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3.2. Approche croisée de la définition des emplois primaires

Typologie et traitement de la polysémie

II- 3.2. Approche croisée de la définition des emplois primaires

L’étude individuelle de chaque verbe a pour but de reconstruire le réseau des relations qui

88. D. Le Pesant a proposé une classification très détaillée de ce type de verbes basée sur les diathèses et les modes d’action (cf. Le Pesant : 2008).

unissent ses différents emplois et de déterminer quels sont les emplois que l’on peut qualifier de « primaires ». Nous présenterons ici la méthode que nous avons adoptée pour intégrer les différents niveaux de définition d’un emploi primaire (I-3.2.3.).

II-3.2.1. Angle synchronique-lexicographique contemporain

Pour chaque verbe, nous avons pris pour point de départ l’inventaire de ses entrées dans

LVF. L’ensemble des entrées constitue en quelque sorte une projection de l’espace sémantique du verbe en synchronie (LVF est représentatif d’un état de langue). Notre objectif est de faire émerger les concepts et les propriétés sémantico-syntaxiques qui structurent l’espace sémantique du verbe.

Les différentes entrées d’un verbe peuvent être plus ou moins liées. Deux entrées relevant de la même sous-classe entretiennent, par exemple, des relations plus fortes que deux entrées relevant de classes génériques différentes. Afin d’évaluer la solidité du lien entre les différentes entrées d’un même verbe, nous proposons une méthode de calcul permettant de distinguer quatre degrés de proximité.

Les entrées qui sont associées au même opérateur générique et relevant de la même classe générique constituent un regroupement. On définit ensuite des degrés de proximité sur les bases suivantes :

- Proximité de Rang 1 (proximité maximale) : entre des entrées d’un même regroupement. - Proximité de Rang 2 : entre groupes d’une même classe générique, mais associés à des opérateurs génériques différents.

- Proximité Rang 3 : entre groupes appartenant à des classes génériques différentes mais présentant une propriété commune (construction syntaxique, opérateur, propriété sémantique, domaine conceptuel).

- Proximité de Rang 4 (proximité) minimale : entre des groupes de classes, constructions et opérateurs différents.

Il est alors possible de déterminer quels sont les regroupements d’emplois centraux (ceux qui sont au cœur du réseau de relations) et leur attribuer un statut primaire (ou prioritaire) en synchronie.

II-3.2.2. Angle diachronique

Afin d’intégrer la définition historique d’un emploi primaire, nous avons proposé, pour chaque verbe, une étude du déploiement historique des sens. Cette étude a été effectuée prioritairement à partir du Dictionnaire historique de la lange française (abrégé DHLF) et

complétée, le cas échéant, à l’aide de la rubrique « étymologie et histoire » du TLFi89.

Nous avons numéroté les sens à partir des signes conventionnels utilisés pour structurer les articles du DHLF. Les subdivisions de rang 1 (1, 2, 3, etc.) correspondent au signe

« annonçant une subdivision importante dans le traitement d’un mot complexe » (p. VI). Les subdivisions de rang 2 (1.a, 1.b, 1.c, etc.) correspondent au signe indiquant une « division inférieure à la précédente séparant des nuances de sens » (p. VI).

Nous avons ensuite associé à chaque sens recensé, les entrées de LVF correspondantes. Cela permet de proposer une réorganisation du réseau sémantique défini en synchronie, selon un critère diachronique. La mise en perspective des deux plans donne, en outre, la possibilité de vérifier la pertinence du calcul de proximité entre les entrées et de faire apparaître d’éventuels nouveaux liens, auxquels les locuteurs n’ont plus accès en synchronie.

II-3.2.3. Angle discursif

Dans un troisième temps, nous proposons une étude de corpus visant à déterminer, pour chaque verbe, quel est l’emploi primaire en discours. Pour ce dernier point de vue, le choix du corpus est déterminant.

Dans notre article « Distribution des emplois d’un verbe polysémique français à travers la base FRANTEXT par périodes et par types de textes » (Sénéchal : 2005), nous avons mené une réflexion sur la représentativité des corpus dans le cadre d’une étude de la polysémie du verbe investir. A la suite de D. Malrieu et F. Rastier (Malrieu & Rastier : 2001), nous considérons que les emplois d’un verbe polysémique ont toute chance de se répartir inégalement dans les corpus qui, par définition, ne sont pas homogènes. Nous avons notamment montré que, pour le verbe investir, la définition discursive de l’emploi primaire varie en fonction du type de textes sélectionné et de la période considérée.

Pour chacun des 24 verbes retenus, une recherche de corpus a donc été effectuée à partir de deux types de discours différents : les sous-titres de films (discours semi-oral ou oral transcrit) et les romans. Suivant le type de discours sélectionné pour établir un corpus, on peut observer une sur-représentation ou une sous-représentation de certains emplois d’un verbe. Cette double recherche à donc pour but de pondérer les résultats.

La recherche de corpus « Romans » a été effectuée à partir de la base catégorisée de Frantext. Le corpus de référence se compose des 81 romans catégorisés, publiés entre 1980 et 1997, ce qui représente 5 920 533 mots. Pour chaque verbe, nous avons utilisé la formule &e(c=&cXXX g=V)90. Le corpus est constitué des 100 premiers résultats obtenus.

89. Le TLFi a été utilisé lorsqu’il mentionnait une attestation d’emploi absente de l’article du DHLF ou qu’il proposait un inventaire plus détaillé de l’évolution historique des sens.

La recherche de corpus « Sous-titres de films » a été effectuée à partir de la base

Lexique3. Le corpus de référence est constitué des sous-titres de 9474 films ou saisons de séries représentant 50 millions de mots. La base Lexique3 qui permet de lancer des recherches dans les sous-titres n’est pas catégorisée. Il n’est pas possible de récupérer toutes les formes fléchies d’un verbe de manière automatique. Par exemple, pour rechercher toutes les occurrences du verbe occuper, il faut d’abord inscrire « occup* » dans le formulaire de recherche. On obtient alors toutes les formes commençant par occup qu’elles soient verbales ou non verbales (on obtient des formes verbales en emploi adjectival mais également le nom

occupation, etc.). Il est donc nécessaire de procéder à un tri des occurrences obtenues en éliminant les occurrences non verbales. Pour chaque verbe, le corpus « Sous-titres » est constitué des 100 premiers résultats verbaux.

Au final, nous avons donc examiné 200 occurrences par verbe, ce qui représente 4800 occurrences au total. Chaque corpus a été étiqueté à l’aide des codes attribués à chaque emploi lors de l’étude diachronique.

Cette triple approche permet d’envisager l’emploi primaire de chaque verbe sous trois angles différents et donc de pondérer les points de vue. Au terme de l’analyse individuelle de chaque verbe d’une même classe (déplacement depuis lieu source, déplacement vers lieu de destination, etc.) nous avons proposé une modélisation des régularités polysémiques pour l’ensemble de la classe. La méthode de repérage des régularités polysémiques est basée sur une approche synonymique qui exploite le Dictionnaire électronique des synonymes.

II-3-3. Approche synonymique des régularités polysémiques II-3.3.1. Le Dictionnaire Electronique des Synonymes

Le Dictionnaire Electronique des Synonymes (abrégé DES), proposé par le Centre de recherches inter-langues sur la signification en contexte (Crisco) de l’université de Caen, est un dictionnaire en ligne comprenant 49 172 entrées et 200 849 relations synonymiques.

Lorsque l'on entre un mot, on obtient une liste « brute »91 de ses synonymes. Cette liste ne tient compte ni des catégories syntaxiques (on peut, par exemple, trouver aussi bien des noms que des verbes comme synonymes d'une unité verbale), ni des nuances de sens. C'est un traitement informatique de cette liste, consistant à construire des graphes représentant les liens entre les différents synonymes, qui permet d'obtenir les « sens élémentaires » du mot-vedette. Le DES fournit, pour une unité donnée, non seulement la liste de ses synonymes, mais aussi la liste des cliques de synonymes. Le terme de clique (emprunté à la théorie des graphes, cf.

91. Ce qui le distingue des listes de synonymes classées du logiciel de traitement de texte WORD ou du logiciel d’aide à la rédaction ANTIDOTE.

Gaume et alii : 2000) correspond à un graphe où tous les sommets sont directement reliés entre eux. Une clique de synonymes d'une unité est un groupe de synonymes contenant l'unité, et où chaque élément est synonyme des autres. Pour simplifier, il s’agit d’un groupement de synonymes représentant un sens spécifique de la vedette. Chaque synonyme peut être lui-même polysémique, la clique constitue donc l’intersection de la polysémie de chacun des synonymes qu’elle contient.

Les cliques permettent de construire l'espace sémantique du mot vedette, qui correspond à la projection des points représentant chacune d'elles. Lorsque l'on consulte le DES, on peut obtenir la représentation de cet espace en cliquant sur le lien « Visualisation ». La visualisation est générée par le logiciel VisuSyn ; elle permet de voir comment s'organisent les synonymes entre eux et de déterminer la zone d'influence des principaux synonymes du mot vedette.

II-3.3.2. Méthode de construction d’un espace sémantique commun à plusieurs verbes

Dans son ouvrage de 2007, Pour une cartographie de la polysémie verbale, J. François adopte une approche synonymique de la polysémie verbale et utilise le Dictionnaire Electronique des Synonymes pour étudier distinctement la polysémie de neuf verbes vedettes.

Le DES permet de représenter l’espace sémantique d’une unité lexicale et de repérer les réseaux de relations inter-synonymiques qui le structurent (cf. François 2007, pp. 33-36). L’exploitation des outils fournis par le DES (cliques et visualisation de l’espace sémantique d’une unité donnée) offre la possibilité d’identifier des synonymes centraux, connectés entre eux. Ce sont ces ponts entre les sens qui organisent l’espace sémantique de la vedette (cf. Manguin & François dir. : 2004).

Le travail de J. François constitue pour nous un point de départ, étant donné qu’il porte sur la polysémie de verbes isolés alors que notre objectif est d’identifier des régularités polysémiques pour un ensemble de verbes. L’existence d’un espace sémantique commun à plusieurs verbes est un indice de l’existence de régularités polysémiques pour ces verbes. Il s’agit donc, pour nous, d’exploiter les outils du DES pour déterminer si les espaces sémantiques respectifs des verbes d’une classe sont connectés entre eux et dans quelle mesure ils le sont. La première étape consiste à identifier les synonymes communs (s’il en existe) à plusieurs verbes d’une classe afin d’identifier des points de connexions entre leurs espaces sémantiques. Il faut ensuite déterminer si les réseaux de connexions sémantiques se réalisent sous forme de régularités d’emplois ou s’ils restent cantonnés au niveau du sémème des verbes.

Dans les trois prochains chapitres, nous appliquerons la méthode que nous venons de présenter à l’étude de 24 verbes constituant sept classes constructionnelles :

1- Verbes à constructionGDC transitive directe locative du type « déplacement » depuis lieu source : abandonner et quitter, N0<Smouv = Cible> V N1<Loc source = Site> (III-1.).

2- Verbes à constructionGDC transitive directe locative du type « déplacement » via lieu de passage : passer, sauter et traverser, N0<Smouv = Cible> V N1<Loc passage = Site> (III-2.). 3- Verbes à constructionGDC transitive directe locative du type « déplacement » vers lieu de destination : atteindre, gagner, rejoindre et toucher, N0<Smouv = Cible> V N1<Loc dest = Site> (III-3.).

4- Verbes à constructionGDC transitive directe locative du type « mouvement » à l’intérieur d’un lieu : battre, courir, descendre, monter et remonter, N0<Smouv = Cible> V N1<Loc proc = Site> (IV-1.).

5- Verbes à constructionGDC transitive directe locative du type « mouvement » par rapport à un lieu repère : suivre et tourner, N0<Smouv = Cible> V N1<Loc rep = Site> (IV-2.).

6- Verbes à constructionGDC transitive directe locative du type « action » dans un lieu affecté :

déranger, garder, installer, occuper et préparer, N0<SC / CI = Agent Cible> V N1<Loc proc = Affecté Site> (V-1.).

7- Verbes à constructionGDC transitive directe locative du type « action » avec lieu de destination affecté : emporter, enlever et prendre, N0<SC / CI = Agent Cible> V N1<Loc dest = Affecté Site> (V-2.).

Chapitre III

Polysémie des verbes à construction

GDC

transitive directe locative du type

« déplacement »

A l’issu de la sélection fréquentielle, 12 emplois transitifs directs locatifs du type « déplacement » ont été retenus. Ces emplois mettent en scène 9 verbes : Abandonner

atteindregagner passerquitterrejoindresautertouchertraverser.

En dehors de leur emploi transitif direct locatif, ces 9 verbes comptent 164 autres entrées dasn LVF (cf. « Annexe 6 – Entrées des 9 verbes à emploi transitif direct locatif du type déplacement »).

III-1. « Déplacement » depuis lieu source

On relève deux emplois transitifs directs locatifs du type « déplacement » depuis un lieu source.

Abandonner 08 On abandonne ce village devenu désert. S3h

Quitter 01 On quitte Paris. S3h