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C.2 La sélection et l’intégration des néo-neurones

Chaque jour, plusieurs milliers de nouveaux neurones parviennent au bulbe olfactif, et participent au remplacement des néo-neurones préexistants [Sakamoto et al. (2014)]. Cependant, tous les néo-neurones formés ne sont pas conservés à long terme : quelques semaines après leur arrivée, la moitié des neurones meurt par apoptose, tandis que l’autre moitié survit [Petreanu, Alvarez-Buylla (2002); Winner et al. (2002)]. On observe ainsi dans certaines cellules en grain l’activation de la voie des caspases [Yamaguchi, Mori (2005)]. Les cellules ayant survécu à cette vague d’élimination précoce seront ensuite main-tenues dans le bulbe pendant plusieurs mois, voire plusieurs années [Petreanu, Alvarez-Buylla (2002); Winner et al. (2002)]. Chez le rongeur adulte, la régulation de la survie ou de la mort des néo-neurones constitue donc un processus primordial de la neurogenèse ; de multiples facteurs peuvent influencer le destin de ces néo-neurones.

II.C.2.a La régulation de la survie des néo-neurones

L’un des facteurs majeurs contrôlant la survie des neurones formés à l’âge adulte est l’activité sensorielle olfactive : elle joue un rôle essentiel dans la régulation de l’intégration des néo-neurones, et ceci dès leur arrivée dans le bulbe olfactif. En effet, l’expression de la tenascine R, molécule primordiale à la migration radiale des cellules en grain, est régulée par le degré d’activité du bulbe : la privation olfactive entraine une diminution de son expression, et donc une diminution de la migration et de l’intégration des néo-neurones [Saghatelyan et al. (2004); David et al. (2013)]. L’activité sensorielle olfactive est aussi grandement impliquée dans la sélection neuronale, et influence la survie des néo-neurones parvenus à destination dans le bulbe. Une stimulation sensorielle importante du système olfactif, notamment par l’exposition à un environnement enrichi en odeurs, favorise en effet la prolifération et la survie des néo-neurones [Rochefort et al. (2002); Alonso et al. (2008); Bonzano et al. (2014)]. A l’inverse, la privation sensorielle, notamment par occlu-sion nasale ou chez des souris anosmiques, entraine une augmentation de la mort neuronale par apoptose [Petreanu, Alvarez-Buylla (2002); Saghatelyan et al. (2005); Sawada et al. (2011)]. La modulation du taux de survie par l’activité sensorielle est un processus ré-versible avec un effet à court terme. En effet, lorsque l’environnement et l’exposition aux odeurs redevient habituel, le nombre de néo-neurones intégrés dans le bulbe retrouve un niveau comparable à celui observé en conditions contrôles [Fiske, Brunjes (2001); Roche-fort, Lledo (2005)]. L’activité sensorielle entrante dans le bulbe est donc primordiale pour la survie des néo-neurones à court terme. Elle activerait notamment la voie des MAPK (Mitogen-Activated Protein Kinases), qui favorise la survie des cellules en grain nouvelle-ment générées : en effet, le blocage de cette voie empêche l’augnouvelle-mentation de la survie des neurones induite par l’activité olfactive [Miwa, Storm (2005)]. Il a également été montré que la survie est gouvernée par le niveau global d’activité intrinsèque des néo-neurones, et

que des patrons précis de décharge ne sont pas essentiels pour leur intégration [Lin et al. (2010)]. En conséquence, l’exposition à une simple paire d’odeurs n’est en général pas suffisante pour induire une augmentation de la survie [Alonso et al. (2006)]. En revanche, l’exposition à ces mêmes odeurs, mais au cours d’un apprentissage olfactif, peut quant à elle mener à une hausse du taux d’intégration de nouveaux neurones, en particulier dans des zones bulbaires activées par les odeurs [Alonso et al. (2006); Sultan et al. (2010, 2011a)].

De manière intéressante, la régulation de la survie par l’activité sensorielle et par l’ap-prentissage olfactif varie selon l’âge des néo-neurones. On parle alors de période critique, c’est-à-dire une période durant laquelle un événement a plus d’impact sur un organisme qu’à un autre moment de son développement. Dans le bulbe olfactif, la période critique pour la survie des neurones semble comprise entre 14 et 28 jours après la naissance des néo-neurones [Yamaguchi, Mori (2005)]. La privation sensorielle au cours de cette pé-riode entraine en effet une forte diminution du nombre de nouveaux neurones intégrés ; en revanche, une même privation avant ou après cette période n’a que peu d’impact sur la survie des néo-neurones [Yamaguchi, Mori (2005)]. Cette période critique correspond globalement à la phase de développement des épines dendritiques et de mise en place des connexions avec les neurones préexistants : cela suggère donc le rôle important des entrées synaptiques dans la sélection des cellules en grain nouvellement générées. Cepen-dant, l’apprentissage olfactif peut aussi réguler la survie des néo-neurones en dehors de la période critique classiquement établie. En effet, si l’apprentissage entraine bien une augmentation du taux d’intégration des « jeunes » néo-neurones (entre 15 et 30 jours), il induit en revanche une diminution de la survie des neurones plus matures (entre 35 et 45 jours) [Mandairon et al. (2006b); Mouret et al. (2008)]. L’apprentissage ne semble pas avoir d’effet sur la survie des néo-neurones tout juste arrivés dans le bulbe (moins de 15 jours) ou complètement matures (plus de 60 jours) [Mouret et al. (2008)]. De plus, la difficulté de la tâche et la durée du protocole d’apprentissage peut également influen-cer le taux de survie des néo-neurones [Mandairon et al. (2006b); Kermen et al. (2010)]. Enfin, seule la survie des cellules en grain profondes semble affectée par l’apprentissage [Mouret et al. (2008)]. L’apprentissage olfactif induit donc une succession d’événements de stabilisation ou d’élimination des néo-neurones, et conduit à une régulation complexe du nombre de neurones nouvellement générés dans le circuit adulte bulbaire.

L’activité sensorielle, transmise essentiellement via les synapses avec les cellules princi-pales, influence donc la survie des néo-neurones. Cependant, les cellules en grain reçoivent également de nombreuses afférences centrifuges : dans la mesure où ces synapses sont for-mées très rapidement après l’arrivée des néo-neurones dans le bulbe, il est aisé de supposer que ces fibres centrifuges pourraient elles aussi jouer un rôle important dans le processus de sélection neuronale et sur la survie des néo-neurones [Whitman, Greer (2007)]. C’est le cas en particulier des fibres neuromodulatrices. L’activation du système cholinergique

semble favoriser la survie des néo-neurones [Kaneko et al. (2006)], tandis que des lésions des neurones cholinergiques du télencéphale basal entrainent une diminution de la survie [Cooper-Kuhn et al. (2004)]. Néanmoins, cet effet varie selon de type de récepteurs acti-vés ; en effet, l’activation spécifique des récepteurs nicotiniques entraine une baisse de la survie des néo-neurones [Mechawar et al. (2004)]. Les fibres centrifuges noradrénergiques semblent également être impliquées dans la régulation de la survie neuronale. Le blo-cage des récepteurs α2, des récepteurs inhibiteurs présynaptiques présents sur les fibres noradrénergiques, entraine une augmentation de la transmission noradrénergique et une augmentation de la survie neuronale dans le bulbe olfactif [Bauer et al. (2003); Veyrac et al. (2005)]. La libération de noradrénaline a donc un effet neuroprotecteur, et diminue la mort neuronale.

Les fibres centrifuges corticales jouent aussi un rôle important dans le processus de sélection neuronale. Une diminution des afférences centrifuges, illustrée par la baisse du nombre de synapses glutamatergiques dans le domaine dendritique proximal des cellules en grain néoformées, entraine une altération de leur survie [Kelsch et al. (2012a)]. De plus, l’élimination des cellules en grain par apoptose est favorisée durant la période postpran-diale, et est corrélée à la durée du sommeil postprandial chez la souris [Yokoyama et al. (2011)] ; cette élimination est induite par des signaux centrifuges en provenance du cortex olfactif [Komano-Inoue et al. (2014)]. Fait intéressant, la privation sensorielle augmente encore plus la mort neuronale durant la période postprandiale, et cet effet est annulé grâce au blocage des afférences centrifuges. La survie des néo-neurones est donc régulée par une interaction complexe entre les afférences sensorielles et centrifuges.

Enfin, le taux de prolifération dans la zone sous-ventriculaire semble aussi influencer la survie des néo-neurones : celle-ci est augmentée suite à une baisse de la prolifération des précurseurs neuronaux, et permet le maintien du nombre d’interneurones [Sui et al. (2012)]. En effet, il est classiquement admis que le nombre total de neurones bulbaires n’est pas affecté par le processus de neurogenèse adulte : l’addition de nouveaux neurones dans le réseau est contrebalancée par la mort de neurones préexistants, et les néo-neurones ne font alors que remplacer les anciens [Sakamoto et al. (2014)]. Une étude récente tend cependant à remettre en cause la véracité de ce phénomène [Platel, Cremer (2018)]. Selon les chercheurs, la mort neuronale serait en réalité quasi absente dans le bulbe olfactif adulte : sa mise en évidence dans de nombreuses études serait uniquement due aux doses de BrdU utilisées, toxiques pour les neurones. Les néo-neurones produits s’ajouteraient alors à leurs homologues préexistants selon un processus additif, entrainant une augmen-tation du nombre de cellules bulbaires au cours de la vie [Platel, Cremer (2018)]. Des études supplémentaires seront donc nécessaires pour trancher quant à l’existence ou non d’une mort neuronale importante dans le bulbe olfactif.

II.C.2.b La régulation de la maturation des néo-neurones

La maturation des néo-neurones adultes dépend elle aussi de l’activité sensorielle. Chez les cellules périglomérulaires formées à l’âge adulte, la stimulation olfactive augmente le nombre de nouvelles synapses formées [Livneh et al. (2009)]. Les interneurones dopami-nergiques de la couche glomérulaire sont particulièrement impactés par cette activité : une privation sensorielle entraine en effet une diminution de l’expression de la tyrosine hydroxylase dans ces cellules [Bastien-Dionne et al. (2010); Bovetti et al. (2013)].

Chez les cellules en grain, la quantité et la longueur des dendrites sont modulées par l’activité olfactive : elles diminuent suite à une privation sensorielle, et augmentent lorsque l’animal est exposé à un environnement riche en odeurs. La synaptogenèse est aussi modi-fiée : la densité d’épines diminue globalement suite à une privation olfactive [Saghatelyan et al. (2005); Kelsch et al. (2009)]. Néanmoins, tous les domaines dendritiques ne sont pas affectés de la même manière : la privation sensorielle entraine une diminution de la densité d’épines dans les domaines distal et basal, mais une augmentation dans le do-maine proximal [Kelsch et al. (2009)]. Réciproquement, une stimulation olfactive entraine une augmentation de la densité d’épines dans le domaine distal [Breton-Provencher et al. (2014)]. L’activation des cellules principales du bulbe provoque alors la formation et la rétraction de filopodes au niveau des dendrites distales des cellules en grain nouvellement formées, suivie de la relocalisation des épines dendritiques ; ce phénomène dépend de l’ac-tivation des récepteurs NMDA [Breton-Provencher et al. (2014)]. Des interneurones de la couche plexiforme externe exprimant la CRH (Corticotopin-Releasing Hormon) par-ticipent aussi à la modulation de la synaptogenèse chez les cellules en grain néoformées [Garcia et al. (2014)]. Enfin, la privation sensorielle peut entrainer l’élimination de cer-taines synapses via le recrutement de cellules microgliales [Denizet et al. (2017); Reshef et al. (2017)].

Comme pour la survie, l’apprentissage olfactif peut influencer la synaptogenèse des néo-neurones : il entraine en effet une augmentation de la densité d’épines dans les do-maines dendritiques basal, proximal et distal des cellules en grain [Lepousez et al. (2014)], même si cette régulation de la synaptogenèse varie selon le protocole utilisé [Mandairon et al. (2018)]. De plus, la régulation de la synaptogenèse par l’activité sensorielle est aussi différente en fonction de l’âge des néo-neurones étudiés. En effet, les effets d’une privation sensorielle sont moindres si elle débute après la fin du développement synaptique, sug-gérant l’existence d’une potentielle période critique pour la plasticité synaptique [Kelsch et al. (2009)]. Néanmoins, les néo-neurones adultes peuvent présenter une plasticité dépen-dante de l’expérience sensorielle bien après leur intégration dans le réseau et la prétendue fin de leur maturation [Livneh, Mizrahi (2011)], et remettent donc en cause l’existence de cette période critique.