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2.2. Les archétypes cognitifs de Desclés (1990 et 1994)

De la classification verbale à la modélisation des régularités polysémiques

I- 2.2. Les archétypes cognitifs de Desclés (1990 et 1994)

I-2.2. Les archétypes cognitifs de Desclés (1990 et 1994)

Comme Jackendoff, J.-P. Desclés considère que les formes linguistiques, et plus particulièrement les items verbaux, peuvent être décrites par l’intermédiaire des

représentations cognitives qui leur sont associées. En dehors de son contexte de production (énonciation), une expression linguistique forme une proposition dont on peut seulement affirmer qu’elle est vraie ou fausse pendant les différentes phases du procès. Par l’opération d’énonciation, la proposition acquiert un ancrage référentiel et s’inscrit, de ce fait, dans une dimension spatio-temporelle. L’énoncé évoque alors un événement, un processus ou un état. Les événements, les processus et les situations constituent une « trichotomie fondamentale » (Desclés : 1990a, p.275) correspondant, sur le plan cognitif, à des situations dynamiques, situations cinématiques et situations statiques. Ces trois types de situations peuvent être décrits à l’aide de propriétés récurrentes que Desclés appelle des archétypes cognitifs.

Desclés valide les hypothèses localistes tout en pointant la nécessité d’intégrer d’autres paramètres que les paramètres spatio-temporels pour décrire les représentations cognitives des prédications. Il reconnaît que certains aspects de l’organisation grammaticale des langues entrent en résonance avec les catégorisations opérées par les organes de la perception et, plus spécialement, ceux de la perception visuelle (Marr : 1982, Petitot : 1989). Ce sont ces organes qui permettent d’appréhender les mouvements des objets, leurs changements d’état, leurs positions, etc. Pour autant, il considère que les concepts spatio-temporels ne permettent pas, à eux seuls, de rendre compte des concepts fondamentaux permettant de décrire les archétypes cognitifs (Desclés : 1990a, p.276) :

Il est nécessaire d’y ajouter la dimension de l’intentionalité d’un agent exerçant un plus ou moins grand contrôle sur les mouvements, les changements d’états ou encore sur d’autres actions impliquant d’éventuels agents secondaires.

Pour Desclés, la question de la transitivité (sémantique) est centrale dans la modélisation des représentations mentales associées aux prédications. Alors que Jackendoff ajoute dans un deuxième temps (et sur un deuxième niveau) les fonctions participatives des arguments du prédicat (niveau actionnel), Desclés intègre directement des opérateurs prenant en charge ces fonctions dans la formulation des archétypes cognitifs cinématiques et dynamiques.

I-2.2.1. Archétypes statiques

Les situations statiques sont de deux types : les situations statiques de localisation et les situations statiques d’attribution (ex : Jean est grand). Les situations statiques de localisation se décrivent à l’aide d’archétypes topologiques de position. Un lieu se définit comme un ensemble de positions (chaque position est assimilée à un point) pouvant être visualisé dans son intériorité, son extériorité ou sa globalité. Desclés note e0 le relateur de localisation entre un objet et un lieu. Il identifie quatre archétypes statiques de position (Desclés :1990, pp.283-284) :

(66) Jean est hors de France. e0 (ex(Loc))x = x est localisé à l’extérieur (ex) du lieu Loc (67) Jean est à l’extrémité du parc. e0 (fr(Loc))x = x est à la frontière (fr) du lieu Loc (68) Jean est à Paris. e0 (fe(Loc))x = x est dans la fermeture (fe) du lieu Loc

Dans ce dernier exemple, la relation entre l’entité x et le lieu Paris est neutre. Le lieu Paris

est conçu comme un lieu fermé intégrant les frontières et l’espace intérieur. On peut rapprocher cet exemple de l’exemple (63) proposé dans la section précédente :

(63) Thomas habite un appartement. e0 (fe(Loc))x

Desclés formalise également des paramètres pragmatiques pour décrire les archétypes statiques. Nous n’entrerons pas ici dans les détails de cette formalisation et retiendrons simplement les distinctions topologiques introduites à ce premier niveau de description. Nous noterons également qu’une situation statique de localisation se définit comme une situation pour laquelle on n’observe ni mouvement dans l’univers référentiel, ni changement d’état. Par opposition, les situations cinématiques et les situations dynamiques manifestent des modifications de ce type.

I-2.2.2. Archétypes cinématiques et dynamiques

Les concepts de « contrôle » et d’« intentionnalité » (ou intentionalité, Desclés : 1990b, 1994), permettent d’évaluer le degré de participation du sujet à l’action dénotée par le verbe et de tester la transitivité sémantique de la relation prédicative.

I-2.2.2.1. Le continuum d’agentivité

L’approche de Desclés présente l’avantage d’aborder les relations casuelles (Fillmore : 1968, 1975) sous un angle cognitif (Desclés : 2003) et, par-là même, de réunir au sein d’un même modèle descriptif, le point de vue syntactico-sémantique et le point de vue cognitif (Desclés : 1994, p. 113) :

Bien qu’intéressantes, la théorie casuelle de Fillmore tout comme les relations thématiques de Gruber ne fournissent pas une explication cognitive des relations prédicatives sous-jacentes aux énoncés puisque les cas (Agent, Patient, Expériencer,…) sont ramenés à de simples étiquettes.

Desclés propose d’envisager les relations prédicatives sous la forme d’un « continuum d’agentivité croissante »60 (Desclés : 1994, p. 116) :

Quatre degrés d’agentivité sont ainsi distingués. Le premier concerne les cas où le sujet grammatical n’est pas agentif :

60. Ce continuum d’agentivité croissante permet d’établir un « continuum de transitivité croissante » (Desclés : 1994, p. 117)

(69) La clef ouvre la porte. (70) Le soleil jaunit le papier.

Dans ces deux exemples, l’agent ne contrôle pas l’action qui affecte l’entité en position d’objet direct. C’est sur l’absence de contrôle que repose la définition du degré zéro d’agentivité. Les degrés 2, 3 et 4 illustrent respectivement les notions de contrôle, anticipation et téléonomie. Selon Desclés (Desclés : 1990a, p.293), une entité a une capacité de contrôle lorsque « cette entité a la capacité de déclencher le processus ou l’événement, d’interrompre le processus, éventuellement avant son terme ».

(71) Jean ouvre la porte avec une clef.

Ici, l’agent contrôle l’action qui affecte l’entité en position d’objet. Desclés donne un deuxième exemple pour illustrer ce degré d’agentivité :

(72) Jean se dirige vers Paris.

Il précise qu’ici, un but est visé sans nécessairement être atteint.

L’anticipation se distingue du contrôle par le fait qu’elle consiste à « adapter sa conduite de façon à atteindre le but visé ».

(73) Jean prépare un livre.

Il s’agit ici, pour le sujet, de contrôler et d’orienter son action de manière à atteindre un but qui est simplement visé (l’achèvement de l’écriture du livre).

Enfin, la téléonomie implique, de la part de l’agent, « une claire représentation du but à atteindre et une capacité de planification d’une action susceptible d’atteindre le but visé » : (74) Jean écrit sa thèse.

Comme le fait remarquer J. François (François : 2003, p. 121), « la distinction entre les degrés 3 et 4 (avec ou sans téléonomie) est difficile à cerner » et semble reposer sur la représentation et l’expression plus ou moins claire du point final de l’action. La distinction entre les degrés 2 et 3 est, elle aussi, problématique au regard de l’exemple (72) qui implique également la représentation d’un but visé.

En marge du continuum d’agentivité, Desclés définit une quatrième notion ; il s’agit de l’intentionalité. La notion d’intentionnalité constitue pour Desclés le plus haut degré de contrôle d’une action par un agent (Desclés : 1990a, p.293) :

L’intentionalité nécessite non seulement une représentation du but visé mais aussi une représentation du programme d’actions qui permettra d’atteindre le but […] L’agent cognitif intentionnel est celui qui a le contrôle total sur son action et sur sa planification, il a donc un pouvoir de représentation plus importante que dans les actions qui nécessitent une simple anticipation…

Sans vouloir remettre en cause les fondements des distinctions opérées par Desclés (il préconise clairement de distinguer anticipation, téléonomie et intentionalité), sa définition de l’intentionalité nous semble trop restrictive. On retrouve dans cette définition le contrôle de

l’action par le sujet, la représentation d’un but visé et le programme permettant d’atteindre ce but. Or, le fait qu’un agent poursuive un but implique qu’il agit de manière intentionnelle et ce, quel que soit son degré de planification de l’action permettant d’y parvenir. Il nous paraît donc pertinent d’étendre la notion d’intentionalité à tous les cas où l’action dénotée par le verbe sous-tend un but visé, et de traiter le degré d’effectuation de l’action à partir de l’étude de l’affectation de l’objet et de la télicité du procès61. Nous verrons dans la section II-2.1.2. comment intégrer les paramètres de contrôle et d’intentionalité dans la typologie des emplois transitifs directs locatifs. Nous noterons simplement ici que, dés l’instant où l’action est placée sous le contrôle d’un agent, l’archétype cognitif fait intervenir l’opérateur CONTR.

I-2.2.2.2. Transitivité syntaxique vs. transitivité sémantique

La construction transitive directe locative présente la particularité de mettre en relation directement l’argument en position sujet et le lieu en position d’objet direct. Or, comme le souligne Desclés (Desclés : 1990, p. 295) :

Il est possible que la construction syntaxique transitive soit employée pour encoder des situations qui, sémantiquement, n’ont plus rien de transitif : les colonnes supportent le toit ; les enfants ont pris le train

Cette remarque pose la question de la distinction entre transitivité syntaxique et transitivité sémantique. La transitivité syntaxique est un phénomène structurel dans lequel la mise en relation du sujet et de l’objet ne traduit pas nécessairement une relation dans laquelle l’argument en position sujet exerce une action qui affecte l’argument en position objet62. A l’inverse, dans les cas de transitivité sémantique, la structure directe est le vecteur d’une relation dans laquelle l’action exercée par le sujet affecte l’objet. Les arguments n’ont donc pas les mêmes propriétés dans les deux cas et on ne peut pas leur assigner les mêmes rôles. Lorsqu’il y a transitivité sémantique, le sujet a le rôle d’agent et l’objet celui de patient (Desclés & Guentchéva : 1998, p.13) :

La transitivité sémantique peut être plus ou moins orientée vers un but (téléonomie) mais elle implique toujours un agent et un patient : l’agent a la capacité de contrôle, c’est à dire « la capacité de déclencher et d’interrompre un processus qui affecte le patient ».

Appliquée aux relations spatiales transitives directes locatives, la notion de transitivité syntaxique fait intervenir les rôles de « cible » et de « site » qui se substituent à ceux habituels d’agent et de patient. La condition pour que le locatif puisse être considéré comme un « patient », est qu’il subisse une modification que ce soit au niveau de son apparence, de son

61. Le fait que le point final de l’action (le but visé) soit ou non atteint relève plus de la télicité du procès (et donc de l’ensemble de la relation prédicative) que de la simple intentionalité du sujet.

62. J. François (François : 1998, p.181) note que le passage de la transitivité sémantique à la transitivité syntaxique est un phénomène spécifique aux langues indo-européennes. Il s’appuie sur la notion d’« extension métaphorique dans la grammaire de la transitivité » de T. Givon (Givon : 1989, p.54-69)

statut ou de sa structure.

Il est largement acquis (Hopper & Thompson : 1980, Desclés : 1994) que la transitivité se conçoit sous la forme d’un continuum, et non d’une dichotomie. L. Sarda souligne que, d’après le modèle d’Hopper & Thompson (Sarda : 2000, p.129) :

On peut considérer que plus une action est orientée vers le sujet, moins elle est transitive, et qu'inversement, plus elle est orientée vers l'objet, plus elle est transitive.

La nature de la modification qui affecte le patient est variable et plus ou moins sensible en fonction du degré de contrôle de l’agent. Desclés introduit l’opérateur TRANS pour marquer la transitivité sémantique. Il s’agit d’un opérateur complexe issu de la combinaison de l’opérateur CONTR avec l’opérateur FAIRE (exprimant le fait qu’une entité effectue le changement qui affecte une autre entité).

Desclés définit une situation cinématique comme une situation décrivant un mouvement dans l’univers référentiel ou un changement d’état attribué à un objet, sans qu’aucune force extérieure ne vienne provoquer la modification.

(75) La pierre bouge.

Une situation dynamique exprime également un mouvement ou un changement d’état mais implique en prime « une force externe qui rend les modifications possibles » (Desclés : 1990, p.292).

(76) Jean bouge la pierre.

La distinction entre les situations cinématiques et les situations dynamiques se manifeste par la présence (situations dynamiques) ou l’absence (situations cinématiques) des opérateurs CONTR et / ou FAIRE dans la formalisation de l’archétype.

I-2.2.3. Formalisation des archétypes cinématiques et dynamiques

Toute situation non statique provoque une modification (MODIF) dans l’univers de référence. Une modification est un processus spatio-temporel par lequel on passe d’une situation (SIT1) à une autre situation (SIT2) :

SIT1 ―――> MODIF ―――> SIT2

Il s’agit de l’archétype le plus général d’une situation cinématique. L’opérateur MODIF peut être spécifié. MOUVT désigne une modification du type « mouvement d’un lieu vers un autre ». L’opérateur CHANG indique un changement d’état affectant un objet. L’exemple (75) correspond ainsi à l’archétype cinématique :

MOUVT

L’archétype d’un exemple tel que Jean meurt, qui décrit un changement affectant l’entité en position sujet sans qu’il y ait de contrôle sur ce changement, sera noté :

CHANG

SIT1 ―――> SIT2

SIT1 et SIT2 sont également susceptibles d’être spécifiés à l’aide d’un relateur de localisation. Comme nous l’avons fait pour les structures conceptuelles de Jackendoff, nous allons à présent tenter d’appliquer le modèle de Desclés pour formaliser les archétypes cognitifs de quelques emplois transitifs directs locatifs. Observons l’exemple suivant :

(77) Le feu gagne les maisons.

Dans cet exemple, le feu (x) se déplace en direction des maisons (Loc) jusqu’à en atteindre la frontière. Ce mouvement n’est pas placé sous le contrôle de x. On peut formaliser l’archétype cinématique correspondant de la manière suivante :

SIT1 (x) SIT2 (x)

e0 (ex(Loc))x

MOUVT

―――>

e0 (fr(Loc))x Reprenons maintenant les exemples (60) et (61) et (64)63 :

(60) Thomas quitte la ville.

(61) Thomas monte l’escalier. (64) Thomas range l’appartement.

En (60), le procès décrit un déplacement du sujet (x = Thomas) d’un lieu (Loc = la ville) vers l’extérieur de ce lieu et le sujet contrôle (CONTR) le mouvement qui l’affecte. On formalisera l’archétype dynamique ainsi :

SIT1 (x) SIT2 (x) e0 (in(Loc))x MOUVT ―――> e0 (ex(Loc))x CONTR x

Dans l’exemple (61), le sujet contrôle également le mouvement qui l’affecte. La position occupée par le sujet à la fin du procès est la frontière supérieure de l’escalier (fr Loc). On peut attribuer à cette situation un trait de téléonomie (TELEO) puisque le sujet poursuit le but de parvenir en haut de l’escalier. L’archétype associé à l’exemple (60) illustre un déplacement tandis que l’archétype associé à l’exemple (61) représente un mouvement (61) :

63. Nous avons déjà montré dans le § précédent que l’archétype statique de l’exemple (63) Thomas habite un appartement, se résumait à un relateur de localisation e0 (fe(Loc))x.

SIT1 (x) SIT2 (x) e0 (in(Loc))x MOUVT ―――> e0 (fr(Loc))x TELEO x

L’exemple (64) illustre, quant à lui, un cas de transitivité sémantique. Le sujet (agent) contrôle et effectue une modification (changement d’état) de la situation de l’objet (SIT1 = état non rangé SIT2 = état rangé) qui se trouve affecté par les retombées du procès (patient). Etant donné qu’ici, le patient désigne une entité locative (Loc = y), on peut ajouter une localisation (in Loc) de l’agent qui effectue la modification.

SIT1 (y) SIT2 (y)

e0 (in(Loc))x CHANG ―――> e 0 (in(Loc))x FAIRE TRANS x CONTR x

Comparons à présent les exemples suivants afin de voir comment le modèle de Desclés permet de décrire des nuances actionnelles non représentables dans le modèle de Jackendoff : (78) Les touristes envahissent la côte.

(79) Les ennemis envahissent la ville.

En (78), le procès dénote à la fois un changement d’état du lieu en position d’objet direct (SIT1 = état vide de touristes SIT2 = état plein de touristes) et un mouvement du sujet qui passe de l’extérieur à l’intérieur du lieu (Loc y = la côte). Dans l’exemple précédent (64), l’opérateur CONTR permettait de justifier que le lieu soit affecté (l’action de ranger est clairement orientée vers l’objet direct). Ici, le trait de contrôle ne s’applique qu’au mouvement du sujet. Le changement de situation qui affecte le lieu n’est que l’a conséquence indirecte de l’événement spatial. Autrement dit, le sujet contrôle son mouvement mais ne contrôle pas le changement de situation. Pour représenter cet exemple, nous proposons de combiner deux archétypes, l’un centré sur le sujet (x) et l’autre sur l’objet (y), et de considérer le mouvement comme une force active (FAIRE) provoquant le changement. On aurait ainsi :

SIT1 (y) SIT 2 (y) Vide de touristes CHANG ―――> Plein de touristes FAIRE Mouvement de x SIT1 (x) SIT2 (x) e0 (ex(Loc))x MOUVT ―――> e0 (in(Loc))x CONTR x

Dans l’exemple (79), la configuration est différente. Le sujet (x = les ennemis) pénètre dans le lieu y (= la ville) dans le but d’en prendre possession. Il contrôle donc à la fois son mouvement ET le changement de situation. Nous proposons ici l’archétype complexe :

SIT1 (y) SIT2 (y)

Libre CHANG ―――> Sous contrôle FAIRE TRANS x CONTR x SIT1 (x) SIT2 (x) e0 (ex(Loc))x MOUVT ―――> e0 (in(Loc))x CONTR x

De la théorie de Desclés, nous retiendrons principalement le continuum d’agentivité que nous exploiterons pour déterminer les propriétés participatives des sujets et que nous mettrons en relation avec le degré d’affection des locatifs (cf. II-2.1.2.).

I-2.3. Les grammaires de construction : des modèles à la croisée des chemins Toutes les approches que nous avons examinées jusqu’à présent pointent la nécessité d’une mise en relation entre les formes syntaxiques et les structures sémantiques / conceptuelles. Les descriptions qui en découlent entretiennent cependant une certaine séparation entre les deux plans, du simple fait qu’elle en explicite l’interface. La notion de constructionGDC, telle qu’elle est envisagée dans la théorie générale des grammaires de construction (dorénavant GDC), se définit comme une paire forme-sens et propose donc une

vision holistique des structures. Nous employons ici le terme de « théorie générale » car ce cadre théorique comporte différents courants (cf. François : 2008). Notre objectif n’est pas ici de dresser un inventaire de ces différents courants ni d’en expliquer les distinctions. Il s’agit simplement de montrer comment la combinaison des toutes les propriétés (syntaxiques, aspectuelles, sémantiques, conceptuelles, etc.) que nous avons retenues pour caractériser les relations transitives directes locatives, permet de faire émerger des classes de constructionsGDC.

I-2.3.1. La notion de constructionGDC

La notion de constructionGDC en tant que paire forme-sens s’applique aussi bien à des phrases, des syntagmes, des morphèmes ou des mots (cf. Y. Y. Mathieu : 2003, p.43). Une GDC consiste en un inventaire hiérarchisé de toutes les constructions permettant de décrire complètement une langue. Le développement des différents courants issus des GDC a généré des études spécifiquement consacrées à leur classement. Parmi ces études, celle d’A. Goldberg (Goldberg : 2006, chap. 10) et celle de W. Croft et D. A. Cruse (Croft & Cruse : 2004, chap. 10) s’accordent sur l’identification de quatre principaux courants de GDC :

1- Construction Grammar de Filmore & Kay64

2- Cognitive Construction Grammar65 à laquelle on peut respectivement rattacher Lakoff et Goldberg66.

3- Cognitive Grammar de Langacker67.

4- Radical Construction Grammar de Croft68.

Tous ces courants ont en commun la conception de la constructionGDC comme une paire forme-sens. Selon Goldberg (Goldberg : 1995, p.4) :

C est une CONSTRUCTION iffdef C is a form-meaning pair <Fi, Si> such that some aspect of Fi or some aspect of Si is not strictly predictable from C's component parts or from other previously established constructions.

J. François (François : 2008a, p.7) formule trois conditions permettant d’attribuer à une paire forme-sens le statut de constructionGDC :

i. sa forme est corrélée directement avec un sens ou une fonction déterminée ; ii. sa forme ne se laisse pas (complètement) dériver d’autres formes ;

iii. sa sémantique n’est pas (complètement) compositionnelle.

L’approche de Jackendoff n’est pas fondamentalement différente de celles des représentants des GDC. Certes il s’efforce d’établir des règles d’interface (cf. Jackendoff 2002, p.125) entre les structures phonologiques, syntaxiques et sémantiques (structures

64. Cf. Fillmore & Kay : 1993, Fillmore, Kay & O’Connor : 1988. 65. Terminologie de Goldberg.

66. Cf. Lakoff :1987 et Goldberg : 1995. 67 Langacker : 1987a.

conceptuelles), ce qui suppose une conception non holistique de la structure conceptuelle, mais son modèle propose bien la réunion de paramètres hétérogènes. Les deux points de vue ne sont donc pas inconciliables (cf. Jackendoff & Goldberg : 2004).

Finalement, l’hypothèse la plus intéressante des GDC est que la constructionGDC elle-même est porteuse de sens, et ce indépendamment des unités lexicales qui la composent (Goldberg : 1995, p.220) :

[Constructions are] pairings of syntax and semantics that can impose particular interpretations on expressions containing verbs which do not themselves lexically entail the given interpretation.

Sur ce principe, W. Croft (Croft : 1998, pp.90-91) remarque que (traduction de J. François69) :

« Jusqu’à un certain point, tout mot peut être employé en principe dans n’importe quelle construction. De ce fait les patrons distributionnels n’établissent pas de catégories grammaticales au sens strict. Ce qui compte c’est l’interprétation sémantique d’un mot dans une construction particulière (..) cette interaction entre les constructions grammaticales et les mots que les locuteurs y insèrent est la source de la richesse et de la flexibilité du langage comme moyen de communiquer le vécu. La flexibilité de la grammaire est limitée à un certain point par nos attentes sur ce à quoi ressemble le monde et sur la manière dont différents types d’événements peuvent être construits mentalement de manière plausible ».

Cette affirmation trouve une application directe dans les travaux d’A. Goldberg (Goldberg : 1995, 1998, 1999, 2002). Goldberg formule, en outre, les limites du champ d’application des constructionsGDC à un item verbal donné, en termes de cadre sémantique

(Goldberg : 2009, p.39) :

the only constraint on the combination of events designated by a single verb is that the events must constitute a coherent semantic frame

Le cadre sémantique d’un verbe correspond à sa signification dans ce qu’il désigne (profile) et