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CHAPITRE V — Vérification de la fiabilité du système d’évaluation prototypique semi-

3.3 Approche pionnière des profils prosodiques (Crystal 1982)

La présentation suivante permettra de définir un profil prosodique selon Crystal, de décrire les éléments qui le constituent et le traitement subi par les données afin de comprendre le processus qui permet d’élaborer un profil.

3.3.1 Définition

Crystal ([1982] 1992 : 114) définit un profil prosodique comme un outil concret. Son approche descriptive est d’en donner un exemple précis, tangible, source de commentaires généralisateurs :

The nonsegmental phonological profile known as PROP (‘Prosody Profile’) is a single-page chart, on which can be placed information about the main prosodic patterns encountered in a sample of clinical data. The term ‘prosody’ here refers to the linguistic use of pitch, loudness, speed of speech, pause, and rhythm—in other words, to the way in which these variables can alter the meaning of what we say.

Il écarte d’emblée les traits extralinguistiques (privilégiés dans une analyse médico-légale) pour se concentrer sur une approche linguistique, centrée sur le sens du message véhiculé.

3.3.2 Éléments constitutifs des profils

Crystal ([1982] 1992 : 10) insiste sur l’importance de la transcription prosodique, qui ouvre la voie à la compréhension de l’organisation grammaticale dans le discours de l’élève ou du patient :

The way P organizes his speech prosodically is the main clue to the organisation of his grammar, and a full account of grammatical disability cannot be obtained without this dimension.

Il liste les cinq principaux traits prosodiques d’une transcription : la délimitation des unités tonales, la direction du ton nucléaire, l’emplacement du ton nucléaire, les autres syllabes proéminentes, la durée des pauses. Selon lui, une transcription orthographique est suffisante pour procéder à l’analyse d’un trouble prosodique, grammatical ou sémantique, mais se montre inadéquate pour construire un profil phonologique segmental.

D’après lui, c’est la mélodie qui est responsable de la majorité des difficultés dans le milieu clinique. Mais c’est l’ensemble des traits prosodiques qui doivent être étudiés, selon le

principle of profile comprehensiveness ([1982] 1992 : 4-5, 114).

3.3.3 Traitement des données

Le traitement des données s’organise autour de leur classement en catégories et de la constitution d’un système de transcription des données. Le tableau récapitulatif des données d’un profil organise la prosodie selon trois catégories :

L’organisation de la parole en discours suivi (connected speech) en fonction du découpage en unités tonales,

 L’utilisation dans les unités tonales de tons spécifiques,

L’unité tonale, sur laquelle repose toute cette organisation est définie par Crystal ([1982] 1992 : 114, 116) ainsi :

A tone unit is a finite set of pitch movements, grouped into a distinctive contour and uttered with a distinctive rhythm. Tone units are often bounded by pauses, and these boundaries generally coincide with points of grammatical junction. [...] In very fast speech, [...] tone units run together and lose their clear relationship to grammar. And in highly emotional speech, each word may be given a separate tone unit [...].

Chaque unité tonale est dotée d’un contour mélodique composé d’un nombre limité de tons définis chacun par un mouvement ou hauteur mélodique spécifique. En son sein se détache la syllabe nucléaire. Sa localisation dans l’unité tonale (tonicity) modifie le sens véhiculé en offrant un nouveau contraste ou possibilité d’emphase ([1982] 1992 : 116). Les tons portés par les syllabes nucléaires, dites toniques, se définissent par leur direction mélodique et leur registre. Crystal considère trois catégories fondamentales : les tons simples (unidirectionnels), les tons complexes (avec changement de direction mélodique à l’intérieur de la syllabe) et les tons composés (mouvement des tons complexes répartis sur plusieurs syllabes). Le tableau suivant présente le pourcentage moyen de fréquence de ces tons dans l’anglais conversationnel d’adultes rapporté par Crystal ([1982] 1992 : 117)34

.

Dénomination tonale Fréquence d’occurrence

moyenne en pourcentage Catégorie tonale

Ton plat 4,9%

Tons simples (unidirectionnels)

Ton descendant 51,2%

Ton montant 20,8%

Ton descendant-montant 8,5% Tons complexes

(changement de direction mélodique à l’intérieur d’une syllabe)

Ton montant-descendant 5,2%

Ton descendant puis montant 7,7% Tons composés

(changement de direction mélodique sur plusieurs syllabes) Ton montant puis descendant 1,7%

Tableau 21 – Fréquence moyenne (en %) des tons dans l’anglais conversationnel d’après Crystal ([1982] 1992 : 117)

Crystal ([1982] 1992 : 117) utilise un système de transcription détaillé permettant d’annoter le script des enregistrements par des signes diacritiques divers insérés sur la ligne d’écriture (caret transcription).

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3.3.4 Processus d’élaboration d’un profil

Voici une description détaillée du traitement des données destinées à être classées en catégories et transcrites : les unités tonales, les variations tonales et le rythme.

3.3.4.1 Nombre et qualité d’unités tonales analysées

Crystal ([1982] 1992 : 124) note qu’un profil doit être basé sur l’analyse d’une centaine d’unités tonales validées (unproblematic), ainsi que définies plus bas, bien que, pour certains locuteurs offrant peu de variation prosodique, une petite quarantaine puisse suffire. Le nombre moyen de mots par unités tonales revêt un certain intérêt comparatif.

D’emblée, Crystal ([1982] 1992 : 118) précise le rôle fondamental des unités tonales dans la structuration grammaticale du discours :

The most important function of tone units is grammatical—the integration and delimitation of grammatical patterns. The primary focus of attention, therefore, is on the way in which tone units relate to grammatical structure.

Il recommande de n’analyser, dans une optique grammaticale, que des unités non tronquées (complete tone units). Mais d’autre part, étant donné qu’il peut être très difficile d’identifier des unités tonales complètes, surtout dans la parole rapide, il recommande de prévoir une catégorie d’unités tonales indéterminées (indeterminate) pour les classer à part. À l’inverse, l’analyste pourra en outre trouver des schémas prosodiques stéréotypés (stereotyped) au rythme et contour mélodique standardisés tels que ceux correspondant aux proverbes, comptines (nursery rhymes) et limericks. Lorsqu’il s’agit de reprises ou de répétitions de l’interlocuteur, l’analyste ne peut décider si le schéma prosodique est révélateur de la maîtrise langagière ou d’une faculté d’imitation.

Une fois ces cas identifiés, Crystal recommande d’analyser les unités tonales selon les structures grammaticales générales qu’elles contiennent, qu’il s’agisse de propositions, d’expressions ou de mots isolés, à condition de toujours réserver la priorité du découpage prosodique à l’unité tonale et non à la structure grammaticale. Il recommande de ne pas prendre en considération la valeur sémantique ou pragmatique (l’acte de parole potentiellement associé) dans le lien entre grammaire et unités tonales, et justifie ce manque de classification par le manque de précision que cela induirait sur l’analyse :

No reference is made to the semantic or social function of the tone unit under the above headings—for example, whether the ‘meaning’ of the tone unit is to question, persuade, command, excite, and so on. The only reason for the lack of a

classification here is the difficulty of demarcating and formally defining these notions. [...] On a profile chart, it is not possible to anticipate research, nor is it possible to list all possible contextual influences. On the other hand, the chart does need to allow for the importance of these attitudes, in the evaluation of speech. ([1982] 1992 : 123)

Conscient de l’importance de cette restriction, Crystal prévoit une case dans son tableau intitulée « Fonctions » (Functions) destinée à mentionner tout contexte social ou attitudinal conduisant le patient ou apprenant à diverger de la norme, ainsi que le nombre de fois où ce phénomène se produirait. Ce dernier aspect souligne les limites du champ des profils prosodiques tels que le conçoit Crystal dans son ouvrage.

3.3.4.2 Variations tonales

Dans un tableau rendant compte d’un profil prosodique, la variation tonale des syllabes nucléaires occupe la seconde position, toute autre distinction tonale trouvant sa place au bas du tableau. Crystal précise ([1982] 1992 : 125) : Tone here refers to the nuclear tones

in tone units, i.e. the maximally prominent tone.

La première difficulté est de transcrire fidèlement les variations tonales. À cet effet, Crystal préconise une méthode de transcription interlinéaire, qu’il justifie par le caractère imprévisible des réalisations pathologiques ou déviantes :

An interlinear transcriptional method is used, because there is no way of knowing in advance what phonological use is being made of the tones. Only a detailed phonetic record provides the evidence as to whether there is any system present, and this is what an interlinear transcription can provide. ([1982] 1992 : 125)

La transcription interlinéaire permet d’identifier d’emblée visuellement un écart par rapport à la norme constituée par un échantillon correspondant à l’intonation d’un adulte ou d’un enfant à divers stades d’usage de ce dialecte. Les tons spécifiques sont notés par des lettres, qui sont ensuite comptées pour alimenter une analyse statistique, et vérifier les progrès effectués par rapport à ce stade d’élocution. Dans son repérage des tons complexes, Crystal ([1982] 1992 : 129) préfère garder une transcription non affinée, regroupant les mouvements les plus perceptibles, sans sous-catégorisation :

For example, the normal phonetic form of the fall-rise in English is . A ‘widened’ version of this tone could therefore be any of the following:

Les éléments de transcription présentés comme exemples montrent une grande proximité phonétique. Une réduction du nombre de ces éléments est davantage signe d’une proximité phonologique. Par ailleurs, Crystal réduit le nombre de symboles tonals complexes aux bi- directionnels. Il assimile les tons complexes tri-directionnels aux tons bi-directionnels dont ils ne seraient que des variantes :

[...] Other kinds of complex tone (such as rise-fall-rise) are considered to be variants of the two basic types recognized on the chart: a rise-fall-rise is seen as a variant of fall-rise; a fall-rise-fall as a variant of rise-fall; and so on.

La transcription que présente Crystal est manuelle dans sa conception et artisanale dans sa précision pour préserver la fidélité maximale à la réalisation acoustique, bien que les tons tri- directionnels soient assimilés à des tons bi-directionnels, restant par là fidèle aux principes de l’École britannique de l’intonation.

3.3.4.3 Le rythme

Tonicity se définit ici par the placement within a tone unit of its nuclear tone (Crystal,

[1982] 1992 : 129). Trois types d’accents toniques doivent être repérés d’emblée car ils posent des difficultés à éliminer. Il s’agit des cas d’indeterminate tonicity (difficulté de repérer l’accent tonique dans une unité tonale complète), de stereotyped tonicity (la localisation de l’accent nucléaire est fixe, comme dans les limericks, les tables de multiplication, les tournures idiomatiques). Crystal ([1982] 1992 : 131) souligne un écho dans l’occurrence de patrons standardisés, révélateur de la cohérence d’un profil :

A stereotyped tonicity generally coincides with stereotyping elsewhere–often the tone-unit structure as a whole is stereotyped, as is the choice of nuclear tone, and the underlying grammatical pattern.

Le troisième cas à repérer est celui de l’imitation du stimulus de l’interlocuteur ou modèle. Une fois ces cas éliminés, le tableau matriciel indique si l’accent nucléaire des unités tonales se trouve en position finale ou non finale, et ensuite, s’il concerne un item lexical ou grammatical. L’analyste répertorie le nombre de positions correctes ou erronées.

3.3.4.4 Autres traits

La dernière section du tableau, Other, permet une rapide mention de quelques traits prosodiques classés en quatre catégories :

Tone unit other : signalement de variation dans l’intensité, le tempo, l’accentuation ou les pauses

Prosodic features (TU+) : signalement de variation dépassant l’unité tonale

Paralinguistic features : signalement de rires, chuchotements, voix de fausset ou soufflée, changement de voix, etc.

Ainsi se sont succédées les trois phases de transcription, de profilage puis d’interprétation des résultats.

3.3.5 Bilan

L’ambition de Crystal est de présenter un outil linguistique sur le plan technique dans une optique de remédiation pour une personne. Son objectif en 1982 reste modeste, mais optimiste : However, profiling brings to light a wide range of novel possibilities for diagnoses

in purely linguistic terms. ([1982] 1992 : 214). Néanmoins, conscient des limites de cet outil,

il entrevoit des possibilités qui ouvrent la voie à des analyses à grande échelle avec l’avènement des grands corpus. Les instruments « bruts » et « non sophistiqués » que représentent ces profils forment un premier pas décisif vers l’établissement d’une base de travail en vue de la création de traits distinctifs prosodiques. C’est en se greffant sur un cadre théorique linguistique et technique ancré préalablement sur une pratique de terrain, que la notion de profil introduite par Crystal peut se révéler la plus fructueuse :

Profiles are not introductions to linguistics, and should not be taught as such. Rather, they begin to make sense only after a framework of linguistic theory and technique has been assimilated. To use a profile efficiently, one must be in a position to see its strengths and its limitations, the criteria for which it is the business of linguistics to provide.