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CHAPITRE 6 :  RESULTATS  DE  L’ANA LYSE QUALITATIVE

1. Les caractéristiques individuelles et contextuelles et les raisons de non- non-utilisation du CTN

1.2. Le cas de Laurent, Stéphanie, Isabelle, Valérie et Françoise

Ces   cinq   enseignants   n’utilisent   pas   non   plus   le   CTN.   Laurent,   Stéphanie,   Valérie   et   Françoise ont entre 10 et 15 ans d’expérience  en  enseignement.  Isabelle,  quant  à  elle,   a   moins   de   5   ans   d’ancienneté   d’enseignement.   Rappelons   que   la   relation   entre   l’ancienneté   d’enseignement   et   la   non-utilisation   du   CTN   n’a   pas   été   établie   dans   l’analyse  des  données  quantitatives  de  cette  étude.  Cependant,  les  études  sur  l’usage   des TICE par les enseignants français (Enochsson & Rizza, 2009; Rizza, 2010a) montrent que les enseignants novices ont du mal à utiliser les TICE avec leurs élèves car  ils  rencontrent  des  problèmes  liés  à  la  gestion  de  la  classe.  Les  propos  d’Isabelle,   qui  a  moins  de  5  ans  d’ancienneté  d’enseignement,  confirment ces observations. Cette enseignante affirme en effet ne pas utiliser les TICE en classe car elle perd le contrôle sur ce que font les élèves83.

Il reste donc à déterminer quelle est la relation entre la non-utilisation du CTN et l’ancienneté   d’enseignement (entre 10 et 15 ans). Comme indiqué précédemment, nous  ne  considérons  cependant  pas  que  l’âge  soit  le  seul  facteur  à  prendre  en  compte   pour expliquer le choix de non-utilisation des TICE et du CTN par ces enseignants.

Stéphanie, Isabelle, Valérie et Françoise enseignent les langues :  le  français  et  l’italien.  

Quant   à   Laurent,   il   est   enseignant   d’histoire.   Cette   prédominance   des   disciplines   humanistes parmi les non-utilisateurs du CTN est en accord avec les résultats de l’enquête   sur   les   usages   des technologies par les enseignants français (Ministère Éducation Nationale; Centre de Documentation de la DEPP, 2010) qui montrent que les enseignants de ces disciplines utilisent moins fréquemment les TICE. Au cours de nos entretiens, ces enseignants ont déclaré utiliser régulièrement les technologies

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pour préparer leurs cours84. De plus, ils affirment les utiliser parfois en classe pour faire des activités issues   de   l’approche   transmissive,   déclarant utiliser beaucoup le vidéoprojecteur pour illustrer leurs cours avec des vidéos, des images ou des schémas85. Malgré cette utilisation déclarée, ces enseignants reconnaissent être moins utilisateurs  des  TICE  que  leurs  collègues  d’autres  disciplines.  Ainsi,  selon  Laurent,  les   difficultés rencontrées par les enseignants  au  moment  d’intégrer  les  TICE  dans  leurs   activités de classe.

Ces  enseignants  s’inquiètent  également  de la fracture numérique liée aux usages des outils technologiques par les jeunes et   à   l’accompagnement   parental   inégal   que   les   étudiants auraient à la maison88 ainsi que l’accessibilité   à   Internet   au   domicile   des   élèves89. Notons que dans la littérature la fracture numérique est analysée à deux niveaux.   Le   premier   niveau   fait   référence   à   l’accès   aux   technologies   et   le   deuxième  

84 Pour un usage pédagogique, je cherche des images, des dessins, des textes pour préparer mes cours (10 :6) socioculturel, qui vont utiliser Internet pour faire des recherches dans lesquels ils pourront être guidés pour  leurs  parents,  donc  effectivement  la  pratique  n’est  pas  du  tout  la  même  (8 :25) ;  c’est  la  façon  dont   ils  utilisent  Internet  qui  est  très  différente  d’un  foyer  à  l’autre.  Ce  n’est  pas  un  problème  d’équipement   dans  les  foyers,  c’est  plutôt  un  problème  de  connaissance  de  l’outil  (8 :27)

89J’ai   des   élèves   que   ne   savent   même   pas   ce   qu’est   Internet.   J’ai   le   cas   d’un   élève,   qui   était   parti   en   vacances en Chine et qui m’a demandé les devoirs, mais je ne savais pas exactement comment faire et je  lui  ai  demandé  son  adresse  mail  pour  lui  envoyer  le  cours  et  les  devoirs.  Il  avait  l’air  de  ne  pas  savoir   ce  qu’est  une  adresse  mail,  ni  ce  que  c’est  Internet,  ça  ne  lui parle pas,  et  j’ai  remarqué  qu’il  y  a  pas  mal   des  élèves  en  sixième,  dans  la  classe  des  petits,  qui  n’ont  pas  d’adresse  internet  (10 :41).

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aux compétences nécessaires  pour  l’utilisation  des  technologies  et  au  traitement  des   informations (Rizza, 2006, 2010b, 2013a, 2013b; Venezky, 2000).

De plus, ces enseignants observent que  la  plupart  des  étudiants  utilisent  l’ordinateur pour le divertissement et pour communiquer avec leurs amis à travers les réseaux sociaux90.   Ils   remarquent   qu’en   utilisant   l’ordinateur   à   des   fins   personnelles,   les   étudiants ne développent pas les compétences nécessaires pour communiquer formellement et maintiennent toujours le registre colloquial91. Cette observation des usages des technologies par les jeunes faite par les enseignants a été confirmée dans la littérature (Baron & Bruillard, 2008; Bevort et al., 2005; Cerisier & Popuri, 2011;

Cerisier et al., 2008; Fluckiger, 2009) selon laquelle les jeunes français utilisent les outils technologiques avant tout pour communiquer avec leurs pairs ainsi que pour se divertir.

En ce qui concerne les variables contextuelles, on note que Laurent et Stéphanie enseignent au collège E où le CTN est une « pratique  d’enclave »92,  tandis  qu’  Isabelle,   Valérie et Françoise enseignent au collège C où le CTN est une pratique en « tête de pont ».  L’état  de  généralisation  des  usages  du  CTN  n’est  donc  pas  encore  atteint  dans   aucun de ces deux établissements. Aussi, les enseignants ne ressentent pas la pression  de  la  direction  pour  l’utiliser,  car  (au  moment  de  l’entretien)  le  CTN  n’avait   pas encore le statut « obligatoire »93. Au collège C, les enseignants ne croient pas que le CTN soit utile pour informer les élèves des devoirs à faire94 car,  en  cas  d’absence,   les   élèves   ont   d’autres   moyens   pour   s’informer95. Néanmoins, il est intéressant de noter que ces enseignants considèrent que le CTN pourrait être utile aux parents qui veulent suivre le travail des élèves96.

90 La majorité des élèves utilisent Internet, mais utilisent Internet pour le chat, pour les jeux et pour les réseaux sociaux. (8 :25)

91J’ai  noté  que  les  élèves  ignorent  les  formes  de  politesse  qu’on  pourrait  avoir  dans  un  mail,  avec  un   professeur, c'est-à-dire   que   s’ils   me   parlent   ou m’écrivent   ils   doivent   m’écrire   correctement   et   me   parler correctement, mais par mail ils oublient  tout  ça,  donc  c’est  très  intéressant  parce  que  on  voit  que   quand  ils  sont  sur  Internet  ils  oublient  les  code  de  politesse  et  les  formules.  Ils  ont  l’impression  qu’ils   peuvent  communiquer  n’importe  comment  (10 :43)

92 L’utilisation   du   CTN   n’est   pas   une  pratique généralisée, ainsi son utilisation coexiste avec les pratiques anciennes sans gêner personne. (Bonamy, Charlier, & Saunders, 2002; Charlier et al., 2006;

Deschryver, 2008)

93Ils  ne  m’ont  rien  demandé,  j’ai  entendu  que  l’année  prochaine  ça  devrait  être  obligatoire,  donc  il  va   falloir  s’y  mettre,  mais  je  n’ai  pas  eu  de  pression  ni  de  ma  principale,  ni  de  mes  collègues,  ni  des  parents   (10 :37)

94 Je trouve que ça ne sert à rien. (15 :15) ; si tous les élèves copient leurs devoirs sur papier, et moi je tiens à jour mon propre cahier, je ne vois pas la nécessité (11 :58)

95En   fait,   je   pense   qu’aucun   cahier   n’est   utile   pour   les   élèves,   parce   que   quand   ils   sont   absents,   ils   demandent  aux  camarades   ce  qu’ils  on  fait  en  cours   et  quels  sont  les  devoirs  à  faire,  c’est  aussi  une   troisième raison pour laquelle je ne remplis pas le cahier de textes, parce que ça prend beaucoup de temps et au final ça ne sert à rien. (10 :26)

96On   a   des   parents   d’élèves   qui   vont   suivre   d’assez   près   leurs   enfants   grâce   à   l’outil   technologique   (8 :24) ; Ça pourrait être un outil intéressant, pour que les parents puissent suivre le travail, à partir du moment   où   on   l’utilise   (8 :38) ; Je   crois   que   s’il   est   en   ligne   ça   peut   servir   pour   les   parents,   pour quelques parents qui le regardent.(10 :27) [le CTN sert] aux parents et aux élèves pour rester informés

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Contrairement aux perceptions de leurs collègues du collège C, les enseignants qui appartiennent au collège E, ont une meilleure perception de l’utilité   que   le   CTN   pourrait   avoir   comme   moyen   d’information   pour   les   élèves.   Malgré tout, ils considèrent   que   l’utilisation   du   CTN   n’est   pas   encore   intégrée   aux   habitudes   des   élèves autant  qu’ils le souhaiteraient97. Nous observons donc que dans ce collège les enseignants  perçoivent  négativement  l’acceptabilité  du  CTN  par  leurs  élèves.  Mais,  ils considèrent que le dispositif aurait une utilité pour les étudiants. On peut donc faire l’hypothèse  que  la  place  occupée  par  l’utilisation  du  CTN  dans  chaque  établissement   peut  influencer  les  représentations  des  enseignants  sur  l’acceptabilité  de  celui-ci. De plus,   on   observe   que   même   si   l’outil   est   perçu   comme   « potentiellement » utile, les enseignants   peuvent   choisir   de   ne   pas   l’utiliser   s’il   n’est   pas   utilisé   par   les   autres   acteurs (dans ce cas les étudiants), ce qui peut influencer leur perception de l’utilité   du dispositif.