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Choix méthodologiques pour remédier à la difficulté de modéliser l’interlangue

CHAPITRE V — Vérification de la fiabilité du système d’évaluation prototypique semi-

5.1 Choix méthodologiques pour remédier à la difficulté de modéliser l’interlangue

Selon les préconisations méthodologiques de Martinez et Berkhout (2009), une bonne question de recherche ou hypothèse doit être faisable, « susciter l’intérêt du ou des investigateurs », être « originale dans le sens d’innovante », éthique et surtout pertinente. On a déjà vu le degré de pertinence de cette recherche sur la modélisation de l’interlangue prosodique par l’intérêt pédagogique, économique et social qui s’y rattache. Cela est de nature à susciter l’intérêt de l’investigateur mais aussi de collaborateurs potentiels sollicités pour mener à bien ce projet de recherche. Si l’on considère le phénomène évaluatif comme égalitaire, favorisant la valeur des individus, cette recherche peut être éthique ; la méthodologie mise en œuvre pour atteindre l’objectif devra l’être également. Par contre, la difficulté prévisible est celle de la faisabilité : les analyses précédentes ont montré l’extrême variabilité des données, peu propices à une modélisation de la prosodie des apprenants. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ce type de recherche est peu avancé par rapport aux autres. Ce point est fondamental : ce travail ne peut aboutir qu’en cadrant la variabilité qui lui est inhérente. La question de recherche qui s’impose porte donc sur le choix de la méthodologie à utiliser pour atteindre le but. Étant donné les difficultés prévisibles, il semble particulièrement indiqué de ne pas se cantonner aux méthodologies conventionnelles dans l’exploration de la matière prosodique, mais de s’appuyer fermement sur l’originalité des recherches antérieures afin de bâtir une méthodologie encore plus originale et innovante, de nature à se dégager des ornières sclérosantes et ainsi atteindre un degré élevé dans la compréhension du phénomène prosodique. Originalité et innovation ne sont pas des conditions supplémentaires, elles constituent l’essence de la faisabilité de ce travail de recherche.

En conséquence, je suivrai l’exemple de Horgues (2010) en ne sélectionnant aucun cadre de recherche d’emblée, qui pourrait restreindre une vue d’ensemble des phénomènes ou occulter certaines approches fécondes. Ainsi, je pense favoriser les possibilités les plus nombreuses pour répondre adéquatement aux difficultés à résoudre et élargir les possibilités de choix à opérer en fonction des nécessités et possibilités du terrain. Dans une optique descriptive, j’utiliserai les termes de l’École britannique de l’intonation.

Cadrer la variabilité signifie trouver des repères objectifs, alors que la prosodie est par nature l’expression de la subjectivité. On a vu que la langue cible, l’anglais, était le repère de base modélisateur choisi dans les études. Cela ne résout aucunement le problème car la langue

native est elle-même dotée d’une grande variabilité. Il est donc nécessaire de préalablement comprendre la nature de la variabilité chez les natifs anglophones. Quatre axes d’investigation de la parole s’offrent à nous pour scinder la difficulté et ainsi la réduire : d’une part au niveau des locuteurs les axes d’analyse intra-locuteur et interlocuteurs, d’autre part au seul niveau de leurs réalisations les axes syntagmatique et paradigmatique. Pour sonder la complexité prosodique selon l’axe syntagmatique, j’appliquerai les notions de « profil » et « profilage » et pour faire de même sur l’axe paradigmatique j’utiliserai la détection du degré d’emphase. Ces concepts sont développés en aval, je ne m’y attarderai donc pas ici. Je me contenterai d’expliquer leur choix non pas par leur nature, mais par leur fonction en tant qu’outils de catégorisation et de hiérarchisation. Chacun des quatre est destiné à scinder le matériau prosodique en le catégorisant, en le hiérarchisant puis en opérant des sélections (locuteurs ou réalisations prosodiques conservés, regroupés, écartés de l’analyse). Dans la résolution de problèmes, peu importe la logique du chercheur, s’il planifie sa méthodologie d’après la phase initiale de description de la situation ou suivant l’objectif final à atteindre, l’essentiel est d’organiser une méthodologie en mesure d’atteindre l’objectif (Barsalou 1999)29. Le but recherché est de favoriser l’opérationnalisation des choix en faisant éclater le matériau prosodique pour le réagencer selon des critères différents de ceux traditionnellement utilisés, et ceci avec une différence fondamentale : il ne s’agit pas de l’atomiser pour observer des parties encore plus réduites réagencées sous forme de métriques, dissociées de leur nature profonde : l’humain, le vivant. Bien au contraire, l’objectif méthodologique est de replacer le phénomène prosodique dans son environnement afin de l’observer vivre en symbiose avec la subjectivité humaine et favoriser autant que faire se peut l’ancrage interlocutif (Kerbrat- Orecchioni [1999] 2009, Douay 2000) de la langue pour repérer les tendances. La quête de repères objectifs et tangibles est limitée si les choix sont autoréférencés. Ainsi devrait être favorisée l’aptitude de la prosodie à refléter l’auto-organisation du cerveau en fonction du vécu des situations. À partir des tendances dégagées, le lien forme sonore-sens devrait émerger et établir une hiérarchie organisationnelle nouvelle au sein même des sous-domaines temporel, mélodique, de registre et accentuel. Bien qu’elles fonctionnent en synergie, il est intéressant de garder ces catégorisations afin d’analyser plus finement leur structure organisationnelle en interaction. Cela devrait permettre de privilégier la précision ainsi que de

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From the perspective of perceptual symbol systems, problem solving is the process of constructing a perceptual simulation that leads from an initial state to a goal state. Problem solvers can work forward from the initial state or backward from the goal state, but in either case they attempt to simulate a plan that achieves the goal. In novice problem solving, the difficulty is finding satisfactory components of the simulation and ordering them properly. Barsalou (1999 : 605)

favoriser le croisement des données pour vérifier la convergence des résultats sous divers angles d’étude.

Je résumerai très sommairement ces propos en écrivant que pour mettre en application ces idées sur la manière d’organiser cette recherche, il est donc nécessaire de créer un corpus parallèle et complémentaire de locuteurs natifs ayant lu le même texte dans les mêmes conditions. Ce nouveau corpus sert de base à l’analyse par profils pour obtenir une sélection des locuteurs natifs à analyser acoustiquement (Chapitre II), puis il est utilisé pour l’analyse par l’emphase afin d’obtenir une sélection des zones du texte à privilégier pour l’étude acoustique (Chapitre III). En fonction de ces repère natifs, le Chapitre IV vérifie l’hypothèse selon laquelle la vitesse d’élocution serait révélatrice du niveau prosodique des apprenants et propose des critères de catégorisation et hiérarchisation de l’interlangue prosodique par variables pour une utilisation dans une évaluation semi-automatique. Le Chapitre V est destiné à vérifier le degré de fiabilité des résultats issus de l’évaluation prosodique semi- automatique par comparaison avec ceux attribués par méthode traditionnelle.