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Chapitre 2 Cadre contextuel

2.2 Le Château Frontenac

Les critères qui font de l’hôtel-Château une icône touristique sont nombreux. L’histoire qu’il a à raconter sur ses origines lui a donné un caractère authentique et une (bonne) renommée, ce qui lui a permis de devenir une icône et d’être un acteur incontournable de la Ville de Québec.

2.2.1 Son histoire

Les plans du futur hôtel sont inspirés de ceux du Château Isle Savary en France, dernier château fort construit au milieu du XVe siècle qui a appartenu pendant une vingtaine d’années à Frontenac. Sur l’emplacement du fort Saint-Louis (construit en 1620 par Samuel de Champlain, qui devient « Château Saint-Louis » et la résidence officielle du gouvernement de la Nouvelle-France en 1646) et du Château Haldimand (construit en 1784 et siège du gouvernement colonial de la Province de Québec de 1786 à 1791), son nom de « Château » était donc tout trouvé tandis que son architecture s’intégrait à l’environnement qui rappelait la France. Dès son ouverture en 1893, l’hôtel de luxe Château Frontenac attire la clientèle américaine et canadienne de la compagnie de chemin de fer le Canadien Pacifique (Gagnon-Pratte et Etter, 2018 :9). Ce « Sight » a un caractère authentique, situé dans un lieu valorisé et délimité. Il en sera de même tout au long de ses étapes de construction, de Price (1892-1899), de Painter (1909-1910) et de Maxwell (1920-1924). La tour de 1925, qui l’identifie et le repère facilement sur le territoire, renforce son aspect majestueux. Parallèlement, la gare actuelle, dans le même style architectural, construite par le Canadien Pacifique sur les plans de l’architecte Prindel, est inaugurée en 1915 (Courville et Gagnon, 2001 :248).

Le Château Frontenac s’agrandit et vit avec son temps. Il se modernise en 1973 et des améliorations majeures sont apportées pour son centenaire avec l’aile Claude-Pratte. En un siècle, il passe de 170 à 610 chambres tout en gardant un ensemble cohérent. Reconnu comme monument historique en 1981 par Patrimoine Canada, il est situé dans le Vieux-Québec, arrondissement historique depuis 1963 et inscrit au patrimoine mondial en 1985. Le monument commémoratif de l’UNESCO est à ses pieds, à côté de la statue de Champlain inaugurée en 1898. Comme l’a écrit Clais (2002), « le patrimoine tire sa richesse de sa relation privilégiée au temps ». Par sa situation géographique, le Château Frontenac sait en tirer parti. Le Château Frontenac poursuit son histoire et vient de fêter en grand ses 125 années. Le coup d’envoi a été donné le 18 décembre 2017 (jour calendaire de l’inauguration de l’hôtel-Château en 1893) par le directeur général Robert Mercure (2007-2018). Ses paroles sont reprises dans les médias : « Le Château, c’est plus qu’un hôtel. C’est une icône,

dans l’article de Provencher (Le Soleil) ou encore à ICI Radio-Canada : « Les Québécois sont très fiers de leur Château, on est tous des propriétaires du Château et je trouve que c’est très important que les gens se sentent très à l’aise que le Château est accessible et se sentent bienvenus pour le visiter ».

Huit suites nouvelles ou restaurées sont inaugurées, au nom de personnages comme William Van Horne (ex-directeur général du Canadien Pacifique qui entreprit la construction de l'hôtel), Élisabeth II, Roosevelt, Churchill, Charles de Gaulle et Céline Dion. Portes ouvertes, expositions et rendez-vous culinaires font aussi partie de la programmation. « Il y a une histoire absolument fascinante à raconter, réapprendre les choses qui se sont passées au Château en 125 ans » annonçait Robert Mercure au coup d’envoi.

2.2.2 Sa sacralisation

En lien avec le processus de sacralisation d’un lieu de MacCannell mentionné au point 1.2.2, on pourrait transposer comme première étape du processus, le choix de l’emplacement de la construction de l’hôtel. Un Château sur les fondations d’autres châteaux. Mélangeant les époques, on pourrait presque l’assimiler à une hétérotopie (Foucault, 2004 [1967]) dont deux des principes sont 1) la rupture avec la chronologie traditionnelle (construction fin XIXe d’un Château style XVe) et 2) l’espace d’illusion et de perfection, sans pour autant qualifier son architecture d’iconique, au sens de la « Starchitecture » (Cf. point 1.2.4). Pour ce qui est de son image (la reproduction mécanique), l’hôtel-Château sait la contrôler. Des personnalités de tous horizons ont logé chez lui et il n’a jamais manqué de le faire savoir. En 2002, dix-sept suites portent leur nom (i.e. Élisabeth II, Charlie Chaplin, Lindbergh, Trudeau, Robert Lepage). Le directeur général de l’époque, Philippe Borel, dira à l’inauguration qu’« il convient de tisser dans l’expérience du client la dimension historique, culturelle et artistique du Château » (dans Gagnon-Pratte, 2018 :98). Ces propos sont dans la lignée de ceux de ses prédécesseurs. En avril 2018, dans le cadre des fêtes de son 125e anniversaire, l’Orchestre symphonique de Québec dévoile l’hymne officiel du

Château Frontenac, annoncé comme Première mondiale pour un édifice patrimonial et composé par Steve Barakatt7. « Le Fairmont Château Frontenac pourra désormais voyager

à travers le monde par le langage universel de la musique » déclarait Robert Mercure le soir du concert.

La dernière étape du processus de MacCannell est la reproduction sociale. Le Château Frontenac a la réputation d’être l’hôtel le plus photographié au monde (Léger, 2013) et son image se décline sur de nombreux objets-souvenirs. En 2012, quelques chanceux ont pu se faire offrir des œuvres d’art réalisées avec un morceau du toit de cuivre issu des dernières rénovations.

Sur la quantité de touristes que Québec accueille par an, plusieurs entrent dans le hall par les portes tournantes et le cas échéant achètent dans les boutiques, quelques-uns y boivent un verre au bar, moins encore y prennent un repas dans un des restaurants et enfin peu y dorment, a fortiori dans une chambre ensoleillée avec vue sur le fleuve St-Laurent. Mais l’important est que chacun puisse y accéder selon ses moyens et réalise sa part de rêve.

2.2.3 Sa place dans la cité

Les icônes touristiques sont le résultat d'un processus à long terme impliquant des agences de marketing, des opérateurs et des touristes (Becken, 2005 :21). Avec le temps, l’hôtel est devenu un acteur légitimé et appuyé par les pouvoirs publics. Il est le lieu d’événements historiques comme les festivités du 300e de Québec, la Conférence de Québec en 1944

ou le Sommet des Amériques en 2001. Au début du mouvement de « re-francisation » de Québec, il a accueilli en 1928 le festival canadien de chanson folklorique. Il participe aussi aux activités annuelles comme la course en canot du Carnaval en février ou le partage du traditionnel gâteau le 1er juillet (Fête du Canada) sur la terrasse Dufferin, préparé par le Chef.

L’importance du facteur temps se retrouve aussi dans le message qu’il fait passer comme employeur. Le « Guide du Collègue » offert aux employés donne le ton : « Les valeurs de l’entreprise reflètent la tradition maintenue » peut-on y lire (p.5-6). Travailler au Château est signe de fierté et de longévité. On souligne dans la presse ceux qui ont été fidèles pendant quelques décennies. Pour les résidents, y fêter Noël ou s’y marier se planifie avec confiance. Le service sera assurément impeccable. Le Chef Modat montre qu’il est bien à sa place quand il annonce en 2018 à l’émission culinaire de Josée Di Stasio que « ce qui [l’]allume, c’est

le produit lui-même et l’histoire en arrière », tout en buvant un cocktail « qui a traversé le temps », au bar 1608 (date de création de Québec par Samuel de Champlain) de l’hôtel. Les résidents qui se sont inscrits sur le site amisduchateau.ca sont abonnés à l’infolettre bimensuelle qui leur permet de s’informer des activités et événements qui s’y déroulent mais aussi de profiter de promotions exclusives en hébergement, restauration et dans la boutique du Château par exemple.

Le défi pour toute destination est d’avoir « le coup de génie » qui l’associera à une icône et qui, pour de multiples raisons, la fera devenir internationalement populaire (Goeldner et Ritchie, 2009 :247). Le Château Frontenac est donc dit le plus photographié au monde, sans aucune étude à l’appui. Le site officiel de l’Office du Tourisme de Québec le présente comme « icône » de la Ville et l’accent du é de Québec sur son nouveau logo nous fait penser au Château Frontenac (OTQ, 2019). Quand on demande aux résidents de Québec en 2010 quel est le symbole par excellence de la capitale, 81% répondent « Le Château Frontenac et son quartier », et le journal Le Soleil de relayer ces résultats et titrer « Symbole de Québec : l’indélogeable Château Frontenac ». Les choses sont donc ainsi : « It’s famous because it’s famous ».

CHAPITRE 3 OBJECTIFS ET HYPOTHÈSES