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Ce qui nous reste aujourd’hui de l’oïkos grec

Dans le document L'opposition public-privé (Page 65-94)

La polis et l’ oïkos , ainsi que leur prolongements modernes

2.3. Ce qui nous reste aujourd’hui de l’oïkos grec

Avant de passer à des développement supplémentaires sur la polis, j’aimerais maintenant spéculer sur quelques liens entre passé et présent, principalement en ce qui concerne l’oïkos. Par là, il s’agit de montrer en quoi l’étude qui précède nous permet de nous diriger dans l’exploration du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Il y aurait énormément à dire sur les enjeux que je vais discuter, qui concernent des mutations historiques touchant la spère publique et la sphère privée, autrement dit tous les aspects généraux du fonctionnement des sociétés qui nous intéressent. Cependant, nous devons nous cantonner à mettre en évidence les traits les plus saillants, ceux qui permettent des élaborations philosophiques. Dans cette perspective, mon but est de construire des modèles, sous la forme de tableaux.

Dans ce qui suit, je fais usage de l’opposition meta logou-aneu logou. Comme je l’ai mentionné, cette opposition est dans mes termes celle entre la personnalité de facto, donc le fait d’avoir certaines facultés mentales, et le corps humain de ladite personne. Statutairement, elle correspond à la distinction entre ceux à qui on reconnaît ces facultés – en Grèce, les citoyens– et ceux à qui on ne le reconnaît pas, qui sont donc vus comme de simples corps –les individus. Pour simplifier, une opposition plus générale est employée ici : intellect-corps, le simple corps incluant les choses qui forment la propriété. Nous l’avons vu, ce dualisme est appliqué par les Grecs à la répartition des objets entre la polis et l’oïkos. De prime abord, cette répartition semble éloignée de nos préoccupations actuelles. Après tout, nous ne considérons plus que certaines personnes de facto sont des individus. Cependant, dans ce qui suit, j’aimerais au contraire montrer qu’à différents égards, la superposition de l’opposition public-privé et de l’opposition intellect-corps reste à l’œuvre.

Avant la fin du XIXe siècle environ, l’économie rassemble deux choses sans les distinguer profondément, comme en Grèce : la vie domestique telle que j’en ai parlé ci-dessus et l’entreprise privée. C’est la conception bourgeoise qui prévaut, conception selon laquelle le père de famille, le maître de maison et le patron sont une seule personne : le dominant d’un oïkos moderne, disons ici le patriarche d’une sphère privée bourgeoise. La sphère privée bourgeoise se réduit donc encore en principe à la propriété, au même titre que

115 L

ORAUX, La cité divisée, pp. 105-112.

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l’oïkos, si bien qu’elle ignore la vie privée en tant qu’élément qui s’en distinguerait. Comme en Grèce, il y a au moins une exception à cela, qui se rapporte au secret médical, plus exactement à ce qu’il vaudrait mieux nommer « la confidentialité médicale ». Nous y reviendrons sous peu. Une deuxième exception, dont les premières traces se trouvent aussi en Grèce, notamment sous la forme des écoles cynique, stoïcienne et épicurienne, est renouvelée à l’époque moderne. Elle tient à l’idée selon laquelle les patriarches pourraient se grouper entre égaux, mais non en qualité de citoyens. Il s’agissait donc de former des groupes de personnes de jure. Ces groupes furent les sociétés savantes, les associations patronales, les corporations, les clubs, les sociétés secrètes. Ce qui les qualifie le mieux est le nom de « confrérie », puisqu’il signifie que les membres sont comme des frères. En effet, dans une confrérie, tout le monde connaît tout le monde, si bien qu’elle n’est pas un groupe d’échelle politique en elle-même. Mais les relations nouées entre les membres sont égalitaires, si bien qu’une confrérie ne relève pas de l’oïkos. Ainsi, les confréries formaient pour ainsi dire une excroissance externe à l’oïkos bourgeois. Je ne les discuterai pas plus avant, mais la suite de la présente partie fera comprendre qu’elles se caractérisaient par la confiance véritable, d’où le nom de « confrérie »117. C’est lorsque les femmes se sont émancipées, qu’elles sont donc devenues les égales des patriarches, que les confréries ont pour ainsi dire fusionné dans l’oïkos. La vie privée telle que nous la concevons, qui se caractérise par la confiance véritable plutôt que par la domination, est née ainsi. Telle est l’hypothèse que nous allons explorer.

A ce stade, il faut noter qu’entre la reconduction de l’oïkos par les bourgeois et notre conception des choses, la différence est des plus grandes. Techniquement, le changement intervenu se décrit de la manière suivante : vers la fin du XIXe siècle, la sphère privée s’est pour ainsi dire fragmentée en suivant le contour du dualisme intellect-corps. Ainsi, la vie privée est devenue un phénomène distinct de l’économie privée, qui caractérisait jusque-là l’ensemble de la sphère privée. Parce que les individus, ou plutôt ceux qui en tenaient lieu à l’époque moderne, se sont émancipés et sont devenus des personnes de jure, et parce que les mass media ont commencé à rendre publiques des informations qui relevaient de la vie privée, cette dernière est apparue sur le devant de la scène (nous y reviendrons plus précisément à la partie II, 9.5.2). Quant à l’économie privée, elle est en toute cohérence restée une question de relation aux choses, de propriété, et a été théorisée comme cela. Bien sûr, pourrait-on objecter, la vie privée existe sur un substrat matériel, le chez-soi, qui est une propriété. Mais le substrat du phénomène n’est pas le phénomène, aussi nécessaire soit-il à son existence : il relève de l’économie privée, plus précisément de l’économie familiale, non de la vie privée. Ainsi est venu un certain moment, qui ne doit rien à la bourgeoisie libérale et tout à des mouvements d’émancipation, où la vie privée est apparue indépendante de la propriété.

117 Pour se faire une idée de la complexité du sujet, on consultera A

YMARD, « Amitié et convivialité ». In ARIES, DUBY (dir.), Histoire de la vie privée. Tome III, pp. 455-499.

Afin de se rendre compte de cette division entre intellect et corps, on peut l’exprimer dans des termes banals. La vie privée, comme la vie publique, se conçoit par des énoncés comme « qui pense quoi de telle personne ». Autrement dit, son enjeu est relatif à des phénomènes mentaux. C’est ce que je nommerai l’« aspect intellectuel de l’opposition public-privé ». L’économie privée, comme l’économie publique, est une question de propriété. Elle se conçoit par des énoncés comme « qui peut posséder quelle chose (autrement dit quel corps) et pour quel usage ». Elle est donc relative à des phénomènes

physiques (sous réserve toutefois d’une discussion sur la propriété intellectuelle ; voir

partie II, 6.1.3). Je nomme cela l’« aspect appropriatif de l’opposition public-privé ». Ces deux aspects sont mutuellement exclusifs. On peut s’approprier une chose, mais elle ne « sait » pas ni ne « juge ». Au contraire, une personne de jure (ou un citoyen) sait et juge, mais on ne peut se l’approprier118.

En vue de poursuivre la discussion, nous pouvons maintenant utiliser cette distinction en aspects pour élaborer nos modèles (la distinction sera détaillée plus loin, à la partie II, 6). L’idée est que la sphère publique et la sphère privée peuvent conceptuellement être subdivisées selon ces aspects, mais qu’elles ne le sont pas toujours institutionnellement. C’est la subdivision institutionnelle d’une ou l’autre des deux sphères, ou l’absence de subbidivision, qui permet d’établir nos différents modèles, sous la forme de tableaux. Par ailleurs, la présence ou l’absence de l’extension publicpers (le fait que des activités

apolitiques, par exemple marchandes, puissent se dire « publiques » quand elles se tiennent en dehors de la sphère privée) forme une autre subdivision, qui vient s’ajouter à ces tableaux. Le premier décrit la Grèce antique, le deuxième l’époque moderne dans sa forme bourgeoise libérale et le troisième décrit notre monde, le monde contemporain :

Grèce

Sphère publique Sphère privée

Polis

Aspect intellectuel (en grec : meta logou)

Oïkos

Aspect appropriatif (en grec : aneu logou)

118 Le mot « information » nous induit constamment en erreur à ce sujet : il laisse entendre qu’un livre

contient des informations au même titre qu’un esprit, ce qui est peut-être métaphysiquement vrai mais fait disparaître une distinction sociale et politique fondamentale. En ce sens, le livre contient des signes alors que l’esprit attribue des significations à ces signes. C’est pourquoi il vaudrait souvent mieux employer le mot « signification » au lieu d’« information » ; réfléchir avec le linguiste plutôt qu’avec le théoricien de l’information (pour les détails, voir partie II, 6.1.2).

Bourgeoisie libérale

Sphère publique Sphère privée

Vie publique

Aspect intellectuel (publiccit

et publicpers)

Souveraineté; économie publique

Aspect appropriatif (seulement publiccit)

Oïkos

Aspect appropriatif (en grec : aneu logou)

Monde contemporain

Sphère publique Sphère privée

Vie publique

Aspect intellectuel (publiccit

et publicpers) Vie privée Aspect intellectuel (---)119 Souveraineté; économie publique Aspect appropriatif (seulement publiccit)

Propriété ; économie privée Aspect appropriatif

(---)

Comme aucun des trois tableaux ne représente la République romaine, il convient de la positionner brièvement. On peut la tenir pour structurée d’une manière assez proche de celle dont le deuxième tableau rend compte, ou la décrire comme une variante intermédiaire entre les deux premiers tableaux. Pour confirmation, nous verrons que les Romains connaissaient l’existence de publicpers (voir partie II, 2.4.2).

Du point de vue de celui qui critique la modernité, à l’image de Rousseau où d’Arendt, la succession de ces trois tableaux représente une dégénérescence graduelle. D’un point de vue simplement descriptif, mais qui passe par contraste pour optimiste, ces trois tableaux représentent une évolution des sociétés considérées vers une plus grande capacité à reconnaître et à nommer les constituants qui font la complexité de la réalité sociale, ainsi qu’à rechercher des relations humaines égalitaires. De ce point de vue, qui est le mien, le modèle pensé par les Grecs est plus archaïque qu’il n’est idéal, quand bien même la pureté que lui confère sa simplicité a quelque chose de fascinant. S’il n’est donc pas l’aune à laquelle il convient de juger le monde contemporain, il me semble en revanche être le moyen incontournable de le comprendre, dans l’idée d’une analyse du complexe par le simple. Mais passons à la description du contenu des tableaux. J’y aborde la colonne « sphère publique » dans les grandes lignes, pour ensuite me focaliser avec plus d’attention sur la colonne « sphère privée ».

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Dans le premier tableau, il n’y a qu’une ligne, si bien que « sphère publique » et « sphère privée » ne désignent qu’une entrée. La sphère publique se réduit à la seule vie publique (sous publiccit, donc au sens de la vie politique). La sphère privée se réduit à la seule

propriété, ainsi que nous l’avons vu à propos de l’oïkos (d’où ma traduction d’oïkos par « sphère privée », le contenu de cette dernière se limitant en Grèce à la propriété). Dans le deuxième tableau, la sphère publique se subdivise de deux manières. D’une part, l’extension publicpers apparaît. Cela décrit la reconnaissance du fait que les gens

conduisent parfois leurs affaires privées en public, ce qui est typiquement le cas dans les échanges commerciaux. En effet, si la production relève de la sphère privée, les producteurs ne peuvent échanger leurs biens qu’à condition d’avoir un espace où ils se rencontrent, l’espace public. D’autre part, l’aspect appropriatif apparaît. Cela décrit la reconnaissance du fait que l’Etat n’existe pas sans ressources économiques. Ces deux éléments, échanges commerciaux et ressources économiques de l’« Etat », existaient déjà en Grèce. Ils n’y jouissaient simplement pas d’une reconnaissance institutionnelle en tant que phénomènes à part entière –pour ainsi dire, ils étaient institutionnalisés de manière « éclatée », à la manière de micro-phénomènes marginaux. Cette sorte d’ignorance institutionnelle procédait du fait que les Grecs voyaient la polis comme quelque chose d’intangible : un assemblage de personnes par ce qu’elles ont de commun, à savoir la rationalité. Le fait que les éléments en question n’aient pas été théorisés par les Grecs le confirme. De fait, si on les considère ensemble au titre de l’économie et qu’on veut les inscrire dans la polis, ils apparaissent comme des objets contradictoires : conjointement économiques et politiques, alors que la langue grecque exige qu’ils soient ou bien l’un seulement, ou bien l’autre seulement. En s’inscrivant dans cette perspective, c’est ce que Rousseau affirme à propos du concept d’« économie politique »120 –mais il ne dit vrai que pour la Grèce antique, car les temps ont changé depuis. En somme, les Grecs tenaient les échanges commerciaux pour une excroissance de l’oïkos située en dehors de ce dernier et les ressources économiques de l’« Etat » pour le simple substrat du phénomène véritable, à savoir la vie politique.

Contrairement aux Grecs, les modernes ont reconnu l’existence des éléments en question, ce dont le deuxième tableau rend compte. Une raison à cela est qu’ils sont devenus des phénomènes massifs, qu’on se devait donc de considérer comme des phénomènes à part entière. De ce fait, ils les ont théorisés. Par exemple, cela a donné l’économie politique, qui s’entend comme la réflexion économique étendue à l’échelle politique, car « l’art politic dépend médiatement de l’oeconomie »121 (le sens de l’expression « économie

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ROUSSEAU, Discours sur l’économie politique. In Œuvres complètes III, pp. 241-278.

121 Cette remarque est d’Antoine de Montchrestien, l’« inventeur » de l’expression « économie politique »,

que je cite encore ci-après. Pour lui, le bon gouvernement dépend médiatement d’une caisse publique suffisamment bien remplie : on ne saurait bien gouverner si cette caisse est vide. C’est en substance de cette manière, qui fait non sans ironie ressortir le caractère « vil » (p. 52) de ces considérations pécuniaires, que l’auteur signale l’« incuriosité » (p. 50) des Grecs à ce sujet. On comprend par ailleurs pourquoi Rousseau s’insurgera contre la notion d’« économie politique » en lisant le passage qui vient directement après la citation donnée en corps de texte : « Car le gouvernement domestic, à le bien prendre, est un patron et modelle du public ». C’est précisément là une description du modèle despotique que rejettent Aristote et

politique » a largement évolué avec le temps, mais nous pouvons nous passer d’en discuter). Dans un même mouvement, mais de manière plus spécifique, on s’est intéressé aux ressources économiques de l’Etat –à la manière dont l’argent public était obtenu, géré, dépensé, etc., ou à la manière dont il devrait l’être. En termes disciplinaires, cette réflexion a donné l’économie publique. Ainsi, pour peu qu’on valide les subdivisions proposées dans le second tableau, « économie politique » et « économie publique » ne sont pas des expressions contradictoires. Dans cette comparaison, on notera finalement l’absence du concept de « souveraineté » dans le tableau concernant la Grèce. En effet, si la souveraineté s’étend à des choses, typiquement au territoire, alors elle relève de l’aspect appropriatif (si on l’oppose à la « propriété privée », elle s’entend au titre de la « propriété publique », comme signalé ci-dessus, en 1.1.1 ; sur la souveraineté, voir aussi partie II, 6.1.1 et 7.3.2, et partie III, 1.2.2). Dès lors, même si quelque chose tenait lieu de « souveraineté » chez les Grecs –l’indépendance de la polis, le contrôle effectif d’un certain territoire sur lequel s’exerce un pouvoir « un », etc.–, cela n’était pas appréhendé en tant que phénomène à part entière. Comme les éléments discutés ci-dessus, cela s’apparentait donc au simple substrat de ce qui est meta logou, l’activité politique. Au fond, ils s’intéressaient à l’exercice du pouvoir politique et à qui l’exerce, non à ce sur quoi ce pouvoir s’exerce.

Passons à la colonne « sphère privée » du tableau, qui est le point principal que je veux discuter. Comme nous l’avons vu, la domination rend aneu logou les constituants humains de l’oïkos, y compris le citoyen quand il y est présent. En effet, faute d’avoir quelqu’un avec qui dialoguer, ce dernier n’actualise pas son logos. Dans l’oïkos, l’aspect intellectuel est donc considéré comme un phénomène marginal, qui ne survient que par accident. Pour les Grecs, la sphère privée n’est dès lors rien d’autre que la propriété. Si cette réduction est possible, c’est parce que seul un citoyen était en mesure de dire ce qui se passait dans son

oïkos, ceux qu’il y dominait étant aneu logou. Autrement dit, l’opacité d’un oïkos était

complète si son maître le décidait, car la parole des individus qui s’y trouvaient ne jouissait d’aucune reconnaissance sociale. Par opposition au logos, qui est connaissance, cette parole était du pseudo-logos. Les Grecs lui donnaient d’ailleurs un nom péjoratif qui renvoyait de manière éloquente à l’oïkos : oïkoti, littéralement « familiarité »122. Aujourd’hui, nous parlons de cela comme de « ragots », de « commérages » ou de « rumeurs » (voir partie II, 7.2.7). Ainsi, chez les Grecs, la parole d’une femme était considérée comme essentiellement subjective, par opposition au logos, objectif (c’était encore le cas jusque récemment). De même, être ivre devant un esclave, ce n’était pas être ivre devant quelqu’un, qui pourrait alors en penser et en dire quelque chose. Que l’esclave parle de l’ivresse de son maître, il ne serait pas pris au sérieux, parce que ses paroles seraient tenues pour du pseudo-logos. On notera de plus que le mot oïkoti peut s’appliquer à tout ce qui se dit d’un oïkos donné, y compris si c’est un citoyen qui le dit. En d’autres

Rousseau. Autrement dit, pour Rousseau, l’idée d’une économie politique est avant tout une idée typique des opposants aux idéaux républicains. C’est explicite dans son propos et c’est pourquoi il la dénigre. DE

MONTCHRESTIEN, Traicté de l’oeconomie politique, p 52.

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termes, parler de l’oïkos était dénigré de manière générale, sans doute d’une manière plus marquée qu’aujourd’hui. Pour l’expliquer, remarquons que dans l’oïkos s’exprime la partie non rationnelle –aneu logou– d’êtres par ailleurs caractérisés par la rationalité, à savoir les citoyens. Or, la rationalité est le critère de l’agentivité morale, autrement dit la condition de possibilité de la recherche du bien et du juste. Dès lors, au moins d’un point de vue grec, cette recherche ne pouvait véritablement avoir lieu que dans le cadre de la

polis –les citations d’Aristote données précédemment le confirment. Autrement dit, au

caractère aneu logou des choses qui se déroulaient dans l’oïkos, s’associait l’idée qu’elles sont indignes d’être dites ou d’être écoutées, parce qu’indignes des citoyens (en dehors de la référence au citoyen, cette idée n’est pas propre à la polis). En somme, deux conventions se superposent. L’une prive les individus de la possibilité d’être écoutés publiquement. L’autre incite les citoyens à taire ce qu’ils apprendraient d’un autre oïkos et à taire ce qui concerne le leur. Dans la mesure où ces conventions sont respectées, en particulier la première, il est vain de partager l’oïkos en deux pour y distinguer la vie privée de la propriété, car à la vie privée correspond du logos : ce qui se dit de l’oïkos ou ce qui se dit dans l’oïkos.

Tout comme l’idée grecque d’une sphère publique indivise ignore certains éléments, celle d’une sphère privée indivise en ignore aussi. Ainsi, les questions relatives à l’aspect intellectuel n’étaient pas absentes de l’oïkos, même si elles restaient marginales. Mais lorsqu’un citoyen était appelé à s’occuper d’affaires internes à l’oïkos d’un autre citoyen, les conventions précitées étaient mises en défaut. C’était le problème qui se posait quand un médecin voyait son patient pour le soigner. En effet, une rencontre entre concitoyens était en principe meta logou mais concernait alors ces choses aneu logou qu’on doit taire :

Dans le document L'opposition public-privé (Page 65-94)