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Financer les aires protégées par le biais du tourisme

1.3.2. Arguments sociaux

L’efficience économique n’est pas le seul facteur opposant les auteurs dont les travaux de recherches portent sur le financement des aires protégées. L’équité en est un aussi. Ce con-cept est difficile à définir de manière exacte, parce qu’il se réfère à ce que les individus consi-dèrent comme "juste" et "bien" (Stapel, 1972 cité par Wu 2010). C’est donc une notion tout-à-fait subjective. Pyndyck et Rubinfeld (2005) identifient quatre conceptions de l’équité (cf. ta-bleau 40).

Tableau 40. Quatre conceptions de l’équité

1. Egalitarisme Tous les individus reçoivent des quantités égales de biens 2. Rawlsienne Il faut maximiser l’utilité de l’individu le moins bien doté 3. Utilitariste Il faut maximiser l’utilité totale des individus

4. Libérale de marché Le résultat du marché est le plus équitable

La plupart des arguments formulés par les défenseurs et les opposants au droit d’entrée dans les espaces naturels font référence à une voire plusieurs de ces conceptions. Par exemple, certains auteurs jugent le droit d’entrée équitable parce qu’il ne s’applique qu’aux utilisateurs du bien. Avec ce moyen de financement, des gens financent un bien qu’ils utilisent, tandis que d’autres ne sont pas obligés de financer un objet qu’ils n’utilisent pas (absence du phénomène de passager clandestin)101.Il s’agit ici à la fois d’une conception utilitariste et libérale de marché de l’équité : utilitariste, parce que les gens paient seulement s’ils valorisent l’objet, et donc en retirent une utilité; libérale de marché, parce que le montant du droit d’entrée fixé est supposé refléter le coût marginal relatif à une visite supplémentaire102. Cette conception de l’équité assimile un site protégé à un bien privé. Sous certaines conditions, celui-ci est rival (un niveau de fréquentation supérieur à sa capacité d’accueil induit une perte de bien-être des visiteurs) et exclusif (un montant de droit d’entrée élevé exclut des pratiques récréatives tout agent n’ayant pas la capacité financière à se le payer).

Les opposants au droit d’entrée contestent cette vision de l’équité, en soutenant que les bénéfices générés par un site protégé ne se limitent pas aux seuls bénéfices d’usage (direct et / ou indirect (Cullen, 1998). Des agents accordent aussi une valeur à celui-ci en prévision d’un usage futur personnel (valeur d’option), de son usage par d’autres (valeur de legs) et du fait de son existence (valeur d’existence). Par conséquent, les auteurs partageant ce point de vue con-sidèrent qu’il est équitable de financer les aires protégées via les impôts, afin de capter les dif-férentes composantes de la valeur économique qui leur est attribuée. La conception de l’équité dont il est question ici est celle de l’égalitarisme. En effet, à droit d’entrée nul, tous les indivi-dus sont traités de manière égale (Cullen, 1998), c’est-à-dire qu’ils ont tous accès à la nature. C’est aussi une conception rawlsienne de l’équité, dans le sens que l’Etat, en finançant les si-tes naturels via les impôts, maximisent le bien-être des agents à faible revenu, car ces derniers

101 En d’autres termes, les non-utilisateurs du bien ne sont pas contraints de "subventionner" les utilisateurs.

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auraient été peut-être exclus des espaces protégés, si un droit d’entrée y avait été imposé. A la différence de la perception utilitariste et libérale de marché de l’équité, celle de l’égalitarisme et de Rawls fait référence à la nature publique des aires naturelles et des externalités positives que ces dernières provoquent. Par nature "publique", on entend le fait que ces espaces, au-delà de leurs fonctions récréatives, remplissent des fonctions écologiques et biologiques pour les-quelles les propriétés d’exclusion et de rivalité ne se vérifient pas. Par externalités positives, on entend le fait que les activités récréatives en milieux naturels participent, par exemple, à la réduction du vandalisme (Willis 2003), l’évacuation du stress lié au travail (Dustin, 1984) etc. De l’avis des opposants au droit d’entrée, ce mode de financement empêche les sites naturels de remplir leur fonction sociale parce qu’il est discriminatoire envers les personnes incapables de se le procurer. Et, pour reprendre Schwartz et Lin (2006), "if certain socioeconomic groups are excluded from public lands because of user fees, the very purpose of public recreation be-comes questionable". Pour l’heure, les résultats des travaux portant sur l’effet des droits d’en-trée sur la fréquentation des sites naturels sont plutôt mitigés. Alors que certains font état d’un effet négatif pour les individus à faible revenu (Harris et Driver, 1987; More et Stevens, 2000; More, 2002), d’autres concluent à un effet marginal (Vaux 1975; Ostergren et al. 2005; Burns et Graefe, 2006). En somme, la demande d’un site protégé dépend davantage du coût de trans-port que du droit d’entrée (Grewell 2004). Dans le cas d’un coût de transtrans-port élevé, il est vrai-semblable que la demande est très peu sensible au droit d’entrée car les agents à faible revenu sont déjà exclus de l’espace concerné. Par contre, dans le cas d’un coût de transport faible, ces agents sont très probablement sensibles au montant du droit d’entrée.

En réponse à l’argument des détracteurs du droit d’entrée selon lequel les sites naturels bénéficient à l’ensemble de la société, les partisans de ce moyen de financement déclarent que tout le monde n’a pas le même impact sur ces espaces (Cullen 1998). Par exemple, les utilisa-teurs génèrent un coût environnemental et de congestion, à l’inverse des non-utilisautilisa-teurs. De ce fait, il est équitable que les premiers paient pour les coûts provoqués. Etant donné qu’il est impossible de moduler le montant des impôts selon l’usage que les contribuables font des mi-lieux naturels, alors l’outil le plus approprié pour internaliser ces coûts est le droit d’entrée.

Enfin, certains auteurs s’opposent au droit d’entrée parce que, selon eux, cela revient à taxer deux fois les contribuables (double taxation) (Harris et Driver 1987). Cette opinion s’ap-parente à ce qu’on pourrait appeler "équité géographique". Celle-ci voudrait que les résidents d’une zone donnée, à la différence des touristes, soient exemptés de droit d’entrée pour visiter

un site naturel situé dans ladite zone, parce qu’ils paient déjà des impôts locaux. Les partisans du droit d’entrée ne partagent pas cet avis; ils considèrent que les deux modes de financement, les impôts et le droit d’entrée, n’ont pas la même finalité. Alors que, disent-ils, les premiers servent à financer l’aspect "public" des sites naturels, le second s’adresse à l’aspect "privé" de ceux-ci (Grewell, 2004). Par conséquent, pour eux, il est équitable d’imposer un droit d’entrée à la fois aux résidents et aux touristes. Pour justifier leur point de vue, ils citent l’exemple du transport public. Via les impôts, les individus paient pour les bénéfices publics générés par le transport en commun, à savoir la réduction de la congestion, de la pollution,…. Par contre, par le biais d’un ticket de transport, les gens paient pour un service privé qui est celui de les trans-porter d’un lieu A à un lieu B.