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17 Plusieurs arguments ont été avancés pour justifier la double conception du

terme « Conseil »120. Premièrement, les instruments juridiques internationaux ratifiés par le Cameroun auraient consacré la notion de Conseil plutôt que celle d’Avocat. Deuxièmement, le Code de procédure pénale lui-même utiliserait indifféremment les deux termes car, il ne pouvait pas réserver par exemple l’exclusivité des visites à l’Avocat et permettre au Conseil de requérir un médecin à la fin de la garde à vue à laquelle il n’a pas pu assister si ce n’est qu’Avocat et Conseil renvoient à la même réalité. En troisième lieu, cette conception large du statut de Conseil semble être retenue par les praticiens du droit.

20. Il parait dès lors impossible de faire une distinction entre le

« Conseil » et l’« Avocat » du Code de procédure pénale. Lorsque ledit Code dispose par exemple à l’article 171 alinéa1er que « si l'Avocat de l'inculpé assiste à la première comparution, le juge d'instruction n'est pas tenu de lui communiquer le dossier à l'avance. Toutefois, avant tout interrogatoire et confrontation ultérieure, le juge d'instruction est tenu de convoquer le Conseil de l'inculpé »121, il est impossible de faire un distinguo entre les mots « Avocat » et

« Conseil » employés dans cette disposition. Il en est d’ailleurs de même de l’article 172 du même Code qui dispose en son alinéa 1er que « l'Avocat constitué a le droit d'assister son client… ». Alors qu’en son alinéa 4, il est dit que « si le Conseil convoqué ne se présente pas… ». Comment pourrait-on alors logiquement faire une distinction entre un « Avocat » et un « Conseil » au regard des dispositions du Code de procédure pénale ? Il est donc plus simple et plus logique de dire que les mots « Avocat » et « Conseil » employés par le Code de procédure pénale renvoient à une même réalité, « la défense » qui, du reste, ne peut être assurée que par un « défenseur ».

21. Lorsqu’on parle alors du défenseur, on fait certainement allusion à cette personne qui intervient dans le processus judiciaire pour rééquilibrer les forces entre l’accusation et la défense122. Techniquement, les missions fondamentales de cet intervenant sont celles d’assistance et/ou de représentation123. En matière pénale, le défenseur intervient pour secourir le

120 Ibid., p. 134.

121 C’est nous qui soulignons.

122 NKOU MVONDO (P.), Le dualisme juridique en Afrique noire francophone. Du droit privé formel au droit privé informel, Thèse, Université Robert Schuman de Strasbourg, 1995, p. 258 ; SBAITI (F.), Contribution juridique à l’étude de la responsabilité de l’avocat en droit interne, Thèse, Université de Montpellier, 4 décembre 2015, p. 117, n° 137.

123 L’article 412 du nouveau Code de procédure civile français dispose que « la mission d’assistance en justice emporte pouvoir et devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense sans l’obliger ». L’article 411 du même Code dispose que « la représentation emporte pouvoir et devoir d’accomplir au nom du client les actes de procédure ».

18 justiciable, victime ou auteur de l’infraction. Lorsqu’il intervient pour secourir la personne poursuivie, le défenseur devient, semble-t-il, en tant que garant de l’équilibre dans le procès pénal124, et, la réalité de la dialectique judiciaire125 dépend de sa capacité à constituer un véritable contrepoids face au Procureur. Si le concept de « défenseur » nourrit déjà le débat, celui de « procès pénal » nourrira-t-il un débat encore plus enflammé ?

22. Sans doute, l’appréhension du concept de « procès pénal » nécessite préalablement la clarification du terme « procès ». Concernant justement le terme

« procès », même étant très familier, il n’est pour autant pas aisé à cerner.

Étymologiquement et historiquement126, il vient du latin processus et de son dérivé procedere signifiant procédure127. C’est donc sans surprise que certains auteurs emploient ce terme comme signifiant procédure et emploient distinctement les concepts de procès pénal et de procédure pénale comme renvoyant à la même réalité. Or, l’origine latine ou grecque d’un mot peut être considérée comme un indice, mais pas comme une preuve128. Dès lors, le concept de procès pénal doit être défini finement, spécialement, afin d’éviter qu’il ne soit confondu avec celui de « procédure pénale »129.

23. Deux approches du « procès pénal » existent : la conception large et la conception restrictive. Au sens large, le procès pénal peut être défini comme l’ « ensemble des règles qui définissent la manière de procéder pour la constatation des infractions, l’instruction préparatoire, la poursuite et le jugement des délinquants »130. Dans ce sens, il se confond avec la procédure pénale131. Au sens strict, par contre, le procès pénal se définit par rapport au juge.

Dans cette approche, il n’y a de procès pénal que devant un juge, que ce dernier

124 Le droit à un Conseil est un droit-garantie. Lire FAVOREU et al, Droits des libertés fondamentales, Paris, Précis Dalloz, 6e éd., 2012 ; LOCHAK (D.), Les droits de l’homme, Paris, La découverte, 3e éd., Coll. « Repères », p. 62.

125 V. MARTIN (R.), « Principes directeurs du procès », Rép. Pr. Civ., Dalloz, 2000, p. 5.

126 Emprunté du latin processus, « action de s'avancer, progression », puis, en latin médiéval, « litige, procès », dérivé de procedere, « aller en avant, s'avancer, progresser », lui-même composé de pro, « en avant, devant », et cedere, « aller, marcher », puis « se retirer, céder ». V.

http://www.cnrtl.fr/definition/academie9/proc%C3%A8s consulté pour la dernière fois le 21 Août 2017 à 8h.

127 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, op.cit., p. 811.

128 BARRAUD (B.), La recherche juridique. Sciences et pensées du droit, Paris, L’Harmattan,

2016, p. 21.

129 MAISTRE DU CHAMBON (P.), « Procédure pénale », in ALLAND (D.) et RIALS (S.) (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, 4e éd., 2012, p. 1230.

130 GUINCHARD (S.) et DEBARD (Th.) (dir.), Lexique des termes juridiques, op.cit., p. 1515.

131 Lire dans ce sens NAH NAH (S.), Aperçu sur la procédure pénale au Cameroun, Yaoundé, Afrédit, 2015, p. 18, n° 4 ; BOULOC (B.), Procédure pénale, Paris, Dalloz, 20e éd., 2006, p. 2, n°2 ; PRADEL (J.), Procédure pénale, Paris, Cujas, 15e éd., 2010, p. 11, n° 1 ; Procédure pénale, Paris, Cujas, 18e éd., 2015, p. 11, n° 1 .

19 soit juge d’instruction ou juge de jugement132. C’est dans ce dernier sens qu’il faut comprendre la définition du procès, lorsqu’on le conçoit comme un litige soumis à un tribunal133, une contestation pendante devant une juridiction134 ou une instance devant le juge135.

On comprend alors que l’approche étroite du procès pénal permet de le distinguer de la procédure pénale, et ce, sous deux angles : du point de vue de leur domaine et du point de vue de leurs acteurs. Concernant leur domaine, il faut dire que la procédure pénale est plus vaste que le procès pénal. La première couvre tout le processus pénal depuis la phase d’enquête jusqu’à l’exécution de la décision pénale, en passant par les phases de poursuite, d’instruction et de jugement136. Le second par contre ne s’intéresse qu’aux deux phases faisant intervenir le juge, à savoir l’instruction et le jugement137. Du point de vue des acteurs, la procédure pénale va au-delà de ceux qui interviennent directement devant le juge pour inclure les autorités d’enquêtes.

24. Il découle de là que les rapports entre les différents intervenants en procédure pénale pourraient être analysés en terme d’« équilibre ». On parlerait alors dans ce sens de l’équilibre de la procédure pénale. Cet équilibre s’analyse en tenant compte des rôles joués par l’État, la personne poursuivie et la victime pendant toutes les étapes de la procédure. Il est vrai que, traiter de l’équilibre de la procédure pénale pourrait être intéressant dans la mesure où cela inclurait la phase policière. Or, c’est justement pendant cette phase que le procès se prépare véritablement. En droit positif, les interrogatoires de police ont certainement des conséquences déterminantes138 pour la suite du procès et la garantie des droits de la défense139.

25. Toutefois, le jeu d’équilibre, pour être analysé juridiquement, implique nécessairement l’intervention d’un juge140, non pas en qualité de « joueur », mais

132 MAISTRE DU CHAMBON (P.), « Procédure pénale », op.cit., p. 1234.

133 SALAS (D.), « Procès », in ALLAND (D.) et RIALS (S.) (dir.), Dictionnaire de la culture

juridique, Paris, PUF, 4e éd., 2012, p. 1238.

134 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, op.cit., p. 812.

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V. http://www.cnrtl.fr/definition/academie8/proc%C3%A8s consulté pour la dernière fois le 21 Août 2017 à 9h.

136 V. dans ce sens DELMAS-MARTY (M.), « Le déséquilibre du système pénal sape l’État de

droit », op.cit., p. 5.

137 MAISTRE DU CHAMBON (P.), ibid., p. 1234.

138 Les procès-verbaux des autorités de police judiciaire constituent des preuves de culpabilité jusqu’à la preuve du contraire.

139 À titre de droit comparé, V. CEDH, DVORSKI c/ CROATIE (GC), 20 Octobre 2015, § 77.

140 Sur la notion de juge, lire NGNINTEDEM (J.-C.), « Le juge OHADA et l’investissement international », Juridis Périodique, n° 104, 2015, p. 96 ; AKAM AKAM (A.), « Le juge entre la loi et sa conscience », C.J.P. de la F.S.J.P. de l’Université de Ngaoundéré, 2010, p. 9 ;

20 d’arbitre141. Sans la présence d’un juge en effet, il est difficile, voire impossible de concevoir l’équilibre en matière judiciaire. C’est pour cette raison fondamentale qu’il convient d’opter, non pas pour une conception large du procès, renvoyant à la procédure, mais, pour une conception restrictive. Cette distinction entre « procédure pénale » et « procès pénal » permet de mieux cerner le concept de « procès pénal équilibré ». L’analyse de celui-ci est intéressante.

Elle révèle certaines de ses caractéristiques. Ce qui conduit à définir préalablement le terme « équilibre ».

26. Généralement, l’équilibre, du latin aequilibrium, de aequus « égal » et libra « balance, poids »142, sous-entend une stabilité et un dynamisme143. Un équilibre stable144 renvoie à une attitude ou position stable d'un corps ou d'un objet dont le poids est partagé également des deux côtés d'un point d'appui, de sorte que ce corps ou cet objet ne bascule ni d'un côté ni de l'autre145. Un équilibre dynamique146 caractérise un système plus évolué où des rétroactions de sens contraire peuvent se produire pour maintenir ou tenter de maintenir un certain niveau dit d' « équilibre ». Ce qui renvoie alors aux notions incertaines147 de « juste proportion »148, « juste mesure »149 ou « juste rapport »150. On comprend aisément que c’est cette dernière conception qui intéresse la présente analyse.

WIEDERKEHR (G.), « Qu’est-ce qu’un juge ? » in Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs ? Mél.

Roger PERROT, Paris, Dalloz, 1996, p. 575.

141 V. KEUBOU (Ph.), Précis de procédure pénale camerounaise, op.cit., p. 117 ; BELIVEAU (P.), « Le mandat conféré à l’avocat », Formation des avocats stagiaires de la Cour d’appel du Littoral, février 2016, p. 146 ; BEAUME (J.), Rapport sur la procédure pénale, juillet 2014, p.

16.

142 V. Wikipédia, Encyclopédie online,« Équilibre », article consultable sur https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Équilibre&oldid=146473174 ; consulté pour la dernière fois le 21 Août 2017 à 10h. ; Le Nouveau Littré, op.cit., p. 507.

143 Wikipédia, Encyclopédie online, « Équilibre », ibid.

144 V. Wikipédia, Encyclopédie online, « Équilibre stable », consultable sur https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Équilibre_statique_(physiologie)&oldid=129519891 consulté pour la dernière fois le 21 Août 2017 à 09h.

145 Le Nouveau Littré, op.cit., p. 507. Il s’agit là d’un sens renvoyant au domaine de la mécanique : « état d’un corps sollicité par deux ou un plus grand nombre de forces qui s’entredétruisent ou qui s’annulent sur une résistance ».

146 V. Wikipédia, Encyclopédie online, « Équilibre dynamique », consultable sur https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Équilibre_dynamique&oldid=130517779 et consulté pour la dernière fois le 21 Août 2017 à 11h.

147 V. dans ce sens LOCHAK (D.), Les droits de l’homme, Paris, La découverte, Coll.

« Repères », 3e éd., 2016, p.102.

148 V. http://www.cnrtl.fr/definition/%C3%A9quilibre consulté pour la dernière fois le 21 Août 2017 à 12h. V. également BELLOUBET-FRIER (N.), « Le principe d’égalité », A.J.D.A. 1998 p. 152.

149 V. http://www.cnrtl.fr/definition/academie9/%C3%A9quilibre consulté pour la dernière fois le 21 Août 2017 à 10h.

150 Le dictionnaire Le Nouveau Littré précise que c’est un sens figuré.

21 27. Après avoir cerné les concepts de « procès pénal » et d’« équilibre », il importe de projeter, à présent, une lumière sur l’expression « procès pénal équilibré » afin de mieux cerner les parties concernées. On pourrait immédiatement penser que l’expression « procès pénal équilibré » implique que les parties en présence soient égales. Pourtant, dans les enceintes judiciaires, les parties intervenantes ne sont jamais mises au même pied d’égalité151, tant au niveau de leur statut152 que de leurs prérogatives légales153. Les choses ne sont donc pas aussi simples. Il faut en effet déterminer non seulement le contenu de ce type de procès, mais aussi les acteurs de l’équilibre envisagé afin que la suite des démonstrations soit féconde.

28. S’agissant du contenu du procès pénal équilibré, la doctrine majoritaire du droit processuel est unanime sur le sens qu’il faut lui donner : c’est un procès pénal équitable154. Après avoir retracé l’historique du concept de procès équitable, les auteurs affirment sans ambages que « c’est donc davantage la racine equus, l’idée d’équilibre qu’il faut retenir pour comprendre ce que peut

151 Dans le combat opposant l’accusation à la défense, la première citée semble toujours supérieure à la deuxième à tous égards. V. EDIMO (F.), Réflexions sur la justice pénale au Cameroun, op.cit., p. 113 ; MANI AYONG (F. E.), « L’égalité des parties au procès pénal : fiction ou réalité ? », op.cit., p. 53 ; DINTILHAC (J.-P.), « L’égalité des armes dans les enceintes judiciaires », Cour de cassation, Rapport annuel 2003, p. 129.

152 Sur l’asymétrie au plan statutaire, bien vouloir consulter utilement DESPORTES (F.) et LAZERGES-COUSQUER (L.), Traité de procédure pénale, Paris, Economica, 3e éd., 2013, p.

331, n°459 ; DJERE (E.), Le Ministère public ou parquet, T. 2, Yaoundé, PUCAC, 2012, p.

300 ; MPINDA (F. A.), Le Procureur de la République au Cameroun, Yaoundé, P.U.A., 2016, p. 22 ; ANOUKAHA (F.), « Le Procureur de la République, Janus de la magistrature camerounaise », op.cit., p. 115 ; MEBU NCHIMI (J. C.), « Le Procureur de la République décoiffé de sa casquette de magistrat instructeur », in TCHAKOUA (J. M.), Les tendances de la nouvelle procédure pénale camerounaise, vol. 1, Yaoundé, PUA, 2007, p. 241 ; DOMBA (B.), Le juge pénal face à la toute-puissance du Ministère public en procédure pénale camerounaise, op.cit., p. 26.

153 V. dans ce sens YAWAGA (S.), L’information judiciaire dans le code camerounais de procédure pénale, op.cit., p. 51, n°45 ; WADJIRI (A.), L’assistance d’un conseil en procédure pénale, op.cit., p. ; DONGMO GUIMFAK (Ch. M.), L’avocat et la protection des droits de l’homme au Cameroun, ibid. ; TCHEMNISSIA (Ch.), L’équilibre des droits des parties dans le procès pénal, op.cit., p. 96 ; CLÉMENT (S.), Les droits de la défense dans le procès pénal : du principe du contradictoire à l’égalité des armes, op.cit., p. 26 ; HENRION (H.), « La loi du 15 juin 2000 assure-t-elle l’équilibre nécessaire entre les droits et devoirs de l’État, de la personne mise en cause et de la victime ? », A.P.C., 2002, n°24, p.101 disponible sur http://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2002-1-page-81.htm; HENRION (Hervé), « L’article préliminaire du code de procédure pénale : vers une théorie législative du procès pénal ? », A.C.P., 2001, n°23, p. 19 disponible sur http://www.cairn.info/revue -archives-de-politique-criminelle-2001-1-page-13.htm.

153 V. HENRION (H.), premier art. préc., p. 18.

154 GUINCHARD (S.) et alii, Droit processuel. Droit commun et droit comparé du procès équitable, op.cit., p. 410, n° 225 ; GUINCHARD (S.) et DEBARD (Th.) (dir.), Lexique des termes juridiques, op.cit., p. 1517 ; PRADEL (J.), « La notion de procès équitable en droit pénal européen », R.G.D., 1996, p. 505.

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