• Aucun résultat trouvé

3.1. ECHELLES ET CHANGEMENT D’ECHELLE

Le lien entre hydrologie, modélisation hydrologique et la représentation spatiale du bassin versant porte en germe toutes les problématiques d’échelles et de changement d’échelle. Le problème est complexe et conduit certains auteurs à parler de l’émergence d’un nouveau paradigme, une « science of scale », pour analyser ces changements (Meentemeyer, 1987, cité par Marceau, 1998). Un schéma théorique récent, le HPDP (hierarchical Patch dynamic paradigm) intègre les théories hiérarchiques (« hierarchical theory ») et la théorie des objets dynamiques (« patch dynamic theory ») pour exprimer explicitement les relations entre forme, processus, et échelle dans la description du paysage (Marceau, 1998).

La théorie hiérarchique suppose que l’espace est structuré en niveaux d’organisation superposés, qui interfèrent les uns avec les autres. Elle prédit qu’il n’y a pas un continuum dans les échelles mais un certain nombre de valeurs distinctes (Burel, et al, 1992 ; Brunet et al., 1997). Dans chaque niveau, l’espace est décrit en objets (patches), unités fonctionnelles élémentaires qui sont fondamentalement dépendantes de l’échelle.

A chaque niveau d’organisation correspondent des objets (une nomenclature), des processus et des paramètres pertinents (Lebel, 1990 ; Burel et al, 1992). Selon cette vision, la décomposition de l’espace en morceaux ne peut être absolue : elle doit être associée à une représentation fonctionnelle, donc à une thématique donnée et éventuellement au schéma de modélisation associé.

Les problématiques et recherches les plus importantes associées concernent 1/ la caractérisation des différents niveaux d’organisation en relation avec des processus particuliers (quels sont les seuils, les limites entre niveaux ?), 2/ la description du fonctionnement à chaque niveau d’organisation (objets, processus, indicateurs pertinents associés), 3/ la gestion du passage d’un niveau à l’autre (phénomènes d’agrégation, désagrégation de l’information qui relève des problèmes de changement échelle). La

compréhension d’un phénomène se nourrit de ce changement d’échelle : car pour

comprendre un phénomène il faut prendre en compte plusieurs niveaux d’organisation (Burel et al, 1992). Dans cette optique, on souligne l’intérêt de ne pas se contenter d’approches « mille feuilles » de l’espace qui se focalisent sur l’étude de niveaux indépendants, un seul niveau à la fois. Les niveaux ne sont pas seulement superposés mais sont en relation et la compréhension des phénomènes doit se nourrir de la connaissance des fonctionnements sur les niveaux voisins, englobants ou englobés (Burel et al, 1992).

La description du paysage et sa modélisation se réfèrent donc à toutes ces problématiques ; Dans nos recherches ces éléments ont été abordés en relation avec différents partenaires (Groupe CASSINI, GSTS, Université Montréal, IRD ORSTOM …)

1. Le schéma hiérarchique du paysage par niveaux d’organisation

2. La vision spatiale du paysage : influence de la résolution, lien entre paramètres et échelle : lien entre objets et échelle, évolution de la nomenclature et identification des seuils de changement de niveau d’organisation.

3. Les problèmes d’agrégation, désagrégation en lien avec la modélisation hydrologique. 4. Le choix des processus adaptés et des paramètres pertinents (indicateurs)

Les points 1, 2 et 3 seront abordés dès cette partie. Les points suivants concernant indicateurs et relations d’espace seront évoqués en partie III.

Partie II Echelles et changement d’échelle

Chapitre 3 Vision et échelles

3.2. LE SCHEMA HIERARCHIQUE DU PAYSAGE PAR NIVEAUX D’ORGANISATION : UN ESPACE EMBOITE

La théorie hiérarchique suppose une structuration de l'espace en niveaux d’organisation successifs. Les objets de niveau i (pères ) sont composés d'éléments (objets fils de niveau i+1) et sont à leur tour éléments d'un niveau supérieur (objets grands-pères, niveau i-1) (Mering, 1990).

On peut avoir affaire par exemple au massif montagneux (niveau i), à la parcelle forestière (niveau i+1), aux arbres (niveau i+2), aux feuilles ou branches (niveau i+3) ... Ou encore pour l'hydrologie on cite couramment la cascade suivante : parcelle expérimentale (m², niveau i), la parcelle agricole ou forestière (ha, niveau i-1), le versant (qq. ha, niveau i-2), le sous bassin versant (Km², niveau i-3) le bassin versant (10² ou 103 Km² niveau i-4) sans que de telles listes soient absolues.

La nomenclature de la base européenne CORINE(*) land cover (1990) est définie selon de

tels critères depuis un niveau général 1 en descendant progressivement dans la finesse de détail (tableau 2.1).

Niveau 1 Niveau 2 Niveau 3

Forests

And semi natural areas

Forests

Shrubs and herbaceous Vegetation associations

Open spaces

Broad leaved forest Coniferous forest Mixed forest Natural grassland Moors and heathland Sclerophyllous vegetation Transitional woodland shrub Beaches, dunes and sand plains Bare rock

Sparsely vegetated areas Glaciers and perpetual snow

Tableau 3.1 Nomenclature de la base Corine Land cover (exemple entre niveaux 1 et3)

Des travaux similaires (Elizalde, 1995) proposent des hiérarchies semblables et un choix préalable des niveaux de référence depuis le niveau 0 (pays), jusqu’au niveau 8 des objets élémentaires. Par exemple, l'étude régionale des risques d'érosion ne gagne pas à dépasser une description de niveau 5 ou 6.

Toute caractérisation d'espace commence donc par le choix judicieux d'une liste d'objets (nomenclature) afférente à un niveau d’organisation et par une décomposition de l'espace selon ces objets. Le choix d'un niveau différent entraînerait ipso facto des objets et des attributs numériques également différents.

Dans cette optique le changement d'échelle est l'art de passer d'un niveau d’organisation au suivant en précisant les variations de fonctionnement, de schématisation, de descripteurs (attributs numériques) et les liens possibles entre les niveaux successifs.

On opposera dès lors deux types de changement d'échelle :

les changements mineurs quand on reste dans le même niveau d’organisation ;

l'affectation possible touche la précision et la qualité des attributs numériques, mais

(*) La base européenne CORINE Land cover est une cartographie basée sur des analyses

d’image Landsat MSS selon une nomenclature hiérarchique et avec une caractérisation par zones à surface minimale de l'ordre de 5ha.

Partie II Echelles et changement d’échelle

Chapitre 3 Vision et échelles

globalement on obtient une certaine stabilité de description car les schémas conceptuels sont stables.

les changements majeurs en cas de changement de niveaux d’organisation. Dans ce cas

la description de l'espace présente une rupture forte car la modification n'affecte plus la valeur numérique des attributs des objets mais leur nature même. A chaque changement de niveau d’organisation, il y a changement de nomenclature, d'objets et de descripteurs ; les modes de fonctionnements et les modélisations associées doivent être revus.

Certains auteurs préconisent l’émergence d’échelles naturelles, qu’ils recherchent par étude des pics de variance dans une approche spectrale (Stull,1988, cité par Blösch et Sivapalan 1995 ; Marceau et al.1994). Une rupture spectrale apparaît quand on atteint un minimum de

variance spectrale. Or l’existence d’un « gap de variance » implique l’existence de

séparations d’échelle (Gelhar, 1986, cité pat Blösch et Sivapalan 1995). Sur l’ensemble des ordres de magnitudes qui concernent les bassins versants (8 ordres selon Klemes, 1986) on peut mettre en évidence des plages successives de variance faibles et fortes qui sont autant de niveaux d’organisation potentiels (Puech, 1995, figure 3.1).

Figure 3.1 : évolution de l’écart-type du canal rouge en fonction de la résolution. Région de Montpellier.

L’écart-type (l’hétérogénéité) croît à chaque arrivée d'un nouvel objet ou d'un type de zone dans le champ de l'image

3.3. EFFETS RADIOMETRIQUES DU CHANGEMENT D’ECHELLE

Nos travaux sur l’impact radiométrique du changement d’échelle dans les images de télédétection se sont nourris de deux approches originales :

- l’impact du changement d’échelle sur la qualité de l’estimation des mélanges

radiométriques, en lien avec la décomposition du pixel (Raffy , 1992)

- la recherche de la résolution « optimale », en lien avec l’homogénéité des images

(Marceau et al. 1994)

Ces deux approches apparaissent comme une prise en compte différente du même problème. Nos travaux ont été effectués en liaison avec ces laboratoires, dans le cadre d’échanges franco-canadiens, à travers les projets SPOT 5, et lors de la préparation de séminaires internationaux sur les échelles dans les images de télédétection à Strasbourg 1993 et Montréal 1998.

331 Changement d’échelle et décomposition du pixel.

L’idée de Raffy (1994) est de chercher à estimer l’impact d’une connaissance dégradée sur la qualité de détermination d’une image.

0 3 6 9 12 ECART TYPE 1 10 100 1000 10000 100000 RESOLUTION m) Mer Cultures garrigue Bois de pins Arbre isolé SPOT5 SPOT XS LANDSAT NOAA

Partie II Echelles et changement d’échelle

Chapitre 3 Vision et échelles

Il part de diverses hypothèses qui sont :

- La connaissance fine de la zone par une image à très haute résolution (image de

référence), dans laquelle chaque pixel (ω) est supposé connu avec certitude selon une

nomenclature élémentaire (classes A, B, C, …). La variabilité radiométrique couvre le domaine général D(ω).

- contrairement aux hypothèses de la décomposition du pixel, où chaque classe élémentaire est censée avoir une réponse radiométrique ponctuelle, chaque donnée élémentaire a une variabilité radiométrique (figure 3.2).

Figure 3.2 : Plage de variation des données élémentaires (domaine D(ω)) et resserrement du domaine radiométrique en fonction de la résolution (Viné et al., 1996)

Toute image dégradée - à résolution plus grossière - contient des pixels de mélange (A+B,

A+C, A+B+C, …) notés () ; le domaine radiométrique des possibles D() à la nouvelle

résolution perd ses extrémités « pures » (on ne peut plus avoir de pixel homogène de thème

unique à partir d’un certain regroupement). Donc le domaine D() se resserre

progressivement à l’intérieur du domaine de référence D(ω) quand la résolution croît de ω à

.

Contrairement à la détermination directe montrée §1.4 (décomposition du pixel), on suppose

désormais que chaque pixel de mélange peut-être obtenu à partir de plusieurs

compositions des éléments de base. Le problème inverse de détermination d'un pixel de mélange () en ses composantes élémentaires (ω) n'a donc plus une solution unique, et l'on doit associer à chaque caractérisation de pourcentage R une plage de variation [R-, R+]. Raffy propose de la caractériser par des fonctions R et

R

, respectivement la borne supérieure de fonctions convexes minorant R et la borne inférieure de fonctions concaves majorant R (Raffy, 1994).

En l'absence d'information externe la caractérisation optimale est égale à [R +

R

]/2, tandis que la plage de variations permet d’associer une erreur d'estimation évaluée à [

R

- R].

La figure 3.3 illustre les courbes convexe

R

et

concave R dans le cas simple d'un seul canal

radiométrique et de deux composantes élémentaires A et B aux plages disjointes. Les deux limites R et

R

, définissent les estimations extrêmes pour le pourcentage de A quand on

étudie un pixel () de radiométrie donnée,

supposé obtenu par mélange de A et B.

Figure 3.3 Enveloppes R et

R

(d'après Raffy, 1994). PIR Rouge Données à 0.5 m D(ω). Données dégradées D(Ω) Sol clair Domaine D(ω). B A C PIR Rouge Sol sombre Ombre Eucalyptus Chêne Herbe Houppier de Châtaignier Houppier de Radiométrie Plage Corps A Plage Corps B R [R + R]/2 Pourcentage corps A R 100% 0%

Partie II Echelles et changement d’échelle

Chapitre 3 Vision et échelles

.

En présence d'informations extérieures, la caractérisation peut être affinée : 1/ la connaissance des associations possibles entre thèmes permet de restreindre les choix de

nomenclatures et donc de resserrer les courbes R et

R

; 2/ l'optimum est égal à

[R +

R

]/2 dans le cas où les pixels élémentaires sont placés aléatoirement dans l'image de référence ; en cas d'amalgames (pixels groupés en taches) il est possible de mieux définir l'optimum en fonction de la taille de la tache.

Un travail commun sur la caractérisation des parcelles brûlées du Réal Collobrier a permis d’appliquer ces notions à des cas réels de cartographies (Viné et al., 1996).

332. Homogénéité et résolution optimale.

L'homogénéité d'un milieu n'existe pas en soi : elle dépend de la vision que l'on a sur cet objet. Un objet, aussi lisse soit-il, peut apparaître rugueux (donc hétérogène) quand on le regarde à une autre résolution. Une forêt très homogène en vision globale, révélera ses composants élémentaires à des visions plus fines : arbres, puis feuillages, ombres …

Rechercher des homogénéités a priori dans un domaine n'est donc possible que si l'on a fixé les modalités et hypothèses de vision. Grégoire et al. (1993) indiquent que l’homogénéité d’un milieu est relative à une grandeur particulière et se définit par rapport à une mesure. L'homogénéité étant basée sur la comparaison entre des zones voisines en fonction de leur contenu, elle dépend des objets élémentaires que l'on va chercher à appréhender. Openshaw (1984) indique que le problème fondamental de l'étude des données agrégées, est que les résultats de l'étude sont toujours dépendants des surfaces unitaires étudiées. Sur image de télédétection, l’homogénéité est une information fondamentale pour les traitements numériques. Les classifications d’image en particulier se basent sur la similitude des radiométries intra thèmes et la ségrégation inter thèmes. Les zones à thème uniforme doivent donc présenter des radiométries similaires entre pixels voisins. Or l'homogénéité est une apparence qui évolue avec la résolution.

Marceau et al. (1993, 1994) proposent de l’appréhender par un estimateur de variance locale (en l’occurrence l’écart type sur un environnement de 3*3 pixels) et ils appellent « résolution

spatiale optimale » RSO la valeur pour laquelle cette variance est minimale. La résolution

est dégradée progressivement depuis la valeur du document de base (figure 3.4) : on retient la première valeur de la plage des faibles variances, meilleur compromis entre une image aux limites précises, et une stabilité radiométrique pour un même type d'objet. Cette technique a été appliquée pour la détermination des peuplements forestiers. Les chiffres obtenus sont de quelques dizaines de mètres (RSO = 30 à 40 m) pour les forêts canadiennes (Marceau et Howarth.,1991). La figure 3.4 illustre cette méthode dans le cas d'une plantation régulière, et montre la difficulté de choisir une valeur précise pour la RSO : dans le cas d’espèce on retiendrait une valeur entre 3 à 5m. Un point important est que cette notion de résolution optimale est aussi attachée à la méthode choisie pour le traitement d’image (Dionne et al., 1996) et qu’utiliser le terme « optimal » dans l’absolu peut être trompeur.