plus que la prostitution masculine reste rare au Viêt Nam. Le commerce sexuel présente des avantages qui n’échappent ni aux prêteurs privés ni aux employeurs prostitutionnels. La

et non prostitutionnels met en relief l’attractivité financière du premier. À Châu Đốc, les femmes disposent de plusieurs options.

Elles peuvent d’abord travailler sur le trottoir. La vente de services sexuels à la pagode de l’arbre du Bouddha rapporte entre 800 000 et deux millions de VND (52-118 USD) par mois, sur une base de 40 prestations facturées de 20 000 à 50 000 VND (1,3-3,2 USD). Flexible mais précaire, cette activité effectuée pour l’essentiel en soirée laisse aux femmes beaucoup de temps libre qu’elles investissent ailleurs.

Elles peuvent aussi travailler au bia ôm, un espace récréatif très populaire au Viêt Nam, pouvant ressembler à un restaurant. Les hommes s’y rendent pour manger et boire de la bière (bia) entre amis. Les employées qui les accueillent leur lavent le visage, les divertissent et les enlacent (ôm), d’où l’expression « aller boire de la bière pour se faire enlacer » (đi uống

bia ôm). À Châu Đốc, le bia ôm rapporte de 1,8 à trois millions de VND (105-174 USD), sur

une base de 40 pourboires facturés de 20 000 à 50 000 VND (1,3-3,2 USD), des commissions sur les produits consommés à hauteur de 500 000 VND (32 USD) et un salaire fixe de 500 000 VND. Les employées peuvent accroître leurs revenus en négociant des prestations privées en dehors des heures de travail. Elles travaillent pendant de longues plages horaires et dans des conditions variables d’un établissement à l’autre.

Le salon de karaoké se rapproche du bia ôm. Le client s’y rend pour boire, manger, chanter, se divertir et se faire enlacer. Les hôtesses fournissent les mêmes services que les employées de bia ôm avec en outre un accompagnement musical. Leur popularité dépend de leur beauté, de leur cordialité et de leurs talents musicaux. Une hôtesse peut gagner entre 3,8 et 7,8 millions de VND (241-495 USD) sur une base de 40 pourboires facturés de 50 000 à 150 000 VND (3,2-9,6 USD), des commissions sur les produits consommés de 800 0000 VND (51 USD) et un salaire d’un million de VND (64 USD). Elles peuvent augmenter leurs revenus en négociant des services privés, d’autant plus que les salons de karaoké se trouvent souvent dans des hôtels disposant de chambres à coucher en location.

Les femmes peuvent enfin travailler dans des salons de massage situés dans des hôtels et des salons de coiffure (tiệm gội đầu). Contrairement au bia ôm ou au karaoké, le client se voit d’emblée offrir des services intimes dans des cabines privées à la lumière tamisée et à la décoration suggestive. Une masseuse peut gagner entre trois et sept millions de VND (191- 445 USD) sur une base de 40 pourboires compris entre 50 000 et 150 000 VND (3,2-9,5 USD) et un salaire d’un million de VND (64 USD), sans compter les prestations privées fréquentes : masturbation, fellation et plus rarement pénétration.

plus. L’étude du Département pour la prévention des fléaux sociaux offre des estimations non différenciées par secteur d’activité et genre pour les hommes et les femmes qui travaillent à Hồ Chí Minh-Ville, à Hà Nội et à Hải Phòng. Le revenu mensuel moyen atteint 10,6 millions de VND (503 USD) (Government of Vietnam 2012 : 19), le triple du cinquième décile – le plus nanti – dans l’enquête des niveaux de vie au Viêt Nam, soit 3 410 000 VND (162 USD) (General Statistics Office 2010 b : 14), et plus du double du revenu moyen pour l’industrie sexuelle à Châu Đốc.

Secteur de l’industrie sexuelle Revenu mensuel en USD

Trottoir 52-118

Bia ôm 105-174

Karaoké 221-454

Massage 191-445

Revenu moyen 220

Fig. 46 : Tableau récapitulatif des revenus dans l’industrie sexuelle à Châu Đốc. L’industrie sexuelle offre donc une vaste palette de possibilités attrayantes même dans une petite ville de province comme Châu Đốc. De plus, les femmes peuvent choisir parmi un grand nombre d’activités dont la vente de billets de loterie, le service en restauration, le salariat agricole, le travail en usine et le service domestique. La vente de billets de loterie rapporte entre 300 000 et 1,5 millions de VND (19-95 USD). Cette activité exige un capital de roulement et de l’endurance physique pour sillonner les rues sous la chaleur accablante et dans un environnement compétitif. Le service en restauration rapporte entre 500 000 et un million de VND (32-64 USD). Les conditions sont peu flexibles, les plages horaires longues et le travail s’effectue debout, d’où la forte rotation de la main-d’œuvre. Le salariat agricole rapporte entre 500 000 et 800 000 VND (32-51 USD). Les revenus dépendent du calendrier et des aléas climatiques. Les frais de transport et de logement sont à la charge de l’ouvrier. Le travail dans une usine locale de mise en boîte de poisson-chat rapporte entre un et deux millions de VND (64-127 USD). Les horaires sont réglementés et l’ouvrier peut effectuer des heures supplémentaires. Enfin, une employée de service domestique gagne entre 200 000 et un million de VND (13-64 USD), gîte et couvert en plus. Logée chez l’employeur, elle est

56 USD (881 000 VND), ou 672 USD (10 576 000 VND) par an, quatre fois moins que le revenu moyen dans l’industrie sexuelle.

Activité non prostitutionnelle Revenu mensuel en USD Vente de billets de loterie au détail 19-95

Service en restaurant ou café 32-64

Salariat agricole 32-51

Salariat en usine locale 64-127

Service domestique 13-64 (+ gîte et couvert)

Revenu moyen 56

Fig. 47 : Tableau récapitulatif des revenus non prostitutionnels à Châu Đốc.

Cet exposé comparatif révèle les avantages des activités prostitutionnelles par rapport à celles qui ne le sont pas. L’estimation la plus basse pour les femmes qui travaillent à mi- temps à la pagode de l’arbre du Bouddha équivaut au salaire d’une ouvrière ou d’une serveuse travaillant à temps plein dans des conditions bien plus contraignantes. Les revenus s’envolent pour les employées de bia ôm, les hôtesses de karaoké et les masseuses avec l’accumulation de pourboires, de commissions, d’un salaire et de paiements de services privés. Les conditions de travail entrent aussi en ligne de compte. Si les femmes de la pagode de l’arbre du Bouddha gagnent peu en travaillant de nuit, elles jouissent de temps libre en journée qu’elles investissent dans d’autres activités, la vente de billets de loterie, le service en restaurant, le ramassage de matériaux recyclables, etc. La plupart des bia ôm et des salons de karaoké, de massage et de coiffure imposent une présence permanente. En revanche, les hôtesses de karaoké et les masseuses jouissent d’une faible charge de travail et de beaucoup de temps libre. Elles attendent patiemment l’arrivée des clients dans des pièces ventilées en regardant la télévision, en lisant des magazines, ou jouant aux cartes ou en se manucurant les ongles, des conditions enviables comparées à celles des ouvriers, des serveurs et des domestiques. Aux yeux des prêteurs privés et des employeurs prostitutionnels, la profitabilité du commerce sexuel accroît la solvabilité des femmes qui s’adonnent à cette activité. Et puisque la richesse attire le crédit, elles empruntent à hauteur de leurs moyens, c’est-à-dire des sommes bien supérieurs à celles auxquelles peut aspirer leur famille. Ainsi, la nature d’une activité productive réservée aux femmes joue à la faveur de celles-ci dans les arrangements de finance informelle. Mais les revenus élevés ne constituent pas le seul avantage du commerce sexuel.

3.3. Solvabilité, garantie et travail hypothéqué : la sexualité s’immisce dans le crédit

Dans le document en fr (Page 150-154)