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Approche pionnière des profils linguistiques (Crystal 1982)

CHAPITRE V — Vérification de la fiabilité du système d’évaluation prototypique semi-

3.2 Approche pionnière des profils linguistiques (Crystal 1982)

Dans son ouvrage Profiling Linguistic Disability, Crystal ([1982] 1992) se penche méthodiquement sur la notion de profil linguistique. Nous reprenons ici ses arguments pour définir sa notion de profil linguistique, préciser sa finalité et les éléments dont il est constitué, rendre compte du traitement appliqué aux données, ainsi que du processus d’élaboration qui conduit à sa création.

3.2.1 Définition

Crystal ([1982] 1992 : 1) définit ainsi un profil linguistique :

A linguistic profile is a principled description of just those features of a person's (or group's) use of language which will enable him to be identified for a specific purpose. Profiles could be constructed for any area of linguistic inquiry, such as the study of literary style, the investigation of disputed authorship, or the analysis of achievement in foreign-language or mother-tongue learning.

Il associe donc la notion de profil linguistique aux choix linguistiques caractérisant une personne dans sa manière de s’exprimer. Ces choix, qu’ils soient conscients ou inconscients, permettront un repérage des traits les plus saillants et une classification destinée à diagnostiquer les écarts par rapport à une norme. Sa définition précise que les individus étudiés sont des personnes et elle n’exclut pas un groupe de personnes, formé alors par les individus étudiés.

3.2.2 Finalité

Crystal ([1982] 1992 : 1) précise la raison d’être d’un profil linguistique : The primary

purpose of profile-construction is to enable an accurate assessment of P's disability to be made, sufficient to provide a basis for remedial intervention. Qu’il soit patient (P pour patient) ou élève (P pour pupil), Crystal explique que le but à atteindre est de diagnostiquer la

nature de la pathologie ou du trouble que des examens futurs confirmeront ou infirmeront. Pour cela, deux objectifs primordiaux doivent être atteints ([1982] 1992 : 2) :

(a) to identify the linguistic level P has achieved, in relation to the level he should be achieving;

(b) to suggest a remedial path, which will take him from where he is, to where he ought to be.

Un profil linguistique se situera donc à la croisée des domaines pratiques et théoriques. Pour remédier aux troubles dont souffre un individu spécifique, il sera nécessaire de répondre aux exigences de la recherche théorique ([1982] 1992 : 2) : Linguistic profiles provide one method

of bridging the gap between the demands of theory and the exigencies of practice.

3.2.3 Spécificité des profils

Crystal met en garde contre l’assimilation d’un profil à un test. Ils les oppose afin de mieux faire distinguer leur caractéristiques respectives ([1982] 1992 : 2-3) :

 Un test est destiné à évaluer le terrain par des questions ou tâches standardisées. Bien que facile à administrer, il peut ne pas identifier des points importants, alors qu’un profil se doit d’être avant tout global dans son approche des domaines linguistiques étudiés.

 En outre, un test n’a pas pour objectif la remédiation, alors qu’un profil se doit de montrer la voie vers une amélioration possible étayée systématiquement et justifiée théoriquement.

 Un test fournit un résultat souvent chiffré qui se veut objectif ; un profil est de nature plus subjective.

Le rôle spécifique d’un profil est de produire un diagnostic systématique et ponctuel qui permettra à l’enseignant ou au thérapeute d’agir en connaissance de cause, mais ne se substituera pas à lui : Linguistic profiles are only concerned with the ‘what’ and the ‘why’ of

language remediation, but as such they give no guidance as to the ‘how’. ([1982] 1992 : 3).

En outre, un profil ne décrit pas la langue et n’a pas de validité universelle. Son cadre descriptif est homogène. Les contraintes dues à sa création ne correspondent pas aux procédures habituellement suivies en linguistique malgré quelques similitudes avec la linguistique appliquée. Un profil n’est que l’approximation d’une description linguistique, sa

seule justification résidant dans son objectif clinique, et il ne prend sens qu’après qu’une description linguistique ait été faite.

3.2.4 Eléments constitutifs des profils

Crystal ([1982] 1992 : 4) insiste sur les trois dimensions nécessaires à la construction d’un profil et regrette leur absence dans les études menées alors (T signifiant l’enseignant ou thérapeute) :

Ideally, any profile should contain three dimensions: it should provide a comprehensive description of P's data; it should provide a principled grading of

the data; and it should show the influences operating on P, as he interacts with T, the clinical setting, the clinical materials and so on.

Selon lui, un profil devrait analyser exhaustivement les données signalant le trouble linguistique dans la limite du corpus observable. Il est cependant délicat de sélectionner par avance les aspects qui se révèleront a posteriori plus riches en signification ou d’éliminer ceux qui ne présenteront que peu d’intérêt. Crystal, conscient de l’aspect chronophage de la procédure d’investigation, propose quelques pistes pragmatiques.

D’un point de vue descriptif, Crystal rend compte d’un profil par un tableau où figure une série de catégories organisées plaçant en évidence les contrastes structuraux attendus dans la langue, qu’ils soient sons, structures grammaticales, éléments lexicaux, etc. La difficulté réside dans le choix et le classement des rubriques afin d’obtenir des résultats d’analyse utiles. Le processus de sélection repose sur un objectif clairement défini et de nombreuses tentatives pour s’en rapprocher. Un nombre de variables trop élevé ou trop restreint est de nature à rendre les profils obtenus embrouillés, ambigus ou déroutants, sans compter un suivi longitudinal rendu peu probant. Selon lui, toutes les catégories devraient avoir leur pertinence et figurer dans le tableau au départ, les plus révélatrices bénéficiant d’une place de choix.

Un profil étant par définition une approximation, il peut être judicieux d’opérer une investigation poussée sur une partie du tableau, c’est ce que Crystal ([1982] 1992 : 6) nomme « micro-profil » :

A micro-profile is a closer look at an area of the chart felt to be of particular clinical significance for an individual P, using the same general procedures as were used to construct the chart as a whole.

La localisation ainsi que les mesures effectuées doivent être soigneusement étudiées préalablement afin d’éviter une extrapolation des résultats ne correspondant pas à l’ensemble du fichier et biaisant ainsi l’analyse.

3.2.5 Traitement des données

Les données obtenues à partir d’un échantillon doivent être calibrées en prenant comme repère la norme des adultes ([1982] 1992 : 7). Une graduation rend les évaluations possibles et ouvre la voie vers une remédiation. Crystal précise néanmoins que ce sont les données qualitatives et non quantitatives qui sont de loin les plus utiles, mais que ces dernières peuvent être quantifiées avec profit, la plus utile étant l’ordre d’émergence des catégories : The most illuminating approach, in terms of providing detailed assessments and

remedial goals, is acquisitional in character. Crystal aimerait donner à tous les profils une

dimension acquisitionnelle. Même s’il reconnaît que les premières étapes du développement langagier (dont certains aspects de l’intonation) sont propices à fournir une perspective normative utile sur le plan clinique, ce n’est pas le cas des profils ([1982] 1992 : 7) :

By contrast, profiles are elementary descriptive devices, based on a synthesis of the empirical findings of the research literature. Where possible, categories are grouped into discrete stages of development, and associated with chronological age—but this is not always feasible.

Inscrire un profil dans une perspective acquisitionnelle permet d’évaluer les données par rapport à une norme chronologique, ce qui met en lumière tout écart par rapport à la norme des catégories linguistiques en ce qui concerne leur nombre, leur portée et leur ordre d’apparition.

Crystal met en garde contre une insuffisance des données sociolinguistiques répertoriées en ce qui concerne la situation d’interaction et les conditions de communication. Il préconise une prise en compte effective des facteurs extralinguistiques et des schémas d’interaction lors de l’élaboration des profils.

De manière similaire, des notes précises doivent rendre compte de la situation d’échantillonnage et de la stratégie d’échantillonnage mise en œuvre. L’objectif à atteindre étant l’émergence d’une tendance à partir des données, il recommande de spécifier les caractéristiques de l’échantillon dans le tableau du profil et de signaler le degré de représentativité de l’échantillon ([1982] 1992 : 9).

Crystal conseille une grande circonspection quant à la dichotomie compétence- performance. Les profils ne font que résumer la performance d’un élève ou patient en indiquant son degré de maîtrise d’une catégorie linguistique. Ils ne donnent pas d’indication sur sa compétence, qu’elle soit en compréhension ou en production.

3.2.6 Processus d’élaboration d’un profil

Crystal ([1982] 1992 : 9) préconise six étapes dans l’élaboration d’un profil :

(i) a sample of P data is obtained;

(ii) the sample is transcribed;

(iii) the transcription is analysed;

(iv) the analysis is profiled on a summary chart;

(v) the pattern on the profile chart is assessed;

(vi) the profile pattern is given an interpretation in remedial terms.

Selon lui, la transcription est une étape délicate : elle nécessite qu’un résumé de la production de l’élève ou patient figure dans le tableau sous forme catégorielle accompagné de statistiques afin de faire ressortir des tendances imperceptibles jusqu’alors. Cette transcription se doit d’être fiable, même si elle représente la phase la plus chronophage du travail de l’analyste dans l’élaboration du profil ([1982] 1992 : 10) :

The data transcription, whether phonological, grammatical or semantic, is likely to be the most time-consuming part of the whole profile exercise, but it must not be skimped—the validity of a profile depends entirely upon its accuracy. A small amount of data well transcribed is far more valuable than a casual transcription of a large corpus.

3.2.7 Bilan et discussion

En conclusion, Crystal souligne ([1982] 1992 : 12) l’avancée résultant de la méthodologie propre à l’élaboration de profils et sa finalité (T représente l’enseignant-teacher ou le thérapeute-therapist) :

[...] the essential strength of a profile procedure is the way in which it makes T look at P's language in a systematic and detailed way, and organizes the data in such a way that clinically relevant patterns emerge.

Il met ainsi en relief les trois points fondamentaux sur lesquels s’articule la notion même de profil linguistique :

 L’étude systématique et détaillée des données sélectionnées,

 La création de catégories propres à classer les données obtenues,

 La création de tendances modélisables à partir de ce classement.

Il minimise néanmoins cette avancée du point de vue linguistique, pourtant essentielle sur le plan clinique, et laisse entrevoir le pendant du « micro-profil » :

From the viewpoint of linguistics, these aims are not very ambitious; but from the clinical viewpoint, they constitute a major advance. It must be recalled that few published descriptions of individual Ps exist—and I know of no description of any P which provides a 'macroprofile', in which all the factors addressed in this book are incorporated, and the interactions between them probed.

Le « macro-profil » serait donc la conjonction des divers profils d’une personne afin de cerner tous les aspects humains grâce à une mise en relation exhaustive des données. Bien qu’approximation à la croisée des domaines pratiques et théoriques, le « macro-profil » est justifié par sa finalité, c’est-à-dire les possibilités cliniques et de remédiation qu’il autorise après description linguistique. Un profil est destiné à faire émerger des tendances, Crystal insiste donc sur la précision et la fiabilité des transcriptions, préférant la qualité à la quantité des données. De plus, un profil cible une personne : l’analyste doit pouvoir comprendre la situation d’interaction et les conditions de communication. Il précise en outre qu’un profil tel qu’il le conçoit n’est pas propice à fournir une perspective normative utile sur le plan clinique. Crystal affine son étude en distinguant trois sortes de profils linguistiques : un profil phonologique segmental, un profil phonologique prosodique et un profil d’ordre sémantique. La partie suivante va ainsi se focaliser sur la notion de profil prosodique.