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CHAPITRE PREMIER

1. PROBLÉMATIQUE 1 CONTEXTE

1.2. C.1.5 Une conception constructiviste du jeu

Dans la conception piagétienne du développement psychologique de l’enfant, on met l’emphase sur le caractère nécessaire et ‘’inévitable’’ du jeu comme partie intégrante de la dynamique du développement. Pour Piaget (1945), le jeu est étroitement lié au développement de l’intelligence. Le contexte ludique est parti intégrante du processus d’assimilation et d’accommodation sur lequel se fonde le développement intellectuel. Le processus d’assimilation permet à l’enfant

l’appréhension des informations que lui fournit la réalité physique et symbolique en fonction des schèmes cognitifs qu’il possède déjà. L’accommodation permet la restructuration des schèmes de l’enfant en fonction des contraintes d’opération sur le réel. D’après Piaget, lorsque ces processus prédominent, l’enfant se complait à son jeu. Il joue à cause du plaisir fonctionnel qu’il éprouve. Autrement dit, l’enfant trouve du plaisir à jouer parce qu’il se sent devenir adulte. Sur le plan symbolique, il fonctionne comme un élément dans la société des adultes. Piaget distingue trois catégories de jeux qui semblent se manifester successivement et faire parti intégrante de ce qui caractérisent les deux premières périodes du développement intellectuel de l’enfant. Il s’agit des jeux pratiques, des jeux symboliques et des jeux qui ont des règles. L’utilité de chacune des trois catégories de jeu se manifeste essentiellement chez l’enfant aux stades sensori-moteur, préopératoire et opératoire concret. Piaget (1969), voit dans le jeu un puissant levier pour l’apprentissage. Selon lui, les connaissances et le raisonnement s’acquièrent par l’interaction continue de l’enfant avec son milieu physique et social. Le jeu lui fournit un contexte qui optimise ces probabilités d’interaction.

Ginsburs et Opper (1969), ont synthétisé la pensée de Piaget sur le jeu dans une perspective d’observation favorisant la compréhension du développement de l’enfant. Nous présentons ci- après les composantes essentielles de cette synthèse (figure 1).

Les recherches sur le rôle du jeu dans le développement de l’enfant démontrent que ce type d’activité est particulièrement présent lors des périodes où l’enfant apprend à se connaître lui- même, à découvrir l’univers physique et social ainsi qu’à se familiariser avec les différents systèmes qui lui permettent de communiquer avec ses semblables (Garvey, 1977). Selon le même auteur, le jeu est associé à la créativité, à la résolution de problèmes, à l’acquisition du langage, au développement des rôles sociaux ainsi qu’à plusieurs autres phénomènes cognitifs et sociaux.

Yardley (1970), ajoute que le jeu représente une façon pour l’enfant de composer avec son monde, de le comprendre et de le contrôler. L’auteure affirme que sans le jeu, l’enfant n’a aucune façon de se développer. De plus, elle affirme que l’activité ludique est révélatrice de la personnalité enfantine. À travers elle, le joueur exprime des besoins et des désirs profondément ressentis. Si l’éducateur y est attentif, il pourra identifier les besoins et les désirs de l’enfant et puiser dans la situation la façon d’y répondre.

Dans le même sens, pour Weininger (1979), c’est à travers le jeu que le jeune enfant arrive à recréer le monde et à le comprendre. Dans ce genre d’activité, l’enfant se sent à l’aise, cherche à réussir, essaie d’innover et fait des efforts pour agir directement sur son environnement. Le désir de jouer ainsi que l’attention et la concentration durant les périodes de jeu constituent des signes de santé chez l’enfant. Weininger (1979), nous offre une perspective différente du développement de l’enfant, fondée cette fois-ci sur une description séquentielle (par stades à la figure 2) du jeu lui-même. Les stades sont reliés ici aux compétences sociales et à la maturité émotive de l’enfant. Ayant atteint un certain stade, l’enfant peut toutefois choisir de jouer de façon concomitante à des jeux caractéristiques de n’importe quel stade antérieur.

1.2.C.2 Une définition "réfléchie" du jeu

Au plan lexical, Le Petit Robert 1 (1991; p.1046) précise que le mot JEU enregistré au XIIe siècle vient du mot latin jocus qui signifiait : badinage, plaisanterie. De leur côté, les lexicologues ajoutent que jocus en latin populaire avait pris tous les sens du terme lucus pour finalement signifier : amusement, divertissement. Quant au mot ludique, c’est un dérivé du mot latin ‘ludus’ qui signifie relatif au jeu.

Dans la langue française, les expressions comprenant le mot JEU sont très nombreuses. Ainsi, on peut dire:

☺ C’est un jeu ... activité futile ☺ C’est un jeu ... pour rire, blague ☺ C’est un jeu ... démontrant un objet ☺ C’est un jeu ... acte théâtral

Également, le mot JEU peut être utilisé dans diverses locutions, telles que : ☺ Se piquer au jeu … être captivé, s’obstiner malgré les échecs ☺ Jouer gros jeu … investir beaucoup dans une affaire risquée ☺ Cacher son jeu … dissimuler ses impressions

☺ Règles du jeu … conventions

☺ Les jeux sont faits … le sort en est jeté, tout est décidé

☺ Avoir beau jeu … se trouver dans des conditions idéales pour gagner ☺ C’est un jeu d’enfant … une situation qui ne nécessite pas de grande difficulté ☺ Entrer en jeu … se mettre de la partie

☺ Jouer le jeu … se conformer strictement au règle d’un jeu ☺ etc.

Au niveau du concept, Le Petit Robert 1 (1991; p.1046) définit le jeu comme étant «une activité physique et mentale purement gratuite qui n’a dans la conscience de celui qui s’y livre d’autre but que le plaisir qu’elle procure.»

Pour sa part, Le Larousse, dictionnaire de la psychologie (1991; pp.144), identifie le jeu comme étant «une activité physique ou mentale sans fin utile à laquelle on se livre pour le seul plaisir qu’elle procure». D’ajouter l’auteur que «jadis méprisé, le jeu a été réhabilité par la psychologie contemporaine et l’école active dont il constitue l’une des assises principales.»

Dans le Dictionnaire actuel de l’éducation (Legendre, 1993; p.766) : le «jeu éducatif» serait conçu pour susciter l’acquisition de connaissances et le développement d’habiletés chez l’apprenant. Tout jeu possèderait quatre caractéristiques essentielles, soit : un élément de conflit cognitif; un élément de contrôle qui suppose un ensemble de règles simples ou complexes, fixes ou souples; un temps d’arrêt et une fin; un aspect d’artifice qui fait que le jeu quoique analogue à la vie n’est pas la réalité. Le jeu éducatif présenterait en plus une cinquième caractéristique : la détermination d’un objet d’apprentissage (…). Les jeux offriraient souvent à l’élève l’occasion de mettre en œuvre des stratégies de résolution de problèmes ou de les développer (…). Le résultat dépendra du degré de maîtrise de concepts et/ou d’habiletés motrices (réagit vite et de façon efficace). L’étudiant qui participe à un jeu éducatif ne joue pas (nécessairement) pour apprendre mais pour jouer et pour gagner.»

À la lumière des définitions énoncées précédemment, nous pouvons conclure que, de façon globale, les auteurs s’entendent pour dire que par opposition au travail le jeu est une action mais aussi un état d’être qui rend l’acte naturel et spontané. Chez l’enfant, le jeu est à la fois un moyen et une fin en soi. Il doit être considéré comme un registre d’activités particulier. C’est de la définition de ce que constitue le jeu que peuvent se dégager ces caractéristiques fondamentales. Bien que le jeu soit un processus complexe parfois difficile à comprendre, la plupart des spécialistes s’entendent sur un certain nombre de caractéristiques. En voici la liste, telle que formulée par Garvey (1977) :

Le jeu demeure une activité agréable même lorsque celle-ci n’est pas accompagnée de signes extérieurs de gaieté;

Le jeu n’a pas de buts extrinsèques. Ses motivations sont intrinsèques. En fait, il représente plus une jouissance des moyens qu’un effort voué à une fin particulière;

Le jeu se présente comme une activité spontanée et volontaire. L’activité n’est pas obligatoire mais choisie volontairement par le joueur;

Le jeu suppose une participation active de la part du joueur;

Le jeu est différent du non-jeu par une orientation non littérale. L’orientation des actions est celle du ‘faire semblant’ ou du ‘faire comme si’ au lieu du ‘faire pour vrai’.

Si nous considérons que le jeu est d’abord et avant tout un contexte nécessairement agréable qui, par son existence même, favorise la répétition de l’action, il y aurait donc des composantes indissociables à ce qui pourrait le définir, en l’occurrence :

Une situation qui est reproductible dans le temps, qui a une durée agréable parce que l’action qui s’y passe est jugée telle par l’individu;

Une situation qui représente un défi, soit parce qu’elle crée des moments d’interaction avec des objets qui forment le monde environnant au sens matériel du terme ou alors parce qu’elle permet l’interaction sociale avec un ou plusieurs autres individus par le médium de ce qui caractérise le contexte ludique, c’est-à-dire les règles du jeu, les buts fixés et les finalités envisagées. Ces derniers sont encore une fois déterminés ou acceptés librement par le joueur, c’est-à-dire par l’individu qui participe volontairement au contexte.

Le jeu ne serait donc pas quelque chose qui existe en soi, de la même façon qu’il n’assume pas la fonction d’un jouet. Le fait de créer une situation où l’enfant manipule quelque chose que l’adulte définit comme un jouet ne signifie pas pour le tout-petit que le contexte dans lequel se situe l’action en sera un de jeu. Bien au contraire, la situation proposée dans de telles conditions pourrait être synonyme pour l’enfant d’une tâche à accomplir. Cette caractéristique du jeu est celle où s’opère le passage du "game" au "play" où le jeu est la pratique ludique elle-même, soit

l’action que mène celui qui joue. Selon Mehl (1993 ; p.8), «le jeu est affaire de sens plus que de forme, ce qui obligerait à reconnaître que le jeu peut être partout et que tout pourrait être un jeu, ce dernier n’étant qu’une modalité et pas une activité particulière.»

Si, dans l’ensemble, le jeu semble indissociable du plaisir qui découle d’une situation où l’interaction avec l’environnement est souhaitée parce qu’envisagée comme agréable, peut-on réellement penser créer un espace qui favoriserait l’expression du jeu à l’école ou en milieu de garde sans tomber dans le réductionnisme et la codification répressive condamnés par Lecoultre- Cifali (1997; p.78 et 80) ?

Le discours populaire a tendance à affirmer que pour le jeune enfant jouer c’est comprendre le monde. Les situations ludiques permettent certes au tout-petit de développer des habiletés et d’acquérir différentes connaissances lors d’expériences stimulantes et variées. Les activités ludiques telles que proposées dans les divers établissements qui offrent des services éducatifs à la petite enfance ne sont-elles pas une utilisation du jeu pour mieux atteindre les buts éducatifs

déterminés par l’adulte ? À ce moment, faut-il éviter toute forme de jeu qui imposerait à l’apprenant un dispositif préétabli de façon à s’assurer de la présence des notions de plaisir et de liberté ?

À l’inverse, peut-on favoriser le jeu en institution mais échapper au "didactisme" et au "dogmatisme" dont parlent Leif et Brunelle (1976; p.123) ? Les implications concrètes du recours au jeu au préscolaire, tant dans les milieux de garde qu’en maternelle, semblent ambiguës au regard des pratiques pédagogiques qui en découlent. De quelle façon peut-on être certain que lorsque les personnels en éducation proposent des situations d’apprentissage qui se veulent selon eux des contextes ludiques, ces activités rencontrent les caractéristiques qui définissent le jeu ? Est-ce réaliste de penser que lors d’une activité d’apprentissage, le défi motivant, la durée suffisante, les règles compréhensibles et acceptables, les buts fixés atteignables et les finalités envisageables mais aussi mesurables puissent former un tout qui permette à l’enfant de construire les compétences ciblées tout en assurant que chacun des participants y trouve son plaisir ?

1.2.D LE JEU : UN CONTEXTE D’APPRENTISSAGE PRIVILÉGIÉ EN