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En s’appuyant sur ce qui est connu pour les aromatiques,23,24 le mécanisme suivant peut être proposé pour rendre compte de la formation de chacun des isomères (Schéma B-47).132

132 Le rôle directeur du groupe carbonyle est d’autant plus probable que la 5,6-dihydro-2H-

pyranone ne conduit à aucune conversion dans ces conditions réactionnelles.

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Schéma B-47 : Mécanisme proposé pour la formation des deux isomères

L’intermédiaire 19, formé par addition oxydante du complexe de ruthénium(0) dans la liaison C-H en position β de l’accepteur de Michael, réagit avec l’oléfine pour conduire à l’alkylvinylruthénium 20. L’élimination réductrice en deux étapes élémentaires conduit dans un premier temps au métallacycle 21 suceptible de former une intéraction agostique.24 A partir de cet intermédiaire, une élimination réductrice permet de former l’isomère conjugué 23. Cependant, l’espèce intermédiaire 21 peut également conduire, par β-H élimination, à l’énolate de ruthénium 24 qui après élimination réductrice génère l’allylsilane 25.

Deux hypothèses peuvent alors expliquer la proportion des différents isomères obtenus. Soit la proportion de chaque isomère est fixée par leur cinétique de formation i.e. par la différence de vitesse (donc d’énergie d’activation) des étapes 21  22 et 21  24. Dans ce

cas, contrairement aux composés aromatiques, la formation de la liaison C-C (20  21) ne

serait pas l’étape cinétiquement déterminante du mécanisme. Ceci pourrait s’expliquer par l’absence de la perte d’aromaticité pour former 21 (entraînant une diminution de l’énergie d’activation de cette étape), et l’absence de réaromatisation pour conduire à 22 qui augmenterait l’énergie d’activation de cette étape.

Au contraire, la proportion de chaque isomère peut être déterminée par des critères thermodynamiques. La formation des différents isomères en proportions variables peut alors s’expliquer par un équilibre d’isomérisation entre 23 et 25 catalysé par un complexe de ruthénium(0) ou de ruthénium(II) (Schéma B-48). Dans ce cas, l’isomère majoritaire est le plus stable.

Schéma B-48 : Isomérisation catalysée par des hydrures de ruthénium

Dans un premier temps, pour tester ces hypothèses, un suivi cinétique de la formation des différents isomères dans la réaction du crotonamide 16 et du vinylsilane 13 a été réalisé (Figure B-1). Cette étude ayant été menée au cours des optimisations, le ligand utilisé ici n’est pas le P(4-CF3C6H4)3 mais le triphénylphosphane avec lequel les résultats sont similaires.

23

25

19 20 21

22

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Figure B-1 : Suivi cinétique de la réaction du crotonamide 16 avec le triéthoxyvinylsilane 13

Le produit conjugué 17-Z est le plus rapidement formé mais après 3h de réaction il disparaît rapidement du milieu réactionnel tandis que la quantité d’allylsilane 18-E et de produit conjugué 17-E augmente dans le milieu. Après 5h de réaction, la composition du milieu réactionnel n’évolue quasiment plus. Ces résultats montrent donc qu’il existe un processus d’isomérisation rapide du composé 17-Z en produits 17-E et 18-E, ainsi que du produit 17-E en allylsilane 18-E avec une vitesse moindre. La formation concomitante des isomères 17-E et 18-E par le mécanisme proposé précédemment ne peut cependant pas être complètement exclue (Schéma B-47).

Afin de confirmer ces observations et d’établir la nature de l’isomérisation, un mélange d’isomères conjugués avec un rapport 17-E/17-Z de 6/94 (spectre a, Figure B-2) a été engagé dans différentes conditions réactionnelles (Figure B-2). Dans le dioxane à 100°C pendant 20h, il se forme 18% d’allylsilane 18-E et le rapport 17-E/17-Z est légèrement modifié, passant de 6/94 à 12/88 (spectre b, Figure B-2). En présence de formiate de sodium et du ligand, le processus d’isomérisation est plus rapide, conduisant à la formation de 45% de l’allylsilane 18-E et à un rapport 17-E/17-Z de 17/83 (spectre c, Figure B-2). Lorsque le mélange d’isomères est chauffé en présence du système catalytique incluant le précurseur de ruthénium, l’allylsilane 18-E est formé très majoritairement avec un rendement de 85% et les 15% d’isomères conjugués sont obtenus avec un rapport 17-E/17-Z de 72/28 (spectre d, Figure B-2). Ces expériences montrent donc que le produit 17-Z est isomérisé en allylsilane

18-E plus stable. Cette isomérisation est catalysée très efficacement par les complexes de 0 20 40 60 80 100 0 5 10 15 20 25 c o n v e rs io n ( % ) temps de réaction (h) 16 13 17-Z 18-Z 17-E 18-E

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ruthénium formés in situ puisque sans ce catalyseur les proportions différentes des produits obtenus suggèrent que l’isomérisation n’est pas terminée en 20h. La présence de base libre en solution peut également participer à ce processus d’isomérisation, mais dans une moindre mesure. dioxane, 120°C, 20h 100% E/Z = 6/94 a HCO2Na 30% P(4-CF3C6H4)315% dioxane, 120°C, 20h 82% E/Z = 12/88 18% 55% E/Z = 17/83 45% 15% E/Z = 72/28 85% b c

d [RuClHCO2(p-cym)]2 2,5%

2Na 30% P(4-CF3C6H4)315% dioxane, 120°C, 20h (EtO)3Si NHt-Bu O H Si(OEt)3 NHt-Bu O H Si(OEt)3 NHt-Bu O b c d , ou H + + (EtO)3Si NHt-Bu O H a 17-E/17-Z 6/94 17-E 17-Z 18-E 17-Z 17-E 18-E Mélange d'isomères conjugués de départ Conjugué Allylsilane

Figure B-2 : Spectres RMN 1H d’un mélange d’isomères dans différentes conditions réactionnelles

A la lumière de ces différentes observations, il apparaît que la formation de l’allylsilane est toujours accompagnée de celle de l’isomère conjugué dont la proportion dépend du temps de réaction mais également fortement du substrat. Il semble donc possible, en fonction du substrat utilisé, d’augmenter la sélectivité de la réaction en contrôlant le temps de réaction. Une expérience préliminaire menée sur le tiglamide de tert-butyle confirme cette hypothèse. En effet, alors qu’après 32h de réaction un mélange de régioisomères en proportions équivalentes est obtenu, l’isomère conjugué est exclusivement formé avec une conversion quasi quantitative après 7h de réaction (Schéma B-49), ce qui est en accord avec l’expérience précédente (Figure B-1).

Schéma B-49 : Proportions des isomères en fonction du temps dans la réaction du tiglamide de tert-butyle

Ces observations s’avèrent générales, et, en diminuant le temps de réaction de 24h à 7h pour les substrats pour lesquels un mélange d’isomères avait été obtenu (Tableau B-6, p.77), l’isomère conjugué de stéréochimie (Z) est majoritairement formé (Tableau B-7).

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Tableau B-7 : Fonctionnalisation d’accepteur de Michael par activation de liaisons C-H[a]

Entrée Produit Rdt (%)[b] (Conjugué/Allylsilane) 24h 7h 1 85 (46/54) 96 (83/17) 2 77 (45/55) 61 (100/0) 3 85 (58/42) 99 (100/0) [a] Réactions conduites sur 1 mmol de substrat avec 2 mmol de

triéthoxyvinylsilane en présence de 2,5% de [RuCl2(p-cym)]2, de 30% de

formiate de sodium et de 15% de P(4-CF3C6H4)3 à 100°C dans le dioxane. [b] Rendements en produit isolé.

Ainsi, la réaction du cinnamate de méthyle conduit, en 7h, à la formation de 80% de l’isomère conjugué (Z) accompagné de seulement 16% d’allylsilane (entrée 1). Dans le cas des amides tels que le N-méthyl-N-phénylcrotonamide et le tiglamide de tert-butyle, le diastéréoisomère (Z) du produit conjugué est l’unique produit formé et il a pu être isolé avec de bons rendements respectivement de 61 et 99% (entrée 2-3).

L’optimisation du système catalytique et le contrôle du temps de réaction ont donc permis d’obtenir, avec de bonnes régio- et stéréosélectivités, des accepteurs de Michael fonctionnalisés sous forme conjuguée ou présentant un motif allylsilane. Afin de valoriser cette approche directe de synthèse d’allylsilanes fonctionnalisés, nous avons par la suite cherché à les utiliser des réactions d’allylation catalytique énantiosélective d’aldéhydes.