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2-1-Définition et diagnostic :

1-1-CADRE DE LA RECHERCHE

Le cadre de notre recherche s’inscrit au sein de notre activité de psychologue clinicienne dans le centre intermédiaire de la santé mentale (CISM) à Arzew (Oran) où nous avons exercé entre 2003 et 2011. Le CISM d’Arzew, est un centre de consultation psychologique, de diagnostic, de prise en charge et d’orientation.

L’équipe du CISM se compose d’un médecin psychiatre, d’un infirmier psychiatrique et de deux psychologues. Notre rôle au sein de cette équipe pluridisciplinaire fut pendant 8 ans celui d’une clinicienne, qui avait d’une part la prise en charge psychologique des patients (consultants) et d’autre part la mise en place d’une recherche sur le diagnostic du temps subjectif chez des patients souffrant d’une symptomatologie anxieuse et dépressive.

Nous nous sommes occupées dans les premiers temps, du recueil des données référées à la souffrance anxieuse et dépressive, afin d’effectuer un diagnostic taxonomique et assurer d’autres entretiens d’investigation permettant aux patients, de parler de leur vécu et de leurs souffrances. 1-2-OBJECTIFS DE LA RECHERCHE

L’objectif principal de notre travail, n’est pas seulement de solliciter les sensations et les émotions des patients diagnostiqués déprimés anxieux à l’égard de leurs conceptions et constructions temporelles, mais d’étudier singulièrement la façon dont peut émerger le temps subjectif à travers les divers modes d’expressions employées face aux situations décrites par l’analyse de la productivité verbale du discours du déprimé anxieux.

De ce fait, notre premier objectif de recherche, est de comprendre après-coup, ce que disent les patients et ce que représente le temps dans leur vécu de souffrance d’une symptomatologie anxieuse et dépressive. Cette recherche s’intéresse donc à spécifier le rôle que tient la variable «temps subjectif » dans la formation du symptôme de la dépression anxieuse en tant que critère précurseur déterminant le taux de la souffrance psychique.

Notre second objectif de recherche concerne la création des motivations objectives pour notre problématique par lesquelles nous souhaitons planifier une conception théorique plausible permettant une analyse et compréhension psycho-dynamique des sujets déprimés anxieux.

Et enfin, développer une démarche méthodologique spécifique au traitement de la variable dépendante-temps subjectif- à travers la formulation d’hypothèses opérationnelles qui permettent

d’identifier de nouveau un cadre théorique satisfaisant à la compréhension de l’organisation et de la construction temporelle subjective du fonctionnement psychique du déprimé anxieux.

1-3-LA PROBLEMATIQUE :

La dépression, l’état de stress, l'altération de l'humeur, la crispation et le sentiment de désespoir, cet ensemble de phénomènes affectifs de la vie courante inhérent à tous les êtres humains est admis et compréhensible, si ce mode de réaction ne dépasse pas un certain degré d'intensité ou s’il n'est pas permanent. On le considèrera alors comme une réaction pseudo-normale, causée par les expériences de la déception, de l'échec, de la solitude ou de la perte d'objet. Mais toutes ces manifestations peuvent toutefois générer chez l'individu des troubles dépressifs, associés à d'autres symptomatologies physiques et/ou psychiques, entravant le retour à un degré d'adaptation optimale nécessaire pour l’intégration de l’identité de soi et de l’altérité.

Dans le paysage psychiatrique (DSM et le CIM), il est difficile présentement, de se mettre d'accord sur un système unifié de classification des troubles dépressifs.

Concernant la taxonomie de ce trouble, dans le guide statistique des maladies psychiatriques (DSM IV), révisé par l’association psychiatrique américaine (APA), la classification des troubles dépressifs figure parmi les troubles de l’humeur qui comprennent un grand nombre de troubles (unipolaires), un groupe de dépression majeure, la dysthymie (appelée souvent la dépression névrotique) et les troubles dépressifs non spécifiques. Dans le manuel édité par l'organisation internationale de la santé mentale (CIM10), la classification de ces troubles se diffère légèrement du DSMIѴtr, car ce dernier a classé la dépression majeure dans la catégorie épisode dépressif léger (F32.0) et trouble dépressif réactionnel sous le code (F33), classé comme troubles de l'humeur (dysthymie) dans la catégorie descriptive (F34.1). En même temps, cette classification hiérarchise les troubles dépressifs non spécifiques en deux formes d’épisodes de la dépression légère et celle réactionnelle sous les codes (F32.9) et (F33.9), tandis que le syndrome anxio- dépressif est conservé pour le diagnostic des troubles mixtes ; anxiété dépression, classée néanmoins parmi les troubles anxieux (F41), qui est définie par l’association concomitante comme des symptômes anxieux et dépressifs, sans prédominance nette des uns ou des autres, puisque chaque ensemble de symptômes, étant insuffisants pour permettre de porter un diagnostic de troubles anxieux ou dépressifs exclusifs.

La dépression est perçue pareillement en tant que trouble psychique, le plus répandu après l'angoisse et est le plus grand problème auquel sont confrontés les individus qui recourent cependant aux psychotropes, mais il existe une différence entre plusieurs études et recherches cliniques empiriques, car cliniquement, la dépression anxieuse est considérée comme un

syndrome dépressif lié à l'angoisse et à l'anxiété, tandis que l’anxiété dépressive, est assimilée à la dépression en tant qu’un trait de développement où la limite et la frontière entre la dépression et l’anxiété, n'est pas clairement déterminée.

Aucun des deux manuels DSM-IѴ tr ou le CIM10 ne peut déterminer les frontières des catégories distinctes de la dépression anxieuse ou de l’anxiété dépressive, et ce, en raison de l'absence d’études qui présentent des modèles types de classification. Puisqu’elle ne se considère pas comme une catégorie psychiatrique mais beaucoup plus comme une entité clinique empirique et pour ces raisons de mises en relief, l’association psychiatrique américaine (APA) a proposé pour les futures recherches, de reprendre les mêmes travaux de description d’un profil clinique, en lui associant à un niveau subsyndromique des symptômes des deux ordres anxieux et dépressifs. Bien que l’anxiété ou la dépression puisse se présenter comme morbidité pathognomonique la plus répandue, en revanche avec d’autres troubles psychiatriques en fonction des possibilités d’évolution, chacune de ses figures apparaît soit primaire soit secondaire.

Du point de vue psychopathologique, Guy Besançon et al (2006 -58) remarque cliniquement que certains degrés d’anxiété sont habituellement présents lors d’un état dépressif et sur le plan évolutif, les troubles anxieux évoluent souvent vers la dépression. Il mentionne ainsi que dans une perspective phénoménologique l’anxieux craint l’avenir comme le déprimé regrette le passé, indiquant que la peur est liée à un danger réel et imminent, néanmoins l'anxiété est assujettie à un danger ou à une menace non déterminée et qui oscille entre le réel et l’imaginaire. Alors que la dépression est l’effet de la réaction de l'angoisse. Quand l'individu juge, en son for intérieur, sous cet effet, irréversible sa perte. Quoique l'angoisse soit une composante de l'organisme, conjuguée aux autres composantes qui font la nature humaine et dont nous ne pouvons nous libérer totalement sinon grâce à une réelle maîtrise de Soi pour rendre supportable ses effets de sorte que, pour chaque période de sa vie, l’individu doit faire un deuil pour le passé et en même temps, se préparer pour une nouvelle période ou étape dans sa vie, suivant la perspective freudienne qu’a cité P. André et al (2004: 148).

Dans le même prolongement, on remarque ainsi que la simultanéité de la dépression et de l'anxiété ne suffisent pas toujours pour déterminer la gravité de ce trouble, car il se peut qu'on y trouve une résistance ou un refus de thérapie, ce qui peut rendre compte de la qualité de l'organisation ou le fonctionnement mental de la personne.

De la même manière, ce syndrome reste comme une catégorie de diagnostic recommandé dans l'annexe B du DSM-IѴtr sous le nom de troubles dépressifs et anxiété mixte pour le DSMѴ.

Cette obstruction clinique de la dépression s’ajoute aussi à l’absence d’une conception psychopathologique pour la classification taxonomique.

Pour sortir de ce contexte de classification statique et psychiatrique de la dépression en particulier, D Viennet (2009:11) souligne que les études psychopathologiques mettent en évidence et de manière alarmante, que le Soi contemporain est souffrant, et que la souffrance se généralise sous les noms de la fatigue ou de la dépression. La dépression, phénomène de société, se révèle en ce sens désormais, comme la chose la mieux partagée au monde, ce dont Ehrenberg A (1998 :294) a déjà défini. L’homme contemporain est un être insuffisant, déprimé sans avenir, souffrant d’une pathologie du temps et de la motivation, « le déprimé est sans énergie, son mouvement est ralenti et sa parole est lente». Il est en proie à une difficulté de formuler des projets, ce qui est une autre forme de rapport à l’avenir et est perçue fondamentalement comme une pathologie narcissique et une pathologie identitaire chronique dans lesquelles, le Soi s’éprouve comme incertain.

Et dans l’insécurité associe à un déficit, à une insuffisance narcissique et à l’impuissance qui engendre le retrait du sujet.

S’agissant donc du couple dépression-anxiété, disons encore une fois, la description courante du syndrome anxieux dépressif ou de la dépression anxieuse est trop imprécise, nous pourrions même dire ambiguë. Mais pour permettre de cerner un diagnostic idoine pour ces souffrances, ensuite pour mener des thérapies de choix afin d’établir un pronostic évolutif fiable, Guy Besançon (2006.51) suppose qu’il y a « un continuum possible entre anxiété et dépression ». Il a précisé ainsi, que de nombreuses études montrent que la dépression peut survenir chez n’importe quel type de personnalité. Cette dernière colore la sémiologie, ce qui nous permet de déduire que la dépression et l’anxiété ne s’associent pas au hasard et qu’elles peuvent avoir beaucoup de points communs dans le contexte clinique pathologique du sujet atteint, qui éprouve une perturbation dans ses facultés de raisonnement et dans une certaine mesure, dans ses capacités de jugement. Ces perturbations n’apparaissent cependant qu’au-delà d’un certain seuil d’intensité anxieuse car les idéations dépressives ne sont pas toujours exprimées verbalement par le sujet, il le sent.

Selon C Chabert (2000 :23), elles se traduisent en général, sous forme d’une plainte douloureuse ou parfois « d’un discours cynique sur un mode dépourvu de sens » et par des termes spécifiques (ne, pas, non,…) Où le verbe se présente sous une forme neutre et qu’il figure dans l’infinitif sans signification apparente, On constate un manque, une gêne de produire, une perte de la capacité d’imaginer, un balancement des valeurs (l’obscurité, le noir opposé au blanc, au clair).

On remarque aussi des présupposés idéaux et moraux selon lesquels, les attentes et les désirs s’orientent vers une séparation en positif et négatif et d’une manière générale, une focalisation sur l’acuité qui accentue et distingue le bien et le mal. Ainsi, on note un retard, une interruption, un aller et retour par rapport à une continuité, toute cette symptomatologie pouvant renvoyer formellement à un défaut de lien des instants temporels dans le sens d’une continuité irréversible. Nous constatons chez certains cas diagnostiqués déprimés anxieux que la succession des émotions, mouvements, actes et paroles se trouvent entravés, le rythme du comportement globale est brisé, acte et séquence n’ont plus, ni temps, ni lien pour s’effectuer, au contraire le dépressif s’accroche à sa douleur. C’est comme si l’affect dépressif remplace l’interruption du sens et du langage, le permanent, le voile, il manque cette capacité d’enchainement.

À ce niveau là, peut-on dire que la symptomatologie anxieuse et dépressive représente le symptôme de liaison qui échoue à se transformer et à s’investir pulsionnellement au profit du Moi ? Laissant le sujet à vif dans sa culpabilité, dans un style rigide et compulsif qui comprend un retour du vécu, ou vers un vécu qui manque et qui signifie l’échec d’élaboration psychique lors d’une frustration, c'est-à-dire, l’échec de la transformation du lien au profit d’un investissement de l’affect, de l’anxiété et du chagrin dans le discours du sujet.

D’autre part la réalité psychique se constitue sur la base du trajet de l’expérience du plaisir et du déplaisir, du mouvement de prendre en Soi ce qui est bon et rejeter hors de Soi ce qui est mauvais, en correspondance avec des concepts d’introjection et de projection de la pensée kleinienne. L’un des paramètres du développement de la rencontre Soi-objet où l’interface entre cet objet et l’organe sensoriel se trouve la fonction psychique de l’autre. Selon Guy Rosolato (1989 :108), cette rencontre est évidement représentée dans la psyché selon diverses modalités où la constitution et la structuration du temps psychique rend compte, c’est-à-dire que la fonction psychique de l’autre forme un espace psychique où se déroule simultanément un temps subjectif relatif avec celui de la réalité psychique.

En référence à la théorie freudienne, on reconnaît comme condition, la mise en place de l’épreuve de la réalité, que des objets aient été perdus, qui autrefois avaient apporté une satisfaction réelle, en tenant compte que les processus inconscients ne sont méconnaissables que dans les conditions du rêve des névroses et dans les symptomatologies psychiques. La pensée du réel du déprimé anxieux (autrefois) représente une tendance de rendre à nouveau (présent), ce qui a été une fois perçu, par sa reproduction à travers ses représentations psychiques. L’épreuve de sa réalité est directe et instantanée dont on ne peut percevoir l’objet au réel, mais il le

reproduit dans le réel avec souffrance, ce qui justifie l’incapacité de le transformer ou de l’investir autrement.

On peut dire, que ce rapport d’existence corrélatif de l’angoisse de la perte d’objet lié à l’épreuve de la réalité, explique l’impossibilité de transformer la perte de l’objet ou de l’investir. C’est donc la perte du lien ou de la liaison qu’implique la représentation du temps subjectif à la constitution temporelle. On comprend par là que la temporalité psychique est née dans la relation avec l’objet par l’aboutissement d’un travail des trois temps selon lequel pour Claude Smadja (1996:156) « ... chacun des trois temps, passé, présent et futur, [est] pénétré des deux autres ». La temporalité psychique est donc le résultat d’un travail permanent fondé sur le traitement, au fur et à mesure, des rapports entre l’objet et le passé et sur la capacité de changement d’objet et de progression, c’est-à-dire sur la possibilité de continuer à l’investir autrement, à donner un sens nouveau à cet objet qui change, qui s’approche ou qui se retire. Il apporte dans le Moi des représentations et des affects inattendus et imprévus même s’ils ont été désirés.

Pour F Marty (2005:251) « La question de la temporalité psychique donne une perspective à l’humain qui lui permet de lier les événements entre eux, de les comparer, de les associer. Elle le constitue, lui donne de la cohérence [...] c’est l’engrammage des expériences, les dépôts qui se superposent, se chevauchent, se rejoignent et s’élaborent, se mettent en sens de différentes façons ». Et à l’épreuve de la réalité, la temporalité psychique fournit la condition de possibilité pour qu’une histoire subjective existe en soi, où le rapport du sujet avec lui-même est formellement un travail du temps.

Selon J. André (2010 :88) « l’inscription psychique dans le temps, la temporalisation, n’est pas une donnée, c’est au mieux un résultat […] la temporalité, les temporalités ont une genèse psychique, plus ou moins réussie, souvent ratée, esquissée, parfois même non constituée ». L’épreuve de la réalité est en quelque sorte, l’épreuve du temps qui rend possible un acte de subjectivation par le mouvement d’un retour, d’une reprise, autrement dit, un temps subjectif qui s’élabore et se construit en linéarité développementale, c'est-à-dire le rapport que le sujet établit avec lui-même, transforme le rapport qu’il entretient avec le temps psychique et ce travail du temps qui permet au sujet de se situer ailleurs et autrement par rapport à lui-même et à ses propres affects. Ce travail va ainsi conforter l’organisation structurale du sujet et c’est à partir de cette ouverture, que se présente la possibilité de mise en œuvre de ce travail au présent ; le penser et l’aspirer. De même s’identifier avec l’objet perdu, s’en dégager lors du désinvestissement de ce dernier et permettre à nouveau de soutenir des anticipations positives, projetées dans le futur. Il porte en lui, la possibilité de réaliser l’idéal tel que le sujet le pense au

présent où la pensée d’un futur suppose une projection et une progression, dans laquelle, passé, présent et avenir sont alors de nouveau associés dans une temporalité psychique dynamique.

Ce qui fait centrer notre recherche sur la compréhension du vécu subjectif du temps comme un élément formateur primordial de la symptomatologie dépressive anxieuse.