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2.1. L ES A TTITUDES L INGUISTIQUES

2.1.1. Éléments théoriques et historiques façonnant leur définition

Pour Allport (1935, p. 799) les attitudes sont « un état mental et neurophysio- logique, déterminé par l’expérience, et qui exerce une influence dynamique sur l’individu en le préparant à agir d’une manière particulière à un certain nombre d’objets et d’événements ». Dans ce même sens, Álvarez soutient que « [les atti- tudes] peuvent être considérées comme des réactions évaluatives favorables ou dé- favorables et nous devons assumer qu’elles prédisposent les sujets à certaines ré- ponses envers l’objet46 » (Álvarez, 2007, p. 63)47. De ces définitions et précisions ressortent quatre constats importants pour leur analyse : a) elles se traduisent par un comportement visible, b) elles résultent d’un ensemble d’évènements qui sont arri- vés dans la vie de l’individu, c) elles résultent de la personnalité de chaque individu et d) elles peuvent changer.

Dans le cas spécifique des Attitudes Linguistiques, l’évaluation faite par des indi- vidus porte sur les objets langues, cultures (celles que les langues véhiculent) et (leurs) locuteurs. C’est-à-dire qu’elle porte sur les éléments essentiels renfermés dans

46 Notre traduction. Texte original : « pueden ser consideradas como reacciones evaluativas favorables o

desfavorables y asumiremos que las actitudes predisponen a respuestas hacia el objeto » (Álvarez, 2007, p. 63)

47 Dans son acception la plus étendue, l’attitude est définie comme étant « [une] disposition, état d’esprit (à

l’égard de qqn ou de qqch.) ; [un] ensemble de jugements et de tendances qui pousse à un comportement » (Le Grand Robert, 2001 : Tome I pp 975).

l’expression langues-cultures introduite en DDL en 1975 par Galisson48. Dans le cadre des attitudes, les trois éléments évoqués (langues, cultures, locuteurs) deviennent les cibles par rapport auxquelles l’individu réagit, développe certains sentiments et sen- sations, qui peuvent se transformer plus tard en des comportements observables y compris dans les propos tenus.

Ce type d’attitudes est aussi appelé des Attitudes langagières dans le Dictionnaire de Linguistique et des Sciences du langage de Larousse où on lit que « les attitudes langagières constituent l’ensemble des opinions explicites ou implicites sur l’usage d’une langue » (Dubois, Giacomo, Guespin, Marcellesi, C., Marcellesi, J-B. et Mével, 2012, p. 57).

Ces définitions préliminaires nous situent face à un phénomène dont l’étude commence vers la deuxième moitié du XXème siècle au sein de la sociolinguistique, mais qui est en lien avec d’autres disciplines : la psychologie, la sociologie, la psycho- logie sociale, la didactique des langues (DDL) et les sciences de l’éducation. L’analyse des Attitudes Linguistiques (AL) exige donc une approche multidisciplinaire.

En outre, les AL résultant d’un vécu expérientiel, de nombreux facteurs con- textuels peuvent avoir un rôle prépondérant dans leur configuration. Galisson et Coste, citant Cruchon (1963) les définissent, de ce fait, comme étant des éléments toujours en formation, toujours inachevés, car elles sont le produit de l’interaction des individus avec des composantes constitutionnelles, éducatives, culturelles et per- sonnelles. Ces auteurs insistent sur le fait que les AL sont en lien avec des éléments intérieurs aux individus : sentiments, goûts et désirs, et comment les individus se les approprient : normes sociales et culturelles et modèles de comportement. (Galisson

48 La parution de cette expression clef, exprimant le lien indissociable entre les deux éléments qui la

composent, mène beaucoup de didacticiens à se pencher sur l’utilisation du terme Didactique des langues et des cultures (DLC) au lieu de celui de DDL –surtout à partir des années 1980–.

et Coste, 1976). Ainsi, elles ont une relation étroite avec l’ethnicité, l’âge, la famille, l’école, la religion et la planification (comprise comme l’ensemble d’actions et de politiques dirigées par l’État ou par des organisations internationales à propos des langues présentes sur un territoire) (Álvarez, 2007).

Des auteurs comme Macnamara (dans Shuy, 1973, p. 36), Janés (2006) et La- sagabaster (2003) assurent, par exemple, que dans l’apprentissage des langues on note une attitude plus favorable et qu’il est plus aisé si les parents des étudiants ont aussi une attitude favorable envers la langue apprise. Dans ce même domaine éduca- tif, les attitudes ont tendance à se modeler en fonction de l’incidence des médias. Généralement, plus une langue est présente dans les médias, plus elle est jugée posi- tivement et, conséquemment, acceptée par les étudiants.

Ces constatations nous mènent à ajouter à notre définition des AL leur carac- tère social. Nous avons affaire donc à des processus sociaux avec des aspects cultu- rels, individuels et contextuels les conditionnant, comme en rend compte le schéma ci-dessus (Figure 13).

Figure 13 - A social process model of language attitudes (Processus social des Attitudes Linguistiques). Source : Cargile, Giles, Ryan et Bradac, 1994, p. 214.

Moreno Fernández (1998) signale dans ce sens que

L’attitude linguistique est une manifestation de l’attitude sociale des individus, qui se dis- tingue des autres par le fait d’être centrée sur la langue et de faire référence spécifiquement tant à celle-ci qu’à l’utilisation que la société en fait. Lorsque nous parlons de « langue » nous incluons tout type de variété linguistique : attitudes envers différents styles, sociolectes, dialectes ou langues naturelles […] les attitudes linguistiques sont le reflet d’un certain nombre d’attitudes psychosociales. Elles sont, en effet, des attitudes psychosociales.

(1998, p. 179-180)49 Le caractère social des AL a pour conséquence une bidirectionnalité. Il y a des mouvements bidirectionnels de causes et des effets entre la société et l’individu. C’est-à-dire que de la même manière que des facteurs sociaux viennent influencer les AL des individus, ces dernières vont produire à leur tour des faits sociaux très inté- ressants. En effet, Álvarez (2007) révèle que les Attitudes Linguistiques des sujets évaluateurs des langues les induit à une prédisposition envers celles-ci qui n’est pas sans conséquences sur la société.

L’importance des AL repose essentiellement sur le fait qu’elles déterminent « la vie » des langues car elles impliquent des évaluations et réactions affectant des évè- nements personnels, interpersonnels, de masses, organisationnels et interculturels (Cargile et Bradac, 2001) parmi lesquels se trouve l’apprentissage des langues étran- gères.

L’homme manifeste des attitudes envers la langue qu’il utilise, qu’il apprend ou simplement qu’il connaît et, selon qu’elles sont positives ou négatives, ces attitudes engendreront des bénéfices ou seront des entraves pour l’apprentissage. En effet, elles se manifestent par des formes diverses, comme notamment des opinions, des gestes, des postures, des actes (Galisson et Coste, 1976). En fonction de la nature de

49 Notre traduction.

chacune de ces formes, elles provoqueront l’acceptation ou le refus d’une langue, sa permanence, sa substitution ou son changement, ainsi que la disparation ou le main- tien d’une variété (Álvarez, Hoffmann et Valeri, 2001).

Trudgill, de son côté, affirme que les AL des individus et des communautés envers les diverses formes du langage sont un clair exemple de la connexion exis- tante entre la linguistique et la psychologie sociale. Cette connexion fait que ces deux domaines des sciences sociales convergent vers la sociolinguistique et, d’une manière plus spécifique, vers sa sous composante qu’est la psychologie sociale du langage (Trudgill, 2000).

De ce fait, des auteurs comme Mollá et Palanca (1989) ont trouvé que

[…] les attitudes linguistiques négatives ne sont pas le fruit du hasard, mais le résultat et l’implantation d’une idéologie qui les rend possibles et qui les nourrit au moyen d’une in-

formation déterminée, la satisfaction de certains besoins concrets des individus et la créa- tion symbolique de groupes de référence différents à ceux auxquels ils appartiennent

(1989, p. 184)50 Si cette affirmation est, en apparence, assez générique, elle se contextualise dans le conflit linguistique et politique du catalan face au castillan en Espagne. Ceci pour dire que toute attitude a des origines diverses et que ces dernières peuvent ré- sulter de l’imposition d’un pays comme État loyal à un autre et à sa langue. Par la suite, leurs causes peuvent être enracinées dans les masses.

Dans ce sens, Álvarez (2007) nous rappelle, dans ses Textos sociolingüísticos, la possibilité que nous avons d’entreprendre des recherches sur les sociétés, non pas dans une perspective analysant la psyché individuelle des sujets qui la composent,

50 Notre traduction du texte original : « actituds lingüístiques negatives no són pas el fruit de l’atzar, sinó el resultat i la plasmació d’una ideologia que les fa possible i les alimenta a través d’una certa i determinada infromació, la satisfacció d’unes necessitats concretes dels individus i la creació simbòlica de grups de referència distints als de pertenença. »

mais plutôt celle de la « mentalité des groupes ». Ce qui est, pour elle, un des buts principaux de la sociolinguistique.

En revanche, pour pouvoir appréhender les particularités distinctives de ces groupes constituant des communautés linguistiques, il est tout de même nécessaire de passer par les individus. Pour cela, il nous semble indispensable de rendre compte aussi bien des faits introspectifs que des évènements extérieurs dont l’analyse peut se faire au moyen des méthodes objectives (Álvarez, 2007). C’est ce que nous prétendons effectuer : mesurer l’influence des AL sur les résultats d’apprentissage de jeunes adultes en passant par les réponses individuelles de nos étudiants. Nous espérons ainsi trouver une réponse au phénomène collectif au centre de notre problématique.

Or, pour faire une analyse exhaustive des AL, il convient de préciser ses carac- téristiques et composantes qui seront des variables dans notre étude.

2.1.2. Leurs caractéristiques

Ayant été définies d’une part par Hernández-Campoy (2009), d’autre part, par Álvarez (2007) et, enfin, par Vallerand et Lafrenage (2006), dans leurs travaux res- pectifs, ces caractéristiques sont au nombre de huit. Nous allons les passer ne revue et les commenter.

Nous avons déjà exposé la première caractéristique et nous la rappelons ici, les AL sont bidirectionnelles : elles influencent les langues et les langues les influencent aussi.

Comme deuxième caractéristique, elles sont dichotomiques : elles ont une va- lence (appelée aussi direction) ; c’est-à-dire qu’elles sont soit positives soit négatives. D’autre part, on peut dire qu’elles sont présentes ou absentes. Cette dichotomie joue donc à deux niveaux.

La troisième caractéristique est qu’elles se manifestent à des intensités diverses : on peut donc établir une gradation de leur valence. Un coefficient, selon leur degré d’intensité peut leur être affecté.

Les AL peuvent être individuelles et/ou collectives, c’est la quatrième caracté- ristique. Cela signifie que des AL peuvent être le fait d’un individu ou être partagées par plusieurs.

Elles peuvent aussi être actives et/ou passives. C’est-à-dire que leur existence chez l’individu peut le pousser à accomplir des actions en lien avec la nature de ses AL ou bien, elles peuvent exister à l’intérieur de l’individu sans que cela implique la mise en place des actions concrètes. Un individu peut ainsi avoir une attitude posi- tive envers un objet et ne pas s’engager, pour autant, dans une cause en faveur de cet objet et en cohérence avec son attitude.

En sixième point, nous l’avons vu, les AL ne sont pas innées. Elles ont des rai- sons et des origines diverses, acquises au cours du développement psychosocial de l’individu. Quand on les décrit il est donc indispensable de rendre compte du mo- ment précis et de l’endroit précis où elles ont lieu.

Septième caractéristique : elles sont dynamiques, grâce à leur malléabilité, elles peuvent changer. L’un des facteurs qui provoquent le changement est l’âge. Par exemple, il y a une certaine maturité avec l’âge qui élimine l’insécurité des locuteurs envers les langues minoritaires. Plus l’individu est âgé, plus il s’identifie avec une certaine fierté à sa langue ou variété de langue, même dans les cas où cette dernière aurait pu être évaluée de manière négative au jeune âge de ce même individu, car elle ne représentait pas les groupes de pouvoir.

Enfin, les AL sont en relation avec les performances du locuteur : plus les atti- tudes sont positives, plus elles constituent des aides à l’apprentissage et inversement.

De plus, ces mêmes auteurs, précisent qu’elles ont trois dimensions (appelées aussi composantes) qui témoignent de la manière dont se manifestent les AL. La première dimension est dite cognitive car elle est associée à la description de l’objet et représentée par des pensées et des croyances. La deuxième est la dimension affective, associée au degré de plaisir ou de mécontentement que produit l’objet et qui se ma- nifeste sous la forme de sentiments ou sensations envers une personne, une action ou un phénomène objet de l’attitude. Enfin, la dimension comportementale (appelée aussi conative ou d’action) désigne la tendance à agir devant l’objet et à la disponibilité à l’action de l’individu. Cette dimension se réfère à la réaction physique de l’individu.

Une de ces caractéristiques et deux de ces dimensions appellent des commen- taires. En effet, d’une part, la sixième caractéristique, précisant que les attitudes ont des raisons et des origines diverses, renvoie à la notion de motivations de la DDL. Cette notion est aussi en lien notamment avec la dimension affective des AL. D’autre part, la composante cognitive est, à notre avis, à mettre en parallèle avec la notion de représentations, une autre notion clef de la DDL.

Nous comptons développer ces commentaires dans les sous-parties qui sui- vent. Nous exposerons pour ce faire l’évolution du lien entre la sociolinguistique et la DDL. Ceci nous permettra d’examiner le rapport entre les notions concernées de ces deux domaines différents.