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5 Buzz et Woody sont deux personnages du film animé Histoire de jouets (Walt

Disney). Les figurines de ces personnages font partie des nombreux produits dérivés

ce qui eût touché le cœur de Mère, une sorte de poupée-puzzle dont la physionomie représentait Van Gogh, nanti d'une oreille détachable, c'est ce visage humilié, foudroyé lui aussi qui eût fait frémir Mère, celui d'un artiste dont de burlesques enfants détachaient l'oreille du crâne, ce visage serait l'empreinte lui aussi de l'art assassiné par la bêtise, oui, pensait Melanie, ses fils exagéraient, réclamaient et réclamaient encore ces extravagants cadeaux de l'abondance que bien souvent elle ne leur refusait pas, comme le faisait avec sévérité leur grand-mère, car depuis qu'ils avaient grandi, ses activités n'étaient plus aussi familiales, mais souvent sociales, politiques, elle savait que cette passion de défendre les opprimés, et surtout les femmes et les

enfants, durcissait ses traits d'une volonté paralysante [...], mais

comment eût-elle vécu désormais sans cette stimulation intellectuelle

[...] (Foudre; 109)

En opposition à l'engagement social de Melanie, qui est dévouée à la cause des femmes et des enfants, la jeune génération est représentée sans « profondeur » (« de burlesques enfants ») et avide de possessions (les fils de Melanie « réclamaient et réclamaient encore ces extravagants cadeaux de l'abondance »). Tous ces « extravagants cadeaux » que Melanie ne refuse pas à ses enfants depuis qu'elle passe avec eux peu de temps semblent remplacer en partie le lien familial :

[...] Augustino venait de se poser, sur une chaise, ses pieds nus

ballant dans l'air chaud, appliqué soudain devant l'ordinateur

miniature que lui avaient offert ses parents, quelques jours plus tôt, un ordinateur neuf quand Augustino en possédait déjà deux, n'était-ce pas pour compenser leurs fréquentes absences de la maison [...]

(Foudre; 98)

Ce remplacement est aussi représenté dans la relation qu'entretient Olivier avec son fils Jermaine. Dans l'extrait précédent, le choc des générations se traduit par le sentiment de perte ressenti par la grand-mère, qui s'exprime dans des expressions comme la « civilisation foudroyée », « l'art assassiné » et aussi dans l'image de

l'artiste humilié par la vision d'enfants jouant avec une poupée à son effigie dont une oreille se détache. Notons que se mélangent ici des éléments d'un discours progressiste (la défense des opprimés, la stimulation intellectuelle, la volonté) et des

éléments d'un discours conservateur, qui détecte dans la progression sociale les

signes annonciateurs d'une chute. Cela est exemplaire de la manière avec laquelle les

romans entretiennent une tension entre ces deux discours. Ceux-ci s'alignent en effet

sur une pensée progressiste lorsque l'intérêt universel le prescrit, et sur une pensée conservatrice lorsque le sentiment de perte des valeurs communes est ressenti. Dans

l'extrait cité, la force de cette tension réside certainement dans l'ambiguïté de

l'image du « naufrage du matérialisme », que le désastre, les ruines et la « civilisation foudroyée » soutiennent. Empruntée au discours socialiste, l'image de la fin du matérialisme se trouve ici employée dans un énoncé conservateur, lequel affirme que les albums, jeux vidéo et jouets de la jeune génération feront exploser l'ordre social (dans les ruines, ceux-ci seront enfin « désamorcés »). L'idée selon laquelle l'art est assassiné par la bêtise se rattache d'ailleurs à ce discours, qui voit dans la nouveauté un signe de dégradation, et atteint son paroxysme pathétique dans l'image de la poupée Van Gogh.

Du point de vue de la jeune génération, le choc est aussi perçu comme une rupture temporelle; il est toutefois associé à un gain plutôt qu'à une perte :

Et Samuel avait écouté la voix d'Arnie en pensant combien son père et Arnie étaient frères, n'étaient-ils pas tous les deux des artistes d'une ère de survie à laquelle, pas plus qu'à écouter les démentes

prédictions de la Vierge aux sacs, sur le trottoir, Samuel n'eût aimé s'attarder, le professeur Arnie Graal, Daniel, son père, étaient une génération anachronique, pensait Samuel, ils seraient vite dépassés par les plus jeunes [...], ils auraient été bien étonnés, pensait Samuel,

Arnie, Daniel, son père, de voir avec quel appétit désinvolte Samuel et tous ceux qui avaient son âge enclin à la paresse, à la sensualité, rêvaient d'un monde qui ne fût que confortable, rien de plus qu'un paradis, la nouveauté d'un paradis pour ceux qui apprendraient à le

construire, à l'écart des valeurs du vieux monde, ce monde dût-il être parfois sans passé ni mémoire [...] (Foudre; 104)

Samuel a l'impression de ne pas faire partie de la même tranche temporelle que son père et son professeur de danse, qui sont, eux, « frères de temps ». De la même manière, « Samuel et tous ceux qui [ont] son âge » se rejoignent dans leurs préoccupations et leurs horizons. Les jeunes endossent un discours progressiste sans nuances, quoique passif, qui les mène à rejeter le passé : ils ont un « appétit désinvolte » pour la nouveauté, ils rêvent d'un paradis, et ils voudraient apprendre à

construire un monde loin des valeurs du vieux monde. Ils ont la certitude que la

nouvelle génération dépassera l'ancienne. Et non seulement la dépassera-t-elle, la

dépassera-t-elle vite.

[...] Mère marchait d'un pas plus lent, réfléchi, vers le sentier qui

conduisait à la plage, se retournant pour écouter Jermaine qui parlait à ses amis, il semblait à Mère que toutes ses voix de jeunes gens formaient un chœur à peu près incompréhensible car elle ne savait au

juste de quoi ils discutaient ainsi avec ferveur, après avoir dansé toute

la nuit, c'est mon monde, disait Jermaine, ou était-ce l'un de ses amis,

la musique électronique, DJ. des platines, je m'y connais, on commence par mixer tous les styles, tous les rythmes, et bang, pas

besoin de mots, les mots, c'est pour mon père qui écrit, la musique

électronique des raves, pas de mots, de mélodies percutantes, une question de technique, surtout pour les pistes de danse, et bang, ouf,

réveillons les endormis, même Gelectro, ce sera vite dépassé, les claviers, les synthétiseurs, faudra vite jeter cela au passé, qui voudra se souvenir des années 2000, même cette musique electro, ce sera

dépassé, c'est moi qui vous le dis, même la planète rouge nous l'aurons depuis longtemps foulée de nos pieds, nous y vivrons comme

sur notre terre, et tout pourrait bien aller comme ici, alors c'est vrai tu es le meilleur DJ. des patines du Club, bang, pas de mots, de cette

entières, c'est un langage cacophonique comme la musique que

Samuel écoutait lorsqu'il était avec nous, pensait Mère, déplorable qu'il en soit ainsi, mais Jermaine est un bon fils, la fierté de ses parents, peu importe ce langage, sans doute, s'ils sont de bons enfants,

Jermaine, en passant devant Mère avec ses amis, l'avait saluée

respectueusement avant de filer vers la plage [...] (Angustino; 196) Dans ce passage, comme dans quelques rares portions des romans, le lecteur remarque une nette rupture stylistique. C'est le cas, notamment, du passage où Biais intègre à son texte la traduction d'un récit de voyage du moine bouddhiste Bhante