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1. Problématiques du patient diabétique de type 2 en situation de précarité

1.1. Le diabète de type 2, caractéristiques de la prise en charge et de la population

1.1.3. Caractéristiques des populations précaires

Afin d'optimiser la prise en charge des patients précaires particulièrement touchés par le diabète de type 2, il est important que les professionnels de santé connaissent les caractéristiques de cette population. Cela concerne d'autant plus le pharmacien d'officine qu'il est fréquemment au contact de ces patients.

1.1.3.1. Rupture des liens sociaux

Dans les quartiers défavorisés et dans les centres d'aide aux personnes en grande difficulté sociale, la fréquence des ruptures des liens sociaux est plus importante qu'en population générale.21

Parmi les liens sociaux, on retrouve le lien de filiation qui concerne le lien avec la famille dans laquelle s'effectuent les premiers apprentissages sociaux. Or ce lien fondamental qui détermine l'équilibre affectif de l'individu est plus fréquemment rompu chez les populations précaires qu'en population générale du fait entre autres de graves conflits avec les parents, du divorce des parents ou suite à un abandon, à des maltraitances ou un placement.21

Le lien d'intégration qui concerne la vie sociale en dehors du cadre familial peut lui aussi être rompu en cas de mésentente avec les enseignants et les élèves dans le cadre de l'école, en cas de chômage ou d'isolement social, fréquent dans les populations défavorisées.21

Dans les 5 Zones Urbaines sensibles (ZUS) d'Île de France, 21,9 % des personnes de l'échantillon évoquent l'impossibilité de se confier dans l'entourage, 10,4 % l'impossibilité d'être aidé dans diverses situations, et 20,6 % ont le sentiment d'être isolées.21

Enfin, le lien de citoyenneté qui repose sur le principe d'appartenance à une nation et le fait de reconnaître avoir des droits et des devoirs est également fréquemment rompu chez les populations précaires.21

1.1.3.2. Anxiété et dépression

De nombreuses études mettent en évidence une plus forte prévalence de la dépression et de l'anxiété chez les populations précaires.2223 Une étude sur la population de 5 ZUS entre

2003 et 2004, montre par exemple que 27,2 % des individus se sont sentis régulièrement tristes, cafardeux ou déprimés au cours des deux semaines précédant l'interrogatoire. Plus d'une personne sur cinq (22,8%) présente un ensemble de symptômes compatible avec un diagnostic clinique de dépression.21

Ce lien significatif entre précarité et troubles psychologiques se retrouve également chez les patients diabétiques. Ainsi 63,5 % des diabétiques du Q5 sont anxieux contre 37,8 % du Q1-Q3. De même pour la dépression, on note 55,2 % dans le 5ème quintile contre 20,0 % dans les quintiles 1 à 3.18

1.1.3.3. Une faible estime de soi

Dans les 5 ZUS d'Île de France, particulièrement touchées par la précarité, 11,6 % de la population est considérée comme ayant un très faible sentiment d'estime de soi et 59,9 % comme ayant un sentiment moyen d'estime de soi.21 L'estime de soi est en effet

significativement liée à plusieurs variables socio-démographiques et d'intégration sociale. Ainsi, les femmes, les chômeurs, les personnes non satisfaites de leurs études, de leur travail, ayant des difficultés financières, se sentant isolées, ne pouvant compter sur personne pour être aidées, ayant connu des ruptures dans l'enfance ou à l'âge adulte ont significativement plus fréquemment une très faible estime de soi avec des risques relatifs forts. Ne pouvoir compter sur personne pour être aidé multiplie par exemple par 4 le risque relatif d'une mauvaise estime de soi.21La honte, la dévalorisation, le sentiment d'inutilité, sont autant de sentiments pouvant

1.1.3.4. Un rapport au corps utilitaire

La pauvreté, la privation peuvent être à l'origine d'un rapport au corps particulier marqué par la restriction des besoins, une hypoesthésie corporelle, ou des formes d'auto- censure. Le rapport au corps est un rapport souvent utilitaire chez les personnes précaires. On utilise son corps, mais on ne s'en préoccupe pas, on ne l'écoute pas et on n'en prend pas soin. Les symptômes, les douleurs, s'ils existent sont négligés et les individus s'y accoutument.24

1.1.3.5. Défiance vis à vis du système de santé

Chez les individus précaires, on note également une certaine défiance vis à vis du système de santé. En effet, des expériences antérieures comme un refus de soins à l'égard de bénéficiaires de la Couverture Maladie Universelle (CMU), un accueil désagréable réservé à certaines populations peuvent être ressenties comme une humiliation ou une stigmatisation par ces individus et ainsi renforcer une faible estime de soi. Ces expériences mal vécues entraînent des non-demandes de soins voire des refus de soins malgré un réel besoin et ce dans le but de préserver sa propre image.22 24

On retrouve également chez ces patients un sentiment d'inquiétude diffus lié à la peur d'avoir à financer des soins, en particulier chez les spécialistes, qui peut faire suite au non- respect des droits par les professionnels de santé comme un refus du tiers payant, ou des dépassements non annoncés préalablement, une peur de l'inconnu, une peur concernant certains professionnel de santé comme les gynécologues, dentistes et psychiatres pour lesquelles la représentation peut être négative, une peur des effets secondaires du traitement, une peur du regard médical, une pudeur à évoquer ses difficultés...2425

1.1.3.6. Une perspective temporelle altérée

La perspective temporelle, c'est à dire l'orientation par rapport aux trois registres temporels (passé, présent et futur) et l'attitude à leur égard a été évaluée sur 275 personnes de 25 à 44 ans. Les résultats mettent en évidence que plus les sujets ont un niveau de précarité important, plus ils sont centrés sur un « passé négatif » caractérisé par une vision négative du passé et la rumination des expériences douloureuses et moins sur une attitude positive et nostalgique à l'égard du passé. Les patients les plus précaires ont également plus souvent une attitude présente fataliste et résignée face à la vie.23 La précarité est de même liée

négativement à l'orientation vers le futur et à l'accomplissement de buts. La précarité conduit l'individu à se focaliser sur ses difficultés actuelles (besoins alimentaires, hébergement) ou passées et diminue ses horizons temporels futurs.2326

1.1.3.7. Habitudes culturelles et religieuses

Les us et coutumes de certaines populations, l'approche culturelle de la notion de santé peuvent être des freins importants dans la prise en charge de patients précaires. Le respect d'une alimentation adaptée dans le cas du diabète peut nécessiter chez ces patients un changement d'habitudes culturelles et familiales difficile à mettre en place.27

La religion et notamment la pratique du jeûne du ramadan, chez des patients musulmans pratiquants, peut compliquer la prise en charge avec un risque accru à la fois d'hypo et d'hyperglycémies durant cette période.2829

L'enquête portant sur les habitants de quartiers relevant de la politique de la Ville à Pa- ris, quartiers socio-économiquement défavorisés, révèle que 38.0% des enquêtés pensent que la « maladie et la guérison dépendent de Dieu, du destin ou de la providence », les étrangers étant deux fois plus souvent d’accord que les Français avec cette proposition (62.2% vs 31.8%).22

1.1.3.8. Problématiques de compréhension

Les patients précaires sont plus susceptibles d'avoir un faible niveau d'étude22 23 et la

proportion de personnes n’ayant obtenu aucun diplôme augmente largement avec l’âge.22 On

note également que dans les quartiers socio-économiquement défavorisés, il y a également plus d'étrangers et de personnes issues de l'immigration.22

Ces facteurs peuvent entraîner une moins bonne compréhension des messages de santé et pourraient expliquer un moins bon contrôle glycémique.29

Ces caractéristiques de la population touchée par le diabète et de la maladie en elle- même vont avoir un impact déterminant dans le processus de changement de comportement vers un comportement respectueux des recommandations.