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2. Théories institutionnelles

2.5. Changement institutionnel

L’équilibre institutionnel est atteint lorsque, pour un pouvoir de négociation donné et pour l’ensemble des affaires contractuelles présentes dans l’économie, aucun des joueurs ne trouverait avantageux d’allouer des ressources pour une restructuration de ces arrangements (North, 1990). L’équilibre institutionnel n’implique pas que tous les acteurs sont heureux à l’égard des règles et contrats existants, mais considérant les coûts-bénéfices relatifs la situation n’est pas intéressante pour instaurer un changement (Davis, North, & Smorodin, 1971; North, 1990). De plus, ce n’est pas parce qu’une institution est stable ou en équilibre qu’elle est efficace. Lorsque cet équilibre est perturbé, des changements institutionnels prennent place. Malgré tout, pour qu’un changement institutionnel demeure, il doit être en adéquation avec le contexte économique, politique et administratif local (Campbell, 2004).

2.5.1.

Facteurs de changement institutionnel

Pour Campbell (2004), il existe différents modèles de changement institutionnel. Le modèle évolutif ou incrémental repose sur des changements continus, par petits pas, suivant un sentier unique vers une certaine direction. Ainsi, l’institution évolue grâce à l’accumulation de petits pas liés à l’apprentissage social. Le second modèle, appelé d’équilibre ponctué conduit à des changements rapides et plus profonds souvent associés aux crises. Finalement, le modèle d’évolution ponctuée se présente comme un amalgame des deux précédents, c’est-à-dire que les institutions évoluent parfois de manière progressive et parfois de manière radicale. Ainsi, les institutions sont influencées par des facteurs exogènes comme dans le modèle d’équilibre ponctué et par des facteurs endogènes dans le modèle évolutif.

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Environnement économique

D’ailleurs, plusieurs éléments de l’environnement économique dans lequel évoluent les institutions induisent des changements chez celles-ci, notamment parce qu’ils agissent sur les incitatifs (North, 1990). Cette influence se répercute fréquemment sur la gouvernance des institutions ou sur les arrangements institutionnels auxquels elle réfère.

Une variation dans la structure du marché ou dans l’agencement des acteurs et possiblement dans le rapport de force entraîne une remise en question de la situation par ces derniers. Ces fluctuations peuvent provenir de fusions, d’achats ou de fermetures entraînant, par exemple, des phénomènes de concentration ou d’intégration horizontale ou verticale (Brousseau, Garrouste, & Raynaud, 2011; Libecap, 1991).

Dans le même ordre d’idée, la concurrence est un vecteur de changement pour les institutions. En effet, lorsque la compétition est forte, elles doivent s’adapter pour demeurer en vie alors que dans un marché monopolistique ou presque, la notion de survie et d’adaptation ne vont pas toujours de pair (Kingston & Caballero, 2006).

Une variation du prix de marché du produit visé, du prix des facteurs de production ou du prix des technologies utilisées, amène les organisations à reconsidérer leurs institutions particulièrement lorsque le prix de marché est inférieur à celui désiré et celui des intrants supérieurs (Brousseau et al., 2011; Libecap, 1991).

Un changement technologique peut également amener une institution à changer en modifiant les paramètres de l’environnement économique, comme le coût du travail, la rapidité d’exécution, le coût d’entretien, etc. (Alston & Ferrie, 1996; Brousseau et al., 2011).

Une variation dans le contexte commercial mondial peut également amener une remise en question des institutions, notamment au regard des importations, des exportations et du taux de change (Brousseau et al., 2011; Puffert, 2002).

La recherche d’économies d’échelle amène les institutions à changer afin d’en profiter et d’ainsi réduire leurs coûts (Libecap, 1991).

Une variation des coûts de transaction assumés par les institutions conduit généralement à une reconsidération des processus institutionnels. Ces coûts de transaction se déclinent en coûts ex ante ou avant la transaction et ex post soit après la transaction. La Figure 3 montre les différentes sources de coûts de transaction.

Source : tirée de (Royer, 2012)

Les coûts de recherche d’information incluent, entre autres, la prospection, la collecte d’information sur un partenaire commercial (comportement, réputation, etc.), la comparaison des prix et de la qualité ou encore, une étude de marché. Ensuite viennent les coûts associés à la négociation et à la rédaction d’un contrat. À la suite de la signature d’un contrat apparaissent les coûts de suivi

Coûts de transaction Ex ante Recherche d'information Négociation Rédaction Ex post Suivi Application Maladaptation Renégociation Rupture

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(monitoring) afin de s’assurer que les parties respectent leurs engagements. Puis viennent les coûts d’application (enforcement), c’est-à-dire les coûts liés à la l’application du contrat comme la protection des droits de propriété et l’application de pénalités, si nécessaire. Les risques de maladaptation d’un contrat sont toujours présents particulièrement dans un environnement changeant, l’adaptation du contrat engendre alors des coûts. Finalement, il existe des coûts afin de renégocier ou tout simplement, de rompre un contrat (Eggertsson, 1990; Royer, 2012).

Une insatisfaction d’une des parties au regard du produit, que ce soit au sujet de ses caractéristiques intrinsèques (format, poids, couleur, etc.) ou encore de sa qualité, peut conduire les parties à revoir leurs arrangements institutionnels (Libecap, 1991).

Par ailleurs, les guerres, révolutions, conquêtes, catastrophes naturelles, crises sanitaires et autres évènements majeurs induisent également des changements institutionnels. Toutefois, ceux-ci sont discontinus ou radicaux, d’où leur appellation de point de rupture, alors que la majorité du temps les institutions changent de manière progressive (North, 1990).

Plusieurs autres éléments viennent interférer dans les changements institutionnels, notamment les programmes gouvernementaux. Ils affectent les changements institutionnels, puisque les décideurs adoptent de nouveaux programmes, les transportent ensuite dans l’arène décisionnelle et les implantent de telle sorte qu’ils peuvent changer les institutions (Campbell, 2004).

Les paradigmes ou conceptions théoriques dominantes qui ont cours à une certaine époque, contraignent également les changements institutionnels, notamment en structurant le discours au travers duquel les gens communiquent et donc évoluent (Campbell, 2004).

L’opinion publique influence également les changements institutionnels. Selon le sentiment général, ce ne sont pas toutes les possibilités qui sont envisageables ou socialement acceptables. L’opinion publique agit donc comme une barrière normative (normative lock) à la prise de décision (Campbell, 2004).

Ces derniers éléments ont une portée accrue en période d’incertitude, lorsque les décideurs sont confrontés à des situations inconnues ou peu communes, parfois perçues comme des crises. À l’inverse, les institutions influent sur les programmes, les paradigmes et l’opinion publique (Campbell, 2004).

Conversion

Par ailleurs, les organisations ont pour objectif notamment de maximiser leur bien-être et leur revenu, et c’est dans la poursuite de ces buts qu’elles modifient progressivement la structure institutionnelle dans laquelle elles évoluent (North, 1990). Ainsi, elles visent à augmenter leurs parts de marché, à gérer des problèmes de relation de travail, à améliorer la qualité de leurs produits, à réaliser des économies d’échelle, à internaliser des externalités, à diminuer le risque, à améliorer la redistribution des revenus et à s’adapter à l’environnement (Campbell, 2004; Davis et al., 1971). En ce sens, les institutions peuvent également subir une conversion institutionnelle, à savoir changer de vocation en effectuant une réorientation vers de nouveaux objectifs (Thelen, 2003).

2.5.2.

Facteurs de stabilité institutionnelle

En revanche, plusieurs éléments viennent entraver ou ralentir les changements institutionnels, ils ne les empêchent pas nécessairement, mais rendent plutôt l’exercice laborieux et complexe. Ces éléments sont alors considérés comme des facteurs de stabilité ou de maintien institutionnels.

Effet Gulliver

Dans un monde qui change à vive allure un paradoxe demeure, les institutions. Elles semblent plutôt figées dans le temps et évoluent lentement. En fait, les institutions subissent l’effet Gulliver, c’est-à-dire qu’elles sont souvent inadaptées à leur environnement en raison de leur délai d’ajustement. L’effet Gulliver implique que moins on bouge, moins on est mobile, ou moins on change, moins on peut changer puisqu’on désapprend le mouvement. Cet effet découle d’un manque de capacité des institutions à se remettre en cause, doublé d’une défense des acquis limitant les modifications possibles (Sérieyx, 1994).

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Dépendance de sentier

Changer une institution n’est pas chose simple, vu son imbrication et ses ramifications dans diverses sphères de la société. Ainsi, plutôt que d’entreprendre des modifications profondes, les acteurs concernés misent sur des ajustements mineurs ou à la marge afin de pallier le manque d’efficience créant un phénomène de dépendance de sentier (path dependence) (Campbell, 2004).

En effet, les institutions voulant modifier leur manière de faire sont bien souvent aux prises avec une dépendance de sentier « a process whereby contingent events or decisions result in the establishment of institutions that persist over long periods of time and constrain the range of actors’ future options, including those that may be more efficient or effective in the long run » (Campbell, 2004, p. 65). Ainsi, la dépendance de sentier est une sorte de phénomène de verrouillage (lock- in), puisque les institutions sont enfermées ou dépendantes des rétroactions qui limitent les choix des acteurs, les contraignant à opter pour des modifications mineures et progressives. Par exemple, lors de changements, les visions et caractéristiques des prédécesseurs demeurent fortement présentes et influent sur la prise de décision. Il existe diverses raisons qui expliquent la présence d’une dépendance de sentier :

1. Les coûts de mise en place et de modification d’une institution sont substantiels. Par exemple, plusieurs coûts fixes liés à des actifs spécifiques sont irrécupérables lors de changements (Boyer, 2003);

2. Plusieurs acteurs tirent avantage des institutions et généralement, ils seront réfractaires aux changements d’envergure les concernant, et ce, même si l’institution est reconnue moins efficiente qu’une autre alternative. Ainsi, les adeptes ou utilisateurs de l’institution s’arrangent souvent pour qu’elle demeure comme telle, soit conforme à leurs besoins (Campbell, 2004);

3. Il existe souvent plusieurs clauses qui limitent les changements possibles ou les rendent ardus en demandant de forts appuis, par le biais d’un vote par exemple;

4. Une fois qu’un type de politique ou de prise de décisions est mis en place, les acteurs accumulent un savoir-faire et de l’expérience par rapport à celles-ci. De ce fait, ils sont de plus en plus familiers et confortables avec le système et donc, ils hésitent plus à en changer. Cette notion réfère par ailleurs au concept de diffusion (Campbell, 2004)

En fait, la diffusion d’une certaine pratique économique à travers le marché peut être conduite par « contagion », c’est-à-dire de l’information informelle circulant de bouche à oreille suggérant la meilleure pratique à suive (Campbell, 2004). Un effet d’apprentissage pour les acteurs s’opère alors pour un système institutionnel précis suscitant des rendements croissants, qui favorisent grandement le maintien du statu quo. En effet, les institutions rentables sont moins sujettes aux changements que leurs homologues en difficultés (Boyer, 2003). De plus, les pratiques plus anciennes circulent depuis plus longtemps, bénéficient de plus de rétroaction, sont mieux assimilées par les organisations et ont généralement plus d’adeptes que les nouvelles idées, renforçant du même coup la dépendance de sentier (Campbell, 2004).

Somme toute, le contexte hérité du passé pèse lourd dans les choix stratégiques actuels. Les décisions antérieures peuvent déboucher sur un système contraignant par rapport à la variété de choix initialement disponibles, devenant une source d’irréversibilité (Boyer, 2003). De même, la dépendance de sentier peut empêcher une institution d’atteindre l’équilibre optimal (Groenewegen & Vromen, 1997).

Stratification

Afin d’instaurer un changement institutionnel, certaines institutions utilisent la stratification ou sédimentation institutionnelle (institutional layering). Ce concept est plutôt large et regroupe principalement deux variantes. La première veut que la stratification implique la renégociation partielle de quelques éléments d’une institution ou l’ajout de nouvelles règles tout en laissant la base inchangée (Thelen, 2003).

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La seconde part quelque peu du même principe, soit l’ajout de strates, toutefois le mode de reproduction de l’institution est altéré ce qui entraîne un changement d’orientation de l’institution. Généralement, cette dernière forme de stratification survient lorsque les organisations ne sont pas satisfaites de l’institution, mais qu’elles n’ont pas les moyens ou le pouvoir de la démanteler (Rast, 2011).

Bricolage

Le bricolage substantif ou de fond est un processus quelque peu similaire à la stratification, en ce sens que l’institution conserve sa base, mais use de créativité afin de s’adapter. En effet, le bricolage repose sur la combinaison de plusieurs principes institutionnels existant afin de résoudre un problème nouveau (Campbell, 2004). Bien souvent, cette combinaison comprend un élément hérité du passé et un élément nouveau.

Les institutions peuvent également avoir recours au bricolage symbolique en jouant sur le sentiment d’appartenance ou patriotique des acteurs afin que des changements soient acceptés ou encore que d’anciennes pratiques soient vues sous un nouveau jour (Campbell, 2004).

Le recours à la stratification et au bricolage implique que les institutions évoluent avec la dépendance de sentier puisque le choix des acteurs est limité à ce qui existe déjà comme principes institutionnels ou pratiques, ou encore, parce qu’ils se sont accommodés et adaptés à la logique du système préexistant en contournant les éléments qu’ils ne pouvaient pas changer (Campbell, 2004; Thelen, 2003). De même, les changements institutionnels sont plutôt évolutifs que révolutionnaires puisqu’ils découlent de recombinaison d’éléments existants fondus dans les institutions déjà présentes (Campbell, 2004).

Le Tableau 2 offre une synthèse des différents éléments théoriques présentés dans un contexte de changements et de stabilité institutionnels. Ainsi, les institutions, les arrangements institutionnels et les organisations sont relativement stables, c’est-à-dire en équilibre institutionnel jusqu’à ce que certains facteurs viennent perturber cet équilibre. Dépendamment de ces facteurs, il y aura changement institutionnel ou lorsque ceux-ci sont dits des

facteurs de stabilité institutionnelle il y aura entrave au changement sans toutefois l’en empêcher.

Tableau 2 : Synthèse des théories institutionnelles Facteurs de

changements

Conversion

Structure de marché Concurrence

Prix du produit, intrants Changements technologiques Coûts de transaction

Économies d’échelle

Contexte commercial mondial Insatisfaction au regard du produit Événement majeur Programmes gouvernementaux Paradigmes Opinion publique Institutions Règles du jeu Équilibre institutionnel Arrangements institutionnels Façons de jouer Organisations Joueurs Facteurs de stabilité Effet Gulliver Dépendance de sentier Diffusion Stratification Bricolage

2.6. Exemple de changements et de stabilité institutionnels