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Comment caractériser la diversité des exploitations agricoles et évaluer leur durabilité ?

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2. CHAPITRE 2 - Matériel et Méthodes

2.1. Cadres théoriques mobilisés

2.1.3. Comment caractériser la diversité des exploitations agricoles et évaluer leur durabilité ?

2.1.3.1. Analyser la diversité des exploitations par la construction de typologies

La diversité des situations agricoles se base principalement sur deux niveaux : au niveau régional où les éléments physiques sont à l’origine des différences observées et au niveau des exploitations agricoles qui se différencient par leur structure et leurs modes de fonctionnement. La prise en compte de cette diversité est importante parce que cette hétérogénéité a souvent été évoquée comme l’une des principales causes d’échec des opérations de développement reposant sur des schémas standardisés (Perrot et Landais, 1993, Mbetid-Bessane et al. 2003).

De nombreuses démarches d’analyse de la diversité des systèmes de production ont été développées à partir des années 1980. Ces méthodes diffèrent sur les objectifs, la disponibilité des données et les indicateurs discriminants retenus. Parmi ces méthodes, l’approche typologique s’est largement imposée car les typologies permettent en effet de faciliter l’analyse, la classification et la compréhension de réalités complexes (Lazard et al. 2009). Dans

la recherche scientifique, on distingue deux principaux types de typologies : typologies de structures et typologies fonctionnelles (Mbetid-Bessane et al. 2003).

Les typologies de structures sont basées sur les moyens de production disponibles dans l’exploitation. Les classifications les plus classiques (et les plus anciennes) s’appuient sur des critères structurels et de finalités, tels que la structure d’élevage (cages, enclos, étangs, etc.), la taille des exploitations et le degré d’intensification des différents facteurs de production (extensif ou intensif en foncier, main-d’œuvre ou intrants) (Lazard et al. 2009). Pour construire les typologies des structures, deux méthodes dominent : la segmentation et l’analyse multidimensionnelle. La méthode de segmentation est fondée sur une série des mots clés choisis, c’est-à-dire que les critères discriminants sont choisis un à un de façon graduelle en commençant par le plus discriminant jusqu’à l’obtention de types assez homogènes. Cette méthode n’est valable que si on a un nombre réduit de critères discriminants. Quant à elle, la méthode d’analyse multidimensionnelle permet de mobiliser plusieurs critères à la fois dans une analyse. Dans l’analyse multidimensionnelle, on retrouve des analyses factorielles des correspondances (AFC), des analyses en composantes principales (ACP) et la classification ascendante hiérarchique (CAH). En plus, dans les typologies des structures, les critères de différenciation sont choisis par empirisme.

En revanche, les typologies fonctionnelles s’intéressent à l’analyse des processus de production et de prise de décision dans les exploitations à partir de variables qui concernent les objectifs, les stratégies des exploitations, ainsi que les pratiques dans la production (Mbetid-Bessane et al., 2003). À partir des années 1980, de nombreuses démarches sur l’analyse différenciée du fonctionnement de l’exploitation par rapport à des questions de développement ont été développé par des économistes et des agronomes du département INRA- SAD. Ces travaux conduisent à la construction de typologies (Pluvinage et Moulin, 2007). En élevage, dans des années 1980, des typologies ont été développées pour analyser la diversité des systèmes de production à l’échelle d’un département, comme par exemple la méthode à dire d’expert proposé par Perrot, 1990.

Dans ma thèse, pour caractériser la diversité des exploitations laitières dans un district de péri-urbain de Hanoi, je vais construire une typologie des exploitations laitières sur la base d’une Analyse Factorielle Multiple (AFM), avec le soutien du logiciel statistique R, qui permet de mobiliser plusieurs variables pour construire une typologie.

2.1.3.2. Concepts de développement durable et l’agriculture durable

Le concept de développement durable est apparu officiellement la première fois dans un rapport publié en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (CMED), avec le titre « Notre avenir à tous », également connu sous le nom de rapport Brundtland, dans le cadre de préparation de la Conférence de Rio-de-Janeiro en 1992 : « Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins » (Landais, 1998). Depuis Rio en 1992, la définition du développement durable a évolué. Actuellement le développement durable s’accompagne de la notion d’économie verte (Lairez et al, 2015).

Le concept « d’agriculture durable » a émergé dans les années 80 et 90 dans les travaux de Conway (1985 et 1987), d’Edwards (1987), de Dover et Talbot (1987), d’Harwood (1990), d’Hansen (1996). Tous ces travaux ont montré que le concept d’agriculture durable précède l’institutionnalisation du concept de développement durable tel que formalisé dans le rapport Brundtland en 1987 (Zahm, 2015).

Hardwood (1990) a proposé une définition de « l’agriculture durable » qui serait « une agriculture capable d’évoluer indéfiniment vers une plus grande utilité pour l’homme, vers une meilleure efficacité de l’emploi des ressources et vers un équilibre avec le milieu qui soit bénéfique à la fois pour l’homme et pour la plupart des autres espèces » (Lapeyre, 2008).

Francis et Younberg (1990) ont aussi proposé une définition de « l’agriculture durable » qui est vue comme étant « une agriculture écologiquement saine, économiquement viable, socialement juste et humaine ». Aujourd’hui, ce concept est communément admis (Lapeyre, 2008; Francis et al., 1994, cité par De Castro, 2009; Zahm, 2015). Autrement dit, l’agriculture

est appelée à remplir trois fonctions principales : une fonction économique visant une production efficace de biens et de services, une fonction écologique maintenant les agroécosystèmes et leurs fonctions, une fonction sociale renforçant les liens sociaux entre acteurs du monde rural. Une évaluation indépendante de ces trois axes peut donc permettre d’estimer la durabilité globale du système. Godart et Hubert (2002) ont proposé une définition qui se caractérise par deux dimensions. La première vise à maintenir la capacité à produire en préservant les ressources naturelles et les capacités (formation professionnelle, incorporation continue des progrès techniques passés au crible de la durabilité, entretien de la légitimité sociale des activités et des techniques, stockage et assurance pour faire face aux surprises…) dont elle dépend ; la seconde dimension, au cœur de la multifonctionnalité de l’agriculture, est relative à la contribution du système d’exploitation en vue de sa durabilité au sein du territoire auquel il appartient : insertion dans l’économie locale; offre des services de proximité; maintien et création de l’emploi en milieu rural ; production de services environnementaux, etc. Pour Zahm (2015) « une agriculture écologiquement saine, économiquement viable, socialement juste et humaine contribue d’une part à la durabilité du territoire dans laquelle elle s’ancre par la multifonctionnalité de ses activités et d’autre part à la fourniture de services environnementaux globaux qui répondent aux enjeux non territorialisables du développement durable ».

Des travaux tiennent compte de l’évolution dynamique des exploitations agricoles en considérant la durabilité comme la capacité à durer dans un environnement incertain et à résister aux aléas des incertitudes liées aux prix du lait par exemple,) (Dedieu et Ingrand, 2010 ; Darnhofer et al., 2010 ; Dedieu et Pailleux 2015). L’étude sur la durabilité dans le secteur agricole se concentre souvent sur la réduction des impacts environnementaux pour les systèmes de production (Darnhofer et al, 2010). La capacité d'adaptation est considérée comme favorisant une certaine stabilité du système (structurelle, de fonctionnement entre autres) face à des changements et des perturbations (Sauvant & Martin, 2010, cité par Nascimento de Oliveira, 2014).

2.1.3.3. Qu’est-ce qu’une exploitation agricole durable ?

Zahm et al (2015) ont montré que depuis les années 1990, au sein d’une communauté scientifique interdisciplinaire constituée principalement d'agronomes, économistes, gestionnaires, géographes et sociologues, il existe de nombreux travaux qui portent sur l’évaluation et la mesure de la durabilité d’une exploitation agricole (FADEAR, 2013 ; Häni et al., 2003; Lô-Pelzer et al., 2009 ; Marta-Costa et Soares da Silva, 2013 ; Meul et al., 2008; Sadok et al., 2009, Zahm, 2015). Toutefois, ces travaux ne définissent pas le concept d’exploitation agricole durable.

Landais (1998) a proposé une définition de la durabilité à l’échelle de l’exploitation agricole. Selon cette définition, une exploitation agricole est considérée durable si elle atteint les 4 piliers de la durabilité (viabilité, vivabilité, transmissibilité et reproductibilité).

Zahm et al. (2015) ont proposé une définition de l’exploitation agricole durable basée sur les principes de la définition de Landais (1998) : « Une exploitation agricole durable est une exploitation agricole viable, vivable, transmissible et reproductible inscrivant son développement dans une démarche sociétalement responsable. Cette démarche renvoie au choix de l’agriculteur, quant aux effets de ses activités et de ses modes de production, sur le développement et la qualité de vie des parties prenantes ancrées sur son territoire ainsi qu’à sa contribution à des enjeux globaux sociétaux non territorialisables (lutte contre le changement climatique, sécurité alimentaire, etc.). Son développement s’appuie sur cinq propriétés : capacité productive et reproductive de biens et services, robustesse, ancrage territorial, autonomie et responsabilité globale » (Zahm et al. (2015))

2.1.3.4. Quels outils et méthodes pour évaluer la durabilité d’une exploitation agricole ?

Il existe de nombreuses méthodes pour évaluer la durabilité des exploitations agricoles. Ces méthodes diffèrent selon les objectifs, les échelles, les produits évalués, la nature des données collectées, les type d’indicateurs, les échelles de notation et les valeurs seuils (Terrier, 2013 ; Lairez et al, 2015).

La méthode IDEA (indicateur durabilité exploitation agricole) a été élaborée par un groupe de travail associant la Direction Générale de l’Enseignement et de la Recherche (DGER) du Ministère de l’Agriculture et de la Pêche et la Bergerie Nationale de Rambouillet. Cette méthode a proposé une évaluation de la durabilité de l’exploitation selon les trois piliers de la durabilité (économique, agro-environnementale, Socio-territoire) basée sur 17 objectifs et 47 indicateurs définis par des experts et de la bibliographie. Elle permet une évaluation quantitative au travers d’un recueil de donnés lors d’enquêtes avec des agriculteurs. Toutefois, cette méthode a aussi ses limites car comme le souligne Zahm (2006), « les objectifs de cohérence et d’autonomie sont relativement spécifiques à cette méthode et ne sont pas toujours pris en compte dans les méthodes d’évaluation du développement durable qui existent dans d’autres pays ou d’autres domaines. En plus, cette méthode a été souvent utilisée en France dans un objectif d’évaluation pédagogique d’une exploitation agricole, et destinée à des étudiants et des enseignants » (Lairez et al, 2015). Il existe cependant peu des synthèses des résultats (Guillaumin, 2009).

La méthode RAD (réseau agricole durable) a été élaborée en 2000 en France, par des animateurs et agriculteurs du Réseau Agricole Durable. Ce diagnostic emprunte beaucoup de concepts, voire des indicateurs, à trois méthodes existantes que sont les travaux d’IDEA, de SOLAGRO et de la FADEAR. Il a été élaboré dans le Grand Ouest par des éleveurs laitiers ce qui peut expliquer les barèmes de certains indicateurs. 22 indicateurs sont utilisés dans cette méthode pour évaluer la durabilité des exploitations selon les trois dimensions de la durabilité (économique, sociale, environnementale). Les résultats sont présentés sous la forme de diagramme en étoile pour chaque dimension de la durabilité.

De nombreux travaux font référence au concept de durabilité à l’échelle de l’exploitation agricole, mais ils n'abordent souvent que la dimension environnementale de la performance, les dimensions économiques et sociales n'étant pas ou mal prises en compte (Zahm, 2015 ; Lebacq et al, 2012 ; Lairez et al, 2015). Certaines méthodes, comme DIAGE et DIALECTE, se concentrent sur l’évaluation de durabilité environnementale à l’échelle de l’exploitation, tandis qu’INDIGO n’évalue que la durabilité environnementale au niveau parcellaire. En plus,

ces méthodes utilisent des indicateurs statistiques pour analyser la durabilité des exploitations à un moment donné, sans aborder la durabilité dans un contexte de dynamique.

Les systèmes de productions laitières du district de Ba Vi se développent dans un contexte incertain d’instabilité de la filière laitière, de fluctuation du prix du lait mais aussi d'orientations des politiques publiques qui ne soutiennent que les modèles de grandes fermes et des fermes industrielles. Les autres exploitations se développent difficilement en raison du déficit de ressources de productions comme peuvent l’être la terre ou la main-d’œuvre. C’est donc une nécessité de prendre en compte la durabilité de l'exploitation dans un environnement dynamique intégrant l'incertitude de l'environnement.

Dans mon étude, je n’utilise pas ces méthodes (IDEA, RAD) pour évaluer la durabilité des exploitations laitières dans le district de Ba Vi en raison de la disponibilité des données. Par contre, je mobilise certains indicateurs qu’elles ont produit en tenant compte des trois dimensions de la durabilité (économique, sociale, environnementale), en mobilisant les experts et la bibliographie pour les construire pour évaluer la durabilité à un moment donné (en 2013). De plus, je vais mobiliser un autre concept pour évaluer la durabilité de l’exploitation dans un environnement incertain : le concept des trajectoires d’évolution des exploitations.

2.1.4. Analyse des trajectoires, la façon de comprendre les logiques des changements, la