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3. Gestion agronomique des risques phytosanitaires 133 

3.3. Conduite des plantes et des couverts 146 

3.3.2. Associations variétales et végétales 148 

3.3.2.1. Principe de fonctionnement des associations végétales

La monoculture de plantes génétiquement identiques est un des piliers des systèmes de culture actuels. Or cette uniformité génétique favorise l’adaptation des agents pathogènes, et donc le développement des maladies; elle rend ainsi ces systèmes de culture fragiles, et souvent dépendants d’une protection phytosanitaire renforcée. Augmenter la diversité spatiale des résistances des plantes aux pathogènes, via la culture de mélanges variétaux ou spécifiques, est donc l’une des voies proposées pour limiter les pullulations épidémiques et renforcer la robustesse des systèmes. Le mélange de variétés résistantes et sensibles peut en effet limiter le développement des maladies de trois manières différentes. Premièrement, la composante résistante du mélange constitue une barrière physique à la dispersion de l’inoculum entre plantes sensibles ; deuxièmement, la plante résistante réduit la multiplication du pathogène et ainsi la quantité d’inoculum disponible dans la parcelle ; et troisièmement, la présence d’un génotype avirulent du pathogène peut déclencher les mécanismes de défense des plantes qui seront efficients ensuite sur les génotypes virulents du pathogène (Pilet et al., 2006).

3.3.2.2. Efficacité en pratique

Des travaux théoriques, appuyés par le développement de modèles mécanismes d’épidémies, ont montré en particulier que l’efficacité des mélanges dépend très fortement d’une variable agrégative, nommée surface unitaire génotypique (Genotype Unit Area), c’est-à-dire la surface développée occupée de manière contiguë par un même génotype. Plus la surface génotypique unitaire est faible (mélange de très nombreux génotypes, plantes à faible surface foliaire, faible densité de plantation), plus l’efficacité attendue de l’association est forte (Mundt, 2002 ; Mundt et al., 1996). Ceci explique les nombreuses études ayant montré l’efficacité de ces mélanges variétaux pour réduire les épidémies de pathogènes aériens, en particulier pour les cultures céréalières (Mundt, 2002). Par exemple, le mélange blé/orge permettrait une plus grande réduction des maladies du blé que les applications fongicides, montrant le bénéfice potentiel des mélanges spécifiques de céréales en agriculture biologique (Ratnadass et al., 2012).

Au vu de l’importance de la surface génotypique unitaire dans la performance phytosanitaire des associations variétales, on pourrait penser que cette stratégie de diversification ne devrait pas présenter une très bonne efficacité pour des plantes à larges feuilles, ou pour des couverts à canopée dense (arbres fruitiers, cultures annuelles peu aérées). Cependant, diverses observations montrent que, même dans ces situations, la culture associée de variétés résistantes et sensibles peut apporter un bénéfice sanitaire mesurable. Ainsi, la culture en mélange en proportions égales de 2 variétés de pommiers -- Smoothee®, variété sensible à la tavelure, et Baujade, variété résistante à la tavelure (gène Vf) -- a permis de diminuer de 7 à 21% l’incidence de la tavelure pendant deux années (mélanges sur le rang) en l’absence de protection fongicide par rapport à la moyenne des deux variétés cultivées pures. Des mélanges en rangs alternés sont moins efficaces, ce qui démontre à nouveau l’impact de la surface génotypique unitaire. Des résultats encore meilleurs ont été observés lorsque le mélange sur le rang a été associé à une protection fongicide allégée. Dans ce cas de figure, la réduction d’incidence de la tavelure a pu atteindre 75% sur feuilles et 70% sur fruits (Didelot et al., 2007). Cette observation souligne le fait que l’efficacité des mélanges augmente également lorsque la pression d’inoculum diminue.

En France, dans la Drôme, un verger de pommier conduit en agriculture biologique et ne recevant pas de protection fongicide a permis de tester le mélange sur le rang de Melrouge, variété peu sensible à la tavelure, avec Pitchounette, variété résistante à la tavelure par le gène Vf et très peu sensible à l’oïdium. Ce dispositif expérimental a confirmé l’intérêt du mélange sur le rang pour réduire l’incidence de la tavelure et de l’oïdium sur la variété Melrouge (Parisi et al., 2013). Cependant, le même mélange variétal a été évalué dans le Maine-et-Loire dans une situation où la présence de souche de V. inaequalis virulentes vis-à-vis du gène Vf était détectée dans le verger dès 2008. Dans ce contexte de contournement de la résistance de Pitchounette, plus aucune différence d’incidence de la tavelure sur fruits n’est observée en 2009 entre le mélange sur le rang et la culture pure de Melrouge. Le mélange variétal ne semble donc plus efficace pour réduire les épidémies de tavelure lorsque les souches de V. inaequalis virulentes vis-à-vis de la variété résistante sont installées dans le verger (Brun et al., 2014).

Des résultats assez similaires ont été observés pour le mildiou de la pomme de terre. Ainsi, des mélanges en rangs alternés de la variété sensible Bintje avec des cultivars partiellement résistants au mildiou, Charlotte et Claustar, ont permis une réduction d’environ 20 à 50% de la surface foliaire touchée par le mildiou sur cette variété, en comparaison avec des parcelles pures, dans des conditions de pression de maladie modérée (bassin rennais). Le développement du mildiou sur les variétés partiellement résistantes en mélange était légèrement supérieur au développement du mildiou sur ces mêmes variétés en culture pure, sans que les écarts ne soient très significatifs (Andrivon et al., 2003). D’autres essais menés aux Etats-Unis ont pu également montrer une efficacité des associations variétales contre le mildiou, efficacité d’autant plus grande que l’infection initiale était focale plutôt que généralisée (Garrett and Mundt, 2000). Enfin, dans des conditions de très forte pression parasitaire (Quito, Equateur), l’aire sous la courbe de progression de l’épidémie de mildiou sur le cultivar sensible était réduite de 0 à 20% en mélange par rapport à la culture pure quand aucun traitement fongicide n’était appliqué, de 13 à 26% pour une application de fongicide toutes les 2 semaines, et de 32 à 53% pour une application de fongicide toutes les semaines. Cette étude montre que l’efficacité des mélanges variétaux est plus importante lorsque la pression de la maladie est moins forte (Pilet et al., 2006).

3.3.2.3. Autres bénéfices attendus des associations végétales pour la gestion des résistances

La durabilité des résistances majeures peut être améliorée en introduisant de la diversité dans les cultures ; cette diversité peut être intra- ou inter-spécifique et spatiale comme temporelle. Les rotations sont efficaces pour prolonger l’efficacité de résistances ciblant des agents pathogènes telluriques (comme des champignons ou des nématodes) qui ont une faible capacité de migration. En revanche, pour les agents pathogènes avec une forte capacité de dispersion, il va falloir privilégier l’utilisation de gènes différents dans des régions géographiques différentes (Stuthman et al., 2007). Les mélanges inter-spécifiques au sein d’une parcelle sont également efficaces mais ne sont généralement pas utilisés en agriculture moderne. Des variétés multilignées, c’est-à-dire des variétés constituées de génotypes phénotypiquement identiques qui présentent uniquement des gènes majeurs différents, ont été utilisées avec succès contre des rouilles des céréales (e.g. Browning and Frey, 1969). La difficulté est de sélectionner ces variétés multilignées. Les approches d’édition de gènes utilisant des systèmes comme CRISPR/Cas9 (Belhaj et al., 2015) offrent la possibilité de construire de vraies lignées isogéniques au sein desquels la seule différence concerne les gènes de résistance. Cependant les approches de transgénèse sont rejetées par les consommateurs de nombreux pays (Rodewald and Trognitz, 2013) et n’ont été considérées qu’à la marge dans cette expertise.

Les mélanges variétaux sont plus simples à sélectionner et peuvent être également efficaces, comme ce fut le cas chez l’orge pour lutter contre Blumeria graminis en Angleterre (Wolfe and Barrett, 1980). Ils peuvent également augmenter la durabilité des résistances en réduisant la propagation des individus virulents au sein de toute la parcelle (Mundt, 2002; Smithson and Lenne, 1996). Le principal frein à l’utilisation de mélanges variétaux est l’inévitable augmentation au sein de la parcelle de la diversité au niveau de caractères agronomiques, comme la date de maturité ou la qualité de la récolte (Burdon et al., 2016). Pour l’interaction entre P. infestans et la pomme de terre, les résultats sont plutôt variables : alors que certains essais semblent montrer que les mélanges variétaux peuvent être efficaces (Andrivon et al., 2003), d’autres montrent qu’ils ne le sont pas ou peu (Phillips et al., 2005) ou seulement lorsque la pression de maladie est faible (Pilet et al., 2006). Pour le pathosystème V. inaequalis - pommier, Xu et al. (2013) ont montré l’intérêt des mélanges variétaux associant dans un même verger des cultivars globalement sensibles mais différant néanmoins par des facteurs de résistances mineurs dans leurs fonds génétiques. La différentiation génétique (i.e. spécialisation) qu’impose cette diversité hôte à V. inaequalis est à même de réduire le risque d’émergence de souches de tavelure multi-virulentes, d’autant plus qu’elle peut se maintenir pendant plusieurs années (six années dans l’étude de Passey et al., 2016).

D’autres stratégies de déploiement spatio-temporel ont été proposées mais sont difficiles à mettre en œuvre et à évaluer sur de grandes échelles spatiales et temporelles. Une étude théorique sur la dispersion de P. infestans montre qu'il faut mieux faire des mélanges de variétés sensibles et résistantes au sein d'un champ que des champs sensibles et des champs résistants (Skelsey et al., 2010). De plus, ces stratégies s’intéressent à un seul agent pathogène à la fois, alors que les cultures peuvent être attaquées par plusieurs agents pathogènes responsables d’importantes pertes de récolte. Selon Brown (2015) ces stratégies ne sont probablement pas les plus prometteuses pour maximiser la durabilité des résistances. La mise en place de plans de surveillance de l’évolution de la virulence ne permet pas d’augmenter directement la durabilité d’un gène de résistance mais permet d’améliorer l’efficacité des stratégies de sélection des variétés résistantes. Chez la pomme de terre, Zhu et al. (2015) ont créé un nouveau set différentiel pour suivre la virulence des populations de P. infestans à partir de génotypes OGM de Désirée avec chacun un gène majeur de résistance. Une initiative « Suivi des virulences de Venturia inaequalis » a été lancée en 2009 en Suisse par Patocchi et al. (2009). Il s’agit de suivre dans un réseau de vergers implantés principalement en Europe l’incidence et la sévérité de la tavelure sur une gamme différentielle de cultivars de pommier. Ce suivi permet de caractériser l’évolution spatio-temporelle des virulences de la tavelure vis-à-vis des principaux gènes majeurs. Il s’agit d’un outil précieux permettant à la fois d’orienter les programmes de sélection et les choix variétaux des agriculteurs. Par ailleurs, Lê Van et al. (2011) ont étudié le risque que représente le compartiment sauvage comme source de virulences ou de souches agressives pour les vergers vis-à-vis de facteurs de résistance qualitatifs et quantitatifs actuellement en cours de sélection. L’interaction entre les compartiments cultivés et sauvages est une question clé en épidémiologie et dans l’émergence de maladies. Ils ont pour cela caractérisé les virulences et l’agressivité de 31 isolats de tavelure sur 51 génotypes de pommier. Leurs résultats indiquent que les populations présentes dans les habitats non cultivés ne présentaient pas de risque supplémentaire, du moins pour les individus hôtes et pathogènes testés.

Une étude conduite dans un verger dans l’Ouest de la France, où le climat est très favorable à la tavelure, a comparé des stratégies de protection intégrée associant (i) des variétés résistantes (Reine des reinettes, partiellement

résistante, et Ariane porteuse du gène majeur Vf), (ii) des pratiques culturales (broyage de la litière foliaire) et (iii) des traitements fongicides en cas de risques avérés de contamination (Didelot et al., 2016). Une réduction de 50% des traitements fongicides a été obtenue tout en préservant l’efficacité des résistances partielles de Reine des reinettes et en retardant de deux ans le contournement du gène Vf. L’intérêt de la variété Reine des reinettes avait déjà été montré dans la même région lors d’un essai dans deux vergers pendant cinq ans (Brun et al., 2008), notamment pendant les années avec une faible pression tavelure, cette variété ne présentant presque aucun fruit tavelé contre 22% de tels fruits pour la variété Gala. Dans des vergers hongrois, lors d’une étude conduite pendant sept ans (1999-2005) incluant 27 cultivars de pommier (neuf résistants à la tavelure, neuf commerciaux et neuf anciens), la fréquence finale moyenne de la tavelure fut considérablement plus élevée dans le système de production biologique (par rapport au système en production intégrée) sauf pour les variétés résistantes qui n’avaient aucun symptôme de tavelure sur les fruits (Holb, 2007). Dans ce même pays, la variété résistante Prima a montré son intérêt dans un système de production biologique pendant deux saisons de cultures (Holb, 2008) par rapport à la variété modérément résistante (Jonathan). Elle a notamment permis de réduire la période avec une couverture phytosanitaire à base de cuivre.

Un élément potentiellement important à considérer lors de l’identification des stratégies de déploiement des variétés résistantes, et pour lequel peu de connaissances sont actuellement disponibles, est l’interaction entre les plantes résistantes et les communautés microbiennes, pathogènes et non-pathogènes. Une question importante est donc de déterminer comment les plantes résistantes influence les communautés microbiennes et en retour comment les communautés microbiennes influence la durabilité des résistances (Brown 2015).