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3 Implémentation d’un solveur hybride VOF-TFM

3.1 Cahier des charges de la modélisation

On a introduit dans le chapitre 1 les deux principaux types de génération d’entraînement d’air dispersé : l’auto-aération et l’aération localisé. Si la turbulence est le principal phénomène physique responsable pour l’apparition des mécanismes d’aération, son origine est distincte dans chaque cas. Dans le cas de l’auto-aération, la turbulence est produite graduellement au sein de l’écoulement d’eau principal (par exemple, à partir du cisaillement de l’eau contre le radier dans un canal à forte pente, ou du frottement de l’air avec un jet d’eau lancé dans l’atmosphère). Dans le cas de l’aération localisée, une grande quantité d’énergie turbulente est générée soudainement par une discontinuité dans l’aspect macroscopique de l’écoulement (l’impact d’un jet d’eau en plongeon dans la surface libre, ou la transition de régime torrentiel vers un régime fluvial d’écoulement lors d’un ressaut hydraulique).

Compte tenu du rôle très important de la partie fluctuante du champ de vitesses issue de la turbulence, il semble donc fondamental de bien la représenter numériquement pour que les mécanismes d’entraînement d’air soient aussi bien représentés dans les simulations. L’utilisation de la méthodologie de résolution numérique RANS intégrant un modèle de turbulence présente ainsi un fort potentiel de nuire à la prédiction des phénomènes d’entraînement d’air.

La discrétisation du domaine de calcul définie pour la résolution numérique de l’écoulement est donc, pour les approches de calcul retenues pour la réalisation des études présentées dans cette thèse, un facteur limitant pour la précision des résultats. En effet, la résolution directe des spectres d’échelles des tourbillons et des interfaces produits dans les écoulements turbulents diphasiques dispersés est soumise au degré de raffinement du maillage, qui va déterminer les plus petites échelles reproduites dans le calcul numérique.

Pour bien illustrer le rôle du raffinement du maillage dans la reproduction de la physique des écoulements aérés, on reprend le diagramme L x q de Brocchini & Peregrine (2001) pour l’analyse d’un écoulement présentant le phénomène d’auto-aération dans la Figure 20. Il s’agit d’un écoulement à surface libre à travers un canal à forte pente, souvent observé dans la pratique lors, par exemple, de l’évacuation des crues dans des barrages. Dans cet exemple, on est capable d’identifier des zones A,

B et C de l’écoulement, qui peuvent être représentées à différents endroits dans le diagramme L x q.

Au niveau du point A de l’écoulement, le champ de vitesses est relativement peu turbulent, générant peu de perturbations au niveau de la surface libre. La valeur de q (une mesure des fluctuations des vitesses) est donc faible, et la valeur de L (qui représente l’échelle de longueur des caractéristiques dominantes de la surface libre) est relativement importante, de l’ordre de grandeur du tirant d’eau. Lorsque l’écoulement accélère avec la chute, la turbulence devient de plus en plus importante avec le développement de la couche limite formée au niveau du radier du canal. Avec la croissance des fluctuations de vitesse, on observe également une augmentation des perturbations de la surface libre (qui produit donc des valeurs de L plus faibles), issues des interactions avec les tourbillons. Le point B marque le déclenchement du phénomène d’auto-aération, lorsque la paire (L, q) atteint des valeurs dépassant la zone de transition dans le diagramme. Le point C représente enfin la zone d’écoulement aéré pleinement développée, caractérisée par l’existence d’une énorme quantité de gouttes et bulles de très faible échelle L, transportées avec une forte turbulence.

La résolution directe de cet écoulement avec un modèle numérique requiert ainsi un maillage suffisamment raffiné pour bien représenter au moins les échelles de q et

Figure 20 – Croquis d’un écoulement présentant le phénomène d’auto-aération (en haut) ; représentation de cet écoulement dans le diagramme L x q (en bas)

On montre dans la Figure 21 ce que seraient les limites de représentation des variables L et q pour différents niveaux de maillage. On suppose dans la Figure 21 l’utilisation d’un solveur diphasique de la catégorie « identification d’interfaces », qui emploie, par exemple, la méthodologie VOF. De cette façon, la limite inférieure de l’échelle des caractéristiques de la surface libre L est conditionnée directement par la définition du maillage.

A son tour, la mesure de fluctuations de vitesse q peut aussi être corrélée au degré de raffinement du maillage. Bien entendu, on supprime de cette analyse toute possibilité de réalisation des calculs numériques avec l’approche RANS, qui imposerait la valeur q = 0 m/s avec l’annulation de toute fluctuation du champ de vitesses. Selon Brocchini & Peregrine (2001), on pourrait interpréter q comme une mesure de vitesse sans direction spécifique, en lien direct avec l’énergie cinétique turbulente, en définissant k = 0,5 q². Or, le degré de raffinement du maillage est directement lié au spectre du nombre d’ondes qu’il serait capable de représenter ( Hirsch (2007)), et donc à la quantité d’énergie cinétique totale transférée vers les mouvements tourbillonnaires. On pourrait ainsi en déduire que plus le maillage est fin, plus large est le spectre d’échelles des tourbillons calculés et donc l’énergie cinétique turbulente dans le champ de vitesses.

Figure 21 – Représentation des limites imposées par le degré de raffinement du maillage dans la représentation des phénomènes d’aération

D’après ces considérations, on représente dans la Figure 21, les différents niveaux de maillage par des rectangles dans le diagramme L x q. Ils sont limités en abscisse par la plus petite échelle de L, en lien avec la taille minimale des interfaces identifiables, et en ordonnée par la plus importante valeur de q, corrélée à l’énergie

Pour représenter numériquement l’écoulement décrit dans la Figure 20 de manière exacte, il serait nécessaire que le maillage employé soit suffisamment raffiné pour résoudre la totalité des spectres d’échelle des interfaces et des tourbillons existants. Ce maillage est illustré dans la Figure 21 avec la rubrique « DNS ». Il s’agit bien évidemment d’un maillage avec un degré de raffinement inatteignable pour la résolution des cas pratiques. On présente également dans la Figure 21 deux autres maillages possibles, un plus grossier et un autre plus fin. Dans cet exemple, le maillage grossier n’est pas capable de résoudre suffisamment de fluctuations des vitesses pour dépasser la zone de transition. De cette façon, les fluctuations résolues du champ de vitesses ne sont pas suffisamment énergétiques pour générer dans le modèle numérique le déclenchement de l’auto-aération. Le maillage fin est, à son tour, assez dense pour résoudre les principaux tourbillons énergétiques responsables pour l’apparition des mécanismes d’entraînement d’air. Le maillage est pourtant limité dans la représentation des petites interfaces (gouttes et bulles) générées lors du développement de l’écoulement aéré, ce qui peut compromettre la qualité générale des prédictions du modèle au niveau de la zone aérée.

On note que dans le contexte actuel, on classifie les maillages comme « grossier » ou « fin » en relation à l’échelle de longueur absolue des cellules de calcul, dont la taille va limiter la gamme des spectres des interfaces et des tourbillons directement résolus. Néanmoins, il est possible – et même courant – que dans des simulations d’ouvrages hydrauliques à l’échelle réelle il ne soit pas possible de dépasser le degré de raffinement « grossier » dû à la taille importante du domaine de calcul. Dans le contexte de l’ingénierie, les ressources de calcul disponibles imposent souvent un cap de l’ordre de 106 – 107 cellules de calcul. Dans le cas des maillages tridimensionnels, on estime que les ressources de calcul nécessaires pour la réalisation des simulations de type LES sont proportionnels à Re9/4 ( Hirsch (2007)). La limite maximale de cellules est ainsi facilement atteinte.

On illustre enfin dans la Figure 22 l’esprit de l’approche de « résolution transitoire des grandes interfaces », telle qu’implémentée dans un solveur hybride VOF - TFM. Une simulation réalisée avec ce solveur utilisant le même maillage fin présenté dans la Figure 21, devrait résoudre directement la même gamme du spectre d’échelles des interfaces et des tourbillons que le modèle VOF classique. Cependant, au lieu de simplement tronquer la résolution des interfaces de plus faible échelle, celles-ci sont

prises en compte en les modélisant avec l’approche TFM. De cette manière, la dynamique des particules dispersées (trop petites pour être repérées dans le domaine de calcul discrétisé) est intégrée au calcul global de l’écoulement. On pourrait ainsi établir un parallèle avec le principe des modèles de turbulence de type LES, qui visent à modéliser le transfert d’énergie cinétique turbulente aux tourbillons de plus faible échelle, suivi du phénomène de dissipation visqueuse.

Figure 22 – Représentation du rôle du modèle hybride vofTfmFoam : étendre les limitations du maillage en modélisant les dynamiques de plus faible échelle

On note que les phénomènes physiques pris en compte dans la modélisation avec l’approche TFM seront, bien évidemment, limités par le niveau de détail implémenté dans le modèle. Par exemple, une représentation d’un champ de particules polydispersées requiert le couplage avec un modèle de type population

balance. D’autres phénomènes comme la modification de la turbulence à partir des interactions entre les particules et les tourbillons demanderaient de façon similaire la définition d’un modèle d’augmentation ou atténuation de l’énergie cinétique turbulente en fonction de certains paramètres d’importance (taille des particules, échelle de longueur des tourbillons, fraction volumique …).

observés dans les écoulements diphasiques. On néglige ainsi dans l’approche TFM le caractère polydispersé, l’impact de la modification de la turbulence issue des interactions particules-tourbillons, et l’impact des interactions particule-particule. Ces simplifications engendreront très probablement des imprécisions dans les résultats des simulations. Néanmoins, on estime que les modèles existants pour quantifier ces phénomènes constituent aussi des sources d’incertitudes, puisqu’ils nécessitent une calibration au cas par cas.

Enfin, on note que tous ces phénomènes négligés dans la modélisation avec l’approche TFM seront pris en compte lorsque la simulation fonctionne en mode VOF, puisqu’ils seront directement calculés. Finalement, le but ultime de la définition d’un solveur hybride est de donner avec la méthode TFM un sens physique, même si celui-ci est simplifié ou incomplet, aux interfaces d’échelle inférieure au maillage.