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2.b : comment le fait de conjuguer conception et usage permet de travailler des éléments méthodologiques de la conception et les dynamiques du processus de

Phase 3 Retour sur l’outil

C. Exploration de questions agronomiques à l’interface entre le modèle DIAGVAR et l’activité des utilisateurs

IV. Discussion : traitement des questions et connaissances produites

3. Circulation entre les espaces C-K-A

Quelle circulation se met en place entre les trois espaces ? Dans notre travail, nous avons fait interagir acteurs et chercheurs autour de la production d’un outil. Comment cela se manifeste-t-il dans le champ des connaissances produites ? Dans les deux paragraphes suivants, nous allons montrer en quoi les champs de connaissance ont été mis en mouvement par l’espace A en nous basant sur les deux questions traitées en profondeur : celle de l’indicateur azote et celle de la stabilité des méthodes statistiques. Nous montrerons ensuite comment ce travail conduit aussi à

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119 faire évoluer le concept initial et à identifier plusieurs concepts possibles pour poursuivre le travail.

3.1 Connaissances mises en mouvement dans le travail sur l’indicateur azote

Du point de vue scientifique, ce travail se situe dans le champ des connaissances sur le diagnostic agronomique et plus spécifiquement, sur les indicateurs nécessaires en entrée pour réaliser le diagnostic. Or le travail que nous avons effectué apporte un traitement différent de la problématique des indicateurs du statut azoté d’une parcelle parce qu’il a été construit à partir de la situation de l’activité d’évaluation. C’est ce qui fait son originalité, de poser les questions liées à ces indicateurs en partant de l’usage qui en est fait ou envisagé. S’interroger sur les liaisons SPAD/INN et sur la stabilité de la valeur des mesures SPAD dans le temps était de fait nouveau dans la littérature agronomique. Nous avons trouvé un seul article dans la littérature s’intéressant au lien entre INN et SPAD, sur blé dur (Debaeke et al., 2006), travail qui a d’ailleurs été soutenu par le GIE Blé Dur (intégrant les sociétés Benoist, Desprez, Eurodur, Groupe GAE semences, RAGT et Serasem). Nos interrogations n’auraient donc sans doute pas émergé si les questions n’étaient pas parties de la situation dans laquelle l’indicateur doit être mis en action. Préciser le comportement d’un indicateur dans le temps en se demandant quelle est la stabilité du SPAD autour de la floraison n’est intéressant que parce qu’il y a une utilisation derrière, celle permettant aux expérimentateurs de ne pas trop modifier l’organisation de leurs visites d’essais. Chercher des corrélations entres INN et mesures SPAD ne pose question que si on a l’ambition de remplacer un indicateur du statut azoté reconnu scientifiquement par un indicateur plus facile à mettre en œuvre. Etudier les conditions de ce remplacement en montrant la nécessité d’utiliser un index SPAD, et non les mesures SPAD directement, découle également de l’objectif que fixent les utilisateurs à la mesure d’un indicateur du statut azoté, celui de disposer d’une mesure stable entre variétés pour caractériser leurs essais.

Nous placer dans la situation de l’activité d’évaluation nous a donc conduite à spécifier les connaissances du champ du diagnostic.

3.2 Connaissances mises en mouvement dans le travail sur la stabilité des méthodes statistiques

Du point de vue des connaissances produites, les intérêts d’un tel travail sont variés.

Il permet, en premier lieu, d’aborder explicitement la problématique des caractéristiques et exigences statistiques de méthodes largement utilisées par les agronomes, exigences qui sont parfois un peu oubliées. L’augmentation de la puissance de calcul, notamment, rend possible l’utilisation de nouveaux outils qui permettent de mieux apprécier les caractéristiques des méthodes et d’en affiner les conditions d’application. La discipline des statistiques, qui produit des remises en cause de connaissances établies, produit également de nouvelles connaissances susceptibles d’être mobilisées par les agronomes. Des travaux comme ceux présentés ici sont une bonne occasion de les mettre en œuvre et de tester leur validité pour les agronomes.

Ce travail fournit par exemple des éléments intéressants pour la problématique de la validation des modèles. L’utilisation du ré-échantillonnage bootstrap permet de produire une information sur l’incertitude liée au choix d’un modèle et d’aborder différemment le calcul des critères classiquement analysés lors de la validation des modèles, comme celui de la qualité prédictive par

exemple (voir paragraphe II.2 de ce chapitre). En l’absence de données indépendantes pour valider un modèle (validation externe), les méthodes de rééchantillonnage et notamment de bootstrap peuvent être utilisées à la place des validations croisées, plus couramment utilisées en agronomie. Elles permettent d’utiliser la totalité des données disponibles pour réaliser la mise au point du modèle et son évaluation. Ces méthodes de rééchantillonnage donnent donc une information complémentaire sur la robustesse des modèles (Efron et Tibshirani, 1993 ; Guisan et Zimmerman, 2000).

Ce travail a également été l’occasion d’explorer un nouvel outil statistique, le BMA, qui devient accessible pour les agronomes du fait de la diminution des temps de calcul, permise par les progrès en informatique. Outre le fait qu’il n’est pas soumis aux même biais que les méthodes de sélection, cet outil semble très prometteur. Dans le cas de notre problème de diagnostic des effets des facteurs limitants sur le rendement, nous pourrions imaginer utiliser cette méthode pour fixer définitivement les relations entre intensité des facteurs limitants et rendement en nous servant d’une base de données la plus large possible. Reste la difficulté d’appliquer cette méthode à un très grand nombre de variables explicatives, ce qui représente rapidement un nombre de combinaisons limitant en termes de calcul (2n combinaisons de modèles où n représente le

nombre de variables). Nous avons réduit le nombre d’indicateurs de facteurs limitants dans ce travail mais nous avons vu que la validation de la nouvelle gamme d’indicateurs auprès des utilisateurs nous amènerait certainement à revoir certains indicateurs, jugés trop intégrateurs, pour trouver finalement un équilibre entre les 82 variables utilisées dans le prototype de DIAGVAR et les 22 utilisées dans le travail sur la stabilité des méthodes statistiques. Malgré les progrès informatiques, ce nombre pourra devenir limitant dans l’application de la méthode BMA. Dans le cadre de ce travail, ce sont donc les connaissances du champ de la modélisation et notamment de l’utilisation des statistiques dans la modélisation qui sont explorées. Nous placer dans la situation de l’activité d’évaluation nous a conduite à réfléchir au comportement des méthodes statistiques face à la variabilité des bases de données. Ce faisant, nous remettons en cause les connaissances que les agronomes ont instituées dans ce champ, nous les décalons. En montrant la sensibilité de méthodes statistiques très employées par les agronomes aux variations des bases de données, nous avons réaffirmé l’importance de caractériser les données dont disposent les agronomes en lien avec les caractéristiques et exigences des méthodes statistiques utilisées pour les traiter. A travers le recours à des méthodes innovantes comme les méthodes de mélange de modèles, se joue également une évolution du rapport des agronomes aux données expérimentales. Par ces méthodes, l’agronome prend acte de la complexité des phénomènes qu’il prétend explorer avec les données dont il dispose. Au lieu de chercher à établir une relation unique entre perte de rendement et facteurs limitants à partir de données qui comportent une part d’incertitude et qui restent souvent trop peu nombreuses au regard de la complexité à analyser, il prend acte de « l’imperfection » des données et l’intègre à son traitement statistique. Nous ne prétendons donc pas dans ce travail créer un nouveau champ de connaissances contestant l’existant. Nous remettons plutôt en question une partie du champ des connaissances habituellement utilisées en agronomie, nous intéressant à des méthodes qui reposent sur des hypothèses différentes. En nous interrogeant sur la façon dont les problèmes rencontrés dans l’action peuvent se résoudre, nous en sommes venue à réinterroger des connaissances largement utilisées par les agronomes. Alors que dans le cas du travail sur l’indicateur azote, nous spécifiions

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121 les connaissances existantes par un nouvel éclairage, nous sommes plutôt ici dans un décalage des connaissances, c'est-à-dire le développement d’un champ de connaissances dans des directions originales.

3.3 Connaissances mises en mouvement dans les autres questions

L’exercice de percevoir comment la situation singulière d’action a interagi avec les connaissances est plus complexe à réaliser sur les questions non traitées, justement parce que nous ne sommes pas allées jusqu’au bout de la production de connaissances sur ces questions. Néanmoins, lorsque nous considérons les pistes que nous avons suggérées d’explorer pour répondre à ces questions, il est intéressant de noter deux choses.

D’une part, nous retrouvons les deux modes de mise en mouvement des connaissances : leur spécification ou leur décalage. Dans la première catégorie, nous pouvons mettre les questions sur la définition de nouveaux indicateurs de facteurs limitants ou la redéfinition d’indicateurs de facteurs limitants non satisfaisants : la connaissance existante sera précisée et complétée. En revanche, lorsque nous posons la question de l’utilité des génotypes révélateurs, nous sommes plutôt dans un cas similaire à celui de la stabilité des méthodes statistiques. Le principe du diagnostic agronomique dans les essais variétaux a été établi sur la base d’une référence à des génotypes révélateurs. S’interroger sur leur maintien peut donc induire de profondes transformations dans les connaissances et l’apparition de connaissances complémentaires, bien inscrites dans ce champ mais en décalage avec les connaissances existantes.

D’autre part, nous trouvons intéressant de relever que la confrontation aux situations d’action nous oblige à décompacter les connaissances intégrées par les agronomes pour revenir à des connaissances plus disciplinaires. De fait, la connaissance agronomique est une connaissance intégratrice de connaissances disciplinaires (écophysiologie, phytopathologie, etc...) et plus en relation avec l'action. Mais en procédant à l'intégration de ces connaissances pour des situations d’action particulières, il faut arriver à faire évoluer les champs de connaissances. Et pour ce faire, il faut souvent retourner aux connaissances disciplinaires. Cela apparaît bien dans la façon dont nous proposons de traiter les questions : nous avons évoqué la nécessité de collaborer avec des écophysiologistes sur le problème de l’indicateur de mauvaises herbes ou d’excès d’eau hivernal à l’écophysiologie, avec des phytopathologistes sur le problème des notations maladie à la création de nouveaux indicateurs par la pathologie végétale, etc.

3.4 Circulation vers l’espace des concepts

Nous avons insisté jusque là sur les circulations s’établissant entre l’espace de la mise en action et l’espace des connaissances. Mais l’espace des concepts est lui aussi mis en mouvement dans le travail. Du fait de la mise en mouvement opérée dans les connaissances grâce à la prise en compte de l’espace A, le concept de départ est amené à être modifié. L’outil est remis en question, à la fois dans son interface, son mode d’emploi et son modèle. Nous avons vu que le concept avait été spécifié une première fois lorsque notre attention s’est concentrée sur l’étape de diagnostic agronomique de l’outil. Nous avons donc réduit assez vite le concept à un sous- élément qui était intéressant en lui-même au regard de la situation de l’activité d’évaluation. D’un concept « d’outil d’évaluation des variétés de blé », nous sommes donc passée à un outil

« d’automatisation du diagnostic agronomique basé sur des génotypes révélateurs ». Le travail fait sur l’indicateur azoté a permis de spécifier encore plus ce concept en soulignant l’importance des contraintes liées à la collecte des données expérimentales. Notre concept devient donc un outil « d’automatisation du diagnostic basé sur des génotypes révélateurs sous contraintes expérimentales ». D’autre part, en proposant de décliner le concept en fonction des usages (ce que nous avons concrétisé d’abord dans l’interface et que nous avons proposé de faire ensuite dans le travail sur la stabilité des méthodes statistiques, même si nous ne sommes pas allée au bout de cette réflexion), nous avons diversifié le concept. Si, à l’inverse, nous parvenions à trouver une méthode statistique parfaitement stable pour l’ensemble des configurations de bases de données possibles, nous serions alors dans une optique de spécification du concept. Nous retrouvons ici un des éléments de la théorie C-K présentant l’évolution sur le concept comme à la fois convergente (qui va dans le sens de la spécification : on ajoute des propriétés successives au concept) et divergente (qui va dans le sens de l’expansion : on trouve des variantes multiples à un niveau donné).

La mise en mouvement de l’espace K, comme la prise en compte de l’espace A, peuvent également conduire à spécifier de nouveaux concepts. Nous manquons de recul pour les discerner aujourd’hui mais nous pensons néanmoins à une des interrogations des acteurs lors des phases de simulation. Plusieurs acteurs de l’évaluation variétale, notamment ceux en charge du développement commercial des variétés dans le GIE Club des 5, se sont interrogés sur la possibilité d’obtenir, grâce à l’outil, un « profil par variété », décrivant de manière succincte les caractéristiques globales d’un type variétal. Il s’agirait en fait d’obtenir le même type d’information que celle présentée sur les milieux. Comme l’outil fournit un graphique représentant pour chaque milieu d’expérimentation les principaux facteurs limitants, les acteurs désiraient avoir pour chaque variété un profil des principaux facteurs ayant limité son rendement dans l’ensemble des conditions de culture rencontrées. Nous avons laissé cette question de côté parce que nous n’avons pas réellement su comment la traiter. En réalité, la question mériterait d’être mieux définie auprès des acteurs. Mais d’emblée, cette nouvelle fonctionnalité réclamerait un vrai travail de fond, sur la façon d’extraire de la régression factorielle les informations permettant de formaliser un profil variétal : comment lier la note, qui est en fait le paramètre génotypique du terme d’interaction entre covariable et génotype, et une perte de rendement sur l’ensemble du réseau et en tenant compte de l’ensemble des facteurs limitants ? A travers cette question, nous sommes finalement peut-être dans l’instruction d’un nouveau concept.

Ce que nous voyons également à travers ces interrogations, c’est que l’évolution du concept, comme l’apparition de nouveaux concepts, renvoient à des besoins d’exploration du champ des connaissances. Par exemple, si la suite de notre travail sur la stabilité des méthodes statistiques nous conduit à proposer de décliner les méthodes statistiques en fonction des configurations de réseaux, nous devrons explorer dans le champ des connaissances pour définir le mode d’emploi de cette déclinaison. Il nous faudra éclairer les caractéristiques des configurations de réseaux qui permettent de choisir l’une ou l’autre des méthodes statistiques. Inversement, si nous proposons finalement une seule méthode (issue d’un mélange de modèles), il nous faudra également explorer le champ des connaissances statistiques de cette méthode, relativement innovante. Enfin, à travers la question de l’établissement d’un profil variétal, nous sommes renvoyée à des questions pour extraire de la régression factorielle les éléments permettant de construire ce profil. Il y a

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123 donc là aussi une exploration nécessaire dans le champ des connaissances pour répondre aux évolutions du champ du concept.

4. Apports du cadre C-K-A pour penser la production de connaissances