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2.2. A TTITUDES L INGUISTIQUES ET ENSEIGNEMENT DE LANGUES

2.2.2. Attitudes Linguistiques et représentations

veau aux commentaires annoncés à la fin de la partie précédente de ce mémoire sur la correspondance existant entre la notion de représentations et la composante cogni- tive des AL (cf. 2.1.2 sur les caractéristiques des AL). En effet, la dimension cogni- tive des AL est imprégnée de la perception de l’objet langue, des pensées et des

croyances que les individus développent sur cet objet. Aussi l’étude des représenta- tions des individus concourt-t-elle à l’étude des AL.

Les représentations sont définies différemment selon le domaine scientifique au- quel on se réfère. Compte tenu des domaines interrogés pour notre recherche, nous rappellerons les principales définitions auxquelles nous ferons référence.

Le sociologue Durkheim (1898) les définit comme des formes mentales, d’opinion et des savoirs équivalentes à la notion d’idée ou système. C’est à partir de cette définition que les psychologues ont développé leurs travaux postérieurs. Dans l’acception C2 du dictionnaire Robert, la représentation est présentée comme l’ « image d’une chose irréelle, absente ». Plus loin, dans cette même acception, nous trouvons la définition du mot dans le domaine de la psychanalyse : « ce que l’on se représente, ce qui forme le contenu concret d’un acte de pensée » (Le Grand Robert, 2001 : Tome V, p. 1973). De ces définitions, nous retiendrons le caractère immaté- riel des représentations et leur existence en tant qu’images et pensées dans les esprits des individus.

Dans le Grand dictionnaire de la Psychologie de Larouse, les représentations sont définies comme une « entité de nature cognitive reflétant “dans le système mental” d’un individu, une fraction de l’univers extérieur à ce système64 » (1992, p. 667). Le caractère immatériel des représentations est redéfini dans cette nouvelle citation par leur nature cognitive. En ce qui concerne l’univers extérieur à ce système –évoqué dans cette définition–, Serge Moscovici (1960) signale qu’il est déterminant au point de nous obliger à parler de représentations sociales (cité par Al-Badarneh, 2014). En effet, pour cet auteur, il s’agit d’une notion faisant partie d’une famille lexicale où rentrent aussi celles de vision du monde et idéologie, toutes déterminées par le contexte dans lequel naissent et vivent les individus.

64 C’est nous qui soulignons en caractères gras.

De ce fait, nous comptons en psychologie sociale les travaux de Jodelet (1984, p. 360), qui propose ainsi que les représentations sont « une manière d’interpréter et de penser notre réalité quotidienne, une forme de connaissance sociale et corré- lativement, l’activité mentale déployée par les individus et les groupes pour fixer leur position par rapport à des situations, événements, objets et communications qui les concernent 65». Nous retrouvons dans cette définition les éléments contenus dans celle de Durkeim, auxquels s’ajoute essentiellement leur caractère sociale et leur importance dans l’interprétation de la réalité.

En ce qui concerne les langues, de manière précise, nous comptons d’un côté, la définition proposée dans le dictionnaire de linguistique et sciences du langage : « dans la perspective associationniste de F. de Saussure, la représentation est l’apparition de l’image verbale mentale chez le locuteur » (Dubois et al., 2012, p. 410). Cette définition renvoie à une représentation imagée qui se formerait dans l’esprit de la personne à l’évocation d’un mot. Elle a trait spécifiquement à la dimen- sion sémantique du langage.

D’un autre côté, nous retrouverons l’expression représentations langagières qui s’est introduite plus tard que celles de représentations mentales et sociales. Quant à cette dernière expression nous servant à définir les représentations, il faut dire qu’il s’agit de toute forme mentale référant à des langues et aux éléments qui leur sont liés, permettant aux individus de les interpréter. Ces individus montreront leur position non seulement par rapport aux langues elles-mêmes, mais aussi par rapport aux cul- tures qu’elles véhiculent et à leurs usagers, tout en passant par les représentations qu’ils en ont. Les idées de Durkheim (1898) et de Jodelet 1984 sur les représenta- tions mentales –complémentaires entre elles– sont extrapolables aux représentations langagières. C’est-à-dire que ces dernières ont aussi un caractère mentale et social.

65 C’est nous qui soulignons en caractères gras.

Ce dernier est déterminant dans leur origine et dans leur fonction de cohésion. Mais, dans leur fonction identitaire, les représentations langagières sont également indivi- duelles et, dans les deux cas, elles sont modifiables.

On le constate, la correspondance entre ces définitions des représentations et celle de la dimension cognitive des Attitudes Linguistiques est indéniable : toutes les deux réfèrent à des entités mentales, des pensées, des raisonnements qui constituent une toile de fond au prisme de laquelle toute nouvelle situation est perçue.

Les représentations et, donc, les AL vont renvoyer à des notions connexes marquant les rapports entre les langues et les personnes qui les parlent telles que celles de prestige, statuts et pouvoir. Selon les propos entendus et les interprétations personnelles des uns et des autres, certaines langues serviraient plutôt dans tel sec- teur d’activités, d’autres seraient dédiées à d’autres actions et d’autres encore ne ser- viraient à rien. Toujours en relation avec ces mêmes discours, certaines langues se- raient plus importantes, utiles ou prestigieuses que d’autres. Tout cela se présente juste comme des croyances dans les esprits des individus qui se les approprient ou les remettent en question.

Ainsi, les termes AL et représentations partagent une même isotopie lexicale, spécialement en ce qui concerne les relations que les personnes entretiennent avec les langues et leurs variétés –que ces personnes en aient une connaissance fine ou pas– et de la manière dont ces relations vont influencer notamment le processus d’apprentissage entamé avec ces langues et variétés.

En outre, J. Billiez (2003)66 propose une définition des représentations comme étant la traduction idéologique des conflits sociaux et enjeux du pouvoir autour des langues. Cette définition rejoint aussi celle des Attitudes Linguistiques dans le sens

où les représentations, tout comme les attitudes, ont une forte influence sur la vie des langues.

Au-delà des similitudes qui existent entre elles, la notion de représentations est la plus utilisée en éducation pour démontrer leur impact sur l’apprentissage des appre- nants, alors que celle d’Attitudes Linguistiques s’utilise, en général, dans des recherches consistant surtout à évaluer le statut et les usages d’une langue auprès d’une popula- tion en dehors d’un contexte d’apprentissage, plutôt dans des contextes de diglossie et de conflit linguistique.

En effet, à titre d’exemple, dans le dictionnaire de didactique du FLES coor- donné par Jean-Pierre Cuq (2003), nous trouvons une entrée pour le mot représenta- tion où il est signalé que cette notion a acquis une place prépondérante en didactique des langues et cultures les définissant comme l’« imaginaire ethno-socio-culturel » que les individus développent autour de la langue apprise et qui doit être traité avec grand soin par les enseignants pour éviter la stagnation dans des stéréotypes, définis comme des « représentations figées, fossilisées » qui limitent les apprentissages (Cuq, 2003, p. 215-216). Aucune entrée n’est consacrée au mot attitude ou Attitudes Linguis- tiques.

Nonobstant, certains chercheurs en DDL les utilisent conjointement, dans un sens de complémentarité. Pour certains didacticiens de FLE, les représentations constitueraient des « images partagées, qui existent dans un groupe social ou une société, des autres et de leurs langues [qui] peuvent influencer les attitudes envers ces langues et finalement l’intérêt des apprenants pour celles-ci » (Béacco et Byram, dans Castellotti et Moore, 2002 : Préface).

Dans ce même sens, Véronique Castellotti et Danièle Moore (2002) ont déve- loppé un travail assez récent au sujet des Attitudes Linguistiques et des repré- sentations dans l'enseignement des langues, auxquelles elles ajoutent le terme de "stéréotypes". Les auteures développent un argumentaire en guise d’éclaircissement

terminologique fondé sur le fait que, en ce qui concerne les AL et les représenta- tions, nous avons affaire à deux notions empruntées à la psychologie sociale qui sont quelquefois utilisées indifféremment, mais que l’on peut distinguer malgré leurs nombreux points communs, comme le font la plupart des chercheurs.

De ce fait, pour ces chercheuses, « l’attitude est généralement définie comme une disposition à réagir de manière favorable ou non à une classe d’objets ». Ces réactions dépendent des informations et croyances que les individus ont par rapport aux objets et dont l’origine peut être objective ou pas (préjugés, stéréotypes – compris comme « des images stables et décontextualisées, schématiques et raccour- cies, qui fonctionnent dans la mémoire commune, et auxquelles adhèrent certains groupes » – (Castellotti et Moore, 2002, p. 8).

Quant à leur définition des représentations, ces auteures reprennent celle pro- posée par les psychologues « une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (Jodelet, 1989, dans Castellotti et Moore, 2002, p. 8). Elles en arrivent à préciser la spécificité des représentations dans le cadre des apprentissages : ce qui « permet de rendre compte des sources et références mul- tiples (psychologique, affective, sociale, cognitive, ...) mobilisées dans un processus d’apprentissage et d’enseignement des langues » (Ibid., p. 9).

Ainsi, nombreux sont les auteurs qui intègrent les AL dans leurs analyses des situations d’apprentissage d’une langue. Pousada (1991) considère que l’apprentissage d’une langue est un processus très complexe que les AL influencent fortement (même si elles n’en déterminent pas totalement les résultats). Dans ce même sens, López Morales soutient que « l’analyse des attitudes linguistiques est un chapitre important de la sociolinguistique pour son rôle décisif –avec la conscience

linguistique– dans l’explication de la compétence, tout en représentant une puissante influence dans l’apprentissage d’autres langues67 » (Cité par Blas Arroyo, 2005, p. 48).

Martinez (2011, p. 15) propose même un schéma de la communication en classe de langue où elles sont clairement représentées, comme nous pouvons le voir dans la figure ci-dessous (Figure 14).

Figure 14 - Modèle panoramique de la communication en classe de langue, d’après Martinez, 2011, p. 15.

En effet, pour Martinez (2011), il est important de retenir que l’enseignement de langues est avant tout un acte de communication. Le modèle panoramique qu’il propose est fondé d’une part sur le schéma de la communication de Jakobson (mal-

67 Notre traduction. Texte original : « López Morales (1989) considera el estudio de las actitudes lingüísticas

como un importante capítulo de la disciplina sociolingüística, por su papel decisivo -junto a la conciencia lingüística- en la explicación de la competencia » (Blas Arroyo, 2005, p. 48).

gré ses limitations par rapport à la situation de communication que représente la classe de langue) augmenté par les propositions de Hymes (1974). D’autre part, ce schéma se fonde sur les théories de l’information et l’ethnographie de la communi- cation (servant à combler certains vides liés aux transferts de messages, mettant en relief les inégalités entre les interlocuteurs et soulignant les notions de probabilité et d’incertitude dans l’échange). De plus, il incorpore les réflexions en psycholinguis- tique et en anthropologie sociale (le langage comme expérience collective, l’interprétation individuelle des signes de la langue, les attitudes du sujet, son iden- tité, son cadre de références, les règles, les normes de la communication, les rôles des participants dans l’interaction, l’intersubjectivité, etc.). Enfin, ce schéma intègre les études en sociolinguistique sur les comportements des usagers face aux langues, et les études sur la communication exolingue, sur le paraverbal, sur les re- présentations des sujets, sur les routines, les rituels et les règles de la conversation des communautés.

Dans les considérations des chercheurs que nous avons rapportées, on notera, finalement, des différences hiérarchiques entre les notions de AL et représentations. Rateau (2000), dans son étude pour mettre en évidence l’existence d’une relation hiérarchisée entre idéologie, représentations sociales et attitudes, note –lors de la première des trois expériences menées dans sa recherche– que la réfutation d’une représentation entraine un changement d’attitude, ce qui le pousse à conclure que les représentations sont une sorte de strate d'appréciations spécifiques sur un objet, favorisant l’expression des attitudes. Dans ce même sens, Bergamaschi (2011, p. 102) décrit les représentations comme « le réservoir socio-cognitif où les attitudes prennent forme ». Dans ces études, les attitudes dériveraient des représentations, ce qui fait que ces dernières sont considérées comme étant hiérarchiquement supé- rieures aux premières.

Que ce soit dans une relation contenant/contenu ou ascendant/dérivé, il appa- raît que lorsque l’on parle d’attitudes, il est presque impossible de ne pas parler de

représentations. De ce fait, lorsque l’on fait une étude sur les attitudes, on peut tou- jours puiser ses données pour remonter jusqu’au représentations qui leur sont asso- ciées. Ce qui, à notre avis, n’arrive pas forcément dans le cas inverse. En effet, nous pensons qu’une étude ciblée sur les représentations ne nous permettrait pas forcé- ment de découler sur l’analyse des attitudes, car il nous manquerait des données pour y arriver. C’est essentiellement sur cet argument que repose notre choix mé- thodologique de travailler à partir de l’analyse des Attitudes Linguistiques. Ainsi, nous comptons collecter des données nécessaires à la mesure des AL de la population cible, qui vont nous permettre ensuite de parler de leurs représentations. Par ailleurs, pour caractériser les AL dans les situations d’apprentissage, un autre ensemble d’informations nous semble essentiel à collecter, celui qui porte sur les motivations et dont nous avons parlé ci-dessus.

Pour finir, nous mettons en exergue les propos de deux auteurs nous permet- tant de saisir le lien entre les notions traitées. Ainsi, de même que Cuq (2003) lors- qu’il signale que les motivations dépendent des représentations (cf. aspect 2.2.1), Galisson et Coste (1976) indiquent aussi que les motivations peuvent sous-tendre les attitudes et que, pour cela, même si nous admettons leur rôle très important,

En ce qui concerne l’apprentissage en général et l’enseignement des langues en particulier, on peut se demander s’il n’est pas préférable de s’interroger sur le rôle des attitudes (qui sont en relation avec la motivation, tant au plan de l’acquisition que de la conservation de l’acquis) plutôt que sur le rôle de la motivation proprement dite.

(Galisson et Coste, 1976, p. 360-361)

Somme toute, le terme de motivations, souvent utilisé comme synonyme d’envies, d'appétences, désirs, inclinaisons, mais aussi compris comme un équivalent de causes, raisons et motifs, dépend des systèmes mentaux que les individus déve- loppent autour des langues pour s’en créer une image (les représentations) et dé- clenchent les réactions des individus vis-à-vis de celles-ci (les Attitudes Linguis-

tiques). Nous pouvons observer les liens et les mécanismes qui se développent entre des trois notions dans le schéma ci-dessous (Figure 15).

Figure 15 - Relations entre les Attitudes Linguistiques, les représentations et les motivations des apprenants des langues.

Dans ce schéma, la dimension cognitive des AL est analogue aux représenta- tions des apprenants, dans la même mesure où la dimension comportementale l’est de leurs comportements concrets. C’est pour cette raison qu’elles sont mises en rela- tion par le symbole (=). La dimension affective, de son côté, est en rapport de simi- litude et non pas d’égalité ou équivalence avec les motivations car, nous l’avons vu, le lien entre cette dimension et la notion de motivations est très fort, mais il n’est pas unique. Les motivations dépendent grandement des représentations et donc de la dimension cognitive des AL aussi. Pour cette raison nous avons voulu atténuer la mise en relation entre ces deux termes par l’utilisation du symbole (~) à la place de celui que nous avons utilisé pour les autres (=). Ainsi, nous considérons que le fait

d’observer de près les pensées des apprenants, qui ont leur place dans la dimension cognitive des AL, nous permettra de porter un regard sur leurs représentations qui en seraient un équivalent. De la même manière, la recherche des éléments en lien avec la dimension affective des AL, nous permettra d’observer en grande partie les motivations des étudiants. Ces deux éléments nous mèneront vers la compréhension du troisième : les comportements qui en découlent et qui constituent, logiquement, la dimension comportementale des AL. Nous le voyons aussi sur la figure citée, les dimensions cognitive et affective sont en interaction très directe, de ce fait tant les représentations que les motivations trouvent chacune une source secondaire dans la dimension plutôt associé à l’autre. Ainsi, certains sentiments et sensations seront le reflet de certaines représentations des étudiants, de la même manière que certaines pensées reflèteront leurs motivations. Ces dernières se complèteront par l’examen des causes de chacun des pensées, sentiments ou comportements de notre popula- tion, mesurées par la question ouverte « pourquoi ? » de notre questionnaire.

Sur ce point, nous considérons qu’il est important d’attirer encore l’attention sur une autre caractéristique des AL très utile en DDL : leur capacité à mu- ter/changer. En effet, nous considérons que l’observation et la mesure des AL, nous circonscrivent à un stade descriptif de la question. Or, dans la recherche, ce stade peut être surpassé par la mise en place des actions concrètes dans notre pra- tique professionnelle cherchant à provoquer les changements auxquels ces attitudes peuvent être conduites afin de profiter des avantages de leur possible évolution. Nous expliquons ces démarches dans la sous-partie suivante.