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LE CHOIX D’UN DÉFENSEUR NON-AVOCAT ET LA GARANTIE INSUFFISANTE DE L’ÉQUILIBRE ENTRE

LES PARTIES

146 191. Le droit positif autorise la personne poursuivie, à choisir comme défenseur, un non-avocat. Pourtant, il semble qu’au regard de ce même droit positif, l’intervention du défenseur non-avocat est susceptible de constituer une garantie insuffisante de l’équilibre entre les parties au procès pénal. Si cette insuffisance de la garantie est mise en évidence, cela permettrait de relever les limites des moyens prévus par le droit positif, mais aussi et surtout, de proposer des mécanismes efficaces permettant de mieux faire garantir l’équilibre des forces par l’intervention du défenseur non-avocat. La préoccupation au centre de cette logique est alors celle de savoir si l’intervention du défenseur non-avocat constitue une garantie suffisante de l’équilibre entre les parties au procès pénal.

Naturellement, l’analyse d’une telle préoccupation nécessite quelques précisions terminologiques.

192. Ainsi, un défenseur non-avocat peut être défini comme cette personne qui est légalement habilitée à défendre en justice sans avoir le statut d’Avocat. De ce fait, il ne bénéficie ni des droits ni des privilèges reconnus au défenseur-avocat en vertu de ce statut. De même, il ne peut être soumis aux obligations posées par le statut de l’Avocat. Dès lors, dire que le choix d’un défenseur non-avocat constitue une garantie insuffisante de l’équilibre entre les parties au procès pénal signifie que, les règles organisant son intervention permettent de douter de son aptitude à assumer pleinement sa mission.

193. On saisit alors rapidement le fait que l’intervention du défenseur non-avocat pourrait constituer une garantie insuffisante de l’équilibre entre les parties au procès. Il en est évidemment ainsi parce que, ce qui est insuffisant, peut comporter des doutes890. Or, douter de la capacité du défenseur non-avocat à équilibrer les rapports entre les parties au procès pénal, c’est émettre des réserves sur les moyens théoriques et pratiques dont il dispose pour assumer une telle mission. C’est surtout rester perplexe et hésitant au regard des règles qui organisent l’intervention de ce type de défenseur.

Pourtant, le droit à un représentant et ou à un assistant compétent et qualifié a acquis, sous d’autres cieux, une valeur constitutionnelle891 et son

890 GENOUVIRIER (E.) et alii, Dictionnaire des synonymes, op.cit., p. 419.

891 Le Conseil constitutionnel français a notamment attribué une valeur constitutionnelle à ce droit. V. dans ce sens FICERO (N.), « La représentation devant toutes les juridictions », op.cit., p. 94. Cet auteur écrit à ce sujet : « parmi les prérogatives inhérentes aux droits de la défense, la mission de l’avocat joue un rôle primordial au cours de la procédure pénale. La présence obligatoire de l’avocat au cours de la procédure, les possibilités pour l’avocat de communiquer librement avec son client et de consulter immédiatement le dossier de la procédure, constituent des garanties du droit à un procès équitable. Le justiciable a un droit constitutionnel au bénéfice d’un avocat, en ce qu’il incarne l’exercice d’une mission de défense ».

147 effectivité est garantie parce qu’il s’agit d’une liberté fondamentale892. Sa consécration en droit positif constitue alors un facteur d’équilibre du procès pénal. En reconnaissant à la personne poursuivie la faculté de se faire assister par un défenseur non-avocat, le législateur manifeste son souci d’organiser un débat équilibré entre la défense et l’accusation.

194. Pratiquement, il est de notoriété publique que le monopole de la défense pénale ne peut être assuré par les seuls défenseurs-avocats893, tant leur nombre est insuffisant894 et les besoins d’assistance très importants895. D’ailleurs, la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples semble être de cet avis lorsqu’elle inclut dans la notion de procès équitable, « le droit de consulter un Avocat ou toute autre personne qualifiée de son choix à toutes les phases de la procédure, et de se faire représenter par lui »896.

De fait, le législateur est obligé d’intégrer d’autres catégories de personnes pour assumer la mission de défense en justice. Face à une telle nécessité, le législateur camerounais a alors choisi la voie de la

« démocratisation » en ouvrant la porte de la défense à toute personne. Mais, parce que « l’exercice de la défense n’est pas assuré par le seul fait que nous vivons en démocratie et dans un État de droit »897, il faut questionner la garantie de l’équilibre entre les parties au procès pénal du fait de l’intervention du défenseur non-avocat.

195. Il convient de rappeler que la loi portant organisation de la profession d’Avocat au Cameroun permet à des non-avocats d’assister les justiciables898. La question qui se pose est alors celle de savoir si cette

892 La Cour européenne des droits de l’homme s’est érigée en garant de l’effectivité du droit à un défenseur parce qu’il s’agit, de son point de vue, d’une liberté fondamentale. V. également dans ce sens FICERO (N.), « La représentation devant toutes les juridictions », op.cit., p. 95

893 Il est nécessaire que des non-avocats participent à la mission d’assistance en justice. Lire à ce sujet STAPLETON (A.), « Introduction et panorama de l’assistance judiciaire en Afrique », op.cit., p. 3.

894 Le tableau de l’ordre des avocats au barreau du Cameroun présente en 2016 seulement 1951 membres. Il est par conséquent impossible pour les avocats d’assister tous les justiciables. Lire dans ce sens EDIMO (F.), Réflexions sur la justice pénale au Cameroun, op.cit., p. 304.

895 Sur ces besoins d’assistance, lire EDIMO (F.), ibid., p. 304 ; SAMA (N. J.), « L’assistance judiciaire dans la justice pénale au Cameroun : le rôle des avocats » in PRI, L’accès à la justice en Afrique et au-delà : pour que l’État de droit devienne une réalité, Chicago (USA), 2007, p.

163 ; DONGMO GUIMFAK (Ch. M.), L’avocat et la protection des droits de l’homme au Cameroun, op.cit., p. 10 ; WADJIRI (A.), L’assistance d’un conseil en procédure pénale, op.cit., p. 5.

896 V. Principe D point 2(f) des Directives et Principes de la CADHP sur Le droit à un procès équitable et à L’assistance judiciaire en Afrique, 2001.

897 RUDE-ANTOINE (E.), L’éthique de l’avocat pénaliste, op.cit., p. 152.

898 Lire les alinéas 1, 2 e 3 de l’art. 3 de la loi n° 90/059.

148 habilitation légale est conforme aux intérêts des justiciables et s’il ne conviendrait pas de laisser aux seuls professionnels qualifiés pour représenter ou assister les parties. En effet, le recours à un auxiliaire de justice dont la profession est strictement règlementée, qui obéit à une déontologie rigoureuse et contrôlée, dont la responsabilité professionnelle fait l’objet d’une assurance obligatoire, dont la compétence est soumise à des exigences croissantes (formation professionnelle continue obligatoire) n’est-il pas le seul moyen d’une protection effective des droits des justiciables ?

Ces préoccupations peuvent trouver, en réalité, une réponse simple : l’équilibre recherché dans le procès pénal peut objectivement être réalisé par un non-avocat dès lors que celui-ci se révèle apte à affronter le Procureur. Dans ce sens, Adam STAPLETON a pu démontrer que « des non-avocats correctement formés peuvent apporter un conseil et une assistance appropriés à un nombre considérable de citoyens, sur toute une gamme de questions, que ce soit au village, au poste de police (pendant l’interrogatoire), au tribunal (première comparution)… »899. Il s’agit d’ « un conseil et [d’]une assistance pour lesquels il n’est pas nécessaire d’avoir les connaissances et le savoir-faire hautement spécialisés d’un Avocat »900.

196. Si l’introduction des défenseurs non-avocats est donc inévitable dans le système de défense en justice901et pourrait constituer un facteur d’équilibre des forces entre les parties au procès pénal, la technique d’introduction de ces non-avocats peut toutefois produire des résultats inverses. Au lieu de contribuer à l’équilibre du procès pénal, les non-avocats peuvent se révéler comme de simples figurants902, contribuant ainsi à un déséquilibre des forces. Il en sera ainsi lorsque

899 STAPLETON (A.), « Introduction et panorama de l’assistance judiciaire en Afrique », op.cit., p. 7.

900 Ibid., p. 8.

901 Il est vrai, il est souvent contesté aux non-avocats leur capacité à participer à la défense pénale. Mais, ce préjugé est à stigmatiser. Lire à ce sujet STAPLETON (A.), ibid., p. 22. Cet auteur écrit : « En Afrique, de nombreux membres de l’establishment judiciaire sourient ou frémissent à l’idée qu’un non-avocat puisse fournir un quelconque service dans le domaine de l’assistance judiciaire pénale. Pourtant, le rôle des para-juristes est reconnu depuis longtemps au Royaume-Uni, où des « legal executives » (comme on les appelle au Royaume-Uni) restent aux côtés des délinquants présumés lors des interrogatoires de police, prennent leurs déclarations en prison et assurent le suivi des déclarations des témoins. Le « legal executive » (ou simplement parajuriste) libère ainsi les avocats, qui ont davantage de temps à consacrer aux comparutions devant le tribunal ou à la préparation de la défense ».

902 Un figurant est une personne qui sert de symbole, qui ne joue en principe aucun rôle. En matière théâtrale, c’est un personnage accessoire ou muet dans une pièce. V. dans ce sens Le nouveau Littré, op.cit., p. 568.

149 le législateur « libéralise » la défense sans prévoir clairement les mécanismes de mise en œuvre d’une telle politique903.

Le législateur camerounais semble pourtant avoir opté pour cette approche, en permettant aux non-avocats de défendre des justiciables en justice, sans définir clairement le statut de ces non-avocats alors que dans la plupart des États du monde904, des cliniques juridiques ainsi des agences de conseil para-juridiques sont créées pour outiller juridiquement et techniquement les défenseurs avocats. La nécessité d’un encadrement des défenseurs non-avocats a pour but de protéger le justiciable contre des conseils inexacts ou nuisibles aux droits de la défense905 constituant des facteurs de déséquilibre entre les parties au procès pénal.

197. Si la personne poursuivie choisit ainsi le défenseur pour se protéger des risques de déséquilibre dans les débats, il y a lieu de se demander si le choix d’un défenseur non-avocat, au regard du droit positif camerounais, constitue toujours cette garantie. Il convient de se poser la question de savoir si un défenseur ayant des capacités intellectuelles et techniques douteuses peut rétablir l’équilibre des rapports entre les parties au procès pénal. Sans hésitations, une réponse négative s’impose ici.

903 Pourtant, la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, dans le Principe H des Directives et Principes de la CADHP sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique de 2001, avait ouverte des pistes dans ce sens : « les États définissent, en collaboration avec les professions juridiques et les organisations non gouvernementales, la formation, les procédures de qualification et les règles régissant les activités et ainsi que la conduite des para-juristes. Les États adoptent une législation pour offrir aux para-juristes la reconnaissance appropriée ».

904 Il existe des cliniques juridiques dans les facultés de droit de plusieurs pays dans le monde.

En Amérique, ces cliniques existent aux États-Unis, au Chili, au Mexique. Les cliniques des facultés de droit servent aussi de prestataires de services dans des pays africains comme l’Afrique du sud, le Nigéria. De nombreuses nations africaines ont mis ou sont en train de mettre en place des cliniques d’assistance judiciaire au sein des facultés de droit. Il en existe actuellement au Kenya, au Lesotho, en Tanzanie, au Zimbabwe, au Botswana et en Sierra Léone. Au Ghana, une clinique créée dans le district de Nima, à Accra, offre aux étudiants en droit la possibilité de participer à ses activités. Des cliniques associées aux facultés de droit existent ou seront bientôt ouvertes en Éthiopie, en Ouganda, au Malawi et au Nigeria. En Asie, il en existe également en Inde, aux Philippines et en Chine, etc. En Europe, elles existent notamment au Royaume-Uni. Sur la totalité de tous les pays ayant adopté le système de cliniques juridiques, lire GERAGHTY (T. F.) et al, « L’accès à La justice : problèmes, modèles et participation des non-avocats à La prestation de services juridiques » in PRI, L’accès à la justice en Afrique et au-delà : pour que l’État de droit devienne une réalité, Chicago (USA), 2007, p. 59.

905 V. MSISKA (C.) et al, « Le paralegal advisory service : un rôle pour Les para-juristes dans Le système pénal » in PRI, L’accès à la justice en Afrique et au-delà : pour que l’État de droit devienne une réalité, Chicago (USA), 2007, p. 156.

150 Il est donc illusoire d’attendre un quelconque contrepoids de la part de ce type de défenseur aux fins de rééquilibrer les débats dans le procès pénal. Le doute quant à l’aptitude du défenseur non-avocat à garantir l’équilibre des forces entre les parties au procès pénal existe, que ledit défenseur soit un profane en droit (Chapitre 1) ou même un spécialiste en la matière (Chapitre 2).

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CHAPITRE I. LE CHOIX D’UN DÉFENSEUR-PROFANE EN